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« L’oligarchie financière »

Ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas.

Il existe dans la société des flibustiers de la finance et il est important de les définir adéquatement. Dans l’article « L’affaire Norman témoigne que les youtubeurs sont des déréglés« , il est par exemple noté comment le vrai patron, en ligne droite, du youtubeur Norman, est un milliardaire.

Il est dit de ce youtubeur :

« Ses productions relèvent de Webedia, un groupe de médias français employant 2400 personnes. Et Webedia est une filiale de Fimalac, un monopole s’occupant du divertissement, de l’hôtellerie de luxe, d’immobilier, etc.

Le propriétaire de Fimalac est le milliardaire français Marc Ladreit de Lacharrière, dans le top 30 des plus riches Français, qu est l’administrateur du club Le Siècle et président du comité français du club Bilderberg.

Il y a ainsi une ligne droite allant de Norman le youtubeur qui a l’air sympa et l’oligarchie financière. »

Les relectures avant publication ont porté l’attention sur l’emploi des termes d’oligarchie financière, et plutôt que de rajouter des lignes pas forcément opportunes à ce sujet dans l’article, il a été jugé plus utile de faire partager la réflexion à ce sujet.

Il y a deux inquiétudes qui se sont exprimées en effet. La première touche directement à l’emploi du mot oligarchie. Comme on le sait en effet, les démagogues emploient régulièrement ce mot, afin de cacher l’existence de la bourgeoisie.

Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise dénonce ainsi toujours l’oligarchie qui dominerait la France. L’extrême-Droite est friande d’une approche similaire, même si historiquement elle parle de « ploutocratie », afin d’éviter d’avoir à employer le mot oligarchie.

Une oligarchie consiste en effet en la domination d’un groupe restreint de gens, et l’extrême-Droite n’est pas contre le principe, au nom d’un « esprit aristocratique » (en fait mythomane ou reflet d’une oligarchie réelle).

La seconde inquiétude porte sur la définition des couches sociales. Ne vaut-il pas mieux en effet parler de la grande bourgeoisie, ou bien éventuellement de la très haute bourgeoisie?

Regardons ce qu’il en est en commençant avec une peinture illustrant bien le concept d’oligarchie : La fin, de Mikhail Vasilevich Kupryaniv, de 1951 (donc de l’époque du réalisme socialiste).

Ce tableau a une portée réaliste, car il montre la fin décadente d’une couche très restreinte de la société prétendant former une élite. Le caractère chaotique de la scène tranche ici avec le raffinement ou le pseudo-raffinement des objets présents.

C’est important, car une oligarchie, lorsqu’elle existe, est vraiment en rupture matérielle avec le reste de la société. L’oligarchie, lorsqu’elle triomphe dans le capitalisme comme par exemple dans l’Allemagne de Hitler, tient à des centaines de personnes.

Pour la haute bourgeoisie, on parle de milliers de personnes, pour la grande bourgeoisie, de dizaines de milliers de personnes, pour la bourgeoisie aisée de centaines de milliers de personnes.

L’oligarchie a des moyens que n’a pas le reste de la société. Quelqu’un de la haute bourgeoisie, ou même de la grande bourgeoisie, peut aisément prendre un hélicoptère ou un jet privé comme moyen de transport, ou s’acheter une Lamborghini.

Quelqu’un de l’oligarchie ne peut pas le faire : il doit le faire.

Quelqu’un de la haute bourgeoisie, ou même de la grande bourgeoisie, peut chercher à tout prix à influencer l’État et ses décisions. Quelqu’un de l’oligarchie doit le faire.

Il y a, dans l’existence de l’oligarchie, non pas simplement une mise à l’écart, mais un mur infranchissable avec le reste de la société.

C’est la raison pour laquelle la stratégie de Front populaire a été mise en place dans les années 1930. Le fascisme, c’est la prise du pouvoir de la plus haute bourgeoisie formant une oligarchie. La réponse est l’unité populaire pour former une démocratie populaire.

Dans le capitalisme libéral, il n’y a pas la domination d’une oligarchie. L’oligarchie ne se constitue dans le capitalisme que lorsque la concurrence cède la place aux monopoles dans la majeure partie de l’économie, que ceux-ci prennent le contrôle direct de l’appareil d’État. Une oligarchie se constitue alors durant ce processus et se cimente avec le fascisme.

