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C’est le mensonge d’une France tranquille qui s’en va avec le 13h de Jean-Pierre Pernaut

Pendant 33 ans, Jean-Pierre Pernaut a incarné avec son Journal Télévisé de 13h le mensonge d’une France tranquille, se regardant le nombril après le repas lisse et conformiste du midi. C’est la Droite dans sa version franchement pétainiste, faisant un fétiche des « régions » et des petites-gens pour maintenir une chape de plomb sur le pays afin que surtout rien ne change.

Lors de la présentation de son dernier journal télévisé, Jean-Pierre Pernaut a très bien résumé l’idéologie qu’il a porté pendant des années sur TF1 à 13h :

« Vous écouter, faire entendre tous ceux qu’on entend pas ailleurs, ça a été une révolution il y a 33 ans, ça a été ma ligne de conduite depuis 33 ans et j’en suis très fier. Faire entendre et montrer toutes les richesses de nos régions, jusque dans les plus petits villages. »

Le 13h de Jean-Pierre Pernaut est en effet devenu un institution en France, avec des parts d’audience mirobolantes, faisant de lui une figure incontournable avec ses six à sept millions de spectateurs quotidien.

Son émission, dans sa forme et son style, est née de la privatisation de TF1 en 1987 et de sa volonté d’être hégémonique. Le créneau a alors été simple : concurrencer France 3 (FR3 à l’époque) et ses multitudes déclinaisons régionales, très ancrées sur le terrain.

Son JT a été alors l’ennemi direct du service public, dans une opposition de style bien marquée. Au style populaire de France 3, qui encore aujourd’hui relève d’une certaine tendance démocratique dans sa volonté de systématiser une réelle information locale, la démarche de Jean-Pierre Pernaut a été d’accumuler des sourires benêts, des anecdotes insignifiantes, une orgie de « terroirs » et autres fantasmagories romantiques.

Pendant 33 ans, ce fut chaque année pratiquement les même reportages aux mêmes endroits et à la même date, avec chaque jour ou presque la météo en ouverture du journal. Le journaliste au Canard Enchainé Jean-Luc Porquet a très bien résumé cela dans un article intitulé ironiquement « Éloge de Jean-Pierre Pernaut » en 2010 :

« Il rassure, il endort, il calme les inquiétudes […] il n’est pas le pur benêt de service qu’on croit : il participe sciemment à l’enfumage généralisé »

Le 13h de Jean-Pierre Pernaut c’est, au sens strict, le contraire de l’information, avec la construction méticuleuse d’une fausse réalité, d’une France se prétendant tranquille, pacifiée, inébranlable. C’est un mensonge grossier car chacun sait que pendant ces 33 dernières années la France s’est lentement mais sûrement effondrée sur elle-même.

Jean-Pierre Pernaut n’était pas là pour montrer la réalité. Il n’était pas là pour montrer l’exploitation, la haute bourgeoisie, les familles rongées par l’alcool, les grèves, la consommation massive d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, les luttes antifascistes, la barbarie des élevage et des abattoirs, la beauté de la vie sauvage, la décomposition sociale et l’avènement des réseaux mafieux dans les cités HLM, le développement de la culture populaire ou l’aliénation du travail prolétaire.

Il était là pour exposer une lecture unilatérale, celle du beauf complaisant sur lui-même et sur tout ce qui est partiel, truqueur, mensonger.

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« L’Huma » et les courses hippiques

On ne lit pas forcément L’Humanité, quotidien qui n’est plus que l’ombre de lui-même, porté à bout de bras par l’argent de l’État et même de grands financiers. Mais, sans préjuger de la médiocrité générale sur le plan journalistique, car toute la presse est ainsi, voir qu’il y a dedans les résultats de courses hippiques ne peut laisser qu’un goût amer.

Quoi ?! Le journal fondé par Jean Jaurès, le journal historique des socialistes, puis du PCF, tombant aussi bas ?

La Gauche n’a jamais encore mené de bataille d’opinion contre les jeux d’argent, c’est là un grand malheur et une profonde erreur. Lorsque, en plus, il y a une utilisation d’animaux, c’est vraiment lamentable. On imagine la condition de ceux-ci, dans un environnement en plus nécessairement façonné par une pression terrible pour le succès.

Tout milieu capitaliste visant à « triompher » implique de fait la corruption, la triche, le dopage, etc. Seuls des naïfs peuvent penser que tout est fait dans les règles et qu’il n’y a pas de manipulations, de coups bas, de consommation de produits stupéfiants pour tenir le coup, etc.

