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Liverpool FC x Nike: «Tell us never»

Le peuple dit qu’il peut tout changer, car lui seul est en mesure de le faire. La vidéo de Nike pour/avec le club de football de Liverpool reflète un changement d’époque : le peuple s’impose, partout.

Il y avait le « yes we can » de Barack Obama, qui était un idéalisme américain tout à fait caricatural. Le « Tell us never » de Nike dans sa collaboration avec le club de football de Liverpool est bien différent. On y voit en effet, en quelque sorte, la classe ouvrière dire qu’elle a un mode de vie qui lui est propre et qu’elle est capable d’apporter un débordement, un saut en qualité.

Dis : « jamais » [cela ne pourra être fait] et la réponse est : « C’est déjà fait ».
(tell us « never », it’s already done.)

https://www.youtube.com/watch?v=c4AimVVtoBQ

C’est là le reflet de la collision entre un capitalisme toujours plus de masse et la culture de masse. Le peuple s’impose à travers les interstices d’une consommation se voulant aliénante, mais obligée de coller à la réalité populaire. La contradiction est explosive et on lit déjà l’avenir, avec un peuple coloré dans son style et stylé dans ses couleurs.

De fait, il n’y a qu’à socialiser Nike et on a déjà une base solide. Le capitalisme touche vraiment à sa fin, il est déjà hors-jeu.

Il suffit d’ailleurs de comparer cette vidéo de très haut niveau à la campagne d’affiches délirante, d’une esthétique très fasciste, que Nike avait réalisé en 1998 lors de la coupe du monde de football en France, avec sa « république populaire du football ». La Mairie de Paris avait d’ailleurs interdit ces affiches faisant la promotion du Nike Park établi sur le Parvis de la Défense (Adidas étant également le sponsor de la coupe du monde, cela a dû joué).

Il est évident, cependant, qu’une telle vidéo s’appuie sur la particularité du club de Liverpool, qui assume directement sa dimension populaire. Paradoxalement, ce n’est pas forcément le cas de clubs éminemment populaires comme le Racing Club de Lens, par exemple, et ce même pour les organisations de supporters, qui ne jouent pas au sens strict de manière ouverte sur cette dimension.

On a une démarche localiste de soutien, mais cela ne s’élève pas à une dimension populaire, ouvrière, alors que dans le fond c’est pourtant évident. On a là un refus de faire de la politique, en quelque sorte, même indirectement. Il y a bien entendu l’erreur inverse, avec d’autres clubs se voulant de gauche de manière assumée, de manière forcée et donc folklorique (l’AS Livorno en Italie, Hapoel Tel Aviv, Sankt-Pauli à Hambourg, etc.).

Rares sont les clubs se revendiquant de la classe ouvrière en tant que telle, en se fondant sur une réelle tradition. Cela se lit dans les détails ; sur le site de Schalke 04, par exemple, au lieu de « bonjour », on a l’expression des mineurs : « Glück auf ! » (soit « à la chance »). On a également le symbole des mineurs sur les annonces des prochaines rencontres.

Et de manière encore plus intelligente, sur le logo de son magasin en ligne, le caddie est remplacé… par une berline de mine. Subtile, fin, populaire !

Le sweat shirt « Love your hood » (soit en anglais « aime là d’où tu viens ») est pareillement une affirmation de l’identité ouvrière (et en promo ici à trente euros).

Le club de l’Union de Berlin s’assume pareillement ouvrier (Nous de l’Est nous allons toujours de l’avant / Épaule contre épaule pour l’Union de fer / Durs sont les temps et dure est l’équipe / Aussi gagnons avec l’Union de fer (…) Qui ne se laisse pas acheter par l’Ouest ? / Union de fer, Union de fer). Mais c’est surtout le Rapid de Vienne qui se pose dans cette perspective avec le plus de netteté, avec une définition officielle comme un « club ouvrier », le club appartenant indirectement au Parti socialiste avec même un contrôle de l’identité du club par les ultras.

On voit ici évidemment comment la Gauche historique est capable d’insuffler des véritables valeurs, parce qu’elle se situe dans un prolongement. La démarche de Liverpool FC repose ainsi clairement sur les fondements de la Gauche historique, en l’occurrence du Labour Party britannique en général et de son identité locale en particulier. Cela a ses limites, mais c’est vrai, c’est authentique et c’est donc cent fois plus radical que les revendications folkloriques « de gauche », qui sont décalées de tout contenu populaire et ne satisfont que des petits-bourgeois en mal d’aventure identitaire.

Le peuple n’aime pas parader, il aime la vérité, il manifeste.