Le socialiste hongrois émigré à Paris József Diner-Dénes écrit ainsi avec raison dans le quotidien de la SFIO Le Populaire du 24 avril 1927 que :

« Pour comprendre la politique intérieure, et même extérieure du Japon, il faut comprendre sa structure politique et sociale. Aujourd’hui, comme dans le passé, c’est l’oligarchie des anciens grands clans qui domine. »

Par contre, les sociologues pseudo-populaires Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont totalement tort d’expliquer en 2021 dans le quotidien bourgeois Le Monde que « Nous vivons sous le régime de l’oligarchie financière ».

Si c’était vrai, la France aurait un régime fasciste, et les monopoles prédomineraient entièrement. Ce n’est pas le cas. Pas encore.

De plus, l’oligarchie que met en place le fascisme, comme fusion de la tête de l’État et de la plus haute bourgeoisie, sous la direction de cette dernière, n’est pas simplement une « oligarchie financière », malgré les mots utilisés. C’est une oligarchie industrialo-financière, le second aspect étant principal.

Lénine, par exemple, dans son fameux ouvrage L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, note comment l’oligarchie financière l’emporte sur les autres variantes de capital, non pas à l’écart de l’économie, mais en en prenant le contrôle.

Il n’y a pas d’un côté l’industrie qui souffre et de l’autre les vilaines banques. Cela, c’est le national-socialisme qui le prétend. Dans le capitalisme devenant monopoliste, l’industrie fusionne avec le capital financier, ce dernier étant l’aspect principal dans le processus.

Dans le cas du youtubeur Norman par exemple, c’est l’entreprise Webedia qui s’occupe de lui. C’est l’aspect industriel. Mais l’entreprise appartient à une autre entité, totalement aux mains d’une seule personne. C’est la dimension financière.

C’est une réalité industrialo-financière.

Et cette personne qui possède l’entreprise (financière) qui possède l’entreprise (industrielle) est milliardaire, faisant partie de la base très étroite de gens ayant un capital démesuré en leur possession. C’est l’oligarchie financière.

Ses membres ne vivent pas comme des grands bourgeois, et leurs ambitions sont autres d’ailleurs. C’est une couche sociale portée par l’accumulation du capital, elle va toujours plus prendre les contrôles de l’économie et de l’État, elle va prendre le pouvoir avec le fascisme et systématiser la tendance à la guerre, à moins de l’empêcher.

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Le cofondateur de Facebook appelle à démanteler l’entreprise

La petite entreprise, quand elle réussit, devient une grande entreprise, puis une très grande entreprise. Le monopole met alors fin à la concurrence, et donc à la libre-entreprise. Ce schéma raconté par Marx ou Lénine est une horreur pour le cofondateur de Facebook Chris Hughes. Il appelle donc à couper l’entreprise en morceaux et à superviser ceux-ci par les institutions.

Chris Hughes est, avec Mark Zuckerberg, l’un des fondateurs de Facebook. Il a quitté cette entreprise, vendant toutes ses parts en 2012. Il vient de publier un très long article dans le New York Times, appelant ni plus moins qu’à démanteler Facebook.

Ses motivations sont très simples à comprendre. Il constate, de manière fort juste, que Facebook est un monopole. Cependant, ce n’est pas un disciple de Lénine. Il ne pense pas que les monopoles soient l’antichambre du socialisme. Ou plutôt, il l’entrevoit et il est contre. C’est la raison pour laquelle il dit : il faut démonter Facebook en plusieurs fractions et superviser celles-ci.

Ses arguments concernent tous le capitalisme. Il raconte que Facebook n’est plus en situation concurrentielle, que l’entreprise achète ou copie ce qui lui fait de l’ombre. Or, seule la compétition peut à ses yeux amener des choses nouvelles. Facebook est donc un obstacle au capitalisme lui-même. Il faut donc le mettre en pièces.