Alors voir L’Humanité fournir des pronostics pour les courses hippiques, c’est terrible, c’est Jean Jaurès au PMU. C’est la Gauche cédant devant l’aliénation, l’appât du gain facile en contournant le travail, réduisant les animaux à des outils de divertissement…

Voir dans L’Humanité qu’il est conseillé de parier sur « Futbolisto », « Hell’s queen », « Elan du rocher », que « Mille rubis » est un bon outsider, tout comme « Etincelle de rêve » ou « Electra du vivier », c’est un choc. Ce n’est pas étonnant quand on y pense, la capitulation devant les beaufs étant ce qu’elle est, mais quand même.

Si à cela s’ajoute une prose revendicative, avec les bons conseils donnés telle une consigne politique, là par contre, on touche un sacré fond.

« Prudence. Cet été, les quintés donnent souvent lieu à des arrivées improbables. C’est essentiellement dû à la médiocrité des lots proposés, comme par exemple le vendredi soir à Cabourg, où l’incohérence des programmes et l’inconséquence des dirigeants ont pour conséquence un déficit de participants. Cela oblige à choisir comme « quinté » des cours de médiocre niveau. Parieurs, la prudence est de mise… »

Parieurs de tous les pays, unissez-vous ! Les organisateurs de courses hippiques ne sont pas à la hauteur des exigences des prolos PMU ! Il faut plus de lots, pour de meilleurs entreprise proposant de meilleur chevaux-esclaves. On en veut pour notre argent !

Comment L’Humanité espère-t-il être un quotidien qui sort de sa profonde crise avec un positionnement pareil ? C’est un véritable suicide et peut-être est-ce ici une allégorie de la Gauche anéantie en France, justement car elle a échoué sur le plan des valeurs. Ne disons pas qu’elle a trahi les ouvriers, car ce sont aux ouvriers de faire la Gauche justement. Disons plutôt : la Gauche n’a pas été en mesure de préserver ses valeurs et elle s’est faite mangée par les valeurs du capitalisme.

Même en arguant qu’un organe de presse ne peut pas aller trop loin, voir les courses hippiques est déjà un suicide culturel. Il en va de même pour la FSGT, la structure dédiée au sport issu du mouvement ouvrier qui assume ouvertement le MMA : on perd là par définition toute affirmation de la non-violence, du refus de faire du mal aux autres, du sport comme développement personnel, dans un cadre collectif, ne se faisant pas aux dépens des autres.

Il est ici vraiment fascinant de voir la Gauche française, ces dernières années, massivement mentionner Antonio Gramsci en disant qu’il faut prendre en compte la question culturelle pour gagner les gens et ne rien faire derrière. C’est bien la preuve d’un problème de fond.

Et ce problème ramène aux débuts du mouvement ouvrier en France. On ne sort pas de l’opposition stérile entre électoralistes opportunistes d’un côté, syndicalistes anti-politiques de l’autre. Cela se fait aux dépens de la culture et on en paie le prix encore aujourd’hui. Ni les électoralistes, ni les syndicalistes n’ont besoin de la culture… alors que c’est essentiel pour qu’il y ait une réelle base populaire portant le Socialisme en termes de valeurs concrètes !

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La crise du journal l’Humanité

Le journal l’Humanité a été un élément historique du mouvement ouvrier français. Il est depuis de nombreuses années en perte de vitesse et a été placé jeudi 7 février en redressement judiciaire avec poursuite d’activité par le tribunal de commerce de Bobigny.

La bourgeoisie en France a toujours disposé d’une presse de qualité et ce fut un enjeu majeur pour la classe ouvrière d’en disposer également. Le journal l’Humanité a rempli ce rôle très tôt dans l’Histoire, d’abord sous l’égide des socialistes et de Jean Jaurès puis directement du Parti communiste.

Alors qu’il tirait au mieux de son histoire à 400 000 exemplaires en 1945, le titre a enclenché un long déclin strictement parallèle à celui du PCF pour ne plus tirer qu’autour de 100 000 exemplaires dans les années 1980.

Il s’est déclaré en cessation de paiement le mois dernier et le tribunal de Bobigny le maintient maintenant sous tutelle pour une période de six mois. Deux administrateurs judiciaires ont été désignés et une « spécialiste » du sauvetage d’entreprises est chargée de redresser la barre.

Le tirage de l’Humanité a oscillé pour la période 2017/2018 entre 45 000 et 50 000 unités. De manière plus précise, il faut regarder sa diffusion payée qui a été pour cette période de 32 724 exemplaires quotidiens. Cela a représenté un recul de 6,24 % par rapport à la période 2016/2017, elle-même en recul par rapport à la période précédente.

À titre de comparaison, la diffusion payée du Figaro a été pour 2017/2018 de 308 953 exemplaires et celle du Monde de 283 678 exemplaires. Les diffusions payées des Échos, de La Croix et de Libération ont été respectivement de 128 573, 87 883 et 69 636 exemplaires.

