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Rapport entre les classes

Marine Le Pen, Jordan Bardella et le National Front Disco

Nous sommes en juillet 1992 et le chanteur Morrissey sort la chanson « The National Front Disco ». Auparavant chanteur du groupe The Smiths, il est connu pour son sens de l’empathie, sa quête de la réciprocité à rebours de tout rapport unilatéral. Il est de Gauche assumé, sa chanson « Meat is murder » est emblématique, etc.

Pourtant, la chanson « The National Front Disco » a été totalement incomprise alors. Elle était trop subtile et les journalistes bobos lui sont tombés dessus.

Elle raconte de manière interne la motivation qu’a une personne pour rejoindre le British National Front, un parti raciste, mais qu’il faut plutôt voir comme l’expression d’un violent ressentiment social populaire tournant au racisme.

C’est typique du Royaume-Uni des années 1970, avec le mouvement skinhead alors (pourtant au préalable tourné vers la musique ska et la Jamaïque, et devenant punk conformiste et raciste). La clef, c’est que celui qui rejoint le National Front espère ainsi accélérer la venue du jour où les comptes seront réglés.

Cette expression populiste à la base, cette formulation propre à des ouvriers vivant au cœur des pays riches tout en étant marginalisés culturellement, cette rancœur… Naturellement, c’est la clef pour comprendre pourquoi les prolétaires français, pour beaucoup, ne se tournent pas vers la révolution et le Socialisme, mais vers l’extrême-Droite.

Et Morrissey dénonce dans la chanson ceux qui ne comprennent pas la dignité de cette rancœur. Comment des gens vivant aussi mal, avec la même vie, ne comprennent pas ceux qui, désespérés, espèrent renverser la table ?

C’est tout à fait vrai : jamais l’antifascisme bobo ne fera rien. C’est le prolétariat qui fait l’Histoire, et s’il se trompe, il ne peut se rétablir qu’en sortant de son détour corrompu, pour assumer toute la violence qu’il porte en lui.

Voici la chanson, et les paroles.

David, the wind blows
The wind blows
Bits of your life away
Your friends all say
« Where is our boy?
Oh, we’ve lost our boy »
But they should know
Where you’ve gone
Because again and again you’ve explained that
You’re going to

Oh, you’re going to
Yeah, yeah, yeah, yeah
England for the English!

David, the winds blow
The winds blow
All of my dreams away
And I still say
« Where is our boy?
Ah, we’ve lost our boy »
But I should know
Why you’ve gone
Because again and again you’ve explained
You’ve gone to the

National, ah
To the National
There’s a country; you don’t live there
But one day you would like to
And if you show them what you’re made of
Oh, then you might do

But David, we wonder
We wonder if the thunder
Is ever really gonna begin
Begin, begin
Your mom says
« I’ve lost my boy »
But she should know
Why you’ve gone
Because again and again you’ve explained
You’ve gone to the

National
To the National
To the National Front disco
Because you want the day to come sooner
You want the day to come sooner
You want the day to come sooner
When you’ve settled the score

Oh, the National

David, le vent souffle
Le vent souffle
au loin des morceaux de ta vie
Tes amis disent tous
« Où est notre garçon ?
Oh, nous avons perdu notre garçon »
Mais ils devraient savoir
Où tu es parti
Parce que, encore et encore, tu as expliqué que
Tu vas au

Oh, tu vas aller au
Ouais, ouais, ouais, ouais
L’Angleterre pour les Anglais !

David, les vents soufflent
Les vents soufflent
tous mes rêves au loin
Et je dis malgré tout
« Où est notre garçon ?
Ah, nous avons perdu notre garçon »
Mais je devrais savoir
Pourquoi tu es parti
Parce que tu as expliqué encore et encore
Tu es allé au

National, ah
Au National
Il y a un pays, tu n’y vis pas
Mais un jour tu aimerais bien
Et si tu leur montres de quoi tu es fait
Oh, alors tu pourrais peut-être le faire

Mais David, nous nous demandons
Nous nous demandons si le tonnerre
Ne commencera jamais vraiment
Commencera, commencera
Ta mère dit
« J’ai perdu mon fils »
Mais elle devrait savoir
Pourquoi tu es parti
Parce que, encore et encore, tu as expliqué
Tu es allé au

National
Au National
A la disco du Front national
Parce que tu veux que le jour vienne plus tôt
Tu veux que le jour vienne plus vite
Tu veux que le jour vienne plus vite
Quand les comptes seront réglés

Oh, le National

On a ici une vérité évidente, une vérité de classe, qu’aucun bourgeois ne peut comprendre ou reconnaître.

