La question du mariage des prêtres peut se prêter à un petit aperçu historique, prétexte à une compréhension plus approfondie de ce qu’est une religion. C’est un débat nécessaire pour la Gauche, qui a perdu énormément de terrain dans sa lutte anti-cléricale ou plus directement anti-religieuse.
A l’occasion des propos du pape François sur le mariage des prêtres, un article publié sur agauche.org a affirmé que le refus de ce mariage était un principe théologique inaliénable du catholicisme. Aucune « modernisation » ne serait possible, ni même souhaitable finalement, car la religion ne sert que les réactionnaires.
Un lecteur a alors fait la remarque comme quoi le mariage des prêtres n’a été interdit qu’au cours du moyen âge, afin que les prêtres cessent « de léguer les propriétés religieuses à leurs familles ». La théologie, finalement, ne jouerait un rôle que secondaire.
Cette question est tout à fait intéressante, au-delà de son simple thème, car elle pose la question du rapport entre l’économie et la culture, l’idéologie, la théologie. Pour dire les choses plus crûment on a la vieille problématique que les marxistes appellent l’opposition infrastructures / superstructures, avec tout une panoplie d’évaluations différentes de leur rapport. Vu le poids des religions dans le monde, on n’échappe pas à l’approfondissement d’une telle mise en perspective.
Cependant, en ce qui concerne la question proprement dite, notre lecteur a vraisemblablement raté l’évolution, la transformation, l’actualité de ce qu’est l’Église catholique comme religion. Le refus de la réalité matérielle au profit d’un monde idéal immaculé est en effet le cœur du catholicisme et cela de plus en plus. Ou, si l’on veut, le catholicisme est bien plus que du cléricalisme : c’est un mysticisme complet. Ce que les gens religieux ne voient pas le plus souvent, parce qu’ils ne s’intéressent pas à de telles fantasmagories.
Regardons ce qu’il en est, de manière organisée. Déjà, le catholicisme refuse le mariage, par définition même, pour ceux qui font le choix de la pureté. Il fait en effet une grande distinction entre les croyants et le personnel religieux, et même au sein de ce personnel religieux il y a une hiérarchie très importante.
Cette hiérarchie est d’ordre mystique ; elle est notamment théorisée par le (pseudo) Denys l’aréopagite. Pour faire court, lors de l’Eucharistie, le pain est vraiment le corps du Christ et le vin vraiment son sang. Mais pour que cette opération qu’on peut appeler « magique » ait lieu, il faut un magicien. Ce magicien c’est le prêtre.
Et comment fait-il apparaître le corps et le sang ? En étant l’époux de l’Église. Il a, si l’on veut, des super pouvoirs parce qu’il est marié à un seul être, l’Église qui aurait été établie à la demande du Christ. S’il se mariait à quelqu’un d’autre, il perdrait ses super-pouvoirs : il ne peut donc pas se marier avec un être humain. Ou bien, on peut inverser la proposition : si avec les protestants on enlève la dimension « magique » du dimanche, alors le vin est seulement du vin, le pain seulement du pain, et le prêtre peut se marier (il est alors simplement pasteur, par ailleurs).
En termes juridiques catholiques romains, cela donne cela dans le Code de droit canonique de 1983 :
« Can. 277 – § 1. Les clercs sont tenus par l’obligation de garder la « continence parfaite et perpétuelle » à cause du Royaume des Cieux, et sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s’unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s’adonner plus librement au service de Dieu et des hommes. »
Le catholicisme est ici une religion « fusionnelle », comme l’hindouisme. Ni le judaïsme, ni l’Islam ne vont aussi loin dans ce rejet de la réalité matérielle. Voilà pour la dimension théologique.
Maintenant, on se doute bien que si telle ou telle conception a a gagné dans l’Église catholique romaine, ce n’est pas simplement parce que son argumentaire théologique était supérieur. Il y a des intérêts matériels que les différents points de vue reflétaient. Et effectivement pour empêcher la dispersion des biens de l’Église, le célibat a été instauré de manière rigide. Auparavant les hommes mariés avant de devenir prêtres pouvaient le rester, mais devenir abstinents. Comme cela ne marchait pas vraiment et qu’on avait peur que les fils réclament le poste ou les terres ou le privilèges, il a été procédé à la fin de 1100 à la suppression de l’ordination des hommes mariés.
Seulement, on aurait tort de voir simplement une sorte de machiavélisme de l’Église. Il faut en effet voir qu’avant l’an 800, l’Église n’était pas forte comme elle le fut justement après. Ce n’est qu’avec l’appui d’une féodalité développée que la religion a connu une expansion très forte qui a, on s’en doute, demandée davantage de personnel. On passe, si l’on veut, des petits monastères dans les campagnes, des églises romanes, aux églises gothiques, aux cathédrales. Avec le célibat forcé, l’Église a juste fait le ménage dans ses nombreuses recrues.
Ce qui a été machiavélique, ce n’est pas tant de décider subitement le célibat, mais de l’avoir mis de côté simplement pour devenir une religion de masse, et une fois établie, de remettre tout en ordre… De plus, si l’Église fait ce rappel à l’ordre, ce n’est pas simplement pour ses propres intérêts. C’était aussi en rapport avec sa concurrence avec la noblesse, mais ceci nous éloigne du sujet.
Donc, il y a eu ménage de fait, qui rentre évidemment en adéquation avec ses intérêts, mais il y a bien une vie autonome de l’Église. On peut prouver cela de deux manières. D’abord, l’Église d’Orient n’applique pas ce principe, sauf pour les moines et les évêques. On peut dire que l’orient n’a pas connu la même féodalité que l’occident, mais cela ne fait que déplacer le problème : pourquoi y a-t-il telle chose en occident, telle chose en orient ?
Ensuite, et c’est le grand paradoxe, le célibat du clergé ayant reçu les sacrements est, dans l’Église catholique, une règle de discipline et non d’un point de foi. Cela signifie concrètement qu’on ne touche pas au dogme si l’on instaure le mariage des prêtres : c’est juste une mesure administrative, rien de plus. C’est donc, somme toute, assez facile à mettre en place.
Mais l’Église catholique ne veut pas le faire, elle ne cesse de le rappeler. Pourquoi ? Parce qu’elle prétend être la porte vers l’au-delà. Et une structure tournée vers l’au-delà ne peut pas prétendre en même temps être tourné vers le monde matériel. C’est pour cela que les juifs, les musulmans, les protestants vaquent à leurs occupations, tout en étant de bons juifs, de bons musulmans, de bons protestants. Chez les catholiques, ce n’est pas possible : seul compte l’au-delà.
Si jamais se pose d’ailleurs la question ici des djihadistes, qui veulent atteindre l’au-delà, il faut bien voir que leur Islam « fusionne » le monde matériel et l’au-delà. Les lois musulmanes sur Terre sont déjà une préfiguration, voire un moment de l’au-delà. C’est la conception du Tawhid, de l’unicité divine.
Chez les catholiques, l’univers est quant à lui coupé radicalement en deux, et seul l’au-delà compte. La religion n’est pas qu’une structure liée à l’économie ou des intérêts matériels : elle naît aussi comme opium du peuple, inquiétude métaphysique, quête mystique de l’au-delà. En fait, elle se nourrit de l’absence de reconnaissance du monde matériel, à quelque échelle que ce soit.