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CGT: Lettre ouverte de Philippe Martinez au président de la République

Voici la lettre ouverte adressée au président de la République par Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT :

Monsieur le Président de la République, Monsieur Emmanuel MACRON,

La crise sanitaire du Covid-19 ne faiblit pas. La pandémie du nouveau coronavirus a déjà fait des dizaines de milliers de morts dans le monde depuis son apparition en décembre en Chine. Près de 800 000 cas d’infection ont été officiellement diagnostiqués dans 188 pays et territoires depuis le début de l’épidémie. L’épicentre s’est concentré sur l’Europe.

Notre pays est particulièrement touché et le nombre de personnes contaminées ne cesse de s’accentuer. Beaucoup d’hôpitaux sont désormais submergés par l’arrivée de nouveaux malades nécessitant des soins intensifs et longs. L’ensemble des personnels soignants ainsi que ceux des secteurs du soin à domicile, dans les maisons de retraite font face, attachés à leur mission de service public, mais force est de constater que leurs conditions d’exercice pose question. En effet, les commandes de masques, de matériel médical, voire de médicaments ou les tests annoncés par votre gouvernement tardent à se concrétiser.

Face à cette situation d’urgence, nous souhaitons vous rappeler les mesures indispensables à prendre le plus rapidement possible.

La priorité de votre gouvernement doit être, avant tout, de garantir la stricte protection de tous les salariés qui, assurant des activités essentielles dans le secteur public et privé, doivent continuer à travailler. Ainsi, il est de votre responsabilité de veiller à ce que tout salarié puisse exercer son droit de retrait en l’absence de protection ou face à un danger grave et imminent. C’est d’ailleurs le sens du préavis de grève dans les services publics, afin de protéger les personnels travaillant dans des collectivités où les règles ne sont pas appliquées, tout comme dans les autres secteurs. D’autre part, les codes de bonnes pratiques même unanimes, sont remis en cause ou restreints par les ministères comme c’est le cas dans le BTP.

De nombreux salariés sont déjà contaminés, malades voire décédés parce qu’exposés au virus sur leur lieu de travail. Cela pose, dès maintenant, la question de la réparation et ainsi du classement automatique en maladie professionnelle pour les soignants, bien entendu, mais aussi pour tous les travailleurs.

En parallèle, il est maintenant tout à fait urgent de procéder à la définition des activités essentielles et à la fermeture immédiate de celles ne contribuant pas aux besoins vitaux.

Nous voulons d’ailleurs vous réaffirmer notre opposition aux mesures dérogatoires au Code du travail dans les domaines du temps de travail. L’ordonnance prévoyait qu’un décret viendrait préciser les secteurs dans lesquels elle s’appliquerait. À ce jour, aucun décret n’est paru, nous considérons donc qu’aucune dérogation ne peut s’appliquer. L’abrogation immédiate de ces ordonnances qui organisent de manière scandaleuse la déréglementation du travail est ainsi à l’ordre du jour.

Le confinement reste selon les experts scientifiques ou les médecins, le moyen le plus efficace pour lutter contre le Covid-19. L’arrêt des activités non essentielles comme cela vient d’être fait en Italie ou en Espagne permettrait par ailleurs de libérer des protections comme des masques et gants pour ceux qui en ont besoin. À noter le communiqué de l’Amuf (médecins urgentistes) qui va dans ce sens. Par contre, l’évolution de la production pour produire des protections et la reprise d’activité pour des entreprises fermées, comme Luxfer pour la production de bouteilles à oxygène, ou menacées, comme la papeterie de la Chapelle Darblay pour la production de masques, par un financement public est essentiel. Votre ministre de l’Économie a bien parlé de possibles nationalisations.

Nous avons défini une liste d’activités essentielles et nous sommes disponibles pour en discuter avec le gouvernement.

Face à cette pandémie mondiale, nous réitérons notre demande que vous déclariez l’état de catastrophe sanitaire afin de mettre à contribution, par exemple, les assurances et permettre le paiement du chômage partiel à 100 %.

