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Culture & esthétique

Triomphe bourgeois de l’exposition Van Gogh au musée d’Orsay

L’établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie – Valéry Giscard d’Estaing, plus connu sous le nom de musée d’Orsay, joue un rôle majeur dans le dispositif idéologique et culturel français. Il représente en effet le grand accompagnateur, celui qui présente de manière accompagnée la peinture du milieu du 19e siècle à 1914, en insistant de manière acharnée sur le rôle central de l’impressionnisme.

Autrement dit, c’est un lieu essentiel pour nier le réalisme, pour affirmer le subjectivisme, pour présenter l’individu et son égocentrisme comme inéluctable. Il n’y aura pas de révolution qui ne ferme le musée d’Orsay, et il n’y aura pas de révolution qui n’ait comme objectif de le fermer. Ou, plutôt, de le transformer, car le lieu, une ancienne gare, peut faire rêver.

Il est donc fort logique qu’il y ait un engouement bourgeois fondamental pour le musée d’Orsay et ses expositions. Celles-ci sont de véritables messes bourgeoises de masse. Celle qui fut le plus visitée depuis 1986, c’est Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les derniers mois, tenue du 3 octobre au 4 février 2024, avec 793 556 visiteurs.

Le catalogue de l’exposition, 45 euros

Suivent dans le classement deux autres expositions, consacrées à deux autres géants du subjectivisme : Un poème de vie, d’amour et de mort consacré à Edvard Munch en 2022, avec 724 414 visiteurs, et Bleu et rose consacré à Picasso en 2018, avec 670 667 visiteurs.

Ce sont là des chiffres très importants. En soi, ils ne représentent rien en termes de qualité, car Van Gogh, Munch et Picasso sont des tapisseries bourgeoisies. Ils ne jouent aucun rôle à aucun niveau sur le plan culturel, à part éventuellement Guernica en cours d’histoire au collège.

Mais en termes de quantité, les chiffres sont puissants. Ils valent largement les chiffres des manifestants syndicalistes, surtout que culturellement l’impact est plus marqué, davantage prolongé. Avec Van Gogh, Munch et Picasso, on présente l’art comme un accident individuel, un déraillement créatif à vocation subjectiviste.

Champ de blé aux corbeaux, peint par Van Gogh quelques jours avant de se suicider en juillet 1890

Si Van Gogh a la préséance, c’est bien en raison du cliché qu’il véhicule justement sur ce plan. On a un artiste tourmenté, mettant fin à ses jours, n’ayant jamais connu le succès de son vivant, etc. La bourgeoisie porte la disharmonie et elle ne peut pas concevoir l’art autrement que comme un délire, une chute, un acte gratuit visant la toute-puissance de l’ego.

L’exposition avait un but précis : présenter de manière artificielle les derniers mois de Van Gogh comme un aboutissement créatif, une synthèse sans commune mesure. Le subjectivisme et le nihilisme de Van Gogh se voient ici présentés comme de l’art pur. Christophe Leribault, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, résume de la manière suivante cette mystique bourgeoise décadente sur l’art.

« Cette exposition prouvait que, jusqu’à la fin, Van Gogh s’est réinventé et frayait de nouveaux chemins pour l’art : à Auvers, il trouve des sujets nouveaux, développe un style plus synthétique, compose sur des formats différents, continue à réveiller les couleurs du monde en inventant des accords inédits, toujours avec cette expressivité hallucinante qui fait qu’un Van Gogh ne ressemble qu’à du Van Gogh ! »

On a ici la clef du charlatanisme bourgeois. Chaque artiste serait « unique », chaque grand artiste atteindrait une dimension unique qui serait incomparable.

En réalité, ce que célèbre la bourgeoisie, ce sont des artistes décadents dont la sensibilité est incapable d’aller à l’universel. Ils agissent comme un filtre d’un produit de graphisme qui prendrait une représentation de la réalité pour la déformer dans un sens ou dans un autre, en appelant cela de la nouveauté artistique.

Van Gogh? Ce n’est qu’un massacreur de Rubens. Il suffit de regarder des tableaux de Van Gogh, de regarder ensuite des tableaux de Rubens, de revenir à Van Gogh, et même sans être un expert en art, on voit comment Van Gogh n’est que du Rubens déformé, du Rubens sans la vigueur, du Rubens sans la technique, du Rubens sans la synthèse sur le plan de la composition.

