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Rapport entre les classes Réflexions

La véritable misère en France est psychologique

Le capitalisme détruit l’esprit et dissout l’âme.

Il n’existe pas de problématique de pauvreté en France, ou alors seulement jusqu’au niveau du très désagréable. Cela ne va pas toutefois jusqu’à une remise en cause existentielle, à part pour des populations marginalisées, très souvent immigrées. Car le capitalisme en 2022 produit beaucoup de marchandises, il est actif dans de très nombreuses sphères et on peut y trouver une place, même extrêmement déplaisante, mais tout de même.

Cela peut changer, mais cela n’a pas encore changé et de toutes façons même si ça change, les gens vont mettre un certain temps avant de comprendre ou d’accepter une baisse de leur niveau de vie. Cela produira inexorablement des mouvements pré-fascistes ou fascistes à la Gilets Jaunes.

Et le véritable arrière-plan dans le capitalisme développé, où il y a des marchandises partout, c’est que la misère psychologique est partout, que s’épanouir semble impossible, alors qu’au niveau de l’activité de l’esprit tout se réduit à la portion congrue et que l’âme, en quête de grandeur, se voit littéralement dissoute.

Il ne suffira pas que le capitalisme soit freiné ou recule pour que les gens comprennent l’ampleur de cette question psychologique. Mécaniquement, les gens se réfugieront bien plus dans la nostalgie d’un capitalisme permettant une certaine aisance. Le mouvement des Gilets Jaunes, cette horreur réactionnaire (au sens réel du terme puisque nostalgique d’un passé idéalisé), en témoigne de manière exemplaire.

Combattre la misère psychologique est donc fondamental et ce n’est pas là d’ailleurs quelque chose d’étranger au marxisme, comme on peut le penser en France, c’est bien au contraire au cœur de la question. Voici comment Karl Marx définit la situation des prolétaires dans le Capital en parlant de la paupérisation, c’est terrifiant et c’est vrai :

« L’analyse de la plus-value relative nous a conduit à ce résultat : dans le système capitaliste toutes les méthodes pour multiplier les puissances du travail collectif s’exécutent aux dépens du travailleur individuel; tous les moyens pour développer la production se transforment en moyens de dominer et d’exploiter le producteur : ils font de lui un homme tronqué, fragmentaire, ou l’appendice d’une machine ; ils lui opposent comme autant de pouvoirs hostiles les puissances scientifiques de la production-, ils substituent au travail attrayant le travail forcé ; ils rendent les conditions dans lesquelles le travail se fait de plus en plus anormales et soumettent l’ouvrier durant son service à un despotisme aussi illimité que mesquin ; ils transforment sa vie entière en temps de travail et jettent sa femme et ses enfants sous les roues du Jagernaut [sorte de chariot géant, utilisé pour les processions hindouistes] capitaliste.

Mais toutes les méthodes qui aident à la production de la plus-value favorisent également l’accumulation, et toute extension de celle-ci appelle à son tour celles-là.

Il en résulte que, quel que soit le taux des salaires, haut ou bas, la condition du travailleur doit empirer à mesure que le capital s’accumule.

Enfin la loi, qui toujours équilibre le progrès de l’accumulation et celui de la surpopulation relative, rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher.

C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égal accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »

Être marxiste c’est considérer que les travailleurs sont en France des êtres humains tronqués, fragmentaires, frappés par la pauvreté, la souffrance, l’ignorance, l’abrutissement, la dégradation morale, l’esclavage salarié.

C’est là le contraire du discours misérabiliste – républicain des syndicats et de la Gauche gouvernementale, et de toutes les variantes d’ultra-gauche ! Pour eux les travailleurs n’ont pas besoin de changer, ils sont déjà très bien…

Eh bien non ! Ils doivent se transformer ! Pour être en mesure de transformer le monde. Sans cela, ils restent un simple rouage de la machinerie capitaliste, qui désormais précipite le monde à la guerre.

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Rapport entre les classes Réflexions

Le souci : les gens détruits sont fascinés par la destruction

Il y a des gens très éprouvés par la vie dans notre société ; ils ont subi des choses très dures, violentes au point de les avoir défigurés psychologiquement. Outre la difficulté à surmonter le passé pour continuer à vivre et avancer, il y a une certaine fascination qui reste : la violence en impose. C’est qu’à l’arrière-plan, cette violence est sociale.

