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«Vers Amalfi, avec des filles d’Palerme»: le magnifique album «Beauseigne» de Zed Yun Pavarotti

Beauseigne est une expression courante du parler gaga de la région de Saint-Étienne, pour désigner avec compassion une personne dans une situation de faiblesse, par exemple un enfant qui vient de se faire mal. L’intitulé « Beauseigne » du nouvel album de Zed Yun Pavarotti décrit ainsi un artiste prolétaire, ou plutôt un prolétaire artiste, à la merci d’un monde qui n’est pas fait pour lui, ni pour personne d’ailleurs.

On ne peut qu’être saisi par le sens et la sonorité du titre éponyme ouvrant l’album, dont voici le clip dévoilé à l’occasion de la sortie vendredi 9 octobre 2020 :

Visuellement, c’est très marquant, de part un style à la fois brut et quotidien, très ancré dans le réel. Et cela marque une œuvre, l’intégrant franchement dans le champ de la culture populaire. Au programme, on a donc l’agenda du peuple : du love et du soleil.

« J’ai sept collines, j’fais mes poèmes
On s’retrouve mes amis bientôt
J’ai mis la clim’ sur mon p’tit radeau
Vers Amalfi avec des filles d’Palerme
Des éclats d’rire et du rouge à lèvre »

Les sept collines désignent ici Saint-Étienne, dans une allusion classique localement aux 7 collines de Rome, et Amalfi est une ville splendide du golfe de Salerne, au soleil, en Italie.

Tout l’album est dans ce registre, avec un goût très prononcé pour le chant, maîtrisé à merveille, dans un style très moderne, qui assume le tourment, mais est toujours tourné vers le positif. Le style est varié, tendant cependant inexorablement vers la ballade mélodique, à la fois délicate et puissante, de manière très française et dans la lignée de la chanson francophone du XXe siècle.

Sur le plan du contenu, c’est très exigeant, tant musicalement que pour le texte lui-même, qui est souvent très complexe et ne se laisse dévoiler que subtilement, parfois difficilement, au fur et à mesure des écoutes.

Ce n’est toutefois pas un problème et c’est là où Zed Yun Pavarotti est véritablement un artiste de grand talent : ses morceaux sont surtout une quête de l’émotion, de la sensibilité propre à des situations concrètes.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’on y retrouve aucun featuring, la profondeur de la démarche exigeant forcément une sensibilité personnelle, une intimité, qui ne soit pas « empêchée » par un autre artiste.

Il avait déjà été parlé ici du très marquant morceau Lalaland lors de la sortie du clip en mai dernier. Le revoici, tellement il mérite d’être vu et revu, avec toujours autant de plaisir :

On s’arrêtera également sur le clip de Mon frère, qui relève indiscutablement de la variété française, mais de celle des années 1980, pas de la soupe insipide des années 2000 ou 2010 :

Dans un style pop-rap plus proche des précédentes productions de Zed Yun Pavarotti, il y a également Îles, dont le clip sorti pendant le confinement avait été une petite bouffée d’oxygène (malgré le joint fumé) :

Enfin, on attendra (ou souhaitera) avec impatience la sortie du clip du morceau Ta bouche, ce magnifique poème d’amour :

Avec une telle sensibilité, et surtout une telle expression de la sensibilité, Zed Yun Pavarotti est forcément promis à une grande célébrité populaire dans les années à venir. Ou alors c’est que les années 2020 auront été un échec. On a ici une sorte d’ingénieur des âmes et si le peuple passe à côté de cela, c’est qu’il est vraiment empêtré dans une terrible aliénation.

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Le vrai Michel 2, la hype prolétaire

Le vrai Michel 2 de Michel sortie vendredi 4 septembre met la barre très haut en combinant une esthétique prolétaire masculine très typique avec toute une attitude parisienne ultra-branchée. C’est d’une fraîcheur incroyable et il faudrait vraiment être en dehors du temps pour ne pas y être sensible.

Si l’on combine le meilleur de la musique de niche pour jeunes urbains branchés avec ce que la pop-rap, frôlant la variété, a de mieux à offrir, on a le rappeur-chanteur Michel. C’est léger, aérien, bien ficelé, entraînant et plein de subtilité, bref, c’est de la très très bonne musique.

> Lire également : Michel: beaux-arts style et culture pop

 

Michel vient de la périphérie de Valenciennes dans le Nord et sa culture est incontestablement prolétaire. Cela produit forcément un décalage quand on est artiste musical, tant en France les artistes musicaux sont dans une perspective petite-bourgeoise ou bourgeoise, surtout à Paris.

Il exprime cela avec une profondeur incroyable dans le morceau « Air Max », l’un des plus brillant qu’il ait fait jusqu’à présent :

À côté de cela, Michel communique beaucoup sur les réseaux sociaux avec un très grand sens de la mise en scène. Il s’est ainsi construit un personnage très subtil, à la fois outrancièrement benêt, qui ne pense qu’à jouer à Fifa ou à épater la galerie sans en avoir les moyens, et en même temps toujours très sincère, particulièrement avenant, etc.