L’Église d’Auvers-sur-Oise, peint par Van Gogh en juillet 1890
Rubens, Deborah Kip et ses enfants, 1630
Van Gogh, Autoportrait à l’oreille bandée, 1889
Rubens, Portrait équestre du Duc de Lerme, 1603

Il est tout à fait juste de ne voir en Van Gogh rien d’autre qu’un tenant de l’impressionnisme, dans une version simpliste-coloriste :

« Au sens strict, pour définir les choses de manière la plus nette, il faut résumer la peinture de Vincent Van Gogh comme de la gravure amenée à la peinture et dégradée en illustration de carte postale.

Vincent Van Gogh dévie littéralement toute une tradition germanique puis néerlandaise, avec un sens complexe de l’organisation du tableau, de la disposition des formes en mouvement, pour tout réduire à l’extrême. Vincent Van Gogh est une insulte à toute la tradition de la peinture flamande, dont il se veut évidemment le dépassement.

Vincent Van Gogh inaugure le colorisme, ce principe d’avoir quelques formes qu’on peut s’évertuer à remplir de couleur, pour se vider l’esprit.

C’est du crayonnage, comme plaisir personnel, avec un choix de couleur pour faire passer une impression. Cela peut être plaisant, on peut apprécier un aspect agréable dans une telle peinture ; ce n’en est pas de l’art par autant, ni même d’ailleurs de la décoration ou tout autre art appliqué.

C’est une fuite dans une démarche psychologisante formant une fin en soi.

La peinture de Vincent Van Gogh a une dimension accessible qui forme un piège terrible : une bourgeoisie pétrie d’oisiveté se complaît dans son moi, tout comme elle sera fascinée justement par la psychanalyse. Les peintures simplistes-coloristes de Vincent Van Gogh apparaissent alors comme de la culture, alors qu’ils sont une production idéologique relevant d’une classe improductive.

On peut d’ailleurs considérer que le néo-impressionnisme simpliste-coloriste de Vincent Van Gogh, c’est le cézannisme accompli. Là où Paul Cézanne considérait quelque chose manquait, car il était encore lié à l’Histoire de l’art au moins symboliquement, Vincent Van Gogh parvient à plonger dans le subjectivisme comme en fin en soi.

En cela, son style préfigure directement Pablo Picasso, même si pour la forme ce dernier relève au sens strict du cézannisme géométrique, sans la charge impressionniste renforcée comme chez Vincent Van Gogh.

Vincent Van Gogh est si fascinant pour la bourgeoisie, comme Claude Monet, car il est pareillement plaisant et complaisant.

C’est un monde sans profondeur et, d’ailleurs, ce qui est marquant, c’est que cette lecture idyllique-fragile du monde, même illusoire et purement esthétisante-psychologique, ne pourra pas être reproduit.

La bourgeoisie entrera dans une telle décadence que le sordide prévaudra, avec une incapacité de représenter quoi que ce soit.

Vincent Van Gogh est le symbole d’une nostalgie, celle de la Belle époque, d’une bourgeoisie installée et s’installant, d’un confort réel et rêvé, d’un maintien sans fin dans une aise aussi ouatée que les peintures impressionnistes et néo-impressionnistes. »

Le néo-impressionnisme simpliste-coloriste de Vincent Van Gogh

Van Gogh est un drapeau bourgeois, il est un outil idéologique, et non un grand artiste. Et sa célébration par le musée d’Orsay et par 800 000 visiteurs relève d’un dispositif bourgeois – contre le réalisme, contre la réalité, contre la Nature.

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Écologie

Adidas et l’Ajax Amsterdam mettent des oiseaux en cage

Il ne suffit pas d’avoir l’air moderne, il faut l’être vraiment.

Depuis 20 ans, la marque Adidas est l’équipementier de l’Ajax, le fameux club de football d’Amsterdam. Cette saison, il a été décidé de marquer le coup en proposant un maillot dédié à Bob Marley.

C’est plutôt bien vu a priori, d’autant plus que cela ne tombe pas du ciel puisqu’il y a toute une tradition (bien que récente) derrière ce choix. Un très grand soin a donc été apporté à la réalisation d’un clip de promotion. C’est aérien, c’est moderne, cela donne envie… Mais le clip se finit sur l’image de trois oiseaux en cage, ce qui gâche littéralement tout.

