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Culture

Deux films sur la Mafia sicilienne : Au nom de la loi (1949) et Mafioso (1962)

Au nom de la loi (In nome della legge dans son titre original), réalisé par Pietro Germi, est sorti en 1949.

Il raconte l’arrivée dans un petit village de Sicile d’un jeune juge qui va très vite se retrouver confronté à plusieurs obstacles pour pouvoir appliquer la loi et donc de la justice de l’État. 

Ce film à une importance toute particulière dans le cinéma italien puisqu’il s’agit de la première approche par celui-ci du sujet de la Mafia, et en l’occurrence ici de la mafia sicilienne. 

C’est le troisième film de Pietro Germi dont la carrière peut schématiquement se diviser en deux parties : la première assez noire, très marquée par le néoréalisme, faite de polars et de drames sociaux. Et la seconde, à partir de Divorce à l’italienne, où il s’adonne à la comédie, et plus précisément à la “comédie à l’italienne”, avec un humour souvent très grinçant, comportant un lourd arrière plan social ou culturel. 

On retrouve d’ailleurs au scénario, outre Federico Fellini, Mario Monicelli un grand nom de cette comédie à l’italienne.

Pas d’humour ici donc, mais à la place une forte influence du western américain en général, dans l’utilisation de ses décors naturels, dans ses plans d’hommes armés chevauchant dans le désert, et de John Ford en particulier avec la figure de Guido Schiavi, jeune juge à la volonté et à la droiture inébranlable, incorruptible, qui va se retrouver quasiment seul pour lutter à la fois contre la loi de la mafia, contre les notables qui préfère leurs règles à celle de l’État de droit, et au mutisme de la population pris en étau entre la loi du silence de la mafia et la misère social dans laquelle les maintient le Baron Lo Vasto.

Il est d’ailleurs à noter que ce juge ne vient pas de Rome, c’est un Sicilien qui vient de Palerme, ce qui donne d’autant plus de poids à son personnage, de légitimité, notamment dans le portrait assez dur de ce village qui paraît bien loin de la civilisation, avec ses mœurs féodales dont vont essayer de s’extraire deux jeunes amoureux. 

Si le film se montre par certains aspects assez virulent sur la mafia, le portrait qu’il en est fait est parfois un peu ambigu, faisant du parrain local, interprété par Charles Vanel, un homme d’honneur, ce qui sert de contre point au portrait du Baron local, un homme d’affaire véreux et détestable sur tous les plans.

La fin pose également question quant à l’image qui est donnée de la mafia.

Sans la dévoiler, il peut y avoir plusieurs interprétations et explications à celle-ci. 

Soit elle est à prendre dans un sens pessimiste et assez fataliste, ce qui correspondrait très bien au ton du cinéma de genre italien, notamment celui des westerns et des poliziottesco (les polars italiens), des années 60 et 70. Mais il est encore un peu trop tôt. 

Soit il s’agit d’une vision un peu idéaliste d’un individu qui seul pourrait entraver le rouage de tout un système pour le remettre sur le droit chemin, qui serait alors à rapprocher du cinéma de John Ford. 

Il n’est pas impossible que ce soit un peu des deux, une vision assez noire de cette Italie dans laquelle, poussé par le désir de ne pas voir son film bloqué par le système en place en s’en prenant trop frontalement à la mafia (aussi appelé La Piovra, “la pieuvre), Pietro Germi tente d’y insuffler un peu d’espoir quitte à apparaître un peu naïf.

Dans tous les cas le portrait de la Mafia reste à parfaire par de futurs films, elle n’est pas encore ici une organisation reposant sur les grands propriétaires terriens et combattant les syndicats et les prétentions sociales, mais elle est plus présentés comme un tiers parti, comme une réaction à l’abandon de certaines régions reculés de l’Italie, une défense d’une tradition archaïque.

Ça n’en reste pas moins un film important et très beau, tourné en Sicile dont il dépeint la chaleur et la misère accablante, dans un style rappelant le néoréalisme. 

A partir de là de nombreux films italiens traiteront de ce sujet, sous différents angles et dans différents genres, du polar à la comédie en passant par les films-dossiers de Francesco Rosi. 

Parmi tout cela intéressons nous à Mafioso, réalisé par Alberto Lattuada et sorti en 1962, mélange les genres de la comédie (avec une très probable influence du Divorce à l’italienne de Pietro Germi qui se passe en Sicile) et du thriller dans un film assez singulier.

