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Cabaret Voltaire vu en 1985

Le groupe post-punk fut un pionnier de l’industriel et de la techno.

Il est des groupes totalement inaudibles écouté à partir d’aujourd’hui, à moins d’avoir une réelle approche historique. La raison à cela, c’est qu’ils ont alimenté la musique au point de servir de point de passage. Ce sont les traditionnels chanteurs, chanteuses et groupes qui sont désormais catalogués comme artistes pour les artistes.

Cabaret Voltaire est emblématique de cela, car leur démarche a été productive et innovatrice. C’est initialement un groupe anglais de Sheffield qui, sur une base post-punk, est un pionnier de la musique industrielle, pour ensuite devenir un pionnier de la musique électronique.

C’est cet aspect défrichage qui les a desservis, en étant trop en avance et en décalage, puis dépassés par un mouvement se massifiant alors qu’eux-mêmes privilégiaient la découverte, l’expérimentation. Le principal activiste du groupe, Richard H. Kirk qui vient de décéder le 21 septembre 2021, c’est une vingtaine d’albums avec Cabaret Voltaire, une dizaine en solo sous son nom, une cinquantaine d’autres sous un pseudonyme ou bien en partenariat.

Voici, en plus d’une playlist, un intéressant aperçu d’époque au moyen d’un article de fanzine de 1985, Acide Sédatif, présentant Cabaret Voltaire.

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Playlist Cabaret Voltaire

Du post-punk à l’aventure industriel-techno.

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Lorsque Ian Curtis de Joy Division se suicida, les membres de Cabaret Voltaire furent les seuls présents à l’enterrement avec le groupe et la famille de celui-ci. Les premiers enregistrements de New Order se feront dans les studios de Cabaret Voltaire. C’est un rapprochement qui en dit long et qui est une référence pour ceux appréciant la contribution de ces deux groupes, New Order étant profondément marqués par l’approche électronique de Cabaret Voltaire et il faut ajouter aux groupes largement influencés Depeche Mode, Front Line Assembly, Ministry, Skinny puppy, ou encore Bauhaus.

Tous ces groupes ont en commun d’être composés de gens culturellement de gauche à la fois avant-gardistes et ancrés dans la protestation populaire de l’époque, de mêler un esprit contestataire et la musique électronique comme repli.

Il y a plusieurs périodes dans l’histoire de Cabaret Voltaire. Initialement, c’est un groupe de post-punk utilisant les bases de ce qui va être la musique industrielle.

C’est rentre-dedans puis rapidement construit de manière expérimentale abrasive, avec un profond sens du collage qui va être la marque du groupe. Le groupe tire son nom d’ailleurs d’un café de Zurich où est né le mouvement Dada, le « Cabaret Voltaire ». On est ici en 1979 et c’est une sorte de punk electro-sonore.

Au tout début des années 1980, Cabaret Voltaire passe alors à la musique industrielle en tant que telle, avec un profond sens de la répétition. Les albums « Red Mecca » et « Three Mantras » sont ici de grande valeur.

Puis dès 1982, on passe comme avec New Order dans la musique dansante mais froide, dans l’esprit Funk industriel. Il y a ici quelque chose d’incroyablement en avance, mais il va manquer quelque chose. L’esprit reste trop expérimental, il y a un fétichisme du collage dans les vidéos rendant l’ensemble très vite suranné, il y a trop d’inégalités dans les productions. L’ensemble est néanmoins clairement marquant et ouvrant une voie, ni plus ni moins que celle de la House music, avec le côté funk dansant mais froid et répétitif sur la durée.

Le virage étant raté, Cabaret Voltaire va alors connaître deux périodes. La première c’est celle d’une electropop qui s’éteindra rapidement. La seconde, c’est le passage dans la techno ambient, l’expérimentation électronique, l’IDM (intelligent dance music), avec un arrière-plan en fait tech-house et la culture acid-house.

https://www.youtube.com/watch?v=_j7hCaWWU-s
https://www.youtube.com/watch?v=M_0FrZ3EO8s

Voici une vidéo d’un projet de Richard H. Kirk, Sweet Exorcist (avec DJ Parrot) ; elle a été réalisée par Jarvis Cocker de Pulp.

Voici une chanson tirée de Plasticity, un album techno de 1992 d’une grande valeur (et totalement inconnu); la vidéo consiste en ce qui était projeté en 1990-1991 lors de la tournée de Cabaret Voltaire. C’est que le groupe avait bien entendu en tête, dans l’esprit des années 1980, d’un projet « total ». Il était sur ce point bien trop en avance.

Cabaret Voltaire est en fait emblématique, avec New Order des tout débuts ou le premier ministry, d’une petite vague « funk industrial » qui, au tout début des années 1980, va servir de laboratoire à la confluence de la musique d’Europe et de celle des Etats-Unis, à l’image de la rencontre entre Kraftwerk et Afrika Bambaataa dans « Planet rock » en 1986.

