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Pas de «consentement» avant 15 ans: tribune de 164 personnalités

Voici une tribune initiée par Tristane Banon au nom du Collectif pour l’enfance et signée par 164 personnalités. Elle est initialement publiée par le Parisien.

« L’appel des 164 personnalités pour défendre les enfants

Le 21 janvier 2021, le Sénat a adopté le projet de proposition de loi Billon qui vise à fixer le seuil du non-consentement sexuel de l’enfant à l’âge de 13 ans. Autrement dit, le Sénat a décidé que l’acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’elle soit entre un mineur de moins de 13 ans et un adulte serait de facto considéré comme un crime, sans possibilité pour l’adulte de se défendre d’un consentement apparent, sous-entendu ou revendiqué par l’enfant.

C’est bien, mais c’est insuffisant. C’est bien, mais c’est dangereux.

Après avoir lu « la Familia Grande », où Camille Kouchner raconte comment son frère jumeau de 14 ans a subi l’inceste de son beau-père, le célèbre constitutionnaliste Olivier Duhamel ; après avoir lu « le Consentement », de Vanessa Springora, où la jeune femme raconte comment elle est tombée à 14 ans (encore) sous l’emprise de l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff ; après avoir lu Christine Angot, après avoir lu Catherine Allégret, après avoir lu les dizaines de milliers de témoignages d’anonymes qui ont trouvé à s’exprimer sous le désormais célèbre hashtag #MeTooInceste…

Après que les victimes ont trouvé la force et le courage d’ouvrir grands les yeux de la société, vous qui faites les lois ne pouvez pas rester les seuls à les garder partiellement clos.

Evidemment que l’instauration d’un seuil de non-consentement fixé à 13 ans est un progrès, mais il est petit et incomplet.

Votre progrès laisse la possibilité, pour un pédocriminel qui violerait un enfant de 13 à 15 ans, de prétendre que l’enfant était consentant. Avec la possibilité du consentement, c’est la requalification de l’acte et l’allègement de la peine qui s’ensuivent.

Votre progrès est sans sens car il n’aligne pas le seuil de non-consentement sur l’interdit à 15 ans posé par la loi Schiappa.

Votre progrès crée une zone trouble pour les crimes sur mineurs de 13 à 15 ans, et cette zone trouble, si vous pouvez vous en contenter, nous ne pouvons l’admettre.

Votre progrès est absurde, car il ne considère pas les victimes d’inceste comme des enfants de leurs parents, des frères ou des sœurs sous emprise, et ceux bien au-delà de votre seuil de 13 ans qui les rendrait apte à consentir. Qui peut dire qu’il n’est pas resté l’enfant de son ascendant légal jusqu’à 18 ans, au moins ? Il n’y a qu’en alignant le seuil du non-consentement sur l’interdit à 15 ans posé par la loi Schiappa que votre progrès sera véritable. Il n’y a qu’en reconnaissant l’impossibilité de consentir à l’inceste avant 18 ans que votre progrès sera remarquable.

Mesdames et messieurs qui faites les lois, nos espoirs étaient grands, votre progrès est tout petit.

Vous brandissez en bouclier le couple que formerait cet adulte de 18 ans avec un enfant de 14 ans et demi, nous voulons vous rappeler ici que les lois doivent être faites pour protéger le plus grand nombre et non pour des situations marginales fantasmagoriques.

Vous criez qu’existent des blocages juridiques qui rendraient inconstitutionnel un seuil de 15 ans, nous voulons vous dire que c’est votre métier de débloquer les choses.

Mesdames et messieurs qui faites les lois, monsieur le président Emmanuel Macron, monsieur le secrétaire d’Etat Adrien Taquet,

Nous anciens enfants, nous parents, nous frères, nous sœurs, nous famille, nous amis, nous Français, nous associations, nous soignants, nous juristes, nous votants, nous… citoyens !

Nous qui voyons les chiffres : 10% des Français qui auraient subi l’inceste, six millions de personnes ; un enfant mineur violé toutes les heures en France ; un Français sur six ou cinq qui aurait subi un acte de pédocriminalité, dix millions de personnes, dix millions de Français, c’est de crime de masse dont nous parlons ;

Nous qui voulons que des lois fermes dissuadent ces actes inacceptables,

Nous tous, qui signons aujourd’hui cette pétition, vous demandons que ce seuil de non-consentement soit fixé à 15 ans, 18 en cas d’inceste. Nous ne saurons nous contenter de votre petit progrès, nos attentes sont bien trop grandes pour cela.