Mettre des oiseaux dans une cage, c’est ni plus ni moins que de la maltraitance animale. C’est une véritable torture et on se demande pourquoi en 2021 cela n’est pas strictement interdit. D’autant plus dans un clip de promotion commercial se voulant moderne, avec des valeurs censées être positives, universelles, etc.

Il faut rappeler ici que l’Ajax Amsterdam est un club de football à l’identité très forte, tant de part son jeu que par l’attitude de ses supporters. Ils sont connus pour mettre en avant une identité juive et cosmopolite-urbaine, directement liée au traumatisme de l’holocauste. Une partie importante des habitants de la ville étaient juifs et ont été exterminés par les nazis.

Aujourd’hui encore, les supporters ultra de l’Ajax se surnomment eux-mêmes « joden » (juifs) et mettent en avant des symboles liés au judaïsme, alors qu’au contraire des hooligans d’autre clubs assument un antisémitisme provocateur des plus abjects, jusqu’à imiter le bruit de chambres à gaz…

Ce n’est donc pas pour rien que les supporters du club se sont finalement trouvé une affection collective pour Bob Marley et sa chanson « Three little birds », qui est un hymne universel et pacifiste bien connu (avec son fameux refrain « Don’t worry about a thing, ‘Cause every little thing gonna be all right »).

Cela part d’une anecdote en 2008 lors d’un match amical à l’extérieur contre le Cardiff City FC aux Pays de Galles. Le DJ gallois Ali Yassine avait pour mission de faire patienter les supporters ajacides et il a joué cette fameuse chanson, qui fut immédiatement reprise en cœur.

Plus tard, il expliquera :

« J’avais l’habitude de jouer de la guitare dans un groupe de reggae et j’ai toujours trouvé que l’Ajax était un beau club. L’une des raisons [au fait d’avoir joué « three little birds »] est l’amour qu’Amsterdam a pour le reggae, mais aussi à cause du football total. Une fois que j’ai su que nous jouerions un match amical contre l’Ajax, j’ai décidé de jouer du reggae autant que possible. »

Depuis, la chanson est jouée à la mi-temps des matchs à la Johan Cruyff Arena, le stade de l’Ajax. Il y a même eu en 2018 un fils de l’artiste jamaïcain, Ky-Mani Marley, qui est venu chanter avec tout le stade lors d’un match.

On notera également que Robert Nesta Marley était lui-même un grand amateur de football. Par exemple, à l’occasion d’un concert à Nantes en 1980, il était venu rencontrer les joueurs du FC Nantes à l’entraînement, le club étant à l’époque très réputé.

Tout cela pour dire que l’Ajax d’Amsterdam et la marque Adidas passent ici vraiment à côté de quelque chose en mettant trois oiseaux en cage dans le clip. Cela n’a d’ailleurs aucun rapport avec la chanson, qui parlent de trois oiseaux volant à la fenêtre le matin pour chanter un message positif. Il ne s’agit évidemment pas d’oiseaux en cage.

Les anecdotes sont d’ailleurs nombreuses à ce sujet. Certains prétendent que Bob Marley avait l’habitude de voir trois canaris se poser et chanter à la fenêtre de sa maison à Hope Road. D’autres disent que c’est une référence à I Threes, (« je suis trois »), un groupe féminin (dont la femme de Bob Marley) qui chantait les chœurs de ses premières chansons. D’autres encore prétendent qu’il s’agit d’une référence religieuse avec le soleil levant représentant Dieu et les trois oiseaux représentant la Sainte trinité (le père, le fils et le saint esprit).

On peut également regarder le clip original de la chanson, qui montre un loup voulant manger un cochon, mais qui finalement devient ami avec lui, alors que trois oiseaux, bien évidement libres, viennent chanter à plusieurs reprises.

À aucun moment il n’est donc question d’oiseaux en cage ; le clip promotionnel d’Adidas et de l’Ajax est ici une très grosse erreur, en plus d’être une faute morale vis à vis des animaux. C’est une faute d’autant plus absurde que cela ne colle pas avec le dessin sur le maillot, très bien vu, où l’ont voit justement trois oiseaux posés sur chacun des trois « x » représentatifs d’Amsterdam.

