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Série : Squid Game, une insulte à l’intelligence

Le morbide est valorisé et personne ne trouve à y redire.

« Squide Game » est une série sud-coréenne connaissant un très fort succès depuis fin septembre, si bien que de nombreux articles en font l’éloge depuis quelques jours. Il n’y a pourtant pas grand-chose de positif à dire, à part que c’est le triste reflet d’une époque qui n’en finit pas de s’enfoncer dans le glauque, l’insoutenable, le morbide.

Le « squid game » ou « jeu du calamar » commence avec 456 hommes et femmes endettés jusqu’au cou, réunis par une ou des personnes aux motivations obscures, dans un jeu géant isolé sur une île où les perdants meurent. Il n’est sensé y avoir qu’un seul gagnant pour 45 milliards de won, soit à peu près 33 millions d’euros.

Niveau intrigues du scénario, des épreuves au prix de la vie des participants, c’est du réchauffé refroidi et réchauffé encore. Il suffit de penser à Hunger Games, Battle Royale ou bien encore au Prix du danger sorti en France en 1983. Ce n’est pas pour rien que personne ne voulait de ce scénario depuis 2010. Mais Netflix est là pour produire tous les rebuts cinématographiques, y voyant justement une manne commerciale de masse.

Le succès tiendrait au fait que les épreuves sont des jeux pour enfants revisités en massacres, avec une soit disant critique de la société… Si on s’en tient à une pseudo-critique qui court après un phénomène de consommation de masse.

La question de l’endettement, qui existe dans la série, est en soi un thème à part entière qui aurait toute sa place dans un bon scénario, car on parle là du prix d’une vie confortable « pour tous » dans le capitalisme. Et ce prix c’est souvent de se ruiner la santé dans un travail aliénant, détruire sa famille et avoir une vie pauvre culturellement. Le crédit, c’est la cage dorée proposée par le capitalisme.

Mais le sujet n’est finalement pas traité puisqu’on a des personnages marginaux dont l’endettement est tellement colossal qu’on ne peut pas s’y reconnaître et donc finalement aucune question n’est posée. À ce titre, les personnages dont on connaît un peu l’arrière-plan sont soit mafieux en déchéance, soit bourgeois fraudeur, soit migrant ou broyés par la vie à un haut niveau.

On apprend seulement à la moitié de la série que le personnage principal est un ancien ouvrier licencié alors qu’il évoque une grève fortement réprimée où il a perdu un collègue et camarade. Un instant fugace qui n’est relié à rien de rationnel dans la manière dont toutes les situations sont gérées par les personnages. Tout n’est que chaos, car le principal est d’alimenter une fascination pour les comportements anti-sociaux.

Il n’est en effet jamais question de s’organiser pour renverser la situation, pour faire payer le prix du sadisme aux organisateurs qui sont manifestement des gens puissant, vue la logistique déployée en tout secret.

La grève est dans les valeurs opposées de ce que véhicule la série, qui prétend sonder l’« âme humaine » et ne montre que du cannibalisme social. Car si la série représente quelque chose, c’est bien cela : aux confins de la société, chez les populations les plus pauvres, il n’y a aucune possibilité d’entre-voir un horizon émancipateur,  seule la guerre de tous contre tous est une réponse…individualiste.

De fait, cette évocation du combat collectif ouvrier sonne creux, pire, donne dans le cynisme, à la manière de l’utilisation de « Bella Ciao » dans La Casa de Papel.

On est dans le fantasme, typiquement bourgeois, du chaos qui est sensé régner dans le peuple face à l’exploitation et à l’oppression, dans une vision du monde conforme à l’ordre capitaliste. Rien de subversif sous le soleil, donc.

Au delà du manque d’exigence culturelle qui règne pour qu’un tel succès soit possible, on a également l’expression d’un approfondissement de l’insensibilité. Faut-il, hélas, rappeler que 4,5 millions de personnes ont été tuées par une pandémie mondiale ces presque deux dernières années ? Terminer ses journées en regardant des gens se faire massacrer dans une logique anti-sociale devrait révulser tout un chacun. 

