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Appel de 50 députés de gauche en faveur du droit fondamental à l’IVG

Cinquante députés de gauche ont publié une tribune dans le Journal du Dimanche, demandant à ce que l’interruption volontaire de grossesse soit reconnu comme un droit fondamental. Cet appel se revendique de Simone Veil, pas de la Gauche historique. Et pour cause : l’avortement n’a jamais fait partie de ses fondamentaux.

On peut très bien reconnaître le droit à l’avortement et dire que c’est regrettable d’avorter, qu’il vaudrait mieux tout faire pour éviter. Encore est-il que cette position qu’on peut considérer comme raisonnable n’existe pas vraiment aujourd’hui, malheureusement.

Il n’y a en effet que deux camps : les religieux qui sont radicalement contre, les progressistes qui sont radicalement pour. Pour les uns, le fœtus est sacré dès le départ (en raison de son « âme »), pour les autres, tant qu’il n’est pas né il ne compte pas.

L’appel de 50 députés de gauche dans le Journal du Dimanche s’aligne entièrement sur ces « progressistes » dont Emmanuel Macron est le meilleur représentant. Il s’agit d’ailleurs pour l’appel d’être plus « progressiste » qu’Emmanuel Macron lui-même :

« Le président de la République a fait entrer Simone Veil au Panthéon le 1er juillet 2018, à juste titre. Aujourd’hui nous sommes cinquante députés issus de l’ensemble des groupes de la gauche parlementaire à lui répondre en déposant une proposition de loi constitutionnelle visant à ce que ‘nul ne puisse entraver le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse.’ »

Il faut en effet voir les choses telles qu’elles sont et comme l’appel doit le reconnaître lui-même, le combat pour le droit à l’avortement n’a pas été porté par la Gauche. Il est rappelé dans l’appel :

« Jusqu’en 1942, l’IVG était considérée comme un ‘crime contre l’État’ puni de la peine de mort. En 1971, ‘343 courageuses’ déposèrent un manifeste décisif pour l’évolution des mentalités de l’époque ; en 1975, la loi Veil consacra enfin le droit des femmes à disposer librement de leur corps. Et en 1979, seulement, l’interruption volontaire de grossesse fut formellement légalisée. »

Ce qui veut dire que le Front populaire n’a pas autorisé l’avortement, que le mouvement en faveur du droit à l’avortement est né par des femmes non organisées dans la Gauche politique, que c’est un gouvernement de Droite qui a autorisé l’avortement.

Ni la SFIO, ni le Parti socialiste ensuite, ni le Parti Communiste, n’ont soutenu le droit à l’avortement qui, après un bref intermède légal à la suite de la révolution russe, a été interdit en URSS.

On est libre de dire ici : la Gauche historique a oublié cette question ou bien il n’y a rien été compris, les droits des femmes avaient été oubliés, etc. Mais en ce cas on tient la même critique à l’égard de la Gauche historique que la « nouvelle gauche », la « seconde gauche », celle des années 1960-1970, avec notamment le PSU, la CFDT, etc. La Gauche historique aurait été « dépassée », elle aurait raté l’essentiel, elle n’aurait été qu’un dogmatisme ouvriériste, etc.

Et cette question du droit à l’avortement peut se décliner avec le droit au cannabis, le droit au suicide assisté, le droit à se faire des modifications corporelles significatives, le droit à la procréation médicalement assistée, etc. etc.

En clair, la « seconde gauche » dit que ce qui compte ce sont les droits individuels et que la Gauche historique, avec ses principes, est incapable d’aller en ce sens. Il ne s’agit même pas d’un débat matérialiste. Il ne s’agit pas de gens qui disent : le fœtus n’est pas encore suffisamment développé pour être une personne avant tant ou tant de semaines. Il s’agit de gens qui veulent supprimer la matière et faire triompher les choix individuels.

Il s’avère naturellement que le peuple en France a bien compris cela et qu’il n’en est pas partisan, qu’il préfère rester à l’écart de ce qui lui semble très problématique. D’où le fait que le droit à l’avortement soit trusté par les fanatiques religieux d’un côté, les ultras modernistes de l’autre.

Ce qui se passe aux États-Unis, où le droit à l’avortement est furieusement attaqué dans son intégralité par le très puissant courant réactionnaire, est un excellent exemple de comment le refus populaire de l’ultra-modernité libérale aboutit au soutien aux pires forces réactionnaires.

C’est à cette situation que nous précipite une Gauche déconnectée du réel, ne vivant que par le culte libéral des droits individuel, et permettant à la Droite et l’extrême-Droite de se présenter comme les garants de la civilisation.

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Politique

Les caractéristiques de la gauche post-industrielle, post-moderne, post-historique

La « nouvelle Gauche » qui s’est développée à partir des universités américaines a largement contribué au démanchement de la Gauche historique française. Posant des questions parfois pertinentes, ses réponses sont systématiquement la « déconstruction » et l’ultra-individualisme comme lecture du monde.

Michel Foucault

La société de consommation implique que tant qu’on n’a pas choisi, on est indépendant du reste. On choisit ce qu’on achète et ce qu’on n’achète pas, on choisit pour qui travaille et pour qui on ne travaille pas, avec qui on partage des éléments de sa vie ou pas, et tout est fixé par un contrat. La « nouvelle gauche » est le produit de cette société de consommation, dont elle a assimilé l’existence de bout en bout.