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Rapport entre les classes

La révolution sera t-elle une prise de conscience?

Quand on bascule dans le camp de la Révolution, on pense souvent deux choses. On se dit ou bien que les gens ne savent pas, ou bien qu’ils ne comprennent pas les enjeux du monde. Il s’agirait alors de « faire prendre conscience » sur tel ou tel évènement, telle ou telle problématique, etc.

Hier, alors que la grande masse des paysans ne savaient pratiquement ni lire, ni écrire, l’enjeu était bien de briser cette arriération pour mieux casser la dépendance au curé ou au notable. Il fallait en « prendre conscience » et quoi plus de simple quand la vie quotidienne était elle-même si pénible, si difficile ? En même temps, les difficultés de la vie, l’analphabétisme rendaient la tâche malaisée.

Aujourd’hui, il y a un fait inverse et tout à fait palpable : il n’y jamais eu autant peu de gens analphabètes dans le monde et pourtant les mouvements révolutionnaires n’ont jamais été aussi faibles. Alors qu’on comptait environ 12 % de personnes alphabétisées dans le monde en 1820, il y en a 87 % en 2021.

Il s’agit donc de réfléchir en sens inverse : et si les gens savaient ? Et si les gens avaient finalement compris les choses, au moins dans leur globalité ? Question inconfortable car cela place l’idée du « militant » dans un désert politique.

Évidemment, l’aliénation produit par le quotidien capitaliste ne permet pas de comprendre réellement les choses pour tout un chacun. Mais dans la société de consommation développée, il est évident que l’aliénation, c’est la « conscience » de ne pas vouloir comprendre et non plus simplement la seule dépossession de soi.

Ou plutôt : la dépossession de soi a atteint un tel niveau, une telle profondeur que tout processus conscient est lui-même subsumé par la marchandisation.

En réalité, cela montre que les choses avancent toujours plus vers la Révolution, car ce sont tous les espaces de la vie qu’il va s’agir de transformer.

Il faut bien voir que la majorité des expériences socialistes au siècle dernier ont eu lieu dans des pays arriérés, en majorité composés de paysans liés en grande partie à un quotidien répétitif basé en partie sur l’auto-suffisance.

La révolution se devait de passer par l’objectif socialiste du fait que la classe ouvrière était la seule classe sociale en mesure de porter le processus de formation nationale extirpé de son enveloppe féodale. L’enjeu prioritaire était la lutte contre le poids du féodalisme et, dans une perspective résolument démocratique, l’élévation du niveau d’éducation.

Forcément dans un tel schéma de vie, la révolution ne pouvait que passer par le stade d’une « prise de conscience » : il faut bien savoir pourquoi l’on se bat, au-delà même du fait d’améliorer son immédiat quotidien. Et quand il est parlé de savoir les choses, on parle de comprendre l’Histoire et ses modalités, d’appréhender sa dynamique et ses protagonistes, de se penser soi-même protagoniste etc.

Cela était encore vrai dans des pays comme la France de 1871. Raison pour laquelle Karl Marx a dit que les insurgés de la Commune de Paris « partaient à l’assaut du ciel ». La métaphore n’est pas que littéraire, elle représentait un cheminement historique évident, avec une classe ouvrière en cours de formation et péniblement émancipée d’une paysannerie rivée à la vie quotidienne d’ancien régime.

Il a fallu encore plusieurs décennies à la bourgeoisie française pour élever le niveau culturel de la paysannerie française et finir par l’arrimer à sa République. La voie socialiste de cette étape ayant échoué avec la faillite des héritiers de la Commune de Paris qui refusèrent le marxisme au profit de bricolages idéologiques.

Toujours est-il que le drapeau rouge, le marteau et la faucille, l’Internationale étaient autant de symboles qui illustraient l’idée que la révolution, c’était un peuple faisant l’Histoire en connaissance de cause. Aller parler de cela à un ouvrier aujourd’hui, il pourra trouver cela intéressant, mais espérer que cela le raccorde au fil historique de la lutte des classes est voué à l’échec.

Évidemment, tout cela est fort différent pour les pays du tiers-monde, où la question nationale encore non résolue rend nécessaire la prise de conscience d’un fil historique perdu… Comment par exemple régler la question ukrainienne sans passer par la connaissance du processus historique de formation de sa nation ? Tout comme la libération nationale palestinienne ne peut faire l’économie d’une prise de conscience de la trajectoire historique des peuples et nations constituées dans cette zone géographique, pour ne prendre que des exemples actuels.