Eh bien non. Ce qui semble plaire, c’est l’esthétisation de la violence sur fond de darwinisme social. A l’instar d’ Orange Mécanique, il y a le même usage de la musique classique, tels Strauss, Haydn, Tchaïkovski, pour trancher avec les scènes d’horreur, comme si la barbarie pouvait être raffinée. Les morts sont ainsi montrés sans filtre, parfois au ralentis, avec des cadrages qui relèvent de l’obscène.

Les cadavres font l’objet de long travelling aérien pour montrer les détails les plus affreux. C’est donc cela le superbe en 2021 ? La bourgeoisie s’y reconnaît en tout cas puisque l’actrice Hoyeon Jung, qui joue un rôle essentiel dans la série, est devenue égérie de Louis Vuitton. C’est toute une expression de décadence.

Cette série est donc très pénible à regarder et le phénomène qu’il y a autour ne repose sur rien de rationnel ou de positif. C’est un succès à l’image d’une diffusion récente de ce qui serait prétendument la « culture sud-coréenne » dans toute l’Asie et le monde occidental.

Parler de culture sud-coréenne n’a aucun sens puisqu’il y a une culture coréenne qui a été artificiellement scindée en deux avec d’un coté une asphyxie totale à prétention communiste, en réalité fasciste, et de l’autre une offensive du capitalisme pour fabriquer quelque chose de totalement artificiel et consommable partout dans le monde. Si l’on veut de la culture coréenne, qu’on se tourne vers son puissant cinéma, comme La chanteuse de pansori d’Im Kwon-taek.

Ce dont l’époque a besoin c’est d’ailleurs bien d’œuvres cinématographiques qui aident à se saisir du réel pour aller de l’avant, et non pas de productions consommables n’étant là que pour satisfaire des goûts façonnés par l’indifférence de la société capitaliste.

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Stranger Things saison 3, un mauvais recyclage de la pop-culture des années 1980

La série Stranger Things avait marqué il y a deux ans part son approche très pop-culture, mettant en scène la jeunesse populaire américaine dans un scénario typique des années 1980. La troisième saison sortie ce mois-ci montre à quel point cela n’est finalement que du mauvais recyclage de la part d’un capitalisme à bout de souffle, agonisant totalement sur le plan culturel.

Comment peut-on, en 2019 avec de tels moyens, produire quelque-chose d’aussi nul et niais que la troisième saison de la série Netflix Stranger Things ? Dix personnes sauvent une seconde fois le monde des forces maléfiques pendant que le reste de la planète ne se rend compte de rien… On peut bien-sûr ne pas aimer le fantastique et se dire que de toute façon, cela n’amène forcément rien de bon sur le plan culturel, contrairement à la science-fiction.

Mais c’est bien pire que cela. On se demande d’abord s’il ne s’agit pas d’une caricature, tellement le scénario est ridicule, à coup de bagarres sur-jouées, d’histoire d’amour cul-cul, de méchants soviétiques infiltrant l’Amérique et de monstres aussi sots que grotesques. Les épisodes s’enchaînent, sans aucune cohérence dans l’approche générale et ont comprend finalement que cela n’a absolument rien de critique, ni même de construit.

Les personnages ne sont pas développés, le contexte initial lié au jeu Dungeon & Dragons (l’« upside-down ») est à peine respecté, etc. Ce n’est qu’un copié-collé façon patchwork de tout ce qu’a pu produire Hollywood dans les années 1980, un zapping permanent sans l’arrière-plan culturel et populaire qu’il pouvait y avoir alors pour chacune de ces productions.

Le monstre de cette troisième saison par exemple, n’est qu’une copie ridicule du monstre de The Thing (La chose) de John Carpenter en 1982. Il est vidé de toute sa substance, de tout son rapport au réel. Celui de 1982 avait été compris par les cinéphiles, surtout après sa sortie en VHS, comme une allégorie du Sida, dans un contexte psychologisant recherché (quoi qu’on en pense par ailleurs).

John Carpenter avait d’ailleurs lui-même très bien critiqué la niaiserie de beaucoup des productions des années 1980 dans l’excellent They Lives (Invasion Los Angeles), en 1988. Il faut penser ici à cette fameuse scène de bagarre interminable, qui était d’une grande subtilité. En 2019, les scénaristes de Stranger Things n’ont toujours pas compris ce que leur a dit John Carpenter il y a 30 ans et resservent ces bagarres et ces monstres au premier degré.