Elle raisonne ici en termes d’individus et prône l’élargissement maximal des possibilités pour l’individu de s’affirmer. Tout ce qui empêche cela doit être déconstruit. Pour la « nouvelle gauche », il n’y a donc plus de pays et de liens de l’individu avec lui, il n’y a plus non plus de données biologiques, comme le fait d’être homme ou femme, qui amèneraient l’individu à être par nature comme ci ou comme cela.

Il n’y a pas non plus de classes sociales. Il y a seulement des individus pauvres et des individus riches, les premiers connaissant des « injustices » en tant qu’individus. La société entière serait même traversée de préjugés, d’idées qui façonneraient les rapports sociaux. C’est le contraire du marxisme, pour qui les rapports sociaux donnent naissance aux idées, qu’elles reflètent.

Pour la « nouvelle gauche », farouchement opposé à tout déterminisme, il ne peut exister que des individus avec parfois des influences, mais jamais totalement décisives. C’est le libre-arbitre qui serait la substance de chaque individu, qui serait en mesure de choisir ce qu’il veut, comme il veut, d’avoir la capacité d’utiliser sa conscience en dominant tous les aspects de la réalité. L’individu serait tout-puissant.

Toute observation extérieure, toute remarque concernant un individu, serait un « truc de facho ». Chaque individu serait une micro-société, voire un micro-univers. Personne ne pourrait ni évaluer, ni juger un autre individu pour ses choix, qui seraient uniques. Chacun fabrique sa vie indépendamment des autres, ou au moyen de rapports bien choisis. Comme l’a dit Sarte, chacun consisterait en ses « choix ».

Le capitalisme propose justement les choix, mais cela la « nouvelle gauche » ne le voit pas. Elle ne peut plus le voir, car elle rejette les notions d’histoire, d’industrie, le pays comme cadre politique. Elle vit dans une « modernité » ayant dépassé tout cela, et même dans une « post-modernité ». L’impressionnisme avait déjà affirmé la modernité subjective contre le réalisme, la « nouvelle gauche » est elle même partisane de l’abstraction, de l’art contemporain, de la subjectivité la plus totale.

queer
« Cologne est colorée – La diversité au lieu de la simplicité »

L’individu serait donc au-dessus de tout, car le monde ne consisterait qu’en ses choix. Chacun serait un micro-monde façonné par ses choix : tel est l’idéal de la « nouvelle gauche », qui voit là un monde parfait. Pour elle, la société doit accorder le plus de droits et de possibilités à l’individu, pour qu’il vive de manière totalement indépendante.

Ce qui est faisable est donc possiblement à faire. Il n’y a plus de normes, tout est possible, surtout ce qui permet de s’affirmer individuellement, de « développer » son individualité, tel se prostituer, acheter des enfants à une mère porteuse, avorter à n’importe quel comment, « changer » de sexe, élever son enfant de manière « neutre » quant à son « genre », « aimer » plusieurs personnes en même temps, avoir des rapports sexuels avec autant de gens qu’on veut (y compris en même temps), prendre n’importe quelle drogue, etc.

L’individu n’est pas au-dessus des responsabilités, mais seules les responsabilités qu’il a choisies auraient un sens. Le reste serait une « construction », une « structure » oppressive pour l’individu. On retrouve ici la philosophie structuraliste née en France, qui exportée aux États-Unis a amené l’émergence de la philosophie de la « déconstruction ».

En France, c’est l’université de Paris 8 qui a alors servi de laboratoire à tout cela, puis de caisse de résonance. Elle a été fondé après mai 1968 à Vincennes en banlieue parisienne, pour rassembler les professeurs et les élèves correspondant aux exigences libérales-libertaires du moment. On y trouve notamment Michel Foucault et Gilles Deleuze, l’un « structuraliste », l’autre exprimant une ligne « désirante ». Après l’exportation des idées dans les universités américaines, Paris 8 a récupéré les idées pour les diffuser dans notre pays.

Cependant, c’est toute la couche sociale des étudiants de gauche, notamment en sciences humaines, qui a adopté la ligne de la « nouvelle Gauche ». Souvent leurs parents ont capitulé par rapport à leur engagement à Gauche, tout en gardant des espoirs, et la nouvelle génération a trouvé un nouveau terrain, plus conforme à leur mode de vie propre à la petite-bourgeoisie, résolument étrangère au peuple.

Il y a vraiment un parallèle strict entre la contamination de toute la Gauche par cette « nouvelle Gauche » et le triomphe du Front National dans les classes populaires lors des années 2000 ! C’est qu’aucun ouvrier, et encore moins un jeune ouvrier, ne peut ne serait-ce que saisir les thèses de la nouvelle gauche. C’est trop irrationnel, cela reflète trop un style de vie décadent propre aux villes d’une certaine taille, caractéristique d’une certaine oisiveté propre justement aux étudiants en sciences humaines.

Qui dans le peuple, de toutes façons, pourrait soutenir une « nouvelle Gauche » hostile à tout principe ? Quel ouvrier, quelle femme du peuple, quel employé pourrait dire : oui, supprimons tous les principes, faisons ce qu’on veut comme on veut ? C’est là simplement un rêve de bourgeois moderne, qui plein d’aisances, a envie d’être encore plus à l’aise, et de résumer sa vie à ses propres choix, dans la négation de toute collectivité, de toute société, de tout engagement, de tout devoir.