Les chiffres de ventes de l’Humanité apparaissent donc comme relativement faibles, mais représentent tout de même quelque-chose de conséquent. Cela est possible grâce à une base liée au PCF tenant absolument à acheter « l’Huma » par tradition, refusant par exemple par principe toute offre de réduction. L’influence politique de l’Humanité est cependant très faible, quasiment nulle.

Son expression ne consiste globalement qu’en un para-syndicalisme vaguement antilibéral, faisant de ce journal bien plus celui de la CGT que du PCF. Sur le plan du style, des valeurs, de la culture, il n’y a absolument rien d’alternatif, de propre à la classe ouvrière, au point qu’une figure réactionnaire comme Natacha Polony a récemment appelé à « sauver l’Huma » sous prétexte de ses pages littéraires.

L’Humanité n’a pas, ou plus, été capable de proposer une expression organique pour le prolétariat, c’est-à-dire d’affirmer en même temps le besoin de civilisation et l’antagonisme vis-à-vis de la bourgeoisie. Cela fait que le journal ne correspond pas du tout à la vie quotidienne des masses, à leur réalité. Il n’a jamais rien été compris aux jeux-vidéos, au sport, à la musique techno ou métal, à la protection animale, au cinéma, à la mode ou encore à internet.

Le journal est surtout passé largement à côté de la marche du monde de ces trente dernières années. Cela fait que l’Humanité n’a jamais vraiment parlé d’écologie, si ce n’est de manière abstraite et très récemment, pour seulement coller à l’air du temps, comme l’a fait également la bourgeoisie (en mieux) dans ses propres journaux comme Le Figaro ou Le Monde.

Si l’Humanité n’a pas encore disparu, c’est qu’il est porté à bout de bras par une somme immense de subventions d’État et des souscriptions régulières. Sur le plan commercial, le titre n’est en fait absolument pas viable, se maintenant dans une illusion totale par rapport à ce qu’il est réellement. La taille de sa rédaction est disproportionnée par rapport à ses ventes et il est connu que les salaires y sont élevés pour la profession, avec quasiment que des gens ayant le statut de cadre.

Alors que le reste de la presse s’est réformé avec l’avènement du numérique, le site internet de l’Humanité est d’une pauvreté affligeante, ayant une existence très faible.

Il y a pourtant avec internet un outil formidable pour faire un quotidien de la classe ouvrière, avec des coûts de production plus faibles, ou en tous cas bien plus faibles qu’avec le papier et ses lourds réseaux de distribution, qui par ailleurs se dégradent.

Cette question d’internet n’est de toutes façons qu’un aspect, car en réalité la presse continue d’exister en grande proportion en France. Les quotidiens régionaux sont encore très lus dans les classes populaires. La diffusion payée de Ouest-France, le plus tiré, est par exemple de 659 681 exemplaires. Si l’on cumule les 53 quotidiens régionaux, cela donne un chiffre immense avec une diffusion totale payée de presque 4 millions d’exemplaires.

Il y a là un potentiel énorme, et la Gauche devrait absolument se soucier d’arracher des milliers de prolétaires de la lecture de ces quotidiens horribles, lisses, faisant des faits-divers leur fonds de commerce et des simplifications leur moyen d’expression. Mais ce n’est pas ici que regarde « l’Huma », préférant organiser une grande soirée parisienne pour bobos à La Bellevilloise le 22 février. Qu’il soit mit en avant en tête d’affiche de cette soirée le peintre d’art contemporain Hervé Di Rosa en dit long sur les aspirations de ses organisateurs. On sait pourtant très bien qu’il n’y a aucun rapport, ni de près ni de loin, entre ce genre d’artiste abstrait et les classes populaires.

Hervé Di Rosa est d’ailleurs très engagé dans le soutien, comme le rapporte le site internet du Parisien :

« Je n’ai jamais eu ma carte, mais j’ai une longue histoire avec ce journal. Mon père était à la CGT à la SNCF. L’une de mes filles est communiste. Quand il y a une crise, je réponds présent, même si moi, je suis catholique. Le PCF est un parti qui a accueilli tellement d’artistes, de Picasso à Fernand Léger. Cette époque est révolue, mais le journal reste très intéressant, avec des points de vue différents qu’on ne lit pas ailleurs, y compris sur l’art. Si ça s’arrêtait, ce serait quand même terrible. »

On peut citer également le soutient de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac, qui a présidé le Château de Versailles :

« Même si vous n’êtes pas toujours d’accord avec ce journal, comment imaginer l’humanité sans L’Humanité ? Personne ne peut rester insensible à ce titre créé par Jaurès, toujours de qualité, et que je continue de lire presque chaque jour. Il représente une grande famille de pensée à la gauche de la gauche. Dans le débat politique, il est nécessaire. »

Dis-moi qui te soutient et je te dirai qui tu es, pourrait-on dire. Et manifestement, l’Humanité n’est pas l’organe de presse de la classe ouvrière organisée, de la Gauche historique, de l’alternative au capitalisme.