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Quelques questions au président des Poissons roses, chrétiens de gauche opposés à l’extension de la PMA

Nous avons interrogé Patrice Obert, le président des Poissons roses, une plateforme de réflexion de chrétiens à Gauche. Il nous livre ici un point de vue très intéressant, très engagé sur la question de l’humanisme et du refus de la marchandisation du corps.

Les Poissons roses ont participé à un rassemblement dimanche à la Sorbonne avec des féministes liées à la Gauche et opposées à la GPA, puis à la grande manifestation contre « la PMA sans père » où ils sont intervenus en début et fin de parcours sur la grande scène.

Vous vous êtes mobilisés contre le projet gouvernemental de « PMA pour toutes », pouvez-vous préciser le sens de votre engagement ?

Nous considérons que la gauche humaniste doit s’opposer à l’extension de la PMA pour des raisons qui tiennent justement à notre positionnement à gauche : refus de la marchandisation du corps consécutif au manque de gamètes, refus d’un glissement vers un nouvel esclavagisme qui découlera de la régularisation inévitable de la GPA, nécessité d’une Écologie intégrale qui lie économie, social, environnement et éthique, car « tout est lié » ( cf. encyclique Laudato Si).

Que répondrez-vous à des critiques vous reprochant de vous mettre à la remorque des milieux catholiques conservateurs à l’occasion de la grande manifestation qui vient de se dérouler ce dimanche 6 octobre 2019 ?

Nous sommes conscients d’être sur une ligne de crête. Certains nous reprochent notre décision, mais beaucoup louent notre courage. Nous avons fait ce choix en pleine connaissance de cause. Mais nous ne voulons pas laisser ce champ à la droite. Une gauche humaniste est fondée à participer à cette protestation. Nous assumons notre positionnement de gauche ET de chrétiens.

Selon vous, qu’est-ce qui fait que la Gauche est, pour beaucoup,
largement tombée dans une vaste impasse en se mettant à la remorque des exigences individualistes « sociétales », telles la « PMA pour toutes », voire la GPA ?

La Gauche s’est ralliée à l’économie de marché de façon radicale. La PMA exprime magnifiquement cette reddition qui cumulera dans la GPA. La Gauche a abandonné la défense « sociale » et s’est rabattue sur les sujets sociétaux. C’est une lourde responsabilité, historique.

Quelles sont selon vous les apports, les exigences que peuvent apporter les chrétiens de gauche à la Gauche, mais également à la conscience humaine en général ?

Le respect de la personne humaine, la prise en compte que toutes les dimensions sont reliées ( cf. plus haut), la non-violence, le respect dans le débat, l’écoute.

Le refus d’une démesure qui symbolise le projet de PMA, le refus du « c’est techniquement possible, donc il faut le faire ».

Vous appartenez justement à un courant de critique de la vie quotidienne qui s’est développée dans les années 1930, notamment avec Emmanuel Mounier et le personnalisme. C’était une époque où la Gauche chrétienne et la Gauche marxiste assumaient toutes deux l’optimisme, l’espérance et l’imbrication de l’humanité dans la nature, à l’opposé de ce qui sera après Guerre le pessimisme de l’existentialisme, hantise tant des
chrétiens que des marxistes. Comment, en ce début du 21e siècle, assumer que la vie a un sens dans une société façonnée par le consumérisme ?

Notre analyse est que se clôt la parenthèse de la Modernité occidentale technicienne, née au 17ème siècle quand l’homme a compris que « la nature s’écrit en langage mathématique » ( Galilée). Depuis cette date, nous vivons dans les plis de cette pensée. La technique est devenue le pôle moteur de la société, et malheureusement de la planète, puisque la civilisation européenne, devenue occidentale, s’est répandue par toute la Terre. Cette civilisation a apporté beaucoup de choses positives, ne les nions pas . Mais elle se fracasse aujourd’hui sur des impasses majeures : écologique, financière, individualiste.

C’est en ce sens qu’il faut remettre au cœur la Personne, reliée aux autres humains, à la Nature, à Dieu.

Ceci conduit à remettre en cause la société de consommation ( ce que vous nommez le consumérisme), qui est devenue une société de frustration qui alimente notre désir par une publicité incessante qui nous laisse insatisfaits.

En ce sens, la situation actuelle est très intéressante : un monde ancien s’effondre et plein de jeunes pousses, encore peu visibles, émergent. Il ne faut donc pas être pessimistes, mais volontaires. Sans doute, la transition sera difficile, voire dramatique. Mais la lecture de l’histoire nous montre que l’humanité a survécu à la chute de Ninive, de Jérusalem et de Rome, qui ont été des traumatismes énormes. Aujourd’hui, la situation est encore plus grave mais la grâce a toujours surabondé là où le péché abondait.

Nous avons développé ces thèmes dans notre Manifeste, paru en 2016 au Cerf A CONTRE COURANT et dans nos publications récentes, disponibles sur notre site poissonsroses.org, notamment nos rapports sur :

– la famille durable, au-delà des fascinations biotechniques ;
– Pour une renaissance de l’Europe.

Nous publierons prochainement une « Enquête sur les Invisibles de la République ».

Par ailleurs nous ne manquons pas de noter la convergence de trois faits ( cf la vidéo sur ce sujet sur notre site 3′) :

– la montée des femmes dans la société ;
– la crise de la pédocriminalité dans une église catholique ( universelle) faite d’hommes ;
– la crise écologique.