Dans les nations riches constituées de longue date par contre, le capitalisme ce sont des ouvriers maniant des machines et procédures toujours plus complexes, des employés de service utilisant des réseaux informatiques sophistiqués, tout cela dans un mode de vie confortable exigeant donc des niveaux de connaissances et d’analyse plus qu’élevés.

De fait, ce sont des des gens épuisés par une vie quotidienne rythmée par les impératifs marchands d’un capitalisme pleinement développé à tous les niveaux de la vie.

Ce n’est donc pas que les gens ne veulent pas savoir, c’est qu’ils ne peuvent pas vouloir savoir les choses, bien qu’ils aient des dispositions cognitives plus importantes que le paysan du XIXe ou l’ouvrier des années 1920.

On ne peut être un protagoniste conscient dans telles conditions historiques. La révolution intervient alors dans un contexte de fatigue morale et psychique mais avec des capacités cognitives plus qu’approfondies.

Cette contradiction ne peut qu’impliquer des décrochages subjectifs sans « prise de conscience » vers l’engagement révolutionnaire mais dans une quête révolutionnaire en négatif, dont le carburant n’est rien d’autre que le crash généralisé de l’ancien monde.

Et c’est une réflexion incontournable à ce sujet dont nous avons besoin, aussi.

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La vraie question: la révolution sera-t-elle passive?

En apparence, demander si une révolution peut être passive n’a aucun sens. Une révolution, c’est l’irruption de forces armées prenant le pouvoir et modifiant le cours des choses. Il n’y a rien de plus actif. L’opposition entre socialistes et communistes, au début du 20e siècle, reposait sur la question de la dimension de ce côté actif. Les socialistes, quasiment tout le temps opportunistes en tout cas pour les cadres, prévoyaient une action peu active et à long terme, alors que les communistes étaient pour se précipiter, parfois trop et trop souvent.

Le problème est qu’alors que se termine le premier quart du 21e siècle, on ne voit des gens « actifs » nulle part. Jamais dans le monde le nombre de révolutionnaires n’a été aussi faible. Et leur dimension marginale sur le plan des idées et de la culture est parallèle à ce nombre si faible. Si l’on prend les soixante dernières années, il n’y aura jamais eu aussi peu de guérilla de gauche dans les pays du tiers-monde (ou même dans les pays « développés »), aussi peu d’organisations révolutionnaires de gauche dans le monde en général, aussi peu de contestations lancées par des révolutionnaires.

Ce qui existe par contre, c’est un syndicalisme, d’une part, afin de préserver ou conquérir des acquis parce qu’il faut bien vivre. Et, de l’autre, un populisme qui passe par les réseaux sociaux, par le militantisme étudiant, par les discours LGBT et l’écriture inclusive. La théorie, c’est que si on parvient à mobiliser un petit pourcentage de gens, l’opinion publique bascule. Ce qui compte donc, c’est le « réseau », comme le dit Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise le 5 octobre 2023 : « l’agora moderne, la place centrale moderne, c’est le réseau ».

Nous avons concrètement un monde de gens passifs faisant semblant d’aller bien et une poignée d’agités emplissant les réseaux sociaux et des partis politiques ou des mouvements contestataires avec très peu d’adhérents ou de participants.

Le 21e siècle est pourtant plein de défis et la révolution apparaît comme inéluctable. Doit-on alors s’imaginer que les gens vont reformer des organisations de gauche, de vastes mouvements, bien structurés, bien solides ? En admettant même que ce soit possible, il est évident qu’il n’y a de toutes façons pas le temps, ni l’énergie psychique.

Même une structure politique qui racolerait sans commune mesure (et il y a en a toujours, dans chaque pays, au moins une ou deux) se retrouverait avec des gens sans envergure, ne faisant que passer. Les gens veulent bien passer dans quelque chose, mais certainement pas y rester, et plus on augmente le niveau culturel, intellectuel, historique… plus on perd tout le monde.

Vous voyez-vous aller vers un travailleur français et lui expliquer qu’il faut une révolution bien organisée touchant les domaines de l’économie, de la politique, du social, de la psychologie, des arts, de l’écologie, du rapport aux animaux, du rapport hommes-femmes, du rapport au tiers-monde, etc. ? C’est tout simplement invraisemblable, il va vous regarder avec de gros yeux ou dire que, même si c’était souhaitable, ce n’est pas prêt d’arriver.