L’industrie du divertissement n’est en fait plus capable de rien, tellement elle a asséché la culture populaire. Elle n’a presque plus rien à récupérer de contemporain, alors elle se regarde le nombril, glorifiant son âge d’or avec de prétendues références qui ne sont que des copies sans âme. Elle est d’ailleurs en retard sur la société elle-même, car la mode est aux années 1990 et plus aux années 1980…

Tout cela est tellement lisse que chacun peu y picorer ce qu’il veut. Les populistes s’imagineront que la mise en scène du centre-commercial Starcourt est une critique de la société de consommation alors que les plus aliénés se satisferont au contraire d’un bel hommage à une époque bénie.

Tout au plus a t-on le droit à un « féminisme » racoleur, qui bien sûr a une origine démocratique dans le contexte des années 1980, mais qui dans cette saison de Stranger Things n’est là que pour flatter les égo et coller aux « thèmes » actuels.

Le tout, bien sûr, est le prétexte à énormément de placement de produits et de marques, avec ensuite un grand nombres de produits dérivés vendus à l’issue de la série. Ces produits ne sont en fait même pas vraiment « dérivés » puisqu’ils sont mis en place dès le début, dans le cadre d’une stratégie commerciale ultra-rodée.

Maintenant que le filon est lancé, on aura sûrement plusieurs saisons, qui battront probablement des records de médiocrité comme le laisse suggérer cet abominable teasing d’après le générique de fin de la saison…

Quel immense gâchis, se dit-on alors ! Le capitalisme, agonisant, se regarde lui-même en pourrissant sur-place, tellement il n’a plus rien de positif à apporter au monde. Les capacités de production culturelles sont pourtant immenses, comme le montre la qualité des décors de Stranger Things. Le problème est en fait que le niveau culturel général de la population n’a jamais été aussi élevé, mais qu’il est en même-temps d’une très grande faiblesse.

Quantitativement, beaucoup plus de gens ont un niveau culturel et des exigences culturelles, mais celles-ci sont bien plus faibles que celles de la bourgeoisie quand elle était presque la seule à posséder la culture (avec ce qui restait de l’aristocratie n’ayant pas encore sombré totalement dans la décadence).

> Lire également : Le succès de la série “Stranger Things”

Cela forme aujourd’hui une contradiction tellement grande, tellement explosive, qu’à un moment cela va finir pas exploser, justement ! Quand la jeunesse adolescente décidera qu’il est hors de question qu’on lui serve des produits culturels aussi vides et niais que Stranger Things saison 3, cela va faire des ravages !

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Politique

La Gauche américaine se relance en parlant « working class » sur Netflix

À l’occasion du premier mai, Netflix a sorti un documentaire présentant l’arrivée en politique de quatre femmes américaines très à Gauche, dont la figure new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez, plus jeune élue de l’histoire du Congrès. Intitulé Knock Down The House, il est traduit en français sous le nom de Cap sur le Congrès.

Le documentaire montre la campagne électorale de quatre femmes ayant brigué l’investiture démocrate pour le Congrès dans leur circonscription en vue des élections de mi-mandat à l’automne dernier. Leur candidature s’opposait directement à des figures du Parti démocrate très ancrées, mais n’assumant plus les valeurs démocratiques fondamentales.

Ce qui s’est passé est très simple. Dans la foulée des succès obtenus par Bernie Sanders contre Hilary Clinton lors de la primaire démocrate en 2016, des organisations de la Gauche américaine sont allées puiser directement dans les classes populaires pour faire émerger de nouvelles figures. Il y avait la possibilité pour des novices de s’inscrire pour briguer l’investiture aux primaires démocrates dans diverses circonscriptions, afin de se présenter ensuite aux élections législatives.

Les gens des associations en question, Brand New Congress et Justice Democrats, sont montrés dans le documentaire comme des jeunes assumant l’engagement politique et voulant faire élire des travailleurs pour représenter le peuple, à la place de gens riches et déconnectés des préoccupations populaires, en lançant une grande vague démocratique.

Les quatre femmes présentées dans le documentaire de Rachel Lears y mènent leur première campagne et sont issues des classes populaires, avec des préoccupations se voulant ancrées dans le quotidien.

Amy Vilela ( image ci-dessus ), candidate dans le Nevada, milite notamment pour l’accès populaire à la santé. Le système américain est une véritable horreur pour les gens qui ne sont pas riches – sa propre fille est morte de ne pas avoir été prise en charge en raison d’un défaut d’assurance.

