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Politique

Les lycéens désemparés face à la crise sanitaire

La rentrée scolaire d’après les vacances de la Toussaint est marquée par une colère dans plusieurs lycées partout en France avec des jeunes s’opposant au manque de mesures sanitaires.

Le gouvernement n’a pas été capable de mettre en place un réel re-confinement, et ce malgré la circulation accrue de l’épidémie de covid-19. Chaque établissement scolaire devient un potentiel « cluster » en puissance, en raison notamment de moments clefs ingérables, comme la rentrée dans le bâtiment, la cantine, sans parler des heures de cours elles-mêmes. Cela a donné lieu à quelques initiatives, notamment… des blocages.

On pourra se dire qu’il y a quelque-chose d’étrange à voir des lycéens s’amasser devant un lycée… pour réclamer à ne pas être amassé dans le lycée ! C’est là le reflet d’un grand tourment dans la société française, avec des gens voyant que les choses ne vont pas bien, mais ne sachant pas comment faire, ni même quoi faire d’ailleurs.

Prenons cette lycéenne par exemple, élève d’un lycée de Bastia en Corse. Ce qu’elle dit est très juste, plein de bon sens, empli d’une saine révolte contre la situation actuelle, avec un grand sens des responsabilités :

De la même manière, les quelques lycéens qui s’organisent devant leur lycée pour en bloquer l’entrée ont forcément raison de dénoncer l’absence (ou le si peu) de mesure sanitaire dans les établissements.

Mais on ne peut que se dire, en même temps, que leurs « blocus » sont bien étranges, alors qu’il y a la possibilité de s’organiser via les réseaux sociaux pour ne pas venir en cours, tout simplement. Les lycéens n’ont ils pas les moyens d’exiger collectivement des cours en ligne, ainsi que des heures d’ateliers réellement en petit groupe et dans des salles bien aérées pour ce qui concerne l’enseignement professionnel ?

Manifestement, la jeunesse ne semble pas encore prête à un tel niveau d’organisation et d’exigence. Les ridicules échauffourées ayant eu lieu ces derniers jours entre la police et des lycéens à Nantes ou à Paris sont ici le reflet de cette faiblesse.

Peut-être, souhaitons-le, la jeunesse lycéenne sera très vite prête, même dans les prochains jours, car les choses vont très vite dans une période de crise comme la nôtre.

Il faut dire cependant que les défis qui s’offrent à elle sont immenses. Rien que le changement climatique ou la question des animaux sont d’une ampleur incroyable, une ampleur qui ne peut que terrifier dans un premier temps… mais qui le moment venu peut aussi galvaniser la jeunesse se prenant en main pour exiger le futur !

Il faut dire également que les 2005, 2004, 2003, voire 2002, qui sont actuellement au Lycée, payent aujourd’hui le prix de l’effondrement de la Gauche dans la jeunesse et les classes populaires. Cela fait maintenant des années et des années que la Gauche ne pèse plus, n’a plus aucune structure réellement ancrée dans la jeunesse, ni même aucun relais ayant un quelconque impacte.

Cette vidéo YouTube postée par le Parti socialiste en direction de la jeunesse en dit très long par exemple :

Seulement 500 vues (dans la soirée du 5 au 6 novembre)… C’est extrêmement faible, alors que ce qui y est dit, à défaut d’être transcendant, est extrêmement simple et tout à fait consensuel. Le Parti socialiste bénéficie pourtant d’une notoriété énorme, il avait même le pouvoir en France il y a quelques années, quand les jeunes visés par la vidéo étaient déjà des adolescents ! On est cependant dans un moment de désarroi et d’espoir mélangé, de combativité et de passivité, de refus et de complaisance.

La France est à l’image de sa jeunesse : prête au changement, mais pas prête à changer.

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Écologie

La mobilisation des jeunes pour le climat

De nombreux jeunes, des lycéens surtout, se sont mobilisés ce vendredi pour le climat. Ils étaient entre 29 000 et 40 000 à Paris, 12 000 à Lyon, 10 000 à Nantes, 5 000 à Montpellier ou Strasbourg, 3 600 à Angers, 3 000 à Bordeaux, 2 800 à Tours, 2 000 à Clermont-Ferrand, etc. C’est un aspect d’une initiative internationale, avec des regroupements ou manifestations dans 2 000 lieux, dans 123 pays.