La situation que nous vivons exige que l’ensemble des entreprises contribuent à la solidarité de la Nation, c’est pourquoi vous devez imposer pour toutes, la suppression des dividendes aux actionnaires. Pour le moment votre ministre de l’Économie s’est contenté d’une simple déclaration pour demander aux entreprises qui reçoivent des aides publiques de ne pas verser de dividendes. Nous avons l’expérience de la crise financière de 2008 et cela n’a pas fonctionné, c’est très insuffisant ! Il n’est pas utile de vous rappeler, que récemment encore, les sociétés du CAC 40 s’apprêtaient à verser à leurs actionnaires 54,3 milliards d’euros, soit 5,9 % de plus qu’en 2019. Vous conviendrez que cela constitue un record historique. C’est avant tout une question de décence, de justice et de solidarité nationale !

Il va sans dire qu’un contrôle des aides publiques aux entreprises doit être garanti et une attention particulière doit être portée aux conséquences en matière d’emploi qui pourraient toucher les salariés notamment dans les petites et moyennes entreprises, les secteurs de l’économie sociale et solidaire et plus largement dans tous les secteurs d’activités et cela en lien avec les organisations syndicales représentatives.

Vous devez prendre, dans la période, une mesure d’interdiction de tous les licenciements pour quelques motifs que ce soient et la suspension immédiate de tous les PSE ou plans de restructuration d’entreprise.

Vous devez porter une attention particulière sur la situation des plus fragiles et ainsi prendre des décisions immédiates en direction des chômeurs, travailleurs précaires, intérimaires ou saisonniers, travailleurs des plateformes (…) et prendre des mesures de protection sociale étendues.

En cette période, les salariés ont plus que jamais besoin de leur syndicat à leurs côtés, c’est pourquoi nous tenons à vous rappeler l’engagement pris par votre ministre de l’Intérieur, d’élaborer une autorisation spécifique et nationale pour permettre à tous les élus et mandatés de circuler librement et d’intervenir dans les entreprises ou les services. Cette promesse n’est, à ce jour, encore une fois pas honorée.

Les travailleurs paient un lourd tribut y compris financièrement dans cette crise sanitaire. Beaucoup de voix s’élèvent fortement pour dire que nombre de métiers en première ligne, que ce soit dans l’agroalimentaire, le commerce, l’aide à la personne, les soins ou le médicosocial, les services de ramassage des déchets (…) ne sont pas payés correctement et reconnus dans leur travail, alors que ce sont bien eux les « premiers de cordée ». Beaucoup découvrent leur bulletin de salaire avec des pertes de rémunération substantielles, notamment liées à la disparition des parts variables de rémunération (primes diverses, calcul à partir des forfaits jour, etc.). C’est donc de votre responsabilité de demander à votre ministre du Travail de procéder à une augmentation immédiate du SMIC qui devra se répercuter sur l’échelle des salaires. L’augmentation significative du point d’indice dans la fonction publique doit être un engagement de votre gouvernement.

Nous exigeons également, au-delà d’un paiement à 100 % du chômage partiel, le maintien des cotisations sociales, permettant l’accès de tous à la protection sociale complémentaire (santé et prévoyance).

Enfin, le monde est totalement bouleversé par cette crise et rien ne sera plus comme avant quand nous en serons sortis. Gouverner c’est prévoir et votre gestion de la pandémie n’en a pas fait une démonstration convaincante. Il y a donc un besoin urgent de faire avec les organisations syndicales, un bilan sur les changements radicaux de politique à opérer dans de nombreux domaines économiques et sociaux.

La CGT porte des propositions pour transformer cette société autour de valeurs de progrès social, de solidarité et de sécurité, tant professionnelles qu’environnementales.

La CGT revendique ainsi la mise en place d’une « sécurité sociale professionnelle » pour tous afin qu’aucun salarié, tous statuts confondus, ne subisse plus de rupture dans ses droits, dans la reconnaissance de ses qualifications et de ses acquis par l’expérience. Il faut mettre en place une Sécurité sociale intégrale, un 100 % Sécu sur la base du salaire socialisé, fondée sur les principes fondateurs de la Sécurité sociale, que sont la solidarité et l’universalité, en intégrant de nouveaux besoins non encore couverts et adaptés aux nouvelles formes du travail.

Il s’agit de répondre aux besoins fondamentaux, sur le principe de « bien commun universel », de revalorisation du travail, de préservation de l’environnement et de l’anticipation des transitions nécessaires pour que l’activité humaine ne porte pas atteinte à l’avenir de la planète. Cela suppose aussi qu’une autre économie et qu’une autre façon de consommer émergent.

Dix-huit organisations syndicales ou associatives ont publié une tribune pour anticiper et bâtir le « jour d’après ».