Voici la compilation des petits épisodes ayant servit de teasing à la sortie de son EP (présentée comme une mixtape), qui sont franchement très drôles :

Michel est un des artistes musicaux les plus marquants de ce début des années 2020 et il reflète un véritable changement de fond dans la société. Les grilles de lecture s’estompent, s’effacent, le côté populaire part à la conquête du style, en assumant un haut niveau. C’est un signe des temps : en profondeur, le peuple prend toujours plus de hauteur, il a gagne en densité, il est prêt à prendre les commandes de la société.

Le peuple n’en a encore pas du tout conscience, il n’en entrevoit la nécessité que de manière floue, mais il est déjà dans l’affirmation.

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Comment les chansons de Tessae témoignent du changement d’époque

La chanson et le clip « salope » de la jeune artiste marseillaise Tessae témoignent indéniablement d’un changement d’époque. C’est de la pop dans une version très chantée qui relève ouvertement de la variété/commerciale… mais avec une affirmation culturelle élevée, et surtout nouvelle.

Le titre évoque ces hommes arriérés interpellant les jeunes filles dans la rue, souvent le soir, souvent en prenant prétexte de leur habillement, souvent en les traitant de « salopes ». Quand elle présente sa chanson, Tessae ne prétend ici à un aucun militantisme féministe, et c’est peut être ce qui fait sa force, de part la justesse populaire de son propos : elle explique tout simplement qu’elle ne comprend pas que de tels comportements puisent exister à notre époque.

On a là une certaine candeur qui, associée à un goût prononcer pour la mélodie dans un état d’esprit tourné vers l’avenir, donne quelque chose d’éminemment nouveau, avec une grande puissance positive.

Il faut mettre cela en rapport avec son morceau « Bling », dont le clip est un succès avec près de trois millions de vues sur YouTube : ces deux chansons sont de véritables et merveilleux hymnes anti-beauferie ! Et c’est très très réjouissant !

Ce ne sont pas de simples témoignages, mais directement l’expression d’une génération jetant un vieux monde par la fenêtre, ne supportant plus les arriérations comme le sexisme, la superficialité, le racisme, les idéalismes identitaires, etc.

La jeunesse veut la paix, l’international et le life deluxe for all… On a changé d’époque, totalement, la crise du Covid-19 en est un aspect, mais pas le seul !

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Michel: beaux-arts style et culture pop

Michel fait typiquement partie de cette nouvelle génération de rappeur-chanteur ou chanteur-rappeur, assumant l’électro et la pop avec un grand sens artistique. Il est d’ailleurs à la pointe de toute une esthétique florissante dans et autours des écoles des beaux-arts, combinant le style banlieusard de la fin des années 1990 et du début des années 2000 avec une fascination/attraction pour toute une frange de culture populaire, de la culture de masse.

Ce clip, une reprise/détournement de holydays de Michel Delpech, est absolument somptueux de ce point de vue, avec une grande finesse.

Le filtrage vidéo force volontairement le trait pour donner un ton 1990, tout comme l’instrumentale typique de l’eurodance de l’époque. Tout le sens du clip réside dans ce décalage entre lui, jeune branché, qui surjoue l’ennui, et son entourage familial habillé de manière ordinaire, qui s’amuse grandement. Le choix d’un tel film dans une famille populaire, en l’occurrence sa propre famille lors d’une véritable fête, montre d’ailleurs l’approche démocratique/populaire, authentique, que peut avoir l’artiste, originaire de la périphérie de Valenciennes dans le Nord.

On retrouve la même démarche avec cet autre clip, reprise/détournement de Michel Fugain, cette fois dans un bar karaoké de Belleville. Les paroles assumant les drogues dures et le champ lexical de la drogue sont là aussi bien trouvées. Ni apologie, ni critique de la drogue, c’est surtout une manière de jouer sur la contradiction entre une chanson originale assez lisse, pour ne pas dire insipide, typique d’une certaine époque disons insouciante, et sa version actuelle plus rude, à l’image de l’époque nouvelle. Le tout bien sûr autour d’une esthétique faussement kitch, ou volontairement kitch si l’on veut, soigneusement travaillée.

Michel a sortir un EP « Le vrai Michel », en janvier 2020 avec 8 titres d’une grande qualité dont voici un extrait :

Il a sorti hier le clip, là encore très esthétiques, de son dernier titre tejla :

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Chaleur pop/rap pour l’automne 2019 (nouvelle playlist)

Un peu de chaleur pop/rap pour l’automne avec cette nouvelle playlist marquée par la jeunesse et le style.

Les clips sont à chaque fois accompagnés d’une petite présentation. Comme d’habitude, la playlist sera disponible pendant quelques semaines en lecture automatique avec le service streaming de votre choix via le lecteur de la colonne de droite (version web) ou en bas de la page d’accueil (version mobile).

Enjoy !

Un son très puissant avec « Rebelle » de Raja Meziane qui, depuis la République tchèque où elle est réfugiée en raison de son engagement contre le régime, est une des figures musicale de la jeunesse algérienne en pleine affirmation avec le Hirak. « Je me rebelle et tu avales la poubelle », dit le refrain !


Très engagé également, le son de Danitsa envoyant joyeusement balader « mister business » qui pense qu’elle est jeune bête. Elle scande haut et fort que sa musique n’est pas à vendre et cela avec beaucoup de style. Girl power !


Une petite scène de vie intime pour ce très esthétique clip d’Hatik illustrant « M’attends pas », un son très moderne typique du rap français du moment, indéniablement aérien et mélodique.


On imagine mal comment la carrière de la toute jeune Sally, originaire de Cholet, pourrait ne pas décoller rapidement ! « VRILLE » est un titre pop d’une grande qualité, annonçant probablement le style de la prochaine décennie. Le débit est puissant, le propos touchant et le refrain s’installe si bien dans la tête : « Alors je vrille, je vrille Pendant que tu brilles Je vrille, je vrille Pendant que tu brilles… » On ne s’en lasse pas !


Encore une pop/rap très chaleureuse avec « Dilemme » de Lous and The Yakuza, qui expriment ses tourments dans un clip à la touche artistique très prononcée. La musique est de grande qualité avec une véritable maîtrise du chant. Née au Congo, Lous est arrivée très jeune en Belgique avec sa famille réfugiée, puis a passé son adolescence au Rwanda. De retour en Belgique à 16 ans, elle est mise à la porte de chez elle à 19 ans et connaît une situation très compliquée avant de se faire une place dans la scène underground bruxelloise aux côtés d’artistes comme Damso ou L’or du commun. Tournée tant vers le métal que le reggae, la chanson française ou encore la culture japonaise et notamment les mangas, elle incarne un véritable métissage culturel.


On ne présente plus Billie Eilish qui a déjà séduit des millions d’adolescents à travers le monde avec sa pop incroyablement bien ficelée. Pour l’anecdote, elle est vegan et engagée pour cette cause.


À l’origine des Pirouettes, il y a une histoire d’amour qui a été chantée dans un EP et deux albums. Ils se sont séparés et l’ont annoncé publiquement, tout en voulant continuer le groupe. Dans ce titre absolument délicieux de part sa mélodie et son rythme formidablement bien organisé, vicky raconte ses « plis du coeur » avant l’inévitable rupture… Triste, mais beau.


Avec « Sugar Honey Iced Tea (S.H.I.T.) », la new-yorkaise Princess Nokia retourne à un rap old school très incisif à l’image de ce qu’elle avait proposé dans l’excellent album 1992 Delux. Le titre est donc très pop et il est illustré ici par un clip au ton humoristique, dont on comprendra aisément le message. Pour l’anecdote, elle évoque dans le second couplet une scène dont la vidéo a fait un petit buzz à New-York. Dans le métro, elle avait pris la défense d’un groupe d’ados qui était invectivé par un homme ivre et tenant des propos racistes. Elle avait alors entraîné les personnes autour d’elle pour le dégager par la force de la rame, avant de lui jeter le reste de sa soupe chaude à la figure !


La techno hardstyle et les sons issus du gabber sont très joués ces derniers temps dans les clubs français. La jeunesse urbaine découvre ou redécouvre ce son très rude, qui est ici excellemment bien adapté à la manière pop par le groupe Bagarre qui envoie joyeusement balader la merde ambiante. Au revoir !

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Le très agréable pop-rap de Blry dans l’album «Rêves, pt. 1»

Il est convenu de dire que le rap français est devenu une forme de variété, mais cela ne date pas d’aujourd’hui car I am ou encore Mc Solarr relevaient déjà de cela en leur temps. Ce qui est nouveau par contre, c’est qu’il existe à côté des artistes les plus mainstream tout une scène de rappeurs indépendants assumant une sorte de pop-rap très positif, beaucoup plus confidentiel dans l’approche et la démarche, mais bien plus authentique.

C’est exactement là que se situe le dernier album de Blry (prononcez Blurry), « Rêves, pt. 1 » sorti ce 6 septembre 2019.

Avec sa voix lancinante, le jeune vendéen déroule à travers les huit titres de l’album un style très cohérent, absolument moderne dans sa forme. On y retrouve toute l’attitude détachée et (en apparence) nonchalante de la jeunesse d’aujourd’hui.

Le thème récurrent est celui de la recherche d’authenticité, tant dans les rapports aux autres que dans sa propre vie, avec un rejet vigoureux du pessimisme. La production est minimale, comme le chant qui est très basique, presque naïf. Le texte est au contraire très puissant, parfois saisissant comme sur « Hellboy » où il est question de dépendance aux anxiolytiques, ce terrible mal.

On reconnaît aisément les références assumées par Blry, de l’américain Juice WRLD à Columbine en passant par Lil Peep (qui avait enregistré Falling Down avec XXXTentacion avant leur décès), mais avec une touche bien spécifique, très identifiable. Ce jeune artiste d’à peine 20 ans nous propose avec « Rêves, pt. 1 » quelque-chose de très réjouissant, encore plus abouti que son album « Pensée » paru en début d’année, qui était déjà très intéressant.

https://www.youtube.com/watch?v=MCir6wA7bp0

> Écouter l’album : blry.fr/reves