Tristane Banon, au nom du Collectif pour l’enfance »

Ils ont signé l’appel : Lionel Abelanski, Sylviane Agacinski, Sophia Aram, Pascale Arbillot, Laurence Arné, Yann Arthus-Bertrand, Lisa Azuelos, Maurice Barthélemy, Valérie Bègue, François Berléand, Marilou Berry, Louis Bertignac, Andréa Bescond, Philippe Besson, Juliette Binoche, Serge Blanco, Laurence Boccolini, Sidonie Bonnec, Claire Borotra, Amandine Bourgeois, Anaïs Bouton, Patrick Braoudé, David Brécourt, Zabou Breitman, Carla Bruni, François Busnel, Ivan Calbérac, Isabelle Carré, Clémentine Célarié, Emmanuel Chain, Karima Charni, Anne Charrier, Jérôme Commandeur, Clovis Cornillac, Olivia Côte, Gérémy Crédeville, Michel Cymes, Audrey Dana, Géraldine Danon, Dany Boon, Julie de Bona, Hélène de Fougerolles, Delphine de Vigan, Vincent Delerm, Philippe Delerm, Emilie Dequenne, Didier Deschamps, Claude Deschamps, Alice Dufour, Marc Dugain, Anny Duperey, Thomas Dutronc, Valérie Expert, Nadia Farès, Isabelle Farrugia, Dominique Farrugia, Cyril Féraud, Laurence Ferrari, David Foenkinos, Lilou Fogli, Elodie Fontan, Maud Fontenoy, Sara Forestier, Guy Forget, Déborah François, Guillaume Gallienne, Christophe Galtier, Rudi Garcia, Julie Gayet, Florian Gazan, Arnaud Gidoin, Sara Giraudeau, Bruno Guillon, Guillermo Guiz, Linda Hardy, Jeanne Herry, Clotilde Hesme, Agnès Hurstel, Donel Jack’sman, Catherine Jacob, Jérémie Janot, Jean-Michel Jarre, Jarry, Marlène Jobert, Joyce Jonathan, Arthur Jugnot, Leïla Kaddour-Boudadi, Keren Ann, Tina Kieffer, Richard Kolinka, Françoise Laborde, Philippe Lacheau, Jonathan Lambert, Alexandra Lamy, Chantal Lauby, Benjamin Lavernhe, Jean Le Cam, Anne Le Nen, Baptiste Lecaplain, Patrice Leconte, Philippe Lelièvre, Claude Lelouch, Jean-Luc Lemoine, Pierre Lescure, Manu Levy, Bixente Lizarazu, Camille Lou, Elise Lucet, Olivier Marchal, Anne Marivin, Pierre-François Martin-Laval, Hervé Mathoux, Mathilda May, Radu Mihaileanu, Olivier Minne, Miou-Miou, Clara Morgane, Daniel Morin, Vincent Moscato, Xavier de Moulins, Nagui, Yael Naim, Mélanie Page, Florent Pagny, Tanguy Pastureau, Raphaël Personnaz, Laurent Petit-Guillaume, Florent Peyre, Alix Poisson, Alice Pol, Barbara Pravi, Caroline Proust, Yann Queffélec, Cristiana Reali, Ali Rebeihi, Jean-Luc Reichmann, Line Renaud, Jérémie Renier, Muriel Robin, Karole Rocher, Sonia Rolland, Gaëtan Roussel, Aurélie Saada, Ludivine Sagnier, Etienne Saldès, Céline Sallette, Fabrice Santoro, Frah (Shaka Ponk), Sam (Shaka Ponk), Bruno Solo, Claudia Tagbo, Sylvie Testud, Mélissa Theuriau, Laury Thillemann, Philippe Torreton, Mali (Tryo), Daniel (Tryo), Guizmo (Tryo), Manu (Tryo), Vianney, Caroline Vigneaux, Tom Villa, François Vincentelli, Michaël Youn. »

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Inceste: la vidéo « Deux cauchemars dans mon histoire »

Alors que ces derniers jours des témoignages de personnes ayant subit des violences incestueuses ont afflué sur les réseaux sociaux sous le hashtag #MeTooInceste, l’association Face à l’Inceste accélère sa mobilisation pour y apporter une réponse juridique.

Le viol est quelque chose qui détruit profondément et durablement la personne attaquée, c’est d’autant plus traumatisant lorsque cette intrusion intime se produit à un âge où l’on ne conçoit pas ou que très vaguement la sexualité. Ces phénomènes traumatiques peuvent aller de la dissociation à une sorte d’amnésie.

C’est ce que la psychiatre française Muriel Salmona met en lumière dans ses travaux, et tente de faire reconnaître depuis des années aux côtés des victimes de pédophilie et d’inceste avec son association Mémoire traumatique et victimologie.