Nous vous en livrons quelques pistes :

  • relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services, permettant d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux et de reprendre le contrôle sur les modes de production et d’enclencher une transition écologique et sociale des activités ;
  • réorientation des systèmes productifs, agricoles, industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et axés sur le rétablissement des grands équilibres écologiques ;
  • établissement de soutiens financiers massifs vers les services publics, dont la crise du coronavirus révèle de façon cruelle leur état désastreux : santé publique, éducation et recherche publique, services aux personnes dépendantes…
  • une remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale est nécessaire et les plus aisés devront être mis davantage à contribution, via une fiscalité du patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive.

Nous sommes convaincus que ces réorientations majeures sont indispensables pour bâtir une société juste, solidaire et durable dans les domaines économiques, sociaux et écologiques.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de mes respectueuses salutations.

Philippe MARTINEZ

Secrétaire général de la CGT »

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Grèves: la faiblesse de la Gauche fait la force de l’extrême-Droite

La Gauche a refusé la politique et a laissé faire le syndicalisme pour mener la grève contre la réforme du système des retraites. Non seulement cela s’annonce de plus en plus comme un échec, malgré une forte tension à la base dans de nombreux secteurs, mais en plus cela a directement tracé un boulevard pour le Rassemblement national et son populisme nationaliste.

Marine Le Pen a lancé dimanche dernier la campagne du Rassemblement national pour les municipales en se tournant vers la Droite, car les réalités politiques dans les communes exigent de telles alliances. Dans le même temps, elle assume une position « sociale » très forte sur la question des retraites, profitant des faiblesses de la Gauche pour se présenter comme l’opposante numéro un au gouvernement.

Elle soutien le mouvement et demande même de « continuer cette contestation contre la réforme des retraites », en expliquant bien sûr qu’elle retirera la réforme si elle parvient au pouvoir.

La dirigeante du Rassemblement national torpille ici littéralement la Gauche sur son propre terrain, tout en assumant la Droite sur le plan des valeurs. Il ne faut pas s’y tromper : on a à faire ici à une démarche typiquement fasciste, consistant à critiquer la Gauche tout en assumant ses thèmes, mais avec des valeurs de droite.

C’est un rouleau compresseur qui se met en marche afin de proposer le nationalisme comme recours politico-culturel au libéralisme. La Gauche, en ayant laissé l’extrême-Droite s’emparer de la contestation sur les retraites, va se retrouver désemparer. Cela d’autant plus qu’elle a elle-même contribué à baisser le niveau en acceptant le populisme des gilets jaunes.

La situation sera d’autant plus catastrophique si la grève est un échec : le populisme nationaliste aura tout loisir d’attribuer cet échec à la Gauche, et pas au syndicalisme. Le populisme nationaliste de Marine Le Pen est d’ailleurs très clair sur ce point : il ne critique pas le syndicalisme. Au contraire, il propose au syndicalisme de se ranger derrière le nationalisme, qui serait plus à même de lui garantir des succès que la Gauche.

Elle a donc refusé de critiquer la grève, malgré la tradition anti-grève de l’extrême-Droite française, expliquant tout simplement que :

« Les syndicats sont dans leur rôle, nous les partis politiques nous sommes dans le nôtre. »

De manière très habile cependant, elle fait en sorte de critiquer la direction de la CGT, en fustigeant son secrétaire national Philippe Martinez, qu’« on a toutes les raisons de détester » car il est « sectaire, odieux, il refuse le processus démocratique ».

Ce n’est pas tout. Pour être certain que tout le monde ait bien compris son positionnement, pour couper l’herbe sous le pied à l’argument faisant de l’extrême-Droite une force d’appuis aux syndicats « jaunes » (le surnoms des casseurs de grève), elle précise dans Le Parisien :

« Les syndicats réformistes sont les idiots utiles du macronisme »

Elle en appelle même à la base de ces syndicats, en l’occurrence surtout de la CFDT, première organisation syndicale représentative dans le privé, les opposant à leurs directions :

« Ils devront en répondre auprès de leur base qui n’est probablement pas dupe. »

Cet appel du pied de l’extrême-Droite au syndicalisme est un tournant historique, ou plutôt un « retour » historique, car c’est là l’essence du fascisme. La Gauche, quand elle a été forte, politique, ancrée dans les classes populaires, a été le meilleure rempart au nationalisme.

