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Verlaine et Rimbaud au Panthéon, expression de l’idéologie poétique

La proposition d’entrée simultanée de Verlaine et de Rimbaud au Panthéon reflète la tentative de relancer l’idéologie individualiste poétique.

Avez-vous essayé de lire Rimbaud ? C’est illisible, personne n’y arrive. Ses écrits du début de son adolescence sont niais, ceux de la fin de son adolescence sont une escroquerie. C’est du collage d’images sans aucun sens et formant une fin en soi, Rimbaud assumant d’ailleurs dans les Illuminations de n’en avoir rien à faire de rien. De fait, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, Rimbaud n’intéressait personne et la poésie, c’était le mouvement du Parnasse, reconnu officiellement même par les institutions de la IIIe République. Le premier prix Nobel de littérature, c’est le poète du Parnasse Sully Prudhomme, en 1901, déjà à l’Académie française depuis 1881.

Quant à Verlaine, c’est une poésie produite au kilomètre, totalement inégale. On a chez Verlaine quelques rares merveilles de fluidité, au milieu de 99 % d’écrits niais, esthétisants, ou bien pornographiques, ou bien mystico-religieux catholiques. On ne va pas loin à écrire des poèmes où on raconte qu’on jette du pain en bas des urinoirs pour les récupérer et les manger. Verlaine a d’ailleurs fini misérable et alcoolique, dans le prolongement d’une fuite en avant esthético-décadente typique du Paris de la fin du XIXe siècle.

La romance à ce sujet commence dans les années 1920, avec le courant du surréalisme. André Breton et Louis Aragon publient Un cœur sous une soutane, un pamphlet anticlérical de Rimbaud, en 1924, et font de Rimbaud le précurseur du poète rebelle, révolutionnaire même (qui en réalité cessera rapidement ses aventures poétiques pour finir trafiquant d’armes en Afrique). Depuis cette période, Rimbaud est une référence pour l’ultra-gauche, dans le prolongement des surréalistes et d’un « romantisme poétique » à la fois individualiste, aventurier et contestataire.

Alors, pourquoi proposer l’entrée au Panthéon de Verlaine et Rimbaud, dont la seule production commune aura été un « sonnet du trou du cul » à caractère pornographique ? Pour contribuer à renforcer l’idéologie de la poésie, cet élitisme anti-populaire se croit très intelligent à coller des mots comme bon lui semble, au-delà de tout rapport au réel. Cela vient évidemment de Paris, cette ville bourgeoise et libérale, relativiste et décadente, avec une « gauche » en première ligne du turbo-capitalisme.

La campagne pour l’introduction simultanée des poètes Verlaine et Rimbaud au Panthéon s’est faite en deux temps, trois mouvements. Il y a d’abord eu une pétition, puis le lendemain la sortie d’une réédition d’une vaste biographie de Rimbaud (dans la collection Bouquins), puis naturellement toute une série de réactions médiatiques en soutien ou en opposition.

La ministre de la Culture Roselyne Bachelot a notamment saluée la pétition, qu’elle a elle-même signée d’ailleurs à l’origine avec toute une série d’anciens ministres de la culture (Jean-Jacques Aillagon, Renaud Donnedieu de Vabres, Aurélie Filippetti, Jack Lang, Frédéric Mitterrand, Françoise Nyssen, Fleur Pellerin, Catherine Tasca, Catherine Trautmann).

Roselyne Bachelot y voit quelque chose de résolument moderne :

« Le fait de faire entrer ces deux poètes qui étaient amants, oui, ensemble, au Panthéon aurait une portée qui n’est pas seulement historique ou littéraire, mais profondément actuelle »

On l’aura compris, il y a l’arrière-plan une logique LGBT visant à faire des deux poètes un couple homosexuel, alors qu’ils n’ont été en réalité que des amants dans le cadre de milieux mêlant drogues, alcools, coucheries diverses et sordides tout en prétendant écrire une littérature « avant-gardiste », en rupture, etc. C’est une réécriture romancée de l’histoire, où les turbo-capitalistes ont tout à gagner : l’idéologie poétique valorisée, le parcours littéraire historique jeté à la poubelle, l’idéologie LGBT appuyée, le relativisme général affirmé…

La pétition commence d’ailleurs ainsi :

« Arthur Rimbaud et Paul Verlaine sont deux poètes majeurs de notre langue. Ils ont enrichi par leur génie notre patrimoine. Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer « l’homophobie » implacable de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français. »

On ne peut suffisamment souligner la dimension « poétique », c’est-à-dire en réalité individualiste au maximum, avec un anti-réalisme autant poussé que dans l’art contemporain. Rimbaud est une simple image, celle d’un pochoir sur un mur comme allégorie du jeune faisant ce qu’il veut et donc, prétendument, étant en rupture avec les « conservateurs ». L’idéologie LGBT ne dit pas autre chose, dans sa nature de propagateur de l’ultra-libéralisme.

