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Échec du 24 janvier 2020: la cause est la fascination de la CGT pour les mythes mobilisateurs

Les syndicalistes prétendent être mieux que les politiques, car ils auraient le sens du concret. En réalité, ils mobilisent sur des fictions, prétendant qu’il y aura un déclic. C’est la négation de la politique et de la culture et la CGT s’enlise dans ses propres mensonges, tout cela pour sauver sa peau dans une situation inextricable.

Remontons à la source du problème, à savoir la prétention des syndicalistes à faire tout mieux que tout le monde, à porter l’avenir, à être les seuls qui soient purs, objectifs, sincères. Pour tout cela, il faut étudier Les Réflexions sur la violence de Georges Sorel, paru en 1908.

Bien entendu, c’est un ouvrage qui n’a jamais été lu par les syndicalistes eux-mêmes à l’époque, parce que ceux-ci étaient déjà anti-intellectuels comme ils le sont aujourd’hui. Même aujourd’hui, ils ne l’ont pas vraiment lu, pas plus que d’autres ont d’ailleurs lu Lénine ou même Marx. En France on a une culture à la Sciences-Po : si on a lu des fiches de résumé, on pense que cela suffit.

Les Réflexions sur la violence forment donc surtout un prétexte à une méthode, assez facile à comprendre même tellement elle est française. Pour gagner socialement, pas besoin de réflexion, on fait du rentre-dedans et on annonce que tout va craquer. On ne sait pas si c’est vrai, mais en rentrant dedans on galvanise les combattants et, à force, le mythe mobilisateur de « ça va péter » est censée devenir une prophétie autoréalisatrice.

Voilà ce que fait la CGT en ce moment. Évidemment, au fond, elle n’y croit pas, elle espère surtout que le privé va lutter pour ses propres intérêts et que la situation aura alors tellement changé que les compteurs vont être à remis zéro. Mais elle fait semblant et même on peut soupçonner certains de croire en leur propre mensonge. Par exemple, lorsque Laurent Brun, Secrétaire Général de la Fédération CGT des Cheminots, fait le 24 janvier une analyse rapide comme quoi Emmanuel Macron est sur la pente savonneuse menant à la dictature du maréchal Pétain.

Le type sait que c’est n’importe quoi, c’est obligé. Mais il le dit, histoire de faire monter la sauce, au mépris de tout sens des réalités et du respect de la raison. Foutu pour foutu, autant y aller !

Et que dire de la centaine d’avocats en robe noire en train de chanter à Bordeaux une version au texte modifié du Chant des partisans, ce 24 janvier ? Sans conviction aucune, heureusement, on devine une initiative forcée, comme tout ce qui a trait d’ailleurs au mouvement contre la réforme des retraites. Mais quelle ignominie !

Ceci dit la honte est partout, car la version originale de la chanson a été chantée un peu partout lors de marches au flambeau, comme à Angoulême. Une marche au flambeau… Est-ce une tradition du mouvement ouvrier, ou de l’extrême-Droite, qui plus est ? On a atteint un niveau de faiblesse qui n’a comme équivalent que celui de l’auto-intoxication.

Il faut lire l’article de Libération sur la grève sur le barrage EDF de Grand’Maison, la centrale hydroélectrique la plus puissante de France. Le délégué syndical explique à fierté :

«Avec Grand’Maison, on est à la tête d’une centrale de 1 800 MW de puissance, l’équivalent de deux réacteurs nucléaires classiques ou d’un EPR. C’est le moyen de se faire entendre de l’Etat mais aussi de l’opinion publique.»

Soit ! Mais quand RTE passe un coup de fil en disant : on a besoin d’électricité, allez bosser de telle heure à telle heure, il est obtempéré. On peut penser que cela est juste, qu’il faut éviter les révocations, cela va même de soi. Cela étant, il y a un décalage énorme entre dire que tout est sous contrôle ouvrier et qu’en réalité, cela ne le soit pas.

Les premiers perdants sont les ouvriers. La CGT les amène droit dans le mur. Elle ne peut en effet plus reculer. Elle est obligée de se prétendre la garante de tout le système social, elle est obligée de prétendre que la victoire est en train d’être obtenue. Elle est obligée d’utiliser des mythes mobilisateurs.