Maintenant qu’elle est faible, isolées dans les centre-villes et soumise au syndicalisme, elle laisse un boulevard au populisme nationaliste. Et ce n’est pas Philippe Martinez qui sauvera la Gauche, car il n’a absolument rien à dire contre le nationalisme. Sa critique du Rassemblement national est totalement à côté de la plaque :

« Les solutions de gens qui sont racistes ne sont pas les bienvenues dans les mouvements sociaux »

Cela n’a aucun rapport, puisque Marine Le Pen ne mobilise absolument pas avec le racisme, mais avec le nationalisme. Alors, quand Philippe Martinez défend ensuite l’immigration en s’imaginant que cela soit utile pour combattre l’extrême-Droite (« le problème dans notre pays ce n’est pas l’immigration, c’est le partage des richesses »), il ne fait que contribuer au grand lessivage nationaliste à venir… À moins que la lutte de classe s’affirme réellement et mette à bas le populisme nationaliste de Marine Le Pen !

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L’affrontement politique entre Philippe Martinez et Laurent Brun

En apparence, on a deux figures syndicalistes qui n’ont rien à voir avec la politique, qu’ils récusent au nom de la charte d’Amiens. Et pourtant, le mouvement contre la réforme des retraites a passé un cap et vient de rentrer dans une seconde phase. Ces deux dirigeants syndicaux en synthétisent la nature politique.

Ils sont issus de la même culture, celle du PCF. Il ne faut donc pas chercher d’éléments culturels relevant de la gauche alternative, cherchant à modifier la vie quotidienne, dénonçant le capitalisme dans sa dimension culturelle. On est dans une logique syndicale dure, dont le parti politique, en l’occurrence le PCF, ne peut être que le prolongement.

Il y a toutefois une profonde différence entre le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, et le secrétaire Général de la Fédération CGT des Cheminots, Laurent Brun. Cette différence est la grande actualité politique des derniers jours, comme conséquence de la persistance de la grève. Cette différence provoque même des soubresauts relançant la grève.

L’Histoire avance, mais passe donc par un drôle de chemin ! Ce qui se passe est toutefois assez simple. On a d’un côté une partie de la CGT qui dit que, désormais, tout a changé, qu’il ne peut au mieux y avoir qu’un PCF social et accompagnateur de la modernité. C’est la ligne de la nouvelle génération ayant pris le pouvoir et dont Ian Brossat est le meilleur représentant (la victoire de la ligne portée par André Chassaigne au dernier congrès n’ayant pas changé grand chose à l’affaire).

Philippe Martinez reste davantage ancré dans l’histoire ouvrière, mais il est d’accord avec cette tendance. Il veut une CGT de combat, mais dans une perspective constructive.

Laurent Brun a un profil tout à fait différent. C’est un nostalgique du style du PCF des années 1980, en mode dénonciation de la soumission du travail au capital, Cuba comme référence romantique, des références à Marx pour revendiquer une identité ouvrière historique.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire par rapport à la grève contre la réforme des retraites ? Cela signifie que :

→ pour Philippe Martinez, c’est une lutte sociale, devant également aider à renforcer la CGT, d’où la mise en avant de sa signature de la fameuse pétition du Journal du Dimanche portée par la gauche institutionnelle.

→ pour Laurent Brun, c’est une lutte de classe par procuration où les cheminots sont le héraut de l’ensemble des couches populaires.

Comme on le voit, c’est bien différent et depuis quelques jours, l’antagonisme entre les deux tendances s’est cristallisée de manière historique. Philippe Martinez l’avait bien senti depuis le départ, d’où sa volonté de temporiser et sa fameuse absence d’annonce à part la mobilisation du 9 janvier, il y a deux semaines.

Inversement, la Fédération CGT des Mines et de l’Énergie (dont l’héritage direct est la puissante CGT de l’ancien bastion EDF-GDF) explique par exemple le 6 janvier que pour elle la lutte doit rester interprofessionnelle et qu’elle « refuse » – le terme est même inscrit en rouge dans cette phrase elle-même en gras – « toute rencontre avec les ministères et/ou employeurs ».

Philippe Martinez aimerait clairement en terminer avec tout ça, en mode « il faut trouver une solution le plus rapidement possible », alors que les tenants de la ligne de Laurent Brun se disent que c’est précisément maintenant que tout commence.