En tant que chrétiens, bien souvent catholiques, nous lisons que cette convergence n’est pas un hasard mais qu’elle signifie la fin d’un ancien monde, le nouveau, en cours d’émergence devant être finalement « plus humain ».

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Succès de la manifestation du 6 octobre 2019 contre la «PMA sans père»

Des dizaines de millier de personnes ont manifesté ce dimanche 6 octobre 2019 à Paris pour s’opposer à la « PMA sans père », c’est-à-dire l’extension de l’aide « médicale » à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules. Organisée par les milieux activistes liées à l’Église catholique, la manifestation a été une réussite indéniable.

Le succès de manifestation s’explique par le fait que la société française s’avère en général rétive aux grandes réformes sociétales du libéralisme, étrangère à son exigence historique d’humanisme et d’universalisme, au moins en apparence.

La France n’est pas un pays façonné directement par le capitalisme dans ses fondements comme le sont les États-Unis : le libéralisme n’est accepté massivement qu’à travers le filtrage de l’État. Là, il y a l’impression tout à fait juste qu’il y aura une absence totale de cadre.

« Liberté, égalité, paternité », « Un vrai daron pas des échantillons », « Il est où ton papa ? », « La médecine ? C’est fait pour soigner ! », « Maman tu es unique, papa tu es fantastique ». Tels ont été les principaux mots d’ordre – savamment choisis – de la manifestation rassemblant autour de 74 000 personnes selon la presse ce 6 octobre 2019 à Paris (et même 600 000 personnes selon les organisateurs, 42 000 selon la préfecture).

La cible, c’est donc ce qui est appelé la « PMA sans père », c’est-à-dire l’extension de l’aide « médicale » à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules.

À l’arrière-plan, il y a toute une critique de l’évolution ultra-libérale de la société, pratiquement en confrontation avec le capitalisme… Mais pour faire de la Droite catholique le bastion romantique formant une prétendue solution. Voici la liste des principaux organisateurs :

Les Associations Familiales Catholiques, Alliance VITA, Les Veilleurs, Les Sentinelles, EVeilleurs d’espérance, Juristes Pour L’Enfance, La Manif Pour Tous, Générations Avenir, La Voix des Sans Pères, Vigi Gender, Maires pour L’Enfance, Institut Famille & République, Les Familles Plumées, Trace ta route, Collectif pour le respect de la médecine, CPDH – Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine, Agence Européenne des Adoptés – European Agency for Adoptees et Les Gavroches.

On a donc la mouvance, grosso modo, qui s’est mobilisée il y a sept ans en opposition au mariage homosexuel (qui représente seulement 3,5 % des mariages environ), avec une tonalité alors très familiale-bourgeoise et une hégémonie ouvertement de la Droite.

Les enjeux sont cette fois totalement différents, ils n’ont même franchement rien à voir, mais la Droite catholique compte bien présenter la lutte contre la « PMA pour toutes » comme un prolongement logique de l’initiative d’il y a sept ans. Il s’agit bien entendu d’ôter le terrain à toute critique de la part de la Gauche.

Comme la Gauche post-moderne a le dessus en ce moment, la Droite catholique se dit qu’elle aurait tort de ne pas en profiter pour se donner le monopole de la rébellion contre l’ultra-modernité capitaliste.

Cela se voit très bien lorsqu’on comprend qu’à l’arrière-plan, ce n’est pas le caractère naturel du couple hétérosexuel faisant des enfants qui est mis en avant. C’est évidemment là une thématique de la Gauche historique.

La défense de l’altérité biologique comme base de la vie est le fondement même de la critique de la « PMA pour toutes » et de la GPA de la part d’une Gauche assumant son parcours historique. C’est en ce sens qu’il faut lutter !

La Droite catholique ne compte pas du tout s’attarder sur cette dimension. Elle insiste plutôt sur la thématique du père, avec une part de justesse, mais évidemment une vraie orientation patriarcale en filigrane. Ludovine de la Rochère, la présidente de La Manif Pour Tous, a très bien résumé cela en expliquant que :

« Depuis 1917 la République française accompagne et soutient les pupilles de la nation car elle sait que l’absence de père, le vide que cause cette absence, sont difficiles. La PMA sans Père signifie que la république française ferait sciemment des orphelins de père. »

Elle a également précisé ainsi son propos :

« L’adoption n’a rien à voir avec la PMA sans Père. L’adoption vient réparer une situation. La PMA sans Père, c’est volontairement faire un enfant sans père. »

À la tribune, Pascale Morinière de la Confédération nationale des Associations Familiales Catholiques a formulé cela de la manière suivante :

« Nous ne voulons pas de votre révolution de la filiation ! Monsieur Touraine, les enfants ont vraiment besoin d’un père ! »

Nicolas Bay, du Rassemblement National, a tourné cela ainsi :

« Créer de toutes pièces une situation où un enfant serait privé de son père, et privé même de la possibilité de connaître un jour son père, ça nous paraît être une régression absolument majeure »

Encore est-il que la bataille pour la critique adéquate de la « PMA pour toutes » n’a lieu pour l’instant que dans de faibles proportions, puisque la Gauche commence seulement à se mobiliser (de manière assumée on a un secteur du féminisme, ainsi que les Poissons roses rassemblant des chrétiens de gauche).

Mais il est encore temps de se mobiliser, les organisateurs de la manifestation du 6 octobre prévoyant déjà quatre grandes mobilisations au cours de l’année, les 1er décembre, 19 janvier, 8 mars, 17 mai et 14 juin.