Le bonheur ? Un luxe. Déjà on tient, c’est déjà pas mal.

C’est en sens que la question de la dimension passive de la révolution est à saisir. Déjà, dialectiquement, il n’y a pas d’actif sans passif. Croire que les gens vont être H24 en mode contestataire, inépuisable, et ce pendant… une année, deux années, cinq années, c’est ne pas être réaliste. Il y a une dynamique actif-passif : à certains moments les gens sont actifs, à d’autres ils ne le sont pas.

D’ailleurs, voulez-vous une preuve à l’intérêt de cet article ? Eh bien voyez comment la dimension passive est déjà présente. Allez dans une grande librairie au rayon « développement personnel », comme « Les quatre accords toltèques », un bestseller. Regardez ce qui y est raconté. Vous trouverez pratiquement le même discours que la « gauche » postmoderne, les zadistes, les zapatistes, les Kurdes, La France insoumise, les anarchistes, EELV, les bobos…

Le discours qui est proposé ici, c’est que la révolution est uniquement « en soi » ou qu’elle est déjà réalisée (avec les Kurdes, les Zapatistes…) ou bien pas nécessaire (avec la « gauche » postmoderne). Ce qui compte c’est par conséquent un épanouissement subjectiviste toujours individuel, une « paix intérieure » et un rapport différent aux autres. C’est de la fiction, car il n’y a aucune analyse scientifique de rien. Mais on se sent subversif en écrivant des mots spirituels sur les murs des toilettes des bars bobos au look délabré chic.

Tout cela, c’est une vaste occupation du terrain « passif » à travers une pseudo bienveillance, dont l’idéologie LGBT est le fer de lance. C’est la niaiserie amicale, masque des rapports ultra-individualistes consuméristes. « Oh, I love you so much » dit le capitaliste américain à sa prochaine victime.

Tout cela pour dire que la révolution n’aura pas forcément lieu là où on le pense. Il ne faut pas regarder uniquement ce que font les gens, ni même ce qu’ils ne font pas. Il faut regarder là où ils placent leur énergie psychique, là où ils ne la placent pas. C’est ce que font d’ailleurs les préfets. En France, un préfet a comme tâche surtout de surveiller les tendances et de voir s’il n’y a pas une partie de la population qui se prend d’engouement dans telle ou telle direction. Si c’est vain, l’État le tolère, sinon il réprime, et dans tous les cas il surveille.

C’est cet engouement qui passe les mailles du filet du 24 heures sur 24 du capitalisme qui doit être notre boussole. C’est quelque chose de passif et d’actif, et c’est seulement ça qui peut avoir un sens. Tout ce qui est lié aux institutions est cuit, carbonisé. Tout ce qui s’insère « activement » dans la société, les gens n’y croient plus et sont trop individualisés.

Il est toujours dit qu’après la révolution, il y a aura un bouleversement culturel, on changerait les mentalités, il se passerait une « révolution culturelle » comme l’ont appelé les Chinois. En fait, elle va désormais avoir lieu avant, dans des mouvements de rupture, qui peuvent être contradictoires.

On peut avoir une révolution avec des prolétaires urbains exigeant d’accéder aux marques de mode de valeur… et des prolétaires loin de la métropole qui méprisent cette course pour eux à l’éphémère. Les uns peuvent-ils être appelés actifs, les autres passifs ? Non, bien entendu, il y a une dialectique dans tout ça.

Ce qui compte, c’est de voir que la recomposition du prolétariat dans le capitalisme français qui se déclasse ne prendra pas une forme « syndicale », « populiste », mais se déroulera en autonomie avec les institutions et les vieux styles de travail. Le prolétariat va se recomposer en se détachant du capitalisme… il le fera activement et passivement. Perdre l’un des deux côtés, c’est rater ce qui va se passer et se passe déjà !

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Politique

Déconfinement: la France est coupée en deux

Depuis la première phase du déconfinement le 11 mai, la France s’est littéralement coupée en deux. Non pas physiquement, mais culturellement. Deux attitudes se font face, ou plutôt se croisent et se toisent du regard. Il y a les gens responsables, prenant les précautions nécessaires en raison de la situation sanitaire et ceux qui n’en ont rien à faire.

Se rendre dans un supermarché cette semaine sans porter de masque, cela relève clairement de la provocation. Plus encore, c’est une affirmation, consistant à assumer le relativisme selon une conception des choses entièrement décadente.