Le ton de l’ensemble est ainsi profondément nostalgique quant au Facebook du début, Chris Hughes racontant avec émotion des anecdotes de cette époque pour lui bénie. Pour lui, Facebook a réussi parce que l’entreprise était en situation de très dure concurrence avec surtout Myspace, mais aussi Friendster, Twitter, Tumblr, LiveJournal, etc.

Il faut donc pour lui stopper Facebook le plus vite possible, pour deux raisons. La première, c’est son omniprésence et sa capacité à manipuler les opinions : ici, Chris Hughes présente Mark Zuckerberg comme très sympathique, sobre dans sa vie privée (soit disant), mais candide et manipulable par le monstre qu’est devenu Facebook, avec ses besoins de croissance. La seconde, c’est que Facebook assèche toute une partie du capitalisme. Voici ce qu’il constate, entre autres :

« Plus d’une décennie plus tard, Facebook a remporté le prix de la domination. Il vaut plus de 500 milliards de dollars et représente, selon mon estimation, plus de 80% des revenus mondiaux des réseaux sociaux. C’est un puissant monopole, éclipsant tous ses rivaux et effaçant la concurrence de sa catégorie. »

Chris Hughes n’exprime pas seulement sa panique libérale avec Facebook, qui possède WhatsApp et Instagram, deux monopoles dans leur genre. Il vise également Google pour la rechercher sur internet et Amazon pour le commerce en ligne. Il élargit même la question aux entreprises pharmaceutiques, aux compagnies aériennes… expliquant, horrifié, que 75 % de l’économie américaine est touchée par le phénomène de la concentration capitaliste.

Cela signifie selon lui le déclin de l’esprit d’entrepreneur, de la croissance de la productivité, moins de choix et des tarifs plus élevés pour les consommateurs. Sa grande référence est Adam Smith, qu’il présente comme la figure tutélaire des « pères fondateurs » des États-Unis. L’Amérique, c’est la libre-entreprise, et inversement.

On est libre de croire cette fable, si on est soi-même contaminé par l’idéologie de la libre-concurrence, si l’on est soi-même un capitaliste. Sinon, on ne peut que rire de ces lamentations d’ailleurs ridicules. S’il est vrai que les monopoles dans les nouvelles technologies sont récents, dans les autres domaines cela fait longtemps qu’ils existent. Le capitalisme américain dispose de géants monopolistes depuis longtemps, depuis l’aviation jusqu’à l’armement en passant par l’automobile, les banques, etc.

Chris Hughes raisonne ici comme tous les entrepreneurs de la Silicon Valley, qui croient en le capitalisme concurrentiel parce que pour eux il existe encore, ou plutôt il existait encore il y a peu. Une bonne idée, un peu de financement et tout se met en branle. C’est le principe de la start up. Cela existe encore, un peu. Mais les débuts sont terminés et l’émergence des monopoles est obligatoire.

Et que fait-on quand on a les monopoles ? On socialise, on met le tout au service de la population. Le capitalisme a été utile, maintenant on le dépasse !

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L’Union Européenne refuse la fusion d’Alstom et de Siemens Mobility

En refusant la fusion de deux grandes entreprises du ferroviaire, l’Union Européenne s’oppose à la concentration économique, qui est en même temps une norme à l’échelle mondiale. Cela va donc provoquer des tensions immenses entre les nations et l’Union Européenne.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a annoncé hier le refus par son institution de la fusion d’Alstom et Siemens Mobility pour former un géant de l’industrie ferroviaire et de la signalisation. C’est là un épisode très important de la vie économique dans l’Union Européenne.

Deux points de vue semblent s’opposer. Margrethe Vestager a affirmé dans une conférence de presse, avant même son refus, que :

« Notre écosystème est plus fort s’il ne dépend pas entièrement d’une ou de quelques entreprises géantes. »

C’est là en l’apparence la défense de la libre-entreprise contre les monopoles, dans une optique de défense de l’initiative capitaliste et des consommateurs. C’est le principe selon lequel un capitalisme n’est sain que s’il est concurrentiel, tandis que le capitalisme ayant atteint des formes monopolistiques dérègle le système.