Tout y débute dans une usine de Milan où Nino, qui semble être un contremaître, se voit confier par son patron un paquet à remettre au Parrain local du village d’où est originaire Nino et où il a prévu d’aller passer ses vacances en famille. 

Le ton est alors principalement celui de l’humour, avec ce long voyage qui semble être une véritable aventure pour aller jusqu’en Sicile, et bien porté par Alberto Sordi dans le rôle de Nino, un immense acteur de la comédie à l’italienne. 

Mais très vite un climat un peu malaisant et angoissant va s’installer. Il est d’ailleurs déjà un peu là au départ, lors de la réunion de Nino avec son chef, et ne va faire que grandir tout au long du film. 

Ainsi à peine débarqué en Sicile Alberto Lattuada dresse un portrait très dur, quasiment arriéré du village de Nino, que ce soit dans les mœurs ou par les physiques “moyenâgeux” de certains personnages. 

Il jouera aussi beaucoup sur la contradiction entre cette grande famille sicilienne et la femme de Nino, Marta, une milanaise à la culture opposée. Alberto Sordi se retrouvant à jouer les médiateurs, pour garder la face, son honneur et sa fierté de Sicilien, tout en ménageant son épouse et sa dignité d’homme “civilisé”. 

Si on peut au départ se demander d’où vient le nom du film tant la mafia se fait discrète, loin des chevauchées des hommes d’Au nom de la loi, elle va peu à peu prendre de plus plus en de place et c’est là un des atouts du film, de la faire apparaître discrètement de ci delà, de montrer son influence et ses ramifications dans la vie quotidienne. 

Alberto Lattuada nous présente la Mafia non pas par en haut comme on en a souvent l’habitude dans les films de mafia, mais par en bas, sous sa forme pernicieuse, son emprise à laquelle on n’échappe pas.

Car si le personnage d’Alberto Sordi a pu s’extraire de sa condition de pauvre sicilien en devenant cadre à Milan c’est par l’intermédiaire du Parrain local.

Et aussi loin qu’il soit à présent de cette vie, l’emprise de l’organisation est toujours là, insidieuse et allant crescendo tout au long du film. Et jusqu’à Milan à son travail par l’intermédiaire de son chef sicilien qui lui a remis le paquet. 

Il y a ainsi une certaine fatalité dans le récit à laquelle Nino ne peut se dérober, qui est parfaitement interprété par un Alberto Sordi qui tente de garder le sourire jusqu’au bout, mais un sourire crispé, comme s’il pressentait venir le drame dès le départ. Et c’est aussi très bien amené par la mise en scène, qui va accompagner ce glissement de la comédie au thriller et au drame.

Là où c’est particulièrement intéressant en termes d’écriture et de réalisation c’est qu’il n’y a pas de rupture en deux parties du film, tout se fait de manière fluide et il contient dès le départ les germes de son dénouement. 

On est alors loin du libre arbitre et du destin que chaque individu pourrait se choisir, il s’agit de présenter l’engrenage d’un système qui va peu à peu rattraper Nino. Mais aussi, sans jamais le dire ouvertement, on pressent que c’est ce même rouage qui participe à maintenir dans un état de misère cette Sicile arriérée culturellement. 

Mafioso est donc passionnant car il montre finalement assez peu la Mafia de manière frontale, mais il en dit pourtant beaucoup sur ce qu’elle est réellement, pour le peuple, loin des films de gangsters, le tout dans un mélange de comédie de mœurs et d’analyse très froide de la fracture sociale et culturelle entre l’Italie du Nord et celle du Sud.

Au nom de la loi et Mafioso forme ainsi un diptyque aux regards et aux approches complémentaires sur la Mafia et la vie en Sicile au milieu du siècle dernier et ont probablement eu une influence majeure sur des films tel l’excellent mais fataliste La Mafia fait la loi (1969) de Damiano Damiani qui peut être vu comme un synthèse des deux films avec un officier de police incarné par Franco Nero dans un village de Sicile en proie à la misère et à la corruption, mais où l’idéalisme va se heurter à la réalité d’un système. 

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Société

Tribune des parents d’élèves et habitants contre le trafic de drogue à Saint-Denis (93)

Voici une tribune publiée par Le Parisien-Aujourd’hui en France, dénonçant l’abandon de la jeunesse aux mains des réseaux mafieux liés au trafic de drogue. Elle est écrite par des parents d’élèves et habitants du quartier Delaunay-Belleville Sémard à Saint-Denis (93). Ils y réclament des actions et des moyens de la part de l’État, en rejetant une réponse qui serait uniquement répressive.