Les masques sont dorénavant disponibles, beaucoup de collectivités territoriales en ont distribué, des couturières en font dans les familles, de nombreuses pharmacies et certains magasins en vendent. On a eu des semaines de débat sur l’incapacité du gouvernement à en fournir alors qu’il en aurait fallu massivement. Personne ne peut maintenant ignorer l’intérêt du masque, non pas pour soi directement, mais comme mesure barrière collective. Mais c’est justement parce qu’il s’agit d’une mesure collective, demandant une grande conscience sociale, que cela est difficile pour les esprits décadents pétris d’individualisme.

Penser non pas seulement à soi-même, à son petit confort personnel, mais à la collectivité et en particulier aux personnes fragiles, cela demande un haut niveau culturel. Ce niveau culturel, il apparaît de plus en plus clairement que la bourgeoisie ne l’a plus, ou presque plus, alors qu’il est très généralisé dans les classes populaires et en particulier chez les prolétaires.

Pour les bourgeois, les petits-bourgeois, les ouvriers corrompus, les lumpens, porter un masque en faisant ses courses, cela est de trop. Pour les prolétaires et les gens issus des milieux populaires, c’est considéré comme la moindre des choses depuis le 11 mai, en attendant d’être certain que la situation soit meilleure sur le plan sanitaire.

De la même manière, dans les familles populaires, pour les prolétaires, on ne va pas avec ses enfants traîner dans les magasins, il faut faire preuve de retenue dans la vie quotidienne, on limite encore drastiquement ses fréquentations, on se salue et se parle de loin, on porte un masque quand on est dans un milieu dense comme un centre-ville ou une galerie marchande, etc.

Inversement, les esprits faibles et lâches ont sauté sur l’occasion dès le 11 mai pour foncer dans les magasins ou à la plage, faire la fête entre amis à nombreux, se regrouper par poignées entières sur les pelouses des grandes villes, quitte à même se faire la bise pour les personnes les plus stupides.

On a ainsi en France un panorama spectaculaire où deux mondes cohabitent littéralement et se considèrent l’un l’autre de manière dédaigneuse. Bien malin d’ailleurs celui qui dira avec certitude lequel de ces deux mondes est le plus important numériquement.

Illustration dramatique de cette opposition : la valse des responsables de partis politiques à Matignon mercredi, pour une consultation concernant les municipales. Tous se présentent sans masque, alors même qu’ils sortent d’une voiture avec chauffeur, un espace particulièrement confiné où le masque est de rigueur. Tous ? Non, sauf Jordan Bardella, du Rassemblement national. Ce dernier a grandi dans une cité HLM de Seine-Saint-Denis, il vient d’un milieu populaire et on sait bien malheureusement à quel point le RN est presque le seul parti ayant une certaine assise populaire. Lors de cette réunion, le point de vue porté par Jordan Bardella était d’ailleurs simple : d’accord pour les élections municipales en juin, mais avec une protection FFP2 pour les assesseurs et un masque pour les électeurs.

De leur côté, Olivier Faure du PS, Julien Bayou d’EELV ou encore Alexis Corbière de la France insoumise, se sont présenté sans masque, de manière tout à fait décadente, complètement décalés par rapport au quotidien des classes populaires. Cela en dit long sur leur conception du monde, sur leurs valeurs, et en fin de compte, sur ce qu’ils représentent culturellement.

Ils ne valent ici pas mieux que le libéral Emmanuel Macron et son gouvernement débordé par la crise, incapable ne serait-ce que d’obliger le port du masque dans les grandes surfaces ou de véritablement faire respecter les interdictions de rassemblement.

Souhaitons vraiment que la circulation du virus se soit tarie depuis le 11 mai, notamment grâce à ceux respectant les règles sanitaires, et que tous les comportements irresponsables ne soient pas la cause d’une circulation massive du virus et d’une nouvelle vague de covid-19.

Il faudra en tous cas regarder avec une grande attention pour la période à venir l’existence de ces deux mondes, leur relation, leur évolution. La Gauche, la vraie Gauche, celle du mouvement ouvrier, qui porte la civilisation, ne pourra bien sûr exister que dans le camp des gens responsables, à la conscience collective aiguisée. Et il faudra alors mener la bataille contre l’individualisme et les comportements décadents portés par la bourgeoisie et le capitalisme s’effondrant.

