Amesœurs est un groupe français des années 2000 qui aura réussi à incorporer des éléments de black metal à une base entre post-punk, new wave et shoegaze. La production du groupe sera décriée par nombre d’amateurs bas du front de black metal, et la formation sera en même temps qualifiée, par des personnes venant du post-punk, de la new wave, de fasciste à cause des parcours des membres du groupes. Faisons un aperçu réaliste et de gauche sur un groupe présentant une réelle valeur historique.
Nombre d’amateurs de black metal ont été et sont toujours incapables de saisir la dimension romantique qui traverse l’histoire de cette branche très particulière du métal. Romantique dans l’importance accordée à la nature, dans la dimension épique de certaines formations, un certaine élitisme, dans le soin accordée à l’esthétique…
S’il ne faut pas se voiler la face, et réaliser que nombre de groupes sont tout simplement mauvais et ne sont que des copies de copies, il est impossible de ne pas voir cette tendance de fond qui est une des caractéristiques du genre. L’album Transilvanian hunger de Darkthrone en est l’exemple le plus frappant malgré toutes les polémiques.
C’est en ce sens qu’il faut savoir saisir la subtilité d’Amesœurs, qui commença avec un premier EP prometteur, Ruines humaines, en 2006.
Puis vint l’album éponyme, en 2009.
La toute fin des années 1970 et les années 1980 ont été une période de grandes productions. Elles vont vu naître des groupes de post-punk, de pop indépendante, de musique électronique influencée par la scène industrielle, comme Depeche Mode, the Smiths, the Cure ou encore le son proto-gothique de Joy Division. On y retrouve une dimension romantique, plus ou moins torturée.
A l’inverse du romantisme black metal, celui-ci est davantage introverti. Et aussi souvent bien plus profond et travaillé.
On comprend très vite qu’il y a forcément des ponts à construire entre ces deux mondes, entre romantisme du black metal et romantisme post-punk. Ceux-ci se font assez logiquement pour une petite partie des auditeurs. Et il est logique que trois décennies après les débuts de Joy Division et des Cure et que deux décennies après les débuts sulfureux du black metal norvégien, des personnes aient cherchées à réunir toutes ces influences au sein d’un album.
Si l’on s’intéresse à l’album d’Amesœurs dans sa totalité, on est frappé par sa dimension expressionniste et par la critique du monde moderne et de ses villes déshumanisées. Que ce soit par les rapports entre personnes, la déshumanisation des grandes villes, l’anonymat… Le groupe qualifiera très justement leur premier et unique album de « Kaleidoscopic soundtrack for the modern era » (Bande son kaléidoscopique du monde moderne) dans le livret.
« Flânant au pied des ruches grises,
Je lève les yeux
Vers un ciel qui de son bleu
Inhabité me cloue à terre ;
Plus absent que moi encore.
Dans la vie que je mène
Chaque jour se ressemble
Et guêpe parmi les guêpes,
J’ai offert mes ailes
Aux bons plaisirs des reines imbéciles
La nuit et ses lueurs glaciales
Ont transformé la ruche malade
En un beau palais de cristal ;
Puis au petit matin,
Le soleil dévoile les plaies obscènes
De ces mégalopoles tentaculaires
Dont le venin et les puanteurs
Étouffent et violent les âmes
Qu’elles gardent en leur sein. »
Les ruches malades
Si l’on regarde l’album, le black metal est un aspect secondaire sur la plan strictement musical. Une chanson comme Les ruches malades n’en incorpore pas – du moins pas aussi clairement qu’Heurt. Il se fera ressentir principalement sur le chant : Neige crie ses paroles, Audrey S. les chante avec sa voix langoureuse qui correspond parfaitement à l’ambiance intense et mélancolique de l’album.
Toutefois, au fil de l’album, on comprend très facilement d’où vient l’atmosphère tourmentée. L’influence de Joy Division ou des Sisters of mercy se mélangent avec la noirceur du black metal.
Si la dimension expressionniste-tourmentée est un peu forcée, on ne peut qu’être admiratif du talent qui se déploie tout au long de l’album. Musicalement, c’était quelque chose d’attendu, un déploiement de toute une culture marginalisée en appelant à la sensibilité.
Même si la formation n’arrive pas au niveau des groupes anglais, cet album est une prouesse marquante. Black metal, shoegaze, post-punk et new wave se côtoient et se mêlent même par moments. Résultat : les « mégapoles tentaculaires » et la destruction de nos sens sont au cœur des paroles.
« Après une courte réflexion
Qu’une seule chose en tête :
Se perdre dans le noir, le noir abyssal,
Là où simplement rien n’existe,
Juste le vide et le refuge du silence.»
(Troubles (éveils infâmes))
On comprend qu’il soit difficile de continuer un tel projet quand on voit la noirceur qui s’en dégage. Ces Sisters of mercy français tant attendus arrivaient de plus sans l’époque capable de porter le groupe.
Eux-mêmes ne cernaient pas ce qu’ils portaient ; ils furent incapables de voir l’horizon positif nécessaire, notamment la défense de la nature, des animaux, le besoin existentiel de révolution, ce qui est ou devrait être au coeur de l’identité romantique.
Le groupe se séparera avant même la sortie de l’album. Neige continuera son groupe principal : Alceste et participera à Lantlôs. Fursy T. participera à un groupe nommé Les Discrets. Tous ces groupes sont dans la continuité d’Amesœurs. Mais aucun n’arrivera à reproduire quoi que ce soit du même niveau : trop esthétisant, trop aérien…
Quant à la chanteuse, son romantisme sombrera dans le nihilisme de l’extrême-droite. Tout cela est un véritable gâchis.