Cela peut inspirer plein de questions, de réflexions. Qu’est-ce qui va commencer ? Est-ce de la lutte de classes ou bien la lutte des classes utilisant indirectement les partisans du courant de Laurent Brun ? Tout ce discours de combat serait-il en réalité simplement du verbiage radical masquant les intérêts corporatistes des cheminots, voire de la CGT nostalgique d’une certaine prédominance dans le monde du travail dans le passé ?

Laurent Brun est-il le vecteur d’un esprit de lutte réelle ou bien un simple acteur « syndicaliste révolutionnaire » à la française ? Le monde du travail verra-t-il vraiment un moyen d’épauler sa propre lutte dans tout cela ?

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Un 9 janvier choisi par des Ponce Pilate

Jeudi 19 décembre 2019 avait lieu auprès du Premier ministre une réunion avec les principales organisations syndicales et patronales. À la sortie, le dirigeant de la CGT Philippe Martinez avait été particulièrement bref en conférence de presse, annonçant une mobilisation le 9 janvier. Quelles allaient être les réactions le lendemain, alors que la grève dure déjà depuis seize jours et que le 9 janvier, c’est dans trois semaines ? On a pu voir que la base affirme que la lutte continue, mais en reflétant pour beaucoup l’état d’esprit anti-politique des syndicalistes.

Ce qui se passe est très simple à comprendre : d’un côté, les syndicats font monter la pression dans les négociations avec le gouvernement. De l’autre, les syndicats ont toujours accepté les négociations avec le gouvernement. Ils ne se conçoivent jamais comme pouvant agir d’en-dehors du système bien rôdé des négociations, de la reconnaissance institutionnelle.

On voit donc ici très bien l’hypocrisie de la direction de la CGT et de la CGT-FO, qui participent à une réunion avec le Premier ministre, alors qu’ils sont censés représenter la ligne d’un « non » catégorique. Ils auraient dû dire : on ne vient pas, on est contre, cela ne se discute pas.

Les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO ont donc été très malins en refilant la patate chaude à la base en grève, en disant : maintenant, on se mobilise le 9 janvier. Car, entre temps, que va-t-il se passer ? En ne disant rien, les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO n’assument rien, ni le choix d’une éventuelle « trêve », ni l’échec vers lequel on va.

Ils remettent à la base les responsabilités concrètes, tout en faisant du 9 janvier une date mythique comme le syndicalisme sait en produire. Ils se lavent les mains. Et quand on dit « la base », il faudrait plutôt dire « les cadres syndicaux », car il n’existe aucun élan démocratique à la base. Il y a des assemblées de type syndicaliste, avec beaucoup d’entrain, mais aussi beaucoup de prétentions.

De plus, le front syndical est sérieusement fissuré avec les jeux en solitaires de l’UNSA et de la CFDT. Le syndicalisme est particulièrement faible et en plus émietté, comment espère-t-on alors la victoire ? Sans unité, la défaite est assurée et elle est mal partie pour passer par les syndicats : seules des assemblées générales à la base peuvent la réaliser.

Les syndicalistes vivent dans leur bulle. Ils sont incapables de s’adresser à la population, de par leur tradition de rejet de la politique. Ils ne cherchent pas à convaincre le peuple, ils ont des attitudes simplistes de négociateurs et des réflexes corporatistes, ils n’ont aucune analyse des enjeux sociaux, politiques, culturels.

Il suffit de voir un syndicaliste et de l’écouter parler pour se dire : cette personne serait incapable de devenir ministre. Or, le peuple ne va certainement pas se mettre en branle pour d’aussi mauvais chefs, dont les intérêts primordiaux, et ce de manière assumée, sont les secteurs avec des retraites au régime spécial.

Il faudrait clairement que les syndicalistes passent la main à la Gauche politique, mais il ne le veulent pas. D’un côté il s’adressent au gouvernement, de l’autre ils ne veulent pas de politique ! C’est la tradition syndicaliste française, d’origine syndicaliste révolutionnaire. On court donc à la catastrophe.

Ceux qui vont profiter de l’affaire, ce seront les populistes, surtout d’extrême-Droite, qui commencent déjà à accuser les fonds de pension américain d’être à la manœuvre. Les populistes « de gauche » sont évidemment de la partie. C’est inévitable : refusant de reconnaître la bourgeoisie, tous ces gens doivent trouver un ennemi imaginaire. C’est aujourd’hui le capital financier américain, demain ce sera le capital financier américano-juif.