À notre époque, la question animale est absolument incontournable. On ne peut plus mettre les animaux de côté si l’on a une vocation pacifiste, universaliste, positive. Voir trois oiseaux dans une cage lors d’un hommage à Bob Marley est donc aussi cruel que ringard. C’est en dehors du temps. Et c’est un symbole de toute la limite que le capitalisme impose aux avancées historiques nécessaires.

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Société

Noa Pothoven, un assassinat maquillé en suicide

C’est une affaire bouleversante, dont la portée ne peut pas être sous-estimée. Noa Pothoven s’est suicidée aux Pays-Bas, mais cela a été annoncé sur Instagram et avec l’accord des médecins. Cela s’appelle un meurtre et c’est un exemple de plus de comment le capitalisme va dans le sens de la suppression des « inutiles », faisant de la vie une marchandise comme une autre.

La Gauche historique considère que l’être humain relève de l’humanité, celle-ci de la Nature, et la vie ne procède jamais à sa propre suppression. Cela rentre en conflit ouvert avec le capitalisme qui dit que les êtres humains sont des individus dont la liberté de choix serait totale. Partant de là, le suicide relèverait du libre-arbitre.

C’est pourquoi la médecine a, aux Pays-Bas, accepté de laisser Noa Pothoven aller au suicide. Elle avait décidé de cesser de s’alimenter et de s’hydrater, à la suite d’un stress post-traumatique et d’anorexie consécutif à trois viols subis à 11, 12 et 14 ans. Elle est donc morte à Arnhem, chez ses parents, dans un lit d’hôpital placé dans le salon, supervisé par une clinique de fin de vie.

Les médecins néerlandais se dédouanent en disant que ce n’est pas une euthanasie, ni un suicide assisté, car ils ne sont pas intervenus pour faire en sorte qu’elle meurt. Ils contournent ici la question du « caractère insupportable des souffrances du patient » nécessaire pour l’accompagnement dans la mort. Sauf qu’en pratique ils ont laissé quelqu’un capituler et mourir.

C’est absolument inacceptable. Et ça l’est d’autant plus que Noa Pothoven a annoncé sa décision sur instagram, où elle postait régulièrement. On est là dans le spectacle morbide propre au capitalisme, dans la lignée de la série Netflix 13 Reasons Why qui a mis en scène le suicide en en faisant un « choix ». C’est la faillite de l’humanité sur toute la ligne.

Le capitalisme a réussi à faire en sorte que les choix individuels deviennent des marchandises comme des autres, obtenant une reconnaissance sociale totale. Mais de quels choix parle-t-on d’ailleurs ? En réalité, tout est déterminé. Ce qu’on fait est le produit de la société, il n’y a pas d’individus « libres ».

D’ailleurs, Noa Pothoven avait par ailleurs également publié un livre au sujet de son parcours, de ce qu’elle appelait son « combat ». On est là dans un positionnement identitaire. Sa souffrance était réelle, mais passant par le prisme des médias, elle prenait une ampleur aliénée d’autant plus forte, ne pouvant que nourrir encore plus sa tendance à l’auto-destruction.

C’est la société capitaliste qui a tué Noa Pothoven, après s’être délectée de sa souffrance réduite à un parcours individuel unique. Le choix de Noa Pothoven n’a été que le prolongement conséquent de l’individualisme forcené établi comme unique horizon.

Il est justement ici bien connu que l’anorexie, comme expression d’une souffrance personnelle, est l’apanage de jeunes filles de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie. Incapables, malheureusement, de saisir la nature sociale (et naturelle) de leur mal-être extrêmement profond, ces jeunes filles expriment leur désarroi en se mutilant, en cherchant l’auto-destruction comme moyen d’expression.

C’est précisément ce qu’on a avec Noa Pothoven et vue comment la société est en train de tourner, de tels phénomènes ne peuvent qu’empirer. D’où la volonté du capitalisme de légaliser les suicides assistés pour quiconque considère « souffrir de manière insupportable ». C’est un effacement de toute question sociale et naturelle, pour tout focaliser sur l’individu, ses choix, son parcours unique, son ressenti unique, etc.

Une telle société va droit dans le mur. Et vue comment la Gauche est pourrie par le post-modernisme et son individualisme, non seulement on va aller dans le mur, mais en plus on aura l’extrême-droite qui elle va prétendre s’opposer à tout cela au moyen du conservatisme. Alors qu’on a besoin vite fait du Socialisme pour sauver les gens de leur souffrance, pour trouver des points d’appuis positifs, par la nature, le travail, la culture.