Il est fondamentalement erroné de réduire les mésaventures d’une personne à la vie personnelle de celle-ci. Un enfant battu n’est pas un individu écrasé par un autre, c’est une personne humaine avec un certain développement social écrasée par toute la société à travers un individu. C’est totalement différent. Si l’on perd de vue tout cet arrière-plan, on ne comprend pas pourquoi les horreurs subies sont tellement pénétrantes dans la personne brisée.

Les êtres humains sont en effet des êtres sociaux, ils appartiennent à la société, et inversement. Ce qui les frappe n’est jamais un simple événement, cela prend toujours la proportion de la société toute entière. C’est pour cela qu’une simple agression, un épisode somme toute banale dans notre société empli de brutalités, prend une telle dimension pour les gens qui l’ont subi. C’est comme si le ciel leur était tombé sur la tête, comme si toute la société leur tombait dessus.

Et comme la société n’abolit pas ce qui la tourmente, ne supprime pas les phénomènes produisant des monstres, les victimes ressassent, connaissent des obsessions. Seule une contre-violence destructrice leur semble le moyen de s’affirmer. Il ne s’agit pas du tout ici d’une violence révolutionnaire, au sens d’un engagement plein de confrontation avec le capitalisme, l’État, les institutions, etc. Non, il s’agit de la tentative de reproduire ce qu’on a subi, ailleurs, sur un autre mode, en étant cette fois le protagoniste.

Cette sorte de catharsis produit par une contre-brutalité inversée est un phénomène bien connu : on sait comme souvent les hommes faisant des enfants des victimes sexuelles ont eux-même été des victimes sexuelles. C’est le fameux thème de la reproduction de la violence – mais, en fait, ce thème est-il si fameux ? Car dans notre société individualiste, si prompte à parler de sociologie pour finalement en revenir toujours à l’individu, qui raisonne encore en termes de violence sociale, de reproduction de phénomènes à l’échelle de la société elle-même ?

Le faire, c’est nier la particularité de l’individu, c’est admettre que les êtres humains sont déterminés. Seuls les partisans du socialisme peuvent raisonner ainsi. Et force est de constater par ailleurs que les victimes, ayant connu une dégradation de leur personnalité, se mettent justement à se replier elles-mêmes sur leur individualité, à se comporter comme des individualistes, afin de chercher une voie pour exister, pour survivre.

Le socialisme, pour le comprendre, demande un esprit de synthèse, une capacité d’abstraction. Cependant, lorsqu’on est victime, on est seulement dans le dur, dans le concret immédiat. Il n’y a pas de place pour les raisonnements à moyen terme, pour le repli philosophique. Il y a les faits, les secondes qui passent les unes après les autres et qu’il faut remplir à tout prix. D’où la fascination pour la puissance de ce qu’on a subi, d’où la quête de trouver aussi fort, d’avoir à sa disposition quelque chose d’aussi explosif.

C’est là naturellement contourner le rapport à la violence sociale. Il ne peut en aucun cas s’agir de reproduire la violence subie, mais de lui opposer une contre-violence sociale, définie par l’alternative collective. Cela n’implique pas le refus de la vengeance, mais cela exige au préalable la transformation de soi-même et la participation à la transformation du monde. Sans quoi on devient soi-même un monstre.

Sans cela qu’aurait-on, et qu’a-t-ton ? De la reproduction sociale de la violence à tous les niveaux. Un tel qui trompe un tel qui par conséquent trompe un tel et ce à l’infini. Quelqu’un qui ment à un tel qui ment à un tel par conséquent et ce à l’infini. Cela donne une société où l’amitié et l’amour se retrouvent si fragiles, alors que leur loyauté devrait être à toute épreuve.

C’est bien cela le pire. En cherchant à se préserver, les victimes pratiquent la fuite en avant. Et perdent alors tout, et reproduisent le phénomène, à l’extérieur d’elles-mêmes et pour elles-mêmes. Et là plus rien ne tient… jusqu’à la prochaine fois où l’on recommence, et ainsi de suite.

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Réflexions Vie quotidienne

La folie se propage dans les grandes villes

Le capitalisme rend les gens fous. Les psychiatres disent eux qu’on voit plus de fous, parce qu’il y a moins de place en psychiatrie. C’est une terrible capitulation de leur part, une preuve de leur étroit esprit corporatiste.