Voilà ce que va amener ce qu’on doit appeler, en parallèle avec le crétinisme parlementaire des opportunistes, le crétinisme syndicaliste. Les Ponce Pilate ne torpillent pas que la grève actuelle, mais également les avancées de la Gauche politique. Leur crétinisme syndicaliste détruit la politique et appuie les populismes.

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CGT : Philippe Martinez a tort d’assimiler les migrants aux ouvriers

En publiant une tribune dans le quotidien Le Monde, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez s’adresse à la bourgeoisie « de gauche » et lui apporte son soutien quant à l’utilisation des migrants comme thème électoral.

Philippe Martinez CGT

Le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a publié une tribune dans Le Monde. Mais les ouvriers ne lisent pas Le Monde. Et sur internet, l’article est en accès payant. Est-ce normal ? Absolument pas, et cela d’autant plus qu’il parle au nom de la CGT elle-même :

« La CGT, présente au cœur des entreprises et des services, forte de son expérience en faveur des travailleurs migrants, tient à rétablir un certain nombre de vérités. »

Mais c’est qu’il ne s’adresse pas aux ouvriers, seulement aux bourgeois « de gauche ». Et il leur parle d’immigration justement, avec un discours très similaire au « manifeste pour l’accueil des migrants », publié parallèlement par Politis, Regards et Mediapart.

Selon lui, pareillement, les migrations sont incontournables :

« Le fait migratoire est un phénomène incontournable, stable et continu dans l’histoire de l’humanité. Prétendre que l’on peut stopper ou maîtriser les mouvements migratoires est un leurre politicien et une posture idéologique. Les plus hauts murs n’empêcheront jamais des personnes de fuir, au péril de leur vie, la guerre, la misère économique ou les persécutions. »

Il est sans nul doute très grave qu’un dirigeant syndical mette en avant le thème des migrants dans une optique électoraliste, avec les élections européennes en ligne de mire… Il agit ici de manière bien nette en faveur de la Gauche post-industrielle, post-moderne qui a besoin de « nouveaux sujets » à défendre… Du moment qu’il ne s’agit pas des ouvriers.

On retrouve d’ailleurs, dans le même mensonge que le « manifeste pour l’accueil des migrants », l’assimilation par Philippe Martinez des concepts de migrants à ceux de réfugiés, ce qui est honteux.

Lire également : Le « Manifeste pour l’accueil des migrants » : antipopulaire par excellence

Cela aboutit inévitablement à un populisme tout à fait erroné, qui fournit des armes à l’extrême-droite dans les rangs ouvriers. Car le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez assimile les migrants à des ouvriers.

« Nous ne faisons pas face à une invasion de migrants et notre pays doit accueillir humainement et dignement ceux qui fuient leurs pays. Cela se nomme la fraternité.

Ces salariés font partie intégrante de la classe ouvrière ! »

Or, c’est totalement erroné, car même en admettant que des migrants aillent à l’usine – ce qui ne sera que rarement le cas – cela n’en ferait pas des ouvriers pour autant : formellement, ce serait le cas, mais leur existence serait tout de même coupée encore de la classe ouvrière, de ses traditions. C’est d’ailleurs là l’intérêt de l’immigration pour le patronat.

Ce qui est d’ailleurs valable ici pour les migrants l’est pour toute personne ayant une origine non ouvrière et basculant dans la classe ouvrière : il faut du temps pour prendre ses marques, ses repères, absorber les valeurs ouvrières. D’où les perpétuelles restructurations organisées par le capitalisme pour empêcher la reconnaissance entre ouvriers, l’émergence d’une pensée commune, l’organisation commune.

> Lire également : La lettre de Georges Marchais suite à l’expulsion des maliens du foyer de Vitry

D’où l’immigration, non seulement dans les usines, mais en général, et notamment dans les quartiers populaires. Il en va d’une main d’œuvre bon marché, mais également avec un faible niveau de conscience politique, une coupure avec les réalités du pays. Il faut alors de nombreuses années, voire une vie afin qu’une connexion se fasse.

Cela, la Gauche l’a toujours su… quand elle avait des idéaux, ou plus exactement un idéal : l’instauration du socialisme ! Philippe Martinez est coupé de cette tradition. Mais qu’attendre d’un chef syndical, dans un pays où tous les syndicats se revendiquent de la charte d’Amiens de 1906 qui rejette tout débat politique, réduisant les syndicats à des organes traitant les choses sans envergure, simplement localement, ou par branches, divisant la classe ouvrière et le peuple ?