En faisant cela, elle mobilise ses propres rangs et ses sympathisants, mais empêche toute mobilisation en mode « lutte de classes ». Tout tourne alors sur soi-même… jusqu’à l’épuisement. Jusqu’au vide politique qui sera occupé par l’extrême-Droite, à moins qu’une Gauche unie vienne sauver le tout.

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L’affrontement politique entre Philippe Martinez et Laurent Brun

En apparence, on a deux figures syndicalistes qui n’ont rien à voir avec la politique, qu’ils récusent au nom de la charte d’Amiens. Et pourtant, le mouvement contre la réforme des retraites a passé un cap et vient de rentrer dans une seconde phase. Ces deux dirigeants syndicaux en synthétisent la nature politique.

Ils sont issus de la même culture, celle du PCF. Il ne faut donc pas chercher d’éléments culturels relevant de la gauche alternative, cherchant à modifier la vie quotidienne, dénonçant le capitalisme dans sa dimension culturelle. On est dans une logique syndicale dure, dont le parti politique, en l’occurrence le PCF, ne peut être que le prolongement.

Il y a toutefois une profonde différence entre le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, et le secrétaire Général de la Fédération CGT des Cheminots, Laurent Brun. Cette différence est la grande actualité politique des derniers jours, comme conséquence de la persistance de la grève. Cette différence provoque même des soubresauts relançant la grève.

L’Histoire avance, mais passe donc par un drôle de chemin ! Ce qui se passe est toutefois assez simple. On a d’un côté une partie de la CGT qui dit que, désormais, tout a changé, qu’il ne peut au mieux y avoir qu’un PCF social et accompagnateur de la modernité. C’est la ligne de la nouvelle génération ayant pris le pouvoir et dont Ian Brossat est le meilleur représentant (la victoire de la ligne portée par André Chassaigne au dernier congrès n’ayant pas changé grand chose à l’affaire).

Philippe Martinez reste davantage ancré dans l’histoire ouvrière, mais il est d’accord avec cette tendance. Il veut une CGT de combat, mais dans une perspective constructive.

Laurent Brun a un profil tout à fait différent. C’est un nostalgique du style du PCF des années 1980, en mode dénonciation de la soumission du travail au capital, Cuba comme référence romantique, des références à Marx pour revendiquer une identité ouvrière historique.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire par rapport à la grève contre la réforme des retraites ? Cela signifie que :

→ pour Philippe Martinez, c’est une lutte sociale, devant également aider à renforcer la CGT, d’où la mise en avant de sa signature de la fameuse pétition du Journal du Dimanche portée par la gauche institutionnelle.

→ pour Laurent Brun, c’est une lutte de classe par procuration où les cheminots sont le héraut de l’ensemble des couches populaires.

Comme on le voit, c’est bien différent et depuis quelques jours, l’antagonisme entre les deux tendances s’est cristallisée de manière historique. Philippe Martinez l’avait bien senti depuis le départ, d’où sa volonté de temporiser et sa fameuse absence d’annonce à part la mobilisation du 9 janvier, il y a deux semaines.

Inversement, la Fédération CGT des Mines et de l’Énergie (dont l’héritage direct est la puissante CGT de l’ancien bastion EDF-GDF) explique par exemple le 6 janvier que pour elle la lutte doit rester interprofessionnelle et qu’elle « refuse » – le terme est même inscrit en rouge dans cette phrase elle-même en gras – « toute rencontre avec les ministères et/ou employeurs ».

Philippe Martinez aimerait clairement en terminer avec tout ça, en mode « il faut trouver une solution le plus rapidement possible », alors que les tenants de la ligne de Laurent Brun se disent que c’est précisément maintenant que tout commence.

Cela peut inspirer plein de questions, de réflexions. Qu’est-ce qui va commencer ? Est-ce de la lutte de classes ou bien la lutte des classes utilisant indirectement les partisans du courant de Laurent Brun ? Tout ce discours de combat serait-il en réalité simplement du verbiage radical masquant les intérêts corporatistes des cheminots, voire de la CGT nostalgique d’une certaine prédominance dans le monde du travail dans le passé ?

Laurent Brun est-il le vecteur d’un esprit de lutte réelle ou bien un simple acteur « syndicaliste révolutionnaire » à la française ? Le monde du travail verra-t-il vraiment un moyen d’épauler sa propre lutte dans tout cela ?