Le « Raptor dissident », c’est d’abord un style. Un style exprimé par la connexion entre deux formes symétriques de la réaction que le YouTuber a su réaliser et développer de manière réussie, l’amenant à être suivi par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux et la plateforme YouTube. Il s’agit donc d’un style qu’il faut analyser, dénoncer et dépasser depuis les valeurs de la Gauche.
Un « dissident 2.0 » propre à flatter sa génération.
Ismaïl Ouslimani, dit le « Raptor », s’est d’abord appuyé sur les codes expressionnistes propres à rassembler et à toucher toute une frange de sa génération. Cela autour d’un univers largement alimenté par des références aux jeux vidéos, au hip hop, aux mangas, aux blockbusters américains, aux émissions de télévision des années 1990-2000. On retrouve ici cet univers geek largement développé sur les réseaux ou sur YouTube par le Joueur du Grenier ou même Usul par exemple selon un style parallèle, assez similaire en tout cas sur la forme, le ton, le montage.
Mais cette forme, le « Raptor » l’a considérablement approfondie et politisée par toute une démarche culturelle, de nature « méta-politique », propre à l’extrême-droite. C’est-à-dire, un mélange d’individualisme aristocratique mêlant dans une perspective romantique, un appel aux vertus chevaleresques, aux valeurs « identitaires » et à l’esprit de communauté, dans le but de produire et d’affirmer des cadres culturels en capacité d’influencer le débat public, par leurs idées et leur style.
Et pour cela, le Raptor a bénéficié de l’espace politique ouvert par Dieudonné et Alain Soral, en s’inscrivant lui-même dans ce courant de la « dissidence » populiste réactionnaire. Le Raptor a donc poussé cette démarche à fond, rassemblant autour de lui d’autres figures en mesure de renforcer cette ligne, comme Papacito ou le dessinateur Marsault.
La tentative de constituer une base réactionnaire identifiable.
D’autre part, le Raptor et sa bande ont perçu l’impasse vers laquelle se dirigeaient Dieudonné et Soral, qui après leurs premiers succès, se sont contentés d’une situation de rente propre à simplement leur assurer une existence confortable, mais ayant échoué à produire un changement culturel significatif selon leur perspective. Il s’agit alors d’approfondir la démarche en passant au-dessus de Dieudonné ou Soral, sans les considérer comme des adversaires mais comme des précurseurs, ou des concurