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Bolloré et Zemmour veulent-ils rejouer La Rocque et le PSF en rachetant Le Figaro ?

L’extrême-droite a besoin d’élargir sa base et de gagner en crédibilité.

L’information est sortie dans le milieu des journalistes comme quoi Vincent Bolloré veut racheter Le Figaro. Vrai ou non, c’est en tous cas plausible, car ce journal serait une pièce de choix dans le dispositif Bolloré d’appui au populisme nationaliste.

Vincent Bolloré dispose déjà de la radio Europe 1, du magazine Paris Match et du Journal du dimanche. Il a surtout la chaîne Cnews, devenue un laboratoire pour l’hystérie populiste et les déchaînements réactionnaires. Cnews a servi de catapulte politique pour Eric Zemour qui y a eu une tribune quotidienne dans laquelle il pouvait longuement s’étaler, se poser comme un rationnel au-dessus du lot et disant vraiment les choses, etc.

En fait, il y a eu convergence entre les intérêts de Vincent Bolloré, représentant une fraction bien précise de la bourgeoisie française, et la personnalité Eric Zemour qui s’est retrouvée propulsée historiquement comme figure présidentiable. D’ailleurs, il ne s’agit même pas d’imaginer une opération organisée de longue date (encore que cela est possible), mais surtout un déroulement naturel des choses entre gens allant dans le même sens à une époque qui leur est favorable !

Toujours est-il que cela serait on ne peut plus logique pour Vincent Bolloré, pour appuyer sa dynamique politique, d’avoir également le Figaro (où Eric Zemour a d’ailleurs beaucoup écrit jusqu’à très récemment). Ce serait là beaucoup plus crédible politiquement aux yeux de la bourgeoisie traditionnelle française, que les étalements type « comptoir de bistro » sur Cnews.

Le Figaro est en effet une institution en France, à droite certes, mais pas seulement. C’est avec Le Monde l’un des deux journaux nationaux majeurs, disposant tous deux, suivant les milieux, d’une image de rigueur et ayant une autorité politico-culturelle incontournable en termes d’information et de traitement de l’information.

La Figaro, qui appartient au Groupe Dassault, dispose de beaucoup de moyens pour apporter à la partie de la bourgeoisie française à laquelle il s’adresse une information considérée comme étant de qualité, fiable, utile, constructive. Vincent Bolloré pourrait très bien vouloir en faire quelque-chose de plus, en élargissant l’audience non plus seulement à la bourgeoisie cultivée et urbaine (voire surtout parisienne), mais à une large partie de la population française droitisée.

Ce ne serait pas une première historiquement. Dans les années 1930, le Figaro a justement été le journal de La Rocque et du PSF, servant directement l’extrême-droite en tant qu’outil politico-culturel. Rappelons qu’il s’agissait alors d’un gigantesque mouvement en France, à la fois de masse et militaire, incontournable pour qui s’intéresse vraiment à l’Histoire de France au 20e siècle.

Cela serait tout à fait conforme à la dynamique enclenchée par Eric Zemour d’un mouvement de droite « populaire », et surtout opposé à la bourgeoisie moderniste (représentée en l’occurrence par Le Monde, France inter, etc.).

De toutes façons, Le Figaro, malgré une ligne générale allant dans le sens de la rationalité libérale bourgeoise (avec par exemple de nombreux articles reconnus sur les questions médicales, des analyses précises et ultra-synthétiques sur l’actualité internationale, etc.), n’est pas en reste quant au populisme délirant dans la veine d’Eric Zemour.

On a par exemple l’édition du site internet dans la soirée du dimanche 21 novembre 2021 où un article grotesque « Ces contraintes qui dégoûtent les Français de la voiture » était mis en avant, accompagné d’un sondage proposant de répondre à la ridicule question « Limitation de la vitesse, prix du stationnement… Approuvez-vous les politiques anti-voitures ? » En fin de soirée, avec 65 000 votants, il y avait une écrasante majorité (80%) de « non ». L’article pour sa part était un modèle du genre d’individualisme de droite malhonnête :

« Aux prises avec une circulation urbaine de plus en plus compliquée pour eux, en raison du règne du vélo et de la trottinette décrété par les municipalités, [les automobilistes] sont chaque année rattrapés par de nouvelles contraintes […] »

Eric Zemour, le candidat des chauffards, ne dirait pas mieux. Et ce genre de considération justement, haineuse dans leur base, étriquée dans l’état d’esprit et surtout profondément opposée à la société et au collectivisme, c’est exactement ce dont à besoin un Vincent Bolloré, figure des milieux les plus agressifs de la bourgeoisie française.