L’autre point de vue se veut quant à lui pragmatique. Jeo Kaeser, le dirigeant de Siemens, a justifié la fusion de par l’existence d’une concurrence mondiale :

« La protection des intérêts des consommateurs ne doit pas empêcher l’Europe d’affronter sur un pied d’égalité la Chine et les États-Unis. »

On a donc en apparence une opposition entre des entreprises ayant un besoin de se renforcer au niveau mondial et une Union Européenne garante des droits des petites entreprises et des consommateurs. Margrethe Vestager a particulièrement insisté à ce sujet hier, disant par exemple que :

« En l’absence de mesures compensatoires suffisantes, cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse. »

Tout cela n’est cependant qu’une apparence, car les choses sont bien plus compliquées que cela. Car, depuis 1989, la commission européenne à la à Concurrence a approuvé 6 000 fusions et n’en a bloqué qu’une trentaine. On ne peut donc pas vraiment dire que l’Union Européenne est un frein au capitalisme de type monopolistique. Elle est un frein à certaines formes capitalistes monopolistiques.

Lesquelles ? Cela dépend tout simplement des rapports de force. Là, si la fusion a été refusée, c’est tout simplement parce que cela formerait un monstre franco-allemand, qui deviendrait une entreprise monopolistique jouant un rôle-clef dans le moteur franco-allemand. Beaucoup de pays de l’Union Européenne ne veulent pas se soumettre à ce moteur franco-allemand : ils font donc un blocage de tout processus allant en ce sens.

Évidemment, les responsables français et allemand sont fous de rage. Ils annoncent déjà qu’ils feront en sorte de modifier le cadre légal de la commission européenne à la Concurrence, pour la soumettre aux États et aux gouvernements concernés. En clair, la France et l’Allemagne disent : nous sommes les plus forts, vous serez obligés de nous suivre.

Il y a ainsi une initiative commune immédiate du ministres français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire et de Peter Altmaier le ministre allemand de l’Économie. Voici ce que le Français a dit de son côté :

« Je propose qu’on retienne comme marché pertinent, celui où on analyse la concurrence, le monde entier et pas que l’Europe (…). Je propose en deuxième lieu que le Conseil européen c’est-à-dire les chefs d’État puisse s’exprimer sur la décision européenne en matière de concurrence. »

Voici ce qu’a dit entre autres l’Allemand :

« N’y a-t-il pas des domaines tels que l’aviation, les chemins de fer, les banques où vous devez prendre le marché mondial comme référence plutôt que l’européen? »

De telles affirmations sont une provocation directe pour les institutions de l’Union Européenne, qui se voient ici directement remises en cause. Les deux ministres de l’économie des deux plus puissants pays annoncent ouvertement qu’ils comptent remettre en cause les règles dérangeant leurs propres intérêts.

Ils affirment également ouvertement que l’Europe n’est qu’un tremplin pour le monde, et pas une valeur en soi. Le projet européen se voit réduit à une fonction utilitaire pour les capitalismes nationaux.

À vrai dire, il n’a jamais été autre chose, malgré tel ou tel aspect concret obtenu dans une période de croissance où il y a l’illusion que le projet européen devenait autonome et concret, qu’il était un objectif atteignable, des États-Unis d’Europe.

La vraie conséquence de tout cela, surtout, cela va être que les forces nationalistes de France et d’Allemagne vont être d’autant plus renforcées, car elles vont dire que l’Union Européenne bloque l’affirmation de l’économie nationale et qu’elle n’est pas réformable, puisque même Angela Merkel et Emmanuel Macron ne parviennent pas à organiser les choses de manière adéquate.

Les propriétaires d’Alstom et de Siemens Mobility ne vont évidemment pas rester passifs, ils vont renforcer le nationalisme, la dimension « indépendante » des décisions allemandes par rapport à l’Union Européenne. Et cela sera pareil pour tous les industriels et financiers ayant « tiré la leçon » de cette histoire.

C’est là la contradiction essentielle d’un capitalisme qui s’appuie sur des entrepreneurs, mais qui aboutit à des monopoles, de manière inéluctable de par la concurrence. Et comme la concurrence est mondiale et que l’Union Européenne n’est pas une structure réelle mais « flotte » au-dessus des pays, la situation ne peut être marquée que par une explosion des instabilités, des troubles, des remises en cause, des affirmations unilatérales des égoïsmes nationaux.