> Lire également à ce sujet : Des familles face aux dealers devant une école de Saint-Denis

« Tribune

Comme chaque matin depuis le mois de mai dernier, nous, parents d’élèves et habitants du quartier Delaunay-BellevilleSémard à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), formons une chaîne humaine devant nos écoles pour protéger nos enfants du trafic de drogue qui s’étend toujours plus dans nos quartiers nord. Normal ?

Dire tout haut l’enfer vécu au quotidien par les habitants et la colère de voir une jeunesse abandonnée aux mains des réseaux mafieux. Dénoncer enfin les conséquences d’une rupture d’égalité républicaine qui fait sombrer non seulement Saint-Denis mais la Seine-Saint-Denis toute entière.

Les intrusions répétées d’individus liés aux trafics symbolisent la faillite de l’État sur notre territoire. Un État paraissant incapable de garantir de façon égale aux enfants de la République de grandir dans un espace serein, sûr, propice à l’éducation et à l’épanouissement.

La gravité de notre situation n’a pas échappé à M. Leclerc, préfet de Seine-Saint-Denis qui nous a reçus le 4 septembre dernier.

Les « efforts consentis » sont pour la plupart de nature sécuritaire et répressive : 28 agents supplémentaires quand il nous en faudrait 200 de plus rien que pour Saint-Denis.

Le développement des trafics se nourrit d’autres graves défaillances : justice pénale et civile ralentie par ses effectifs insuffisants et ses tribunaux saturés, dispositifs de protection de l’enfance devenus inefficaces, prévention spécialisée décimée, non-remplacement des enseignants absents contribuant aux difficultés scolaires et aux décrochages, une absence de programmes sociaux de lutte contre la précarité, difficulté d’accès aux soins et à l’emploi, un tissu associatif qui vivote par absence de subventions publiques, affectation de néo-titulaires et instabilité des équipes qui freinent le bon fonctionnement des services publics, etc.

Le constat est tel qu’il a poussé cinq maires du 93 à entamer une action en justice contre l’État. La mobilisation des citoyens partout dans le 93 mais aussi à Toulouse, Montpellier et Marseille témoigne de leur volonté de reprendre la situation en main et de ne plus subir.

Suite à la parution en mai 2018 du rapport parlementaire n°1014 sur « L’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis » et à la séance de débat qui a suivi à l’Assemblée le 5 février 2019, vous vous êtes engagé à « adapter l’action » de l’État aux enjeux du territoire.

Vous avez alors chargé le préfet de la Seine-Saint-Denis de mettre en place et coordonner des groupes de travail. Selon le Préfet, ces groupes, auxquels nous, parents d’élèves et habitants de la ville, n’avons pas été conviés et dont nous ne connaissons ni la composition ni le travail, se sont réunis. Leurs conclusions vous ont été remises sans être communiquées au grand public, principal concerné.

Nous demeurons très dubitatifs quant aux 55 mesures, non encore toutes détaillées, du « plan anti-drogue » qui semble exclure une action conjointe avec les ministères de la Santé et de l’Éducation Nationale.

Nous demandons une augmentation significative non seulement des effectifs de police mais aussi d’éducateurs spécialisés, de professeurs remplaçants, de fonctionnaires qualifiés.

Une réponse uniquement répressive est insuffisante. Nous ne voulons pas non plus d’un énième « plan banlieue ». Nous demandons simplement un service public à la hauteur et le rétablissement de l’égalité territoriale. »

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Politique

La fausse gauche et les migrants de l’Aquarius

Le bateau l’Aquarius est arrivé hier à Malte avec 141 migrants à son bord, qui seront ensuite répartis vers plusieurs pays. En France, et d’ailleurs presque partout en Europe, les forces issues de la Gauche appuient quasi-unanimement ce type de débarquement et en font un de leurs thèmes principaux.

Sos Méditerranée

L’épisode des migrants, traversant la Méditerranée dans des conditions tellement précaires qu’ils risquent leur vie, est au cœur de l’actualité, avec notamment « SOS Méditerranée » qui s’est fait une spécialité de les secourir.

En fait, l’actualité a régulièrement comme thème les migrants et le fait que des navires privés comme l’Aquarius soient lancés pour les sauver en mer en est l’une des expressions.

En effet, le migrant est un symbole : celui du droit de partir où l’on veut, sans responsabilités aucune par rapport à là où on vit, ni par ailleurs par rapport à où l’on va. C’est le droit de refaire sa vie individuellement, en remettant les compteurs à zéro, parce qu’on l’a choisi.