L’actualité de l’extrême-Droite en France, ce n’est pas des groupuscules ultra jouant la provocation dans les manifestations parisiennes libérales-démocratiques, pour faire parler d’eux grâce aux « antifa » tombant dans le panneau…

L’actualité, c’est la mise en place d’un dispositif politique et culturel massif, visant les masses, visant à encercler mentalement les masses. C’est exactement la raison d’être d’un Eric Zemour, dans l’intérêt direct d’un Vincent Bolloré !

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Pierre de Villiers, c’est La Rocque!

L’affaire de Conflans-Sainte-Honorine a très largement mobilisé la Droite et le militaire Pierre de Villiers en a profité pour se lâcher et pratiquement annoncer sa candidature à la présidentielle de 2022.

La journaliste Ruth Elkrief a invité le 24 octobre 2020 Pierre de Villiers dans son émission et elle a été d’une obséquiosité totale pendant une heure entière. Quant au haut-gradé de l’armée se voyant bien le prochain Napoléon III, le prochain Pétain, le prochain De Gaulle de 1958, voire tout cela en même temps (avec un mélange social, catholique, nationaliste impérial), il a bien tenu une position ouatée de réconciliation de tout le monde avec tout le monde, dans l’esprit de son ouvrage venant de sortir, L’équilibre est un courage.

Il a cependant abattu ses cartes politiques, enfin, et ce sont bien sûr celles de la Droite ultra. Ainsi, Ruth Elkrief lui a demandé s’il prendrait position en cas de duel Emmanuel Macron – Marine Le Pen au second tour des présidentielles : Pierre de Villiers a refusé de répondre, expliquant même que Marine Le Pen avait fait les bons constats. Il lui reproche cependant de ne pas être crédible, alors que lui bien sûr l’est, de par ses fonctions à la tête de l’État, etc., etc., etc.

Ce qu’il reproche aux « patriotes », c’est de vouloir tout tout de suite et de ne pas viser à mobiliser de manière large ; Pierre de Villiers insiste de manière régulière lors de ses interventions sur l’intégration des jeunes d’origine immigrée dans un dispositif militarisé. Il appelle cela le rétablissement de l’autorité, par opposition à l’autoritarisme, car comme il l’a encore dit chez Ruth Elkrief, lui veut que les gens soient comme des soldats et suivent de manière volontaire, etc., etc. etc.

Pierre de Villiers est d’ailleurs monsieur « etc. etc. etc. » ; il a un discours répétitif, toujours le même à part désormais donc pour une ligne de Droite assumée, ce qui en fait un néo-gaulliste au sens strict. On répète la même chose en boucle, en revenant toujours à l’autorité. On voit déjà qu’il se positionne pour être le candidat de la Droite : on pourra dire en 2022 que sa campagne a commencé cette fin octobre 2020.

Impossible de ne pas voir bien sûr que Marion Maréchal est forcément très proche. Chez Ruth Elkrief, Pierre de Villiers a tenu exactement le même « occidentalisme », se revendiquant même de son frère :

« Je pense que sur le thème de l’islamisation de notre société et du danger islamiste, Philippe de Villiers avait eu cette intuition il y a déjà longtemps. »

Le tout est dit en douceur, exactement comme le faisaient les Napoléon III, Pétain, De Gaulle. C’est la dictature ouatée de militaires paternalistes, la douceur de l’étrangleur de la démocratie. Une douceur dont s’extasie parallèlement Paris Match, qui concurrence Ruth Elkrief dans la servitude volontaire. L’article décrit les intervention de l’ex-chef d’état-major des armées aux Mureaux, à 40 km de Paris et connu pour sa situation sociale dramatique.

« Niaki, Roger, Ousmane, Rodrigue, Siham opinent. Le général poursuit. Il faut y croire : dans la prairie de la vie, ils constituent la bonne herbe, et pour que celle-ci ne se laisse pas étouffer par la mauvaise, il n’y a pas à tortiller, il faut tondre ras. Ras et souvent. Le général demande du pain. Personne ne l’entend, il attrape une tranche.

Etonnant combien ce militaire parle doux. Donnait-il ainsi ses ordres quand, à la tête du bataillon d’infanterie mécanisée de la brigade Leclerc, il entra le premier au Kosovo ? Commandait-il gentiment ses 2 500 hommes dans les champs de bataille d’Afghanistan ? (…)

« Je respecte ces jeunes, dit-il, ils sentent mon autorité et mon humanité, je les aime. (…)

Le général de Villiers aime ses lecteurs, les gosses des cités, les gamins des écoles de commerce comme il aime le drapeau, la patrie et comme il aima ses soldats avec lesquels il jouait au foot et enchaînait les footings (…).

Il rejoint sur le terrain voisin Rodrigue, Niaki, Ousmane et les autres. Match de foot. « Je les aime », dit-il encore. Décidément, Pierre de Villiers n’est pas fait pour la politique. »

C’est l’argument principal : le général ne fait pas de politique, il n’est là que pour servir objectivement, pour remettre de l’autorité. Telle est la position du dictateur à la française : il faut le remercier de se sacrifier pour la patrie et d’ailleurs il faudrait faire de même. La bourgeoisie a déjà trouvé son héraut pour ses menées militaristes, impérialistes.