C’est cette « perte de mémoire » qui pousse ces associations à demander l’imprescriptibilité de ces crimes.

Avec cette vidéo, l’association Face à l’Inceste souhaite sensibiliser à la nécessité d’établir un âge de présomption de non-consentement. Car à l’heure actuelle on peut considérer que si l’enfant ne dit pas non, ne se débat pas, à 6 ans, à 9 ans, à 13 ans, à 15 ans… C’est qu’il est consentant, que c’est une forme d’amour, comme ont pu le défendre l’ignoble « gauche » libérale libertaire sauce Libération des années 1970. Cette notion du consentement est déjà parfois compliquée à établir dans des cas concernant les adultes, alors chez l’enfant la notion est d’autant plus inappropriée.

Selon les mots de l’association :

« La campagne a pour objectif d’inviter les Français à signer une pétition pour changer la loi. En se plaçant à hauteur d’enfant, le film entièrement réalisé en animation soulève la violence de la question du consentement et fait prendre conscience au spectateur combien le cadre légal peut entretenir le cauchemar physique et psychologique que vivent les enfants. »

Voici la vidéo et en dessous, le texte de la pétition.

« Aucun(e) mineur(e) ne saurait consentir à une relation sexuelle incestueuse. Il est temps de changer la loi pour qu’elle prenne en compte les spécificités de l’inceste et qu’elle protège tous les enfants contre la pédocriminalité.

10% des Français soit 6,7 millions de personnes ont subi l’inceste selon un sondage Ipsos du 5/11/2020 pour l’association « Face à l’Inceste ». L’inceste représente les trois quarts des violences sexuelles sur mineurs et pourtant le mot « inceste » reste tabou, ce qui empêche la France d’adopter une véritable politique de prévention afin de protéger les enfants de ce fléau de santé publique.

Dans la loi française, un enfant qui porte plainte pour un viol ou une agression sexuelle de nature incestueuse doit prouver que l’acte a été commis avec menace, violence, contrainte ou surprise, autrement dit qu’il n’était pas « consentant ».Pour un enfant survivant de violences sexuelles et qui a déjà le courage de dénoncer ce qu’il subit, s’entendre poser la question de son « consentement » par les autorités judiciaires est d’une violence extrême. Cela sonne comme une remise en question de sa parole, ou pire, cette question induit qu’il est responsable de la situation, qu’il a bien cherché ce qui lui est arrivé.

Ainsi, au cauchemar de l’agression sexuelle succède le cauchemar de se voir poser cette question de son « consentement » impossible à l’inceste. Les agresseurs ont tout intérêt à plaider le « consentement » de l’enfant car cela permet de requalifier le viol en « atteinte sexuelle sur mineur » en minimisant les peines encourues de 20 ans à 10 ans. La structure du Code Pénal encourage cela. Le procès de l’agresseur devient donc celui de l’enfant victime !

Malgré les promesses faites par le gouvernement lors du vote de la « Loi Schiappa » sur les violences sexuelles du 3 août 2018, un enfant de tout âge peut encore être considéré comme consentant. Ainsi le tribunal de St Malo, en septembre 2019, a condamné un père incestueux pour « atteinte sexuelle » sur sa fille de 4 ans ! La peine prononcée (8 mois avec sursis, 1€ de dommages et intérêts) montre à quel point certains juges minimisent la gravité du crime d’inceste et de ses conséquences.

Le 12 novembre 2020, la Cour d’Appel de Versailles a redit qu’une fille de 13 ans pouvait être jugée « consentante » en requalifiant les plaintes pour viol en réunion contre 20 pompiers de Paris en « atteinte sexuelle sur mineur » pour 3 d’entre eux (les 17 autres ne sont même pas poursuivis !).

Par ailleurs, la prescription pénale, véritable passeport pour le viol d’enfant, demeure un obstacle aux poursuites notamment dans le cas des agresseurs en série qui multiplient les victimes pendant des décennies. À cause de la prescription, empêchant toute poursuite au-delà d’un certain temps, les victimes dites “prescrites” ont le statut de simple « témoin » au procès de leur agresseur, ce qui est injuste et absurde. Il faut que toutes les victimes soient traitées à égalité.    

Ce que nous demandons :

1. Tout acte sexuel incestueux commis sur un(e) mineur(e) doit être qualifié de crime incestueux et puni par la loi sans qu’un hypothétique « consentement » de la victime ne soit examiné.

2. Tout acte sexuel non incestueux commis sur un(e) mineur(e) de moins de 15 ans doit être qualifié d’infraction pédocriminelle sans que le critère additionnel de « menace, surprise, contrainte ou violence » soit nécessaire.

3. Les crimes sexuels sur mineur(e)s doivent être imprescriptibles. »