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Le grand souci est de savoir de qui est cette initiative, quelle en est la nature réelle. Quand on est de Gauche, on raisonne en effet en termes de niveau de conscience et d’organisation. Or, il faut être réaliste. Il ne faut pas s’imaginer qu’il existe aujourd’hui en France un mouvement de fond de la jeunesse en faveur la planète, pour un futur différent.

Ce mouvement est dans les faits directement structuré par en haut, à la mode ONG, c’est-à-dire avec un style consistant à faire beaucoup de bruit, pour que les institutions adoptent des mesures plus fortes, tout en vivant économiquement de cette protestation. La mise en avant de la jeune suédoise Greta Thunberg a relevé par exemple dès le départ d’une pure mise en scène.

Il ne s’agit donc pas d’un mouvement démocratique de la jeunesse en France. Il faut d’ailleurs bien voir que les « adultes » ont été très présents lors des initiatives, que les médias ont largement relayé ces appels à la « grève » des vendredis, pour en quelque sorte forcer les choses et prétendre ensuite qu’il se passe quelque-chose !

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Il est difficile de faire plus consensuel. Aucune expression autonome authentique de la jeunesse donc, qui prendrait en main les choses et assumerait une identité en rupture avec la société actuelle, qui serait compris comme un ancien monde à dépasser. Aucune initiative par en bas, aucune réflexion critique, aucune volonté de remettre en cause quoi que ce soit. McDonald’s peut dormir tranquille, malheureusement !

Le mouvement est de ce fait d’orientation largement petite-bourgeoise, concernant majoritairement des lycées de centre-ville, avec une minorité de jeunes venus des Lycées professionnels et des filières technologiques. Il y avait déjà dans les classes toujours une personne de sensibilité écologiste ou végane, mais ces gens « alternatifs » ne sont pas devenus des héros d’avant-garde du jour au lendemain. Bien au contraire, leur marginalisation s’accroît, après la phase de la découverte passée ces dernières années.

Les jeunes ne veulent pas se mouiller, et c’est bien pour cela qu’ils sont valorisés par les médias et le personnel politique actuel. On a ainsi eu, de manière exemplaire, cette émission sur France Info, L’instant module, qui n’a pas trouver mieux à interviewer qu’un Lycéen au style « premier de la classe », membre d’une organisation au nom anglais « Citizen for climate », expliquant qu’il faudrait manger moins de viande et qu’il a converti sa mère au végétarisme.

C’est là conformiste, consensuel, ne rompant avec rien sur aucun plan : ni culturel, ni économique, ni politique, ni idéologique, ni rien du tout. On peut même dire que cette valorisation est la négation des personnes qui se sont réellement engagées depuis plus longtemps, sans attendre que ce soit la mode.

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Le système dominant utilise simplement le principe suivant : « Pour que rien ne change, tout doit changer ». C’est le principe de la poudre aux yeux, de la manipulation par les apparences. On laisse les jeunes faire leur show, mais vu que ceux-ci n’ont aucune culture écologiste ni aucune volonté de rupture, cela ne présente aucun risque. Il y a trop de choses sur lesquelles réfléchir et les jeunes n’ont aucune arme pour cela. Ils n’ont pas les concepts, pas la discipline d’un effort intellectuel prolongé, pas de connaissance historique, pas de méthode. Les défis qui les attend sont immenses et là leur expérience leur donne l’illusion qu’avec peu on peut faire beaucoup, alors que vues les tâches qui les attends, il y aura beaucoup d’efforts pour peu de résultats, et pourtant il faudra s’en contenter, encore et encore.

Ce n’est donc même pas de la récupération, c’est carrément de la construction par en haut d’un faux mouvement. Ce n’est pas étonnant : quand la Gauche est incapable de proposer une alternative, le système dominant produit de fausses alternatives, en série, afin d’amener toutes les volontés de changement dans une voie de garage. Ou, pire, dans la voie de renforcer le système lui-même : c’est très précisément l’objectif de Yannick Jadot avec son écologie libérale.

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Société

Le délitement de la discipline dans les établissements scolaires est de moins en moins supporté

La vidéo d’un lycéen menaçant sa professeure avec un pistolet de type « airsoft » en plein cour a largement choqué l’opinion publique. Cette scène, insupportable, cristallise un sentiment général de délitement de la discipline dans les établissements scolaires.

Le gouvernement devait présenter ce mardi 30 septembre un plan d’action contre les violences scolaires suite à l’émoi qu’a provoqué cet épisode du Lycée Édouard Branly de Créteil. Le Ministre avait d’ailleurs réagi vivement, faisant savoir qu’il comptait rapidement faire quelque-chose.