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Réflexions Vie quotidienne

La fidélité, une valeur prolétarienne

En tant que classe sociale, le prolétariat est le vecteur d’une morale, de valeurs qui sont liées au quotidien mais aussi à toute une transmission collective, allant de la famille jusqu’aux luttes sociales en passant par les relations amicales et amoureuses. Au cœur de la transmission prolétarienne, il y a valeur cardinale qui est celle de la fidélité.

La loyauté est une valeur qui est difficile à saisir si l’on est pas soi-même issu ou lié à la classe ouvrière. Pour la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, elle apparaît toujours comme quelque chose de « décalé », d’un peu has been. Être moderne, ne serait-ce pas être « libre » de tous les carcans moraux, des normes ?

Cette incompréhension des classes éduquées se voit parfaitement bien lors d’une fermeture d’usine avec des reclassements à la clef ou lors d’une rénovation urbaine d’un quartier HLM délaissé. Bourgeois et petit-bourgeois se disent : « pourquoi ces gens ne sont pas contents de la modernisation ? Cette usine n’était-elle pas le vecteur d’un travail aliénant ? Ce quartier ne tombait-il pas en ruine ? ».

Pour les bourgeois, c’est la preuve du conservatisme des classes populaires, de leur réticence au « changement ». Mais, pour les prolétaires, c’est tout un monde qui s’écroule, un héritage de riches histoires, d’amitiés, d’expériences culturelles à laquelle on est fidèle.

Plus que fidèles à eux-mêmes, à leur propre personnalité, les prolétaires sont loyaux envers leur propre histoire en tant qu’histoire collective partagée dans la morosité et la joie du travail, du quartier, de la zone pavillonnaire, de la campagne. Il n’y a qu’à voir comment Mc Circulaire parle de sa campagne, en refusant le business du rap mainstream. Il y a une forme d’humilité, de respect et c’est cela la fidélité populaire.

Au cœur de la vie quotidienne, on reconnaît la loyauté prolétaire avec par exemple ces personnes qui donnent tant d’attention à leurs grands-parents car ils y voient le vecteur essentiel de la transmission d’une histoire, d’un héritage. Tout comme cela est visible dans cette parole si populaire de « respecter les anciens » ou dans cet attachement au couple amoureux, c’est-à-dire au prolongement dans le temps d’une fidélité à la fidélité elle-même.

Le style ouvrier réside bien dans cette loyauté et l’on peut voir d’ailleurs comme des pans de la Gauche se sont brisés sur cet aspect si essentiel de la vie quotidienne. Ce fut ainsi le cas de la Gauche contestataire dans l’après mai 1968. Si des milliers de gens, d’origine petite bourgeoise, sont allés aux ouvriers, à quoi cela sert-il si c’est pour partir aussitôt qu’on est arrivé ? Quelle fidélité, quelle loyauté, quelle crédibilité ?

Car, sur ce point, les ouvriers sont, plus que tout autre, d’une exigence absolue. À ce titre, la classe ouvrière est le seul contre-feu stable à la décadence d’une bourgeoisie qui valorise la casse de tout ancrage historique ( qu’il soit individuel ou historique ). C’est là le sens du triomphe de la PMA, de sites d’adultère comme Gleeden, de l’art contemporain sonnant comme un reflet de cette grande bourgeoisie cosmopolite en complète trahison de sa propre histoire.

La fidélité est tellement essentielle aux classes populaires qu’elle a été à la base de ses décrochages dans l’Histoire. N’est-ce pas de la fidélité populaire à la nation qu’est née la commune de Paris de 1871 ? N’est-ce pas de la loyauté envers la souveraineté que s’est développée la Résistance des années 1940 ?

Au regard de l’histoire, on peut dire certainement que la fidélité est le style de vie prolétarien dans tous les aspects la vie quotidienne. Elle se réalise ensuite au plan politique dans le Parti.

En effet, dans le mouvement ouvrier, cette fidélité s’est traduite par la discipline et la loyauté envers la SFIO ou la SFIC – Parti Communiste . Être membre d’un Parti de la classe ouvrière, c’est devenir fidèle à la fidélité elle-même incarnée par la discipline partisane.

Bien sûr on peut le critiquer, car sans la critique et l’auto-critique, cela dérive vers un enlisement bureaucratique. Mais d’un autre côté, c’est aussi l’expression de ce style ouvrier car derrière la fidélité il y a la ténacité, l’abnégation, la fermeté.