Dans ces cas comme celui de l’Aquarius, selon les chiffres donnés dans la presse française, cela coûterait 3 000 euros à 5 000 euros par personne pour tenter de traverser la Méditerranée. C’est absolument énorme en Afrique et montre à quel point ces tentatives, aussi désespérées puissent-elles être, sont très réfléchies et organisées.

C’est là fondamentalement libéral et c’est pour cela que toutes les forces libérales soutiennent les migrations. Le capitalisme n’est pas du tout fanatique des frontières, au contraire même : il a souvent cherché à faire tomber les frontières, comme en témoigne l’Union Européenne.

Parfois, il se referme sur lui-même dans certaines conditions, lorsqu’il y a des grandes entreprises qui font des États leur outil de conquête. C’est d’ailleurs inévitable : la Gauche sait que cela s’appelle l’impérialisme, le fascisme, la guerre.

Mais cela est « vieux jeu » pour la « Gauche » post-industrielle qui reprend les rêves du capitalisme du 17e siècle, qui veut faire de chacun un entrepreneur. À ce titre, les différents épisodes de l’Aquarius sont une démonstration des insuffisances fondamentales de cette « Gauche » post-industrielle, post-moderne.

Aquarius - sos Méditerranée

Croyant le capitalisme indépassable, cette fausse Gauche veut l’humaniser et reprend directement les valeurs longuement élaborées par l’Église catholique. Tel est d’ailleurs le ton du dernier communiqué du Parti Socialiste, signés par ses principaux membres, intitulé pompeusement « Aquarius : tout nous oblige ».

« Quelle image l’Europe a-t-elle donnée d’elle-même avec ses dirigeants fermant leurs ports et en même temps faisant assaut médiatique de leur humanité ? L’incurie des gouvernements et de l’Union européenne doit cesser. »

C’est là l’origine de la figure du « migrant » comme symbole du besoin de libertés individuelles absolues, remplaçant l’ouvrier dans le cadre de la lutte des classes. Il ne s’agit plus d’abolir le salariat, mais de faire du salarié un être fondamentalement indépendant de tout.

C’est là à l’opposé fondamental d’un mot essentiel du vocabulaire du mouvement ouvrier, celui d’internationalisme. Car chaque pays a le droit de se développer ! Et pas de se voir piller sa jeunesse au profit des pays riches. Chaque personne a le droit d’être membre de sa culture, de son pays, sans avoir à être amené objectivement ou subjectivement à devoir tout abandonner.

D’autant plus qu’il y a derrière ces flux migratoires des réseaux mafieux et esclavagistes avec une dimension gigantesque. N’importe quelle personne réellement de Gauche ne peut que vouloir les broyer et les anéantir. Mais certainement pas qu’ils soient accompagnés dans leur œuvre barbare par des organisations « humanitaires ».

Le cas des 141 migrants débarqués à Malte hier, dont a priori une moitié de mineurs et plus d’un tiers des femmes, est tout à fait typique.

Ils ont été entassés dans une embarcation de fortune et « déposés » à la limite des eaux internationales, au large de la Libye. Les passeurs ont lancé un appel de détresse puis s’en sont retournés, laissant ces personnes sans vivres ou presque, séparées parfois des membres de leur famille avec qui ils voulaient venir en Europe.

SOS Méditerranée - Médecins sans frontières

La plupart du temps, les migrants ne sont pas secourus et meurent noyés par centaine chaque mois. Ceux qui ne sont pas partis sont parfois retenus en esclavage par les « passeurs ».

Ceux qui arrivent en Europe vivent alors dans des conditions très précaires. Cela donne des situations inacceptables que les autorités laissent traîner volontairement, avec des camps de fortunes là encore à la merci des mafias, mais appuyés par des associations « humanitaires », souvent chrétiennes.

Les classes dominantes utilisent qui plus est par la suite facilement les arriérations culturelles sur le plan démocratique des immigrés des pays du tiers-monde d’un côté, le racisme de l’autre, pour diviser davantage encore plus le peuple.

Croire que l’Aquarius serait là pour réellement aider les gens, c’est croire en la bonté des capitalistes « de gauche », qui ne visent en réalité qu’à diviser pour régner, qu’à faire passer les valeurs ouvrières pour quelque chose de réactionnaire.

Être de Gauche, ce n’est certainement pas faire campagne en faveurs des migrations ou de l’Aquarius. C’est au contraire se lier internationalement aux personnes qui se battent pour leurs conquêtes démocratiques et le développement économique de leur pays.