Ces mesures ont finalement été repoussées et on aura bien compris que c’est parce que le mécontentement est très profond. Des annonces mal choisies auraient l’effet inverse de celui escompté.

« Pas de vague »

La situation en est en effet à un point où le sentiment d’exaspération est immense, avec cette impression pour beaucoup qu’il n’y a aucune perspective positive. L’ensemble des personnels des établissements scolaires subissent de plein fouet l’exacerbation des tensions de la société avec le délitement d’un certain nombre de règles de savoir-vivre, et se sentent souvent abandonnés.

Le mot-clef #pasdevagues dont se sont emparés un grand nombre d’enseignants pour raconter leurs propres expériences durant ces vingt dernières années décrit précisément ce sentiment que rien n’est fait pour remédier à une situation générale très tendue. Les problèmes sont comme mis sous le tapis et la suggestion de Jean-Michel Blanquer d’interdire les téléphones portables dans les Lycées n’a fait qu’exalter ce sentiment que les institutions ne veulent surtout « pas de vagues ».

Ce qu’il y a de plus terrible lorsqu’on regarde le film en question, c’est qu’on comprend tout de suite à quel point la situation est banale, tellement les protagonistes n’ont manifestement pas conscience de la portée de leur acte. Pas plus que la professeure, qui n’avait pas porté plainte avant la diffusion de la vidéo. Nullement étonnantes ne sont d’ailleurs les affirmations de parents d’élèves de cet établissement, résumées par l’un d’entre eux :

« Je ne sais pas si on peut parler de laxisme mais quand j’ai vu cette scène, je me suis dit que c’était du théâtre. Les enfants étaient en délire, en train de s’amuser, la prof regardait les élèves, presque amusée. Je me suis dit pourquoi personne ne réagit. Je dirais qu’il n’y a pas eu de cadre dans cette classe. Certains vont dire, elle a eu peur, ça été trop violent pour elle mais moi j’ai aussi entendu les élèves. Ils m’ont dit que c’était tous les jours comme ça avec cette enseignante ».

On est pas ici dans une violence à l’Américaine ou à la Brésilienne, mais dans une sorte de situation intermédiaire, où il s’agit plutôt d’indiscipline généralisée qui dégénère. Car, il faut bien voire que l’élève, d’une part est au Lycée, ce qui signifie qu’il a un parcours scolaire au moins un minimum satisfaisant, et d’autre part, s’enquiert de ne pas être noté absent.

Ce n’est pas une situation de décrochage scolaire avec l’immersion d’une autre société, celle des gangs par exemple, au sein de l’institution scolaire, mais une scène propre à la vie de l’institution scolaire elle-même.

C’est donc à la fois moins grave que ce qu’on pourrait craindre, et en même temps bien plus grave, tellement la situation semble dégénérer de l’intérieur, avec une menace de l’écroulement de la société sur elle-même.

Il ne s’agit pas de dédouaner la professeure en disant qu’elle n’est pas responsable du comportement de ses élèves – il y a en France beaucoup trop d’enseignants qui n’ont pas cette qualité de savoir tenir un groupe d’adolescents, et c’est inacceptable.

Il serait pour autant trop facile de l’accabler personnellement, comme il serait trop facile de résumer les choses en disant que le jeune en question n’est qu’un délinquant ayant frappé un policier quelques semaines plus tôt.

La France et la discipline

Ce que signifie cette scène, et ce que signifient les nombreux témoignages #pasdevague, c’est qu’il y a en France un grand problème avec la discipline et que ce problème devient explosif dans les établissements scolaires.

La bourgeoisie est relativement épargnée car elle place ses enfants dans des établissements privés ou publics qui lui sont quasiment réservés, qui se débarrassent des élèves au moindre problème. La grande majorité des autres établissements, publics mais aussi privés-catholiques dans certaines campagnes, se retrouvent par contre de plus en plus dépassés.

Ils n’ont pas les moyens humains et pratiques, mais surtout culturels, de mettre en place et de faire respecter une discipline convenable. Les enseignants déplorent donc le manque de soutien de leur hiérarchie qui ne veut « pas de vague », ce qui est vrai. Cela n’est cependant qu’un aspect partiel du problème, qui est bien plus profond.

Il y a en partie ici un trait culturel franco-français, où les élèves ne sont que les enfants de leurs parents qui n’aiment pas quand la police leur demande de rouler moins vite ou bien qui ne disent pas bonjour à la caissière au supermarché.