Et même si ce n’est pas Pierre de Villiers, ce sera son clone, car on est là très précisément dans les fondamentaux du fascisme français. Pierre de Villiers, c’est La Rocque, c’est la même Droite que celle des années 1930 : populaire militarisée et national-républicaine, occidentaliste et hiérarchique, avec le même expansionnisme « impérial ».

Préparons nous donc à ce que, comme La Rocque, il trouve face à lui le Front populaire !

> Lire également : Meurtre de Conflans-Sainte-Honorine: le général Pierre de Villiers ne rate pas l’occasion de se placer

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L’histoire refoulée – La Rocque, les Croix de feu et le fascisme français, sous la direction de Zeev Sternhell

C’est un ouvrage collectif important qui vient de sortir. Intitulé : L’histoire refoulée – La Rocque, les Croix de feu et le fascisme français, il présente le parcours de François de La Rocque, qui a été à la tête d’un littéralement gigantesque mouvement d’extrême-droite lors de l’entre-deux guerres. Le paradoxe est que malgré l’importance de cela – le quotidien Le Figaro a appartenu à un moment à ce mouvement – il y a très peu de connaissances à ce sujet.

On ne s’étonnera pas que derrière cet ouvrage on retrouve l’historien israélien Zeev Sternhell, auteur de grands classiques sur la  « droite révolutionnaire » en France, présentant notre pays comme un grand laboratoire d’idées mêlant nationalisme et un « socialisme » anti-marxiste. Cette thèse a historiquement mis en rage les historiens français, qui ont toujours nié le fascisme français, présentant notre pays comme « immunisé ».

On va donc en savoir enfin plus sur les Croix de Feu, même si les communistes orthodoxes de lesmaterialistes.com avaient déjà publié un très long dossier sur les Croix de Feu et le Parti Social Français, reprenant les thèses du Parti Communistes français alors. Ce dernier remarquait en effet qu’au-delà de l’apparence « populiste », comme on le dirait aujourd’hui, le mouvement de La Rocque accumulait des armes et organisait de véritables structures militaires, avec même une aviation !

Il est évident que du côté communiste, les Croix de Feu apparaissaient comme une sorte d’anti-mouvement, c’est-à-dire comme les fascistes italiens et les nazis allemands, un mouvement visant directement à concurrencer l’affirmation révolutionnaire communiste.

Telle n’est pas la mise en perspective de Zeev Sternhell, qui est lui d’esprit social-démocrate et voit la « droite révolutionnaire » comme un mouvement d’idées dont la base serait les « anti-Lumières ».

C’est là le prolongement de son ouvrage Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, déjà en 1983 ; Zeev Sternhell se considère comme le grand protecteur des Lumières sur le plan des idées, affirmant que les historiens français ont toujours masqué l’existence d’un fascisme français en quelque sorte « bien de chez nous », dont la base est justement le rejet des Lumières. La préface de l’ouvrage souligne d’ailleurs avec insistance le fait que le philosophe Alain, très connu puisque encore largement présent dans les sujets du bac philosophie, exprimait dans son journal récemment publié un antisémitisme exterminationniste.

De manière intéressante, il est présenté comme « l’idéologue organique du parti radical et, de fait par extension, l’idéologue quasi-officiel de la troisième république » ; on reconnaît ici le concept d’intellectuel organique du communiste Antonio Gramsci, avec en arrière-plan le principe de la bataille des idées pour l’hégémonie culturelle.

Cet ouvrage est donc extrêmement intéressant ; il présente un phénomène historique très important dans l’histoire de France, il permet de renforcer la culture antifasciste, et on peut même y voir une opposition intellectuellement productive entre la vision social-démocrate (ou socialiste) de Zeev Sternhell et la lecture communiste orthodoxe. La Rocque était-il la principale figure d’un mouvement de masses sur la base d’idées anti-Lumières, comme le pense Zeev Sternhell, ou bien l’expression du fascisme comme massification dans une perspective anti-Socialisme, comme l’affirme le dossier des Matérialistes mentionné plus haut ?

Cela ne peut être un débat qui ne fait que commencer et qui doit par ailleurs se multiplier ; il appartient à la Gauche de mettre en place une véritable réflexion quant à la nature du fascisme, la réalité de sa menace, le sens de ses activités. Personne de sérieusement à Gauche ne peut penser que le Fascisme n’a été qu’un accident historique, une simple anomalie de parcours dans l’établissement d’une sorte de société capitaliste libérale-sociale stable au point de devenir éternel. Parler du Fascisme, c’est malheureusement parler de son actualité.