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Société

Nike x Mbappé x Bondy

Kylian Mbappé a commencé sa carrière sportive à l’AS Bondy Football et c’est un prétexte employé pour une « collab » entre lui et Nike. Les habits de la série « Bondy Dreams » – en anglais, pour souligner le côté rêve américain – sont ainsi en vert comme les couleurs de l’AS Bondy, et il y a même inscrit 93 comme le département ! La mairie, de gauche, est ravie. C’est toujours une joie de se vendre aux multinationales, après tout qu’est-ce que les pauvres peuvent trouver de mieux, n’est-ce pas ?

« Bondy est toujours dans mon cœur, c’est là que j’ai trouvé et que je suis tombé amoureux du football. Cet endroit m’a aidé à me façonner en tant que personne et en tant que joueur. J’ai beaucoup de raisons d’être reconnaissant et il est spécial que Bondy soit au centre de cette collection. A l’époque, j’avais mes héros et beaucoup d’entre eux avaient leur propre paire de Nike en édition spéciale, alors les rejoindre maintenant pour avoir la mienne est un rêve devenu réalité. »

Ces propos de Kylian Mbappé sont beaux comme du marketing. Cela tombe bien, cela en est. Il est essentiel pour un homme-sandwich de se présenter comme authentique, proche du peuple, sensible, etc. Cela fait vendre. Le charity-business est un excellent investissement.

Et qu’y a-t-il de mieux que d’utiliser 130 enfants de Bondy pour présenter des vêtements de Nike ? Encore mieux si c’est au Stade de France. C’est important il faut donner du rêve. Avoir l’air crédible, pour vendre ! Vendre des chaussures de football Nike Mercurial Superfly 7 Elite SE FG à 290 euros… un ballon de football Nike Airlock Street X Bondy à 40 euros (10 euros de plus que le ballon Adidas de la Champions League 2019 !)… mais aussi un tee-shirt, une banane, une casquette, un maillot « Nike F.C. ».

Il ne faut d’ailleurs pas oublier d’être racoleur en mode identitaire. Le consommateur aime être réduit à son identité. Alors sur le site de Nike à la page Bondy dreams, on a la photo de Kylian Mbappé et de douze jeunes, tous issus de l’immigration. Le racisme inversé en mode identitaire, en mode rêve américain, c’est bon pour les affaires !

Suffisant ? Ah, si, il y a quelque chose qu’on peut rajouter. C’est d’avoir une mairie « de gauche » avec soi. C’est très important pour avoir l’air crédible. Sylvine Thomassin, qui dirige la mairie de Bondy, a tenu des propos parfaits pour cette mise en perspective, dans Le Parisien.

Ses propos sont une magnifique mise en scène. Quelle actrice !

« Je suis une fille de gauche et pas forcément fana des grandes multinationales commerciales mais je ressens aussi énormément de fierté, bien sûr. Cela m’a permis de savoir que le nom des villes ne peut pas être déposé. Nike peut tout à fait s’approprier le nom de Bondy sans qu’un centime ne revienne à la ville.

Bon, ils ont fait un petit geste. Ils ont au moins repeint les vestiaires du stade Léo Lagrange et offert un mini-bus pour la section foot de l’AS Bondy. Cette nouvelle marque est très belle. Les couleurs et le graphisme reprennent ce que Nike avait fait en 2017 quand Kylian leur avait demandé d’offrir un city-stade à la ville. Tout est élégant ! Je ne sais à quel prix seront les chaussures. J’espère que les Bondynois pourront les acheter.

[On va encore parler de la ville de Bondy !]

C’est cela que j’en retire surtout. La fierté et le bonheur dans les yeux de nos enfants et nos jeunes. Cela dépasse le reste (…). On n’aura pas que des Kylian à Bondy mais il montre le chemin à beaucoup de jeunes. Ce sera un homme bien toute sa vie (…). Une fresque est prévue pour le lancement de sa marque au bâtiment de la rue Jules Guesde. »

Jules Guesde, l’un des premiers organisateurs du mouvement ouvrier socialiste ! Mais notons finalement que Sylvine Thomassin raconte n’importe quoi sur la protection des nom des collectivité territoriales. Dès qu’une entreprise veut déposer un nom contenant une référence à une collectivité, cette dernière est alertée au préalable et peut s’y opposer.

Elle pense peut-être que comme c’est Nike, c’est le Far West ? Il suffisait de faire obstruction en disant que cela présente les choses comme une association de fait entre Bondy et Nike, d’ailleurs la « collab » se présente comme Nike x Mbappé x Bondy ! Il aurait également pu être argumenté, même si c’est oiseux, que les produits ne sont pas fabriqués à Bondy.

Il aurait pu être dit que le choix de la couleur verte témoigne même de la mauvaise foi de Nike, qui cherche à se présenter comme relevant de Bondy, mais il n’y a pas de rapport avec le club de l’AS Bondy, etc.

Bref, il aurait été possible de se battre avec la multinationale. Sauf évidemment, quand on ne veut pas, car le sens de la vie serait de propager le « rêve américain » dans les couches populaires…