Catégories
Politique

Déconfinement: la France est coupée en deux

Depuis la première phase du déconfinement le 11 mai, la France s’est littéralement coupée en deux. Non pas physiquement, mais culturellement. Deux attitudes se font face, ou plutôt se croisent et se toisent du regard. Il y a les gens responsables, prenant les précautions nécessaires en raison de la situation sanitaire et ceux qui n’en ont rien à faire.

Se rendre dans un supermarché cette semaine sans porter de masque, cela relève clairement de la provocation. Plus encore, c’est une affirmation, consistant à assumer le relativisme selon une conception des choses entièrement décadente.

Les masques sont dorénavant disponibles, beaucoup de collectivités territoriales en ont distribué, des couturières en font dans les familles, de nombreuses pharmacies et certains magasins en vendent. On a eu des semaines de débat sur l’incapacité du gouvernement à en fournir alors qu’il en aurait fallu massivement. Personne ne peut maintenant ignorer l’intérêt du masque, non pas pour soi directement, mais comme mesure barrière collective. Mais c’est justement parce qu’il s’agit d’une mesure collective, demandant une grande conscience sociale, que cela est difficile pour les esprits décadents pétris d’individualisme.

Penser non pas seulement à soi-même, à son petit confort personnel, mais à la collectivité et en particulier aux personnes fragiles, cela demande un haut niveau culturel. Ce niveau culturel, il apparaît de plus en plus clairement que la bourgeoisie ne l’a plus, ou presque plus, alors qu’il est très généralisé dans les classes populaires et en particulier chez les prolétaires.

Pour les bourgeois, les petits-bourgeois, les ouvriers corrompus, les lumpens, porter un masque en faisant ses courses, cela est de trop. Pour les prolétaires et les gens issus des milieux populaires, c’est considéré comme la moindre des choses depuis le 11 mai, en attendant d’être certain que la situation soit meilleure sur le plan sanitaire.

De la même manière, dans les familles populaires, pour les prolétaires, on ne va pas avec ses enfants traîner dans les magasins, il faut faire preuve de retenue dans la vie quotidienne, on limite encore drastiquement ses fréquentations, on se salue et se parle de loin, on porte un masque quand on est dans un milieu dense comme un centre-ville ou une galerie marchande, etc.

Inversement, les esprits faibles et lâches ont sauté sur l’occasion dès le 11 mai pour foncer dans les magasins ou à la plage, faire la fête entre amis à nombreux, se regrouper par poignées entières sur les pelouses des grandes villes, quitte à même se faire la bise pour les personnes les plus stupides.

On a ainsi en France un panorama spectaculaire où deux mondes cohabitent littéralement et se considèrent l’un l’autre de manière dédaigneuse. Bien malin d’ailleurs celui qui dira avec certitude lequel de ces deux mondes est le plus important numériquement.

Illustration dramatique de cette opposition : la valse des responsables de partis politiques à Matignon mercredi, pour une consultation concernant les municipales. Tous se présentent sans masque, alors même qu’ils sortent d’une voiture avec chauffeur, un espace particulièrement confiné où le masque est de rigueur. Tous ? Non, sauf Jordan Bardella, du Rassemblement national. Ce dernier a grandi dans une cité HLM de Seine-Saint-Denis, il vient d’un milieu populaire et on sait bien malheureusement à quel point le RN est presque le seul parti ayant une certaine assise populaire. Lors de cette réunion, le point de vue porté par Jordan Bardella était d’ailleurs simple : d’accord pour les élections municipales en juin, mais avec une protection FFP2 pour les assesseurs et un masque pour les électeurs.

De leur côté, Olivier Faure du PS, Julien Bayou d’EELV ou encore Alexis Corbière de la France insoumise, se sont présenté sans masque, de manière tout à fait décadente, complètement décalés par rapport au quotidien des classes populaires. Cela en dit long sur leur conception du monde, sur leurs valeurs, et en fin de compte, sur ce qu’ils représentent culturellement.

Ils ne valent ici pas mieux que le libéral Emmanuel Macron et son gouvernement débordé par la crise, incapable ne serait-ce que d’obliger le port du masque dans les grandes surfaces ou de véritablement faire respecter les interdictions de rassemblement.

Souhaitons vraiment que la circulation du virus se soit tarie depuis le 11 mai, notamment grâce à ceux respectant les règles sanitaires, et que tous les comportements irresponsables ne soient pas la cause d’une circulation massive du virus et d’une nouvelle vague de covid-19.

Il faudra en tous cas regarder avec une grande attention pour la période à venir l’existence de ces deux mondes, leur relation, leur évolution. La Gauche, la vraie Gauche, celle du mouvement ouvrier, qui porte la civilisation, ne pourra bien sûr exister que dans le camp des gens responsables, à la conscience collective aiguisée. Et il faudra alors mener la bataille contre l’individualisme et les comportements décadents portés par la bourgeoisie et le capitalisme s’effondrant.

Catégories
Réflexions

La fidélité, une valeur prolétarienne

En tant que classe sociale, le prolétariat est le vecteur d’une morale, de valeurs qui sont liées au quotidien mais aussi à toute une transmission collective, allant de la famille jusqu’aux luttes sociales en passant par les relations amicales et amoureuses. Au cœur de la transmission prolétarienne, il y a valeur cardinale qui est celle de la fidélité.

La loyauté est une valeur qui est difficile à saisir si l’on est pas soi-même issu ou lié à la classe ouvrière. Pour la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, elle apparaît toujours comme quelque chose de « décalé », d’un peu has been. Être moderne, ne serait-ce pas être « libre » de tous les carcans moraux, des normes ?

Cette incompréhension des classes éduquées se voit parfaitement bien lors d’une fermeture d’usine avec des reclassements à la clef ou lors d’une rénovation urbaine d’un quartier HLM délaissé. Bourgeois et petit-bourgeois se disent : « pourquoi ces gens ne sont pas contents de la modernisation ? Cette usine n’était-elle pas le vecteur d’un travail aliénant ? Ce quartier ne tombait-il pas en ruine ? ».

Pour les bourgeois, c’est la preuve du conservatisme des classes populaires, de leur réticence au « changement ». Mais, pour les prolétaires, c’est tout un monde qui s’écroule, un héritage de riches histoires, d’amitiés, d’expériences culturelles à laquelle on est fidèle.

Plus que fidèles à eux-mêmes, à leur propre personnalité, les prolétaires sont loyaux envers leur propre histoire en tant qu’histoire collective partagée dans la morosité et la joie du travail, du quartier, de la zone pavillonnaire, de la campagne. Il n’y a qu’à voir comment Mc Circulaire parle de sa campagne, en refusant le business du rap mainstream. Il y a une forme d’humilité, de respect et c’est cela la fidélité populaire.

Au cœur de la vie quotidienne, on reconnaît la loyauté prolétaire avec par exemple ces personnes qui donnent tant d’attention à leurs grands-parents car ils y voient le vecteur essentiel de la transmission d’une histoire, d’un héritage. Tout comme cela est visible dans cette parole si populaire de « respecter les anciens » ou dans cet attachement au couple amoureux, c’est-à-dire au prolongement dans le temps d’une fidélité à la fidélité elle-même.

Le style ouvrier réside bien dans cette loyauté et l’on peut voir d’ailleurs comme des pans de la Gauche se sont brisés sur cet aspect si essentiel de la vie quotidienne. Ce fut ainsi le cas de la Gauche contestataire dans l’après mai 1968. Si des milliers de gens, d’origine petite bourgeoise, sont allés aux ouvriers, à quoi cela sert-il si c’est pour partir aussitôt qu’on est arrivé ? Quelle fidélité, quelle loyauté, quelle crédibilité ?

Car, sur ce point, les ouvriers sont, plus que tout autre, d’une exigence absolue. À ce titre, la classe ouvrière est le seul contre-feu stable à la décadence d’une bourgeoisie qui valorise la casse de tout ancrage historique ( qu’il soit individuel ou historique ). C’est là le sens du triomphe de la PMA, de sites d’adultère comme Gleeden, de l’art contemporain sonnant comme un reflet de cette grande bourgeoisie cosmopolite en complète trahison de sa propre histoire.

La fidélité est tellement essentielle aux classes populaires qu’elle a été à la base de ses décrochages dans l’Histoire. N’est-ce pas de la fidélité populaire à la nation qu’est née la commune de Paris de 1871 ? N’est-ce pas de la loyauté envers la souveraineté que s’est développée la Résistance des années 1940 ?

Au regard de l’histoire, on peut dire certainement que la fidélité est le style de vie prolétarien dans tous les aspects la vie quotidienne. Elle se réalise ensuite au plan politique dans le Parti.

En effet, dans le mouvement ouvrier, cette fidélité s’est traduite par la discipline et la loyauté envers la SFIO ou la SFIC – Parti Communiste . Être membre d’un Parti de la classe ouvrière, c’est devenir fidèle à la fidélité elle-même incarnée par la discipline partisane.

Bien sûr on peut le critiquer, car sans la critique et l’auto-critique, cela dérive vers un enlisement bureaucratique. Mais d’un autre côté, c’est aussi l’expression de ce style ouvrier car derrière la fidélité il y a la ténacité, l’abnégation, la fermeté.

C’est ce que n’ont jamais compris la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, y voyant là un écrasement de l’individu, tout comme elles voient aujourd’hui la liberté dans l’amour libre, la déconstruction individuelle et bannit toute cadre moral collectif. C’est la raison qui explique que la Gauche, portée par les classes moyennes de centre-ville, s’est faite laminée par le postmodernisme et ses soutiens aux luttes des marges (LGBT, « racialisme », décoloniaux…)

Le danger est qu’il y a un courant, issu des classes dominantes, qui a saisi tout cela et surfe habilement dessus : le fascisme. C’est sa mise en avant de l’ « enracinement », sa valorisation unilatérale de la « famille », de la discipline militaire, de l’honneur de la patrie. Ce n’est qu’un détournement démagogique qui vise à assécher l’élan populaire vers son émancipation.

La Gauche historique se doit de défendre cette valeur de la fidélité dans tous les aspects de la vie quotidienne. C’est une des conditions à la conquête de l’hégémonie culturelle et à la construction d’une nouvelle société démocratique, populaire. S’il y a un sens à défendre la Gauche historique, c’est bien celui-ci : ouvriers, soyez fidèles à vous-même, à votre héritage, celui du Socialisme, du mouvement ouvrier, du drapeau rouge, de ses générations qui ont combattu pour l’émancipation.

Catégories
Société

La bonhomie, la rondeur, ce qui définit le «prolétaire»

Le prolétaire, c’est celui qui n’a rien, à part ses enfants. L’appel de Karl Marx, « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », s’adresse à cette catégorie de gens qui portent véritablement toute la société sur leurs épaules par leur travail. Comment pourtant choisir un terme pour désigner leur nature propre, leur caractère ? On peut prendre celui de bonhomie. Le prolétaire est rond, le bourgeois est carré.

Si l’on prend l’image habituelle, celle du XIXe siècle, alors on a le prolétaire maigre, décidé, décisif, qui fait face au bourgeois ventripotent et incapable de savoir ce qu’est réellement le travail. C’est là un cliché erroné, qui est plus « syndicaliste » qu’autre chose.

En réalité, c’est le bourgeois qui est décisif, au sens de borné, étriqué, totalement bloqué dans son esprit, agissant mécaniquement. Le prolétaire est au contraire affable, d’esprit rond, il accepte. Et s’il accepte, c’est parce qu’il a le goût du réel.

Sa vie étant une succession d’expériences concrètes, de transformation de la matière, il sait que la vie a beaucoup d’aspects, que chacun fait son expérience. Le prolétaire a ainsi bon esprit, il est pratiquement bon enfant.

C’est bien pour cela d’ailleurs qu’il se fait tout le temps avoir : il ne lève pas le bout de son nez et ne sort pas de son expérience. La social-démocratie historique l’a toujours souligné, il faut que les prolétaires aient une vision d’ensemble, sans quoi ils se contentent d’être, somme toute, simplement ronds.

Lénine, dans son fameux ouvrage Que faire ?, ne fait que reprendre ouvertement cette conception social-démocrate, qui est le pendant de l’interprétation syndicaliste-révolutionnaire, pour qui le prolétaire est naturellement et forcément incisif, rude, batailleur, rebelle, etc.

Les faits montrent bien que ce sont les sociaux-démocrates qui avaient raison, et pas les syndicalistes-révolutionnaires, pas les anarchistes. La bonhomie, la rondeur, voilà ce qui définit le prolétaire, celui qui n’a rien. On a l’allégorie de cette forme de gentillesse avec l’homme sur le banc.

Cet homme, on l’a tous vu. Il a un certain âge, en tout cas son visage est au moins marqué. Ses habits, si ce ne sont des guenilles, ne ressemblent pas à grand-chose. On dirait qu’il vient de loin et souvent il a un sac, presque une sacoche ou en tout cas quelque chose d’un peu solide, pour ses affaires, peu nombreuses. On voit tout de suite qu’il n’a rien, strictement rien. Il est pourtant éveillé sur son banc, et il a une activité ronde : il donne à manger aux pigeons, avec bienveillance et un regard ému.

Il est impossible de ne pas avoir vu cette image si classique des villes. Elle est une parfaite allégorie du sens du partage, de la rondeur de celui qui veut le partage. Le bourgeois, lui, est vil. Il sait ce qu’il veut et il n’y a de place pour rien d’autre. Il n’a ni compassion, ni empathie. Sa passion est vivace, mais lui fournit un esprit sordide, bassement utilitariste. Il n’y a de place pour rien à part son élan dans son activité ciblée et réduite à sa substance même, lui-même se confondant avec ses propres objectifs, sans aucune distance.

Et face à de tels carrés, il faudra que les ronds sachent être aussi carrés, afin de les mettre de côté. C’est là toute une question de vision du monde et des moyens de faire en sorte qu’elle triomphe.

Catégories
Réflexions

Le landau et la canette de Red Bull

Même quand on n’est pas dans son propre pays, on l’est quand même. Pourquoi ? Parce que les prolétaires sont tous les mêmes.

Il est vrai que cette anecdote, de par son mauvais goût, tient plus d’un style germanique que d’un tempérament latin. Encore que ce n’est pas une anecdote, mais juste une preuve de plus, à ce que l’on sait bien déjà : les prolétaires sont tous les mêmes.

Ce fut, donc, dans un pays étranger, d’une ville touristique mais dont la périphérie, c’est de rigueur, consiste en des tours laides, sans personnalité ni n’exprimant rien à part la fadeur. Le couple avec le bébé était jeune, cela aussi est une constante populaire. La jeune femme fumait, là encore une mauvaise habitude.

Elle poussait donc un landau, la clope au bec comme le dit l’expression. Alors, le détail apparut au détour d’un regard à la fois bienveillant et critique. Le landau disposait, un peu plus bas que par là où on le pousse, un endroit pour poser le biberon tout en faisant qu’il reste stable. Cependant, ce n’était point un biberon qu’on trouvait là ! C’était une canette de Red Bull.

Que dire de cet étrange ressenti qui peut nous envahir à la vue d’une telle chose ? Quelle joie, quel attendrissement ! Non pas que ce soit la canette en elle-même qui soit plaisante et provoquerait subitement la soif, car il s’agit d’une boisson sucrée, caféinée, bref d’une de ces drogues industrielles et chimiques comme le capitalisme aime à en inventer pour trouver un moyen que l’on consomme à tout prix.

Non, ce qui était vivant comme sentiment, c’était l’impression de voir des compatriotes. Dans un pays qui n’est pas le sien, on aura beau dire, au bout d’un certain moment, il est plaisant de rencontrer des gens parlant sa langue. Au début du séjour on est vexé d’un tel fait, car on pensait être loin, enfin tranquille, et on se dit alors qu’on n’est pas allé assez loin. On se renfrogne. Pourtant, au bout d’une certaine période, qui peut être courte, on a comme le mal du pays.

Voir ce landau avec sa canette put donc agir tel un étendard, telle une sommation : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Non pas pour boire du Red Bull, cela va de soi, mais qui peut prétendre que cette image n’est pas d’Épinal, n’a pas dans sa substance ce qui forme le cas d’école, ne forme pas un exemple typique ? Ne devine-t-on pas que cette scène est, dans son caractère, la même à Barcelone, Lille ou Rotterdam, Malmö, Dortmund ou Zurich ?

Les prolétaires sont tous les mêmes, et ils sont même de plus en plus les mêmes, malgré que dans chaque pays on consomme plus de choses, et que les différences s’accentuent en apparence. Ce qui tend à triompher chez les prolétaires, c’est la même attitude, le même comportement, le même style. Et on aurait tort d’être unilatéral et de voir par exemple en les jeunes prolétaires des idiots sans conscience écoutant un certain « son » de rap, avec certains habits bien codifiés, certaines dégaines stéréotypés, certaines réactions simplement reprises à d’autres.

Car, ce qui se dessine au-delà de la faiblesse culturelle, c’est la volonté de s’approprier le monde. La canette de Red Bull n’est qu’un début et on peut déjà voir que les jeunes prolétaires s’habillent bien mieux que les générations précédentes, avec plus d’exigence pour le style, l’esthétique. Auparavant, seule une petite minorité recherchait quelque chose de ce type, désormais, il y a une pression générale pour être conforme à une certaines atmosphère, un certain style.

Si les gilets jaunes avaient d’ailleurs voulu que les prolétaires les rejoignent massivement, ils n’auraient pas réclamé de l’essence, mais un autre liquide : ceux des parfums. Bien naïf celui qui croit que la palette est le symbole du prolétaire du 21e siècle ! Le prolétaire ne se veut plus prolétaire, c’est là sa force et sa faiblesse. Il veut dépasser le bourgeois mais s’imagine qu’il doit pour cela lui ressembler, telle une caricature d’ailleurs. Bientôt il abandonnera cette illusion.

Et alors les revendications sociales, ce sera aussi : du beau textile pour tous, des objets utiles soit mais esthétiques, le raffinement accessible, les bonnes manières oui, mais populaires !