C’est ce que n’ont jamais compris la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, y voyant là un écrasement de l’individu, tout comme elles voient aujourd’hui la liberté dans l’amour libre, la déconstruction individuelle et bannit toute cadre moral collectif. C’est la raison qui explique que la Gauche, portée par les classes moyennes de centre-ville, s’est faite laminée par le postmodernisme et ses soutiens aux luttes des marges (LGBT, « racialisme », décoloniaux…)

Le danger est qu’il y a un courant, issu des classes dominantes, qui a saisi tout cela et surfe habilement dessus : le fascisme. C’est sa mise en avant de l’ « enracinement », sa valorisation unilatérale de la « famille », de la discipline militaire, de l’honneur de la patrie. Ce n’est qu’un détournement démagogique qui vise à assécher l’élan populaire vers son émancipation.

La Gauche historique se doit de défendre cette valeur de la fidélité dans tous les aspects de la vie quotidienne. C’est une des conditions à la conquête de l’hégémonie culturelle et à la construction d’une nouvelle société démocratique, populaire. S’il y a un sens à défendre la Gauche historique, c’est bien celui-ci : ouvriers, soyez fidèles à vous-même, à votre héritage, celui du Socialisme, du mouvement ouvrier, du drapeau rouge, de ses générations qui ont combattu pour l’émancipation.

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Rapport entre les classes Société

La bonhomie, la rondeur, ce qui définit le «prolétaire»

Le prolétaire, c’est celui qui n’a rien, à part ses enfants. L’appel de Karl Marx, « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », s’adresse à cette catégorie de gens qui portent véritablement toute la société sur leurs épaules par leur travail. Comment pourtant choisir un terme pour désigner leur nature propre, leur caractère ? On peut prendre celui de bonhomie. Le prolétaire est rond, le bourgeois est carré.

Si l’on prend l’image habituelle, celle du XIXe siècle, alors on a le prolétaire maigre, décidé, décisif, qui fait face au bourgeois ventripotent et incapable de savoir ce qu’est réellement le travail. C’est là un cliché erroné, qui est plus « syndicaliste » qu’autre chose.

En réalité, c’est le bourgeois qui est décisif, au sens de borné, étriqué, totalement bloqué dans son esprit, agissant mécaniquement. Le prolétaire est au contraire affable, d’esprit rond, il accepte. Et s’il accepte, c’est parce qu’il a le goût du réel.

Sa vie étant une succession d’expériences concrètes, de transformation de la matière, il sait que la vie a beaucoup d’aspects, que chacun fait son expérience. Le prolétaire a ainsi bon esprit, il est pratiquement bon enfant.

C’est bien pour cela d’ailleurs qu’il se fait tout le temps avoir : il ne lève pas le bout de son nez et ne sort pas de son expérience. La social-démocratie historique l’a toujours souligné, il faut que les prolétaires aient une vision d’ensemble, sans quoi ils se contentent d’être, somme toute, simplement ronds.

Lénine, dans son fameux ouvrage Que faire ?, ne fait que reprendre ouvertement cette conception social-démocrate, qui est le pendant de l’interprétation syndicaliste-révolutionnaire, pour qui le prolétaire est naturellement et forcément incisif, rude, batailleur, rebelle, etc.

Les faits montrent bien que ce sont les sociaux-démocrates qui avaient raison, et pas les syndicalistes-révolutionnaires, pas les anarchistes. La bonhomie, la rondeur, voilà ce qui définit le prolétaire, celui qui n’a rien. On a l’allégorie de cette forme de gentillesse avec l’homme sur le banc.

Cet homme, on l’a tous vu. Il a un certain âge, en tout cas son visage est au moins marqué. Ses habits, si ce ne sont des guenilles, ne ressemblent pas à grand-chose. On dirait qu’il vient de loin et souvent il a un sac, presque une sacoche ou en tout cas quelque chose d’un peu solide, pour ses affaires, peu nombreuses. On voit tout de suite qu’il n’a rien, strictement rien. Il est pourtant éveillé sur son banc, et il a une activité ronde : il donne à manger aux pigeons, avec bienveillance et un regard ému.

Il est impossible de ne pas avoir vu cette image si classique des villes. Elle est une parfaite allégorie du sens du partage, de la rondeur de celui qui veut le partage. Le bourgeois, lui, est vil. Il sait ce qu’il veut et il n’y a de place pour rien d’autre. Il n’a ni compassion, ni empathie. Sa passion est vivace, mais lui fournit un esprit sordide, bassement utilitariste. Il n’y a de place pour rien à part son élan dans son activité ciblée et réduite à sa substance même, lui-même se confondant avec ses propres objectifs, sans aucune distance.

Et face à de tels carrés, il faudra que les ronds sachent être aussi carrés, afin de les mettre de côté. C’est là toute une question de vision du monde et des moyens de faire en sorte qu’elle triomphe.

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Réflexions

Le landau et la canette de Red Bull

Même quand on n’est pas dans son propre pays, on l’est quand même. Pourquoi ? Parce que les prolétaires sont tous les mêmes.

Il est vrai que cette anecdote, de par son mauvais goût, tient plus d’un style germanique que d’un tempérament latin. Encore que ce n’est pas une anecdote, mais juste une preuve de plus, à ce que l’on sait bien déjà : les prolétaires sont tous les mêmes.

Ce fut, donc, dans un pays étranger, d’une ville touristique mais dont la périphérie, c’est de rigueur, consiste en des tours laides, sans personnalité ni n’exprimant rien à part la fadeur. Le couple avec le bébé était jeune, cela aussi est une constante populaire. La jeune femme fumait, là encore une mauvaise habitude.

Elle poussait donc un landau, la clope au bec comme le dit l’expression. Alors, le détail apparut au détour d’un regard à la fois bienveillant et critique. Le landau disposait, un peu plus bas que par là où on le pousse, un endroit pour poser le biberon tout en faisant qu’il reste stable. Cependant, ce n’était point un biberon qu’on trouvait là ! C’était une canette de Red Bull.

Que dire de cet étrange ressenti qui peut nous envahir à la vue d’une telle chose ? Quelle joie, quel attendrissement ! Non pas que ce soit la canette en elle-même qui soit plaisante et provoquerait subitement la soif, car il s’agit d’une boisson sucrée, caféinée, bref d’une de ces drogues industrielles et chimiques comme le capitalisme aime à en inventer pour trouver un moyen que l’on consomme à tout prix.

Non, ce qui était vivant comme sentiment, c’était l’impression de voir des compatriotes. Dans un pays qui n’est pas le sien, on aura beau dire, au bout d’un certain moment, il est plaisant de rencontrer des gens parlant sa langue. Au début du séjour on est vexé d’un tel fait, car on pensait être loin, enfin tranquille, et on se dit alors qu’on n’est pas allé assez loin. On se renfrogne. Pourtant, au bout d’une certaine période, qui peut être courte, on a comme le mal du pays.

Voir ce landau avec sa canette put donc agir tel un étendard, telle une sommation : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Non pas pour boire du Red Bull, cela va de soi, mais qui peut prétendre que cette image n’est pas d’Épinal, n’a pas dans sa substance ce qui forme le cas d’école, ne forme pas un exemple typique ? Ne devine-t-on pas que cette scène est, dans son caractère, la même à Barcelone, Lille ou Rotterdam, Malmö, Dortmund ou Zurich ?

Les prolétaires sont tous les mêmes, et ils sont même de plus en plus les mêmes, malgré que dans chaque pays on consomme plus de choses, et que les différences s’accentuent en apparence. Ce qui tend à triompher chez les prolétaires, c’est la même attitude, le même comportement, le même style. Et on aurait tort d’être unilatéral et de voir par exemple en les jeunes prolétaires des idiots sans conscience écoutant un certain « son » de rap, avec certains habits bien codifiés, certaines dégaines stéréotypés, certaines réactions simplement reprises à d’autres.

Car, ce qui se dessine au-delà de la faiblesse culturelle, c’est la volonté de s’approprier le monde. La canette de Red Bull n’est qu’un début et on peut déjà voir que les jeunes prolétaires s’habillent bien mieux que les générations précédentes, avec plus d’exigence pour le style, l’esthétique. Auparavant, seule une petite minorité recherchait quelque chose de ce type, désormais, il y a une pression générale pour être conforme à une certaines atmosphère, un certain style.

Si les gilets jaunes avaient d’ailleurs voulu que les prolétaires les rejoignent massivement, ils n’auraient pas réclamé de l’essence, mais un autre liquide : ceux des parfums. Bien naïf celui qui croit que la palette est le symbole du prolétaire du 21e siècle ! Le prolétaire ne se veut plus prolétaire, c’est là sa force et sa faiblesse. Il veut dépasser le bourgeois mais s’imagine qu’il doit pour cela lui ressembler, telle une caricature d’ailleurs. Bientôt il abandonnera cette illusion.

Et alors les revendications sociales, ce sera aussi : du beau textile pour tous, des objets utiles soit mais esthétiques, le raffinement accessible, les bonnes manières oui, mais populaires !