Grandes villes - Amesoeurs amesoeurs

La loi est ainsi faite qu’on n’a pas le droit de critiquer les médecins ; les psychiatres étant des médecins, on n’a donc pas le droit de les critiquer non plus. Ils « savent » ce qu’ils font et on doit donc accepter cela, et faire comme si les médecins ne formaient pas une corporation, comme si leurs attitudes et leurs évaluations ne correspondaient pas à des principes, des idéologies.

Alors, lorsque le quotidien Le Parisien interroge des psychiatres sur la recrudescence du nombre de fous à Paris (mais bien sûr dans les autres grandes villes aussi, voire en général), on a droit à des réponses simplistes et il faudrait les prendre pour argent comptant.

Il faudrait accepter, donc, qu’on ne sait pas s’il y a plus de fous ou non, que de toutes façons si on les voit plus c’est parce qu’il y a moins de places en psychiatrie, et également que les psychiatres font mieux leur travail qu’avant, repérant mieux les cas, etc.

Tout cela n’est que mensonge et ne vise qu’à financer la corporation des psychiatres. En réalité, la société se ratatine sur elle-même et les gens s’effondrent psychologiquement, psychiquement, mentalement. Les grandes villes, telles qu’elles existent sous leur forme actuelle, ne sont plus des bastions de la culture mais des lieux de désocialisation, de pression, d’aliénation. La grande ville, c’est la souffrance, à part pour une minorité aisée s’imaginant vivre de manière heureuse.

L’article reprend les chiffres du livre d’une des personnes interrogées et parle de 4,7 à 6,7 millions de « personnes touchées par la dépression en France ». Des chiffres énormes et vagues à la fois. Comment faire la part de ce que l’on pourrait qualifier de réelle dépression, et de posture égocentrique ? Comment faire la part entre ce qui tend réellement vers la dépression et ce qui tend vers de la mise en scène malsaine ?

Une personne qui évoque une envie de suicide est-elle dépressive ? suicidaire ? Ou est-elle dans une logique petite-bourgeoise égocentrique ? Tout ceci est très subjectif et extrêmement difficile à évaluer. Et tant que l’on raisonne en terme d’individus, chacun pourra avancer les chiffres les plus extravagants avec des analyses toutes les plus subjectivistes les unes que les autres. Au final on voit bien que la société n’est pas consciente d’elle-même, et que personne n’en sait trop rien.

Si l’on raisonne en termes de société, alors on peut voir aisément les dégâts d’ensemble fait aux habitants de notre pays… Encore faut-il pour cela prendre en compte le capitalisme. Si cela était fait, on échapperait à nombres d’interprétations subjectives, dénuées de tout fondement culturel, de tout rapport au travail, effectuées par les psychologues et psychiatres.

Ce qui résout la dépression, c’est la coupure avec ce qui est négatif, toxique, et cela en termes de rapports sociaux, combinée avec un retour dans un environnement naturel, sain, et un travail. La psychiatrie a tort à la base, car elle prend pas en compte la notion de travail. Le travail est le moyen humain pour développer l’esprit, pour saisir la réalité de manière rationnelle, et pour voir comment les choses se transforment.

Comment quelqu’un ayant des problèmes psychologiques, psychiques, psychiatriques, peut-il s’en sortir, s’il ne connaît pas le principe de transformation ? Il ne saura pas comment se transformer lui-même, il restera apathique, incapable de trouver une solution concrète. La société ne le lui propose d’ailleurs pas non plus, se contentant de livrer des tonnes de médicaments pour étouffer, engourdir, endormir les esprits ayant déraillés. Il est bien connu que la France est un pays hautement consommateur d’antidépresseurs : c’est déjà une raison de révolte.

Qui ne veut pas rompre avec les grandes villes, avec la folie d’un capitalisme sous haute pression, avec le mépris du travail comme force transformatrice, ne devrait pas parler de folie, car il a déjà capitulé face à l’ennemi.

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Réflexions

L’habitude de psychologiser sur soi-même

Tous ceux qui ont pris l’habitude de psychologiser facilement sur eux-mêmes, savent quelle part immense l’adolescence tient dans le génie définitif d’un homme.

Homme et femme contemplant la lune, 1818-1824, Caspar David Friedrich

Qui ne s’est pas noyé dans la société de consommation ou dans un repli anarchiste se tourne nécessairement vers son vécu et le passé a alors une vraie tonalité, un vrai goût. Il n’est pas une abstraction flottante, il est tactile, il sent quelque chose, on peut le toucher. Les dérives faussement artistiques sont d’ailleurs un fétiche de cela, incapables de revenir vers le futur, alors que c’est la règle pour rester dans le réel. Il faut bien le reconnaître : Marcel Proust a tort, le passé reste le passé.

Et c’est justement parce que le peuple est philosophe et sait faire cela que le capitalisme l’abreuve de chansons nostalgiques et mielleuses, exprimant le traumatisme baroque d’un passé perdu, à jamais révolu. Le but est de le maintenir prisonnier de ce qui n’est plus. Comme l’exprimait Alain Souchon dans une fameuse chanson, on maintient le peuple à l’état de foule sentimentale.

Quelle que soit cette prétention du capitalisme cependant, la vie personnelle reste néanmoins une construction et on change à tous les âges, avec bien entendu une affection particulière pour l’adolescence, ce grand tournant où l’on émerge pour de bon. Au détour d’une soirée, perdue dans les brumes de l’hiver arrivant sur la ville, on rencontre parfois des gens qui ont une conscience aiguë de cela, et l’un d’entre eux a su dire quelque chose de très philosophe à ce sujet.

Son principe était très concret : à intervalles réguliers, il se place devant lui-même, lorsqu’il avait quatorze ans. Dans une expérience philosophique dont les contours restent flous, il discute avec lui-même, celui de quatorze ans dressant un réquisitoire contre celui qu’il est devenu. Le vieux se plie alors aux exigences du jeune, en espérant qu’il y en ait le moins possible, dans la mesure où le vieux cherche toujours à rester dans l’esprit du jeune entre ces moments de discussion, de rappel à l’ordre.

C’est là une tentative de rester jeune à tout prix, en considérant que c’est une mentalité, allant de pair avec la plasticité du cerveau, une curiosité vivace. Le but est de combiner l’expérience acquise, la maturité, avec l’authenticité d’une conscience non démolie par les exigences de l’adulte encadré par le capitalisme. Cela ne semble pas aisé ! Et aussi combien de jeunes sont déjà vieux en pratique ! Ils ont cédé avant même d’avoir à céder en tant qu’adultes !

Peut-être ont-ils raté quelque chose auparavant, dans leur enfance même ? Baudelaire, en parlant de l’écrivain Edgar Allan Poe, tient à ce sujet ces propos si parlants, si confondants:

« Tous ceux qui ont réfléchi sur leur propre vie, qui ont souvent porté leurs regards en arrière pour comparer leur passé avec leur présent, tous ceux qui ont pris l’habitude de psychologiser facilement sur eux-mêmes, savent quelle part immense l’adolescence tient dans le génie définitif d’un homme.

C’est alors que les objets enfoncent profondément leurs empreintes dans l’esprit tendre et facile ; c’est alors que les couleurs sont voyantes, et que les sens parlent une langue mystérieuse.

Le caractère, le génie, le style d’un homme est formé par les circonstances en apparence vulgaires de la première jeunesse.

Si tous les hommes qui ont occupé la scène du monde avaient noté leurs impressions d’enfance, quel excellent dictionnaire psychologique nous posséderions ! »

Baudelaire glisse de l’adolescence à l’enfance, ce qui est là aller sans nul doute trop loin et aboutir aux fantasmagories de la psychanalyse. Il est vrai que la frontière est ténue, et également que cela en dit long sur Baudelaire, mi-romantique et rebelle, mi idéaliste cherchant une survie forcée à travers les choses, de manière ouvertement pré-fasciste, par la vitalité à tout prix.

Et c’est vrai que c’est là le point commun dans l’apparence du Communisme et du Fascisme : les deux exigent, contre le Capitalisme, l’habitude de psychologiser sur soi-même. Mais leurs réponses sont totalement opposées : le Fascisme veut la réduction à l’ego, le fétiche du vécu, l’obsession du passé, l’individu à tout prix, le surhomme ; le Communisme veut la reconnaissance du nouveau, le développement des facultés, la dynamique avec la collectivité, l’homme naturel.