Cori Bush ( image ci-dessous ), candidate dans le Missouri, habite tout près de Ferguson, là où le jeune noir Michael Brown avait été tué par la Police – elle a elle-même aidée les jeunes émeutiers, en proposant des soins médicaux, car elle est infirmière et souhaitait que justice soit faite.

Paula Jean Swearengin ( image ci-dessous ) de Virginie de l’Ouest s’inscrit pour sa part directement dans la tradition de la classe ouvrière et mène un combat pour la reconnaissance des maladies liées aux mines. Fille d’une famille de mineurs depuis plusieurs générations, elle porte la dignité et la révolte des habitants de sa région, l’une des plus pauvres du pays dont elle dit qu’on pense avec mépris que les gens n’y ont ni dents, ni chaussure, ni cerveau.

Sur des images très jolies et très denses, on l’entend expliquer de manière saisissante comment la classe ouvrière est le « dommage collatéral » de la société, mais que cela va changer.

Elle puise directement dans la combativité historique de la classe ouvrière locale, en rappelant les grands combats des mineurs.

Alexandria Ocasio-Cortez ( image ci-dessous ) est quant à elle la figure de proue du documentaire, et de l’initiative démocrate elle-même. Le succès de sa campagne puis son investiture ont été très suivis dans les couches intellectuelles du pays. Il y a donc un grand intérêt pour connaître ses débuts et c’est pour cela que Netflix a dépensé 10 millions de dollars pour les droits du reportage, ce qui est une somme très élevée pour un tel sujet.

On la voit dès ses débuts, lors de la réunion de sélection des candidats par les associations, puis dans son petit appartement du Bronx et à son travail dans un bar l’année dernière. Membre du Democratic Socialists of America, une scission de Gauche du Parti socialiste d’Amérique, elle assume un discours social-démocrate très appuyé :

« On se présente contre un candidat qui a reçu trois millions de dollars par an de Wall Street, de sociétés immobilières et pharmaceutiques. On doit avoir le courage de défendre les travailleurs et de lutter contre les intérêts des grandes entreprises. »

C’est qu’une partie de la Gauche américaine a saisie que la question du travail était centrale, traumatisée qu’elle est par la victoire de Donald Trump ayant justement fait la différence grâce au vote ouvrier.

Il est donc beaucoup question de la « working class », que l’ont traduit souvent par « classe ouvrière » mais qui a un sens plus générique, évoquant plutôt les travailleurs salariés dans leur ensemble, la classe laborieuse : « On nous appelle la classe ouvrière, car nous travaillons non-stop », dit Alexandria Ocasio-Cortez.

Elle est devenue en quelques mois une figure populaire new-yorkaise et nationale, apportant une grande fraîcheur en même temps qu’une véritable vigueur politique. Sa réussite a été d’assumer un discours très à Gauche tout en étant profondément ancrée dans la réalité populaire locale, bénéficiant alors de la vigueur de la société civile américaine et de sa grande culture démocratique.

Il ne s’agirait pas en France de recopier son style abstraitement, comme l’a fait le candidat Ian Brossat du PCF aux Européennes en recopiant littéralement son affiche de campagne, ce qui relève ni plus ni moins que de l’escroquerie politique. Son parcours doit néanmoins être connu car c’est un marqueur politique évident pour les générations de Gauche à venir.

Le documentaire est lui-même très intéressant, car provenant de l’intérieur, tout en ne commettant pas l’erreur de focaliser uniquement sur la réussite d’Alexandria Ocasio-Cortez. Ce sont des femmes très calmes, organisées, qui sont montrées en train de mener un travail de fond, long et fastidieux. Ce qui est mis en avant n’est pas la gloire et la réussite personnelle, mais un combat de longue haleine, presque aride, avec sur les images souvent très peu de monde autour des candidates.

Comme en Europe, la Gauche américaine s’est depuis longtemps effacée au profit d’opportunistes assumant le libéralisme et un style bourgeois, totalement déconnectés des classes populaires. Il y a maintenant un retour de bâton venant de la base, qui exprime le besoin d’un retour aux fondamentaux de Gauche et de ses valeurs liées au mouvement ouvrier.