C’est pour cela évidemment que la pétition est signée également par de l’intelligentsia parisianiste à prétention esthétisante et intellectuelle : le président du festival de Cannes et homme de télévision Pierre Lescure, les philosophes Edgar Morin et Michel Onfray, le metteur en scène Oliver Py, la présidente de la Bibliothèque Nationale de France Laurence Engel, la romancière Annie Ernaux, l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë, la journaliste et ancienne présidente de Radio France Michèle Cotta, le co-fondateur de Médecins sans frontières et ancien ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, etc.

Que du beau monde, que des grands bourgeois, ouverts sur le monde, qui tout comme les grandes entreprises américaines mettent le drapeau LGBT partout, font de même, avec qui plus est l’idéologie bien française de la « poésie » comme seule expression authentique du « révolté »…

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Aux Hésitants par l’auteur progressiste Bertolt Brecht

Bertolt Brecht est un poète, dramaturge, metteur en scène, écrivain allemand progressiste. Il est connu en France pour ses oeuvres Grand’Peur et misère du IIIe Reich, L’opéra de quat’sous et La mère.


Brecht a été un contemporain de la montée du fascisme, il voyait dans quelle direction allait les choses, après une analyse sérieuse de la situation. Nous vivons une chose semblable à celle qu’a vécu Bertolt Brecht dans les années 1920 et 1930, à la différence près qu’à l’époque la Gauche était sincère, assumait le Socialisme et que la jeunesse osait lutter.

C’est en 1933 que Brecht écrit le poème Aux hésitants (An den schwankenden).

C’est un véritable hymne à l’engagement, à l’optimisme mais aussi à la critique. Il essaie d’y expliquer l’échec de la lutte contre le fascisme en Allemagne de la sorte : le Front populaire ne s’est jamais réalisé en Allemagne…

« Aux Hésitants

Tu dis:
Pour nous les choses prennent un mauvais pli.
Les ténèbres montent. Les forces diminuent.
Maintenant, après toutes ces années de travail,
Nous sommes dans une situation plus difficile qu’au début.

Et l’ennemi se dresse plus fort qu’autrefois
On dirait que ses forces ont grandi. Il paraît désormais invincible.
Nous avons commis des erreurs, nous ne pouvons plus le nier.
Nous sommes moins nombreux.
Nos mots sont en désordre. Une partie de nos paroles
L’ennemi les a tordues jusqu’à les rendre méconnaissables.

Qu’est-ce qui est faux dans ce que nous avons dit,
Une partie ou bien le tout?
Sur qui pouvons-nous compter? Sommes-nous des rescapés, rejetés
d’un fleuve plein de vie? Serons-nous dépassés
ne comprenant plus le monde et n’étant plus compris de lui?

Aurons-nous besoin de chance?
Voilà ce que tu demandes. N’attends
pas d’autre réponse que la tienne.

(traduction d’Olivier Favier)

An den schwankenden

Du sagst:
Es steht schlecht um unsere Sache.
Die Finsternis nimmt zu. Die Kräfte nehmen ab.
Jetzt, nachdem wir so viele Jahre gearbeitet haben,
Sind wir in schwierigerer Lage als am Anfang.

Der Feind aber steht stärker da denn jemals.
Seine Kräfte scheinen gewachsen. Er hat ein unbesiegliches Aussehen angenommen.
Wir aber haben Fehler gemacht, es ist nicht mehr zu leugnen.
Unsere Zahl schwindet hin.
Unsere Parolen sind in Unordnung. Einen Teil unserer Wörter
Hat der Feind verdreht bis zur Unkenntlichkeit.

Was ist jetzt falsch von dem, was wir gesagt haben,
Einiges oder alles?
Auf wen rechnen wir noch? Sind wir Übriggebliebene, herausgeschleudert
Aus dem lebendigen Fluß? Werden wir zurückbleiben
Keinen mehr verstehend und von keinem verstanden?

Müssen wir Glück haben?

So fragst du. Erwarte
Keine andere Antwort als die deine. »

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Jacques Higelin, le saltimbanque des années Mitterrand

Voter François Mitterrand, ce n’était pas simplement croire qu’il y aurait enfin un changement profond, social, dans la société. Cela allait avec le fait de considérer Arthur Rimbaud comme le premier poète de la modernité, de lire la bande dessinée Philémon de Fred, ainsi que d’écouter Jacques Higelin.

Et lorsqu’on se mettait à douter, il suffisait de voir Jacques Higelin en concert, de constater sa gentillesse exaltée, sa présence scénique à la fois humble et poète, pour se dire qu’au moins, on était dans le bon camp, même si l’on était, en quelque sorte, comme tombé du ciel, décalé et idéaliste, mais de toutes façons, ce qui compte, c’est « L’amour, l’amour encore et toujours ».

La mort de Jacques Higelin annoncé hier marque par conséquent vraiment la fin d’une époque ; c’est tout un morceau de la gauche qui s’écroule littéralement. C’est tout un regard, propre aux années 1980, qui s’éteint : celui qui s’imaginait combiner rock’n roll, littérature et revendication d’une identité ferme de gauche, contre les connards de droite.

Avec Jacques Higelin, il y avait ce rappel : être de gauche, c’est être cultivé, mais pas avec une forme académique. C’est oser connaître les bas-fonds, les émotions fortes, les angoisses individuelles, en-dehors de toute apparence conformiste.

Pas négligé, pas déglingué, mais pas « clean » pour autant…

« Voilà que l’idée me prend
D’aller traîner mes godasses
Sur le dépotoir de l’aérogare
Qu’est juste en face

Et là, vautré sur la banquette d’un jumbo jet déglingué
Je rêve tout éveillé
A Paris New-York, New-York Paris
Comme si vous y étiez,
Comme si tu y es »

Il y a bien sûr le mois passé à la salle de concert de Bercy en 1985, avec notamment deux figures musicales importantes qui se révélaient au public français : le Sénégalais Youssou N’Dour et le Guinéen Mory Kanté.

On est dans l’esprit d’ouverture internationale, ou internationaliste, et l’idée d’un vrai show populaire : il y a plusieurs podiums, qui sont articulés, un gigantesque escalier digne des temples d’Amérique du sud, les musiciens sont une trentaine, il y a une jeep, Jacques Higelin court dans tous les sens, etc.

Jacques Higelin s’est toujours véritablement donné à son public, avec des improvisations, des concerts qui s’étirent. Impossible de le voir sans être marqué, il suintait un respect sincère pour le public, ou même le peuple. Lui-même habitait Pantin, en banlieue parisienne et sa position est pratiquement l’inverse de celle de Johnny Hallyday, puisque c’est toujours une forme de fragilité qu’il a mis en avant.



Cependant, il ne faut pas se leurrer : cela a d’énormes limites, d’énormes lacunes. Jacques Higelin, très rapidement et en ce sens il représente vraiment la Bande Originale des années Mitterrand, est aussi le symbole d’une gauche intellectuelle, tout à fait insérée socialement au point de disposer d’un vrai capital, lisant le Nouvel Observateur avec ses publicités pour les montres de luxe, les grosses cylindrées et l’immobilier.

Qu’il ait soutenu Anne Hidalgo aux municipales parisiennes de 2014 en dit assez long, puisque elle a joué un rôle de premier plan, avec Bertrand Delanoë, dans la sanctuarisation de la capitale comme bastion des classes privilégiées.

D’où les inévitables basculements vers une sorte de poésie à la Baudelaire, Breton, etc., c’est-à-dire le culte de lui-même par l’artiste, qui exprime une sensibilité large mais célèbre un entre-soi élitiste entre intellectuels, avec les références voilées, l’esthétisme semi-décadent, l’attitude de saltimbanque se jouant de tout, etc.

La chanson Champagne ou Poil dans la main, presque Spleen d’un côté Idéal de l’autre, témoigne bien d’une grande faiblesse sur le plan de la densité, ce qui l’oppose ici résolument à Hubert-Félix Thiéfaine qui lui tendait à une expression existentielle plus forte, plus intense, plus sombre (en puisant malheureusement dans l’esthétique anti-conformiste voire la rhétorique d’extrême-droite à défaut de trouver une voie réelle).


Jacques Higelin est, dans tous les cas, une figure incontournable des années 1980 et fut une figure attachante, parmi les plus attachantes.