Playlist

Voici la playlist en lecture automatique suivie de la tracklist !

Just fascination (1983)

I want you (1985)

Kino (1985)

Yashar (1982)

James Brown (1984)

Digital Rasta (1984)

Back to Brazilia (1992)

Colours (1991)

Landslide (1981)

Blue heat 12 mix (1984)

Here to go (1987)

Sensoria (1984)

Animation (1983)

Baader Meinhof (1979)

24-24 (1983)

Nag nag nag (1979)

Silent command (1979)

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Décès de Gabi Delgado Lopez (DAF) et de Genesis P-Orridge

Ce sont deux figures de la musique industrielle qui viennent de décéder. Un bon prétexte pour voir l’intérêt de DAF et de Throbbing Gristle, et finalement leurs immenses limites.

Nous sommes à la fin des années 1970, en Angleterre et en Allemagne, et une poignée de jeunes cherchent à exprimer l’horreur sociale, le poids du conformisme, à travers une révolte punk. Il y a toutefois une volonté d’esthétisation provocatrice et l’utilisation de la musique électronique, alors à ses débuts.

Occultisme, pornographie, nazisme, fascisme, militarisme, tueurs en série, fascination pour la marge, le morbide, tout cela est recyclé pour un collage musical agressif néo-punk en 1980-1981.

https://www.youtube.com/watch?v=e4fiukLnJ_I&list=RDe4fiukLnJ_I&start_radio=1&t=389

Gabi Delgado Lopez, le chanteur de Deutsch Amerikanische Freundschaft (DAF), est mort ce 22 mars, Genesis P-Orridge de Throbbing Gristle le 14 mars. Ce dernier anticipe d’ailleurs l’idéologie transgenre actuelle, avec la fascination pour le changement d’identité (il change de nom dès 1971), la modification corporelle par la chirurgie plastique, la quête identitaire permanente, etc.

On est ici dans la tentative de mettre mal à l’aise, de troubler, de perturber. Mais à l’opposé du punk, nihiliste ou bien engagé politiquement (le véganisme apparaît ainsi dans la foulée post-punk), on est ici dans une esthétique se présentant comme une fin en soi.

Musicalement, il y a l’ouverture d’un horizon musical, comme la chanson de DAF « Der Mussolini » en est un excellent exemple. Mais il n’y aura pas de suite. C’est juste une contribution énorme, mais temporaire, s’auto-détruisant immédiatement, de par la provocation comme fin en soi (« Applaudit des mains et danse le Adolf Hitler et danse le Mussolini et maintenant le Jésus-Christ et maintenant le Jésus-Christ applaudis des mains et danse le communisme et maintenant le Mussolini »)..

Il y a l’émergence de l’horizon musicale électronique – chez Throbbing Gristle dès 1976 – mais cela s’enlise dans l’esthétisme, comme ici avec « United ». Ce single de 1978, sorti sur le propre label du groupe, Industrial Records, reprend le symbole nazi de la SS mais plus directement le logo de la British Union of Fascists des années 1930, la face B s’intitulant « Zyklon B Zombie ».

Ce problème de l’avant-gardisme décadent en fin en soi est très connu dans les scènes expérimentales ; on connaît bien le problème avec la première vague de black metal, avec la dark folk et notamment le groupe Death in June, etc.

On a en fait des gens tellement réellement des fascistes, c’est-à-dire des petits-bourgeois expérimentateurs et en rébellion complète, qu’ils ne comprennent absolument pas qu’on les considère comme fascistes, car pour eux tout est révolte existentielle, l’esthétique une inspiration seulement et un vecteur de provocation pour arracher un sens au réel.

S’ils sont sincères, alors la seule critique qu’ils sont capables de saisir, c’est que la fascination pour le malsain les empêche de produire. DAF et Throbbing Gristle, c’est un album consistant en une contribution musicale chacun au mieux et il en va de même pour tous ces avant-gardistes. Ensuite, il y a la répétition ad nauseam de cet album, en toujours pire, en toujours plus caricatural pour compenser la vanité de l’entreprise.

L’incapacité à produire se conjugue avec la dimension anti-populaire, avec le mépris pour le côté accessible, qui n’est pourtant pas du tout un compromis, même s’il y a bien entendu ce risque, sur lequel s’est effondré Nirvana, né de l’expérimentation avant-gardiste justement pour passer dans le camp d’une accessibilité commerciale (d’où le suicide de son chanteur face à un dilemme lui semblant cornélien).

https://www.youtube.com/watch?v=27ipC6FvCdw

On a ici une problématique compliquée, aux enjeux culturels importants. Et cela d’autant plus que le capitalisme bloque tous les horizons et pousse les révoltés à se précipiter dans le nihilisme, en leur faisant croire que c’est leur choix. C’est le capitalisme qui pousse vers le fascisme, l’islamisme, toute cette auto-destruction totalement étrangère aux principes de la vie.