Il y a aussi en partie des raisons propres à la pauvreté et aux arriérations culturelles des personnes issues de l’immigration, qui n’ont pas toujours les codes sociaux-culturels de la France, ce qui engendre des situations conflictuelles.

Mais le problème est surtout que l’institution scolaire n’est pas en adéquation avec les aspirations profondes des classes populaires. L’École en France est surtout une vieillerie républicaine issue d’une époque où la bourgeoisie voyait un intérêt à éduquer le peuple par en haut, selon ses propres codes, dans un cadre très restreint.

Abstraction et pensée concrète

Dans bien des cas, l’éducation n’est plus l’aspect principal des établissements scolaires, dont la fonction est surtout de garder les jeunes quelque part la journée tout en triant ceux pour qui un avenir professionnel particulier est envisageable. Ce schéma, pas du tout caricatural, propre aux quartiers les plus difficiles des grandes métropoles, n’est en substance pas différent de celui qui existe partout ailleurs pour les classes populaires.

La séparation quasi-unilatérale de l’enseignement jusqu’au collège d’avec le monde du travail et le reste de la société est quelque-chose de très difficilement supportable pour un certain nombres de jeunes, surtout ceux issus de la classe ouvrière. Cela est la source de beaucoup de conflits scolaires, dont l’indiscipline n’est que le produit, ou la conséquence culturelle logique, à défaut de pouvoir exprimer les choses autrement.

L’institution scolaire française favorise l’abstraction et refuse la pensée concrète. La séparation entre la théorie et la pratique est la norme et même les travaux « pratiques » qui sont proposés dans certains cours sont présentés et organisés très abstraitement. La situation change à partir du Lycée pour les enseignements professionnels et technologiques, mais l’arrière-plan reste présent.

Si on ajoute à cela le fait que les enseignants ne sont pas recrutés ni formés pour leurs capacités à enseigner, on se retrouve justement dans cette situation où les établissements scolaires sont dépassés par l’indiscipline.

Bricolage au jour le jour

Les « vies scolaires », c’est-à-dire les surveillants (« assistants d’éducation ») et leurs chefs de service (« CPE »), gèrent quant à elles du mieux qu’elles peuvent des situations extrêmement compliquées, avec peux de moyens et absolument aucune formation ni aucune méthode de travail autre que le bricolage au jour le jour. L’Éducation Nationale compte sur le fait que les surveillants sont des personnes jeunes (on ne peut être surveillant plus de six années) et sensibles aux questions éducatives pour faire tampon entre les élèves et l’institution.

Cela n’a fait que repousser les problèmes pendant au moins les vingt dernières années, sauf que l’indiscipline devient maintenant de moins en moins supportable et gérable.

Le Gouvernement et son ministre de l’Éducation se retrouvent en ce moment dans une position délicate face à la manifestation d’une indignation profonde, alors qu’ils ont annoncé récemment des suppressions de postes et qu’une grande grève était déjà prévue pour le 12 novembre prochain.

L’annonce d’effectifs de Police dans les établissements, en plus d’être une absurdité rien que parce que la Police est déjà débordée et en sous-effectifs, relève surtout du « cafouillage » et illustre une grande panique sur la question.

La Gauche en France a une grande responsabilité sur ce sujet car elle a trop souvent minimisé les questions de discipline au profit d’une approche plus conciliantes se voulant non-réactionnaire, alors qu’il ne s’agit en fait que de savoir-vivre.

Cependant, la discipline, bien qu’étant quelque-chose de fondamental et réclamé par les classes populaires, ne doit pas être une chose abstraite, existant en dehors et par-dessus les rapports sociaux en général, et l’institution scolaire en particulier.

Tant que l’éducation générale et pratique de la jeunesse ne sera pas l’unique objet de l’École, populaire et démocratique, rien ne sera réglé. Les tensions qui existent dans les établissements scolaires ne feront qu’empirer à mesure de la généralisation de la crise dans la société toute entière.

Il ne suffira pas de réclamer plus de moyens et plus de postes – bien qu’il faille dénoncer la suppression de ceux-ci – mais il faudra considérer les choses à plus long terme, dans une perspective bien plus grande. Le système scolaire français n’est pas du tout satisfaisant pour les classes populaires, et d’ailleurs il se révèle efficace pour de moins en moins de monde, comme le montrent les grandes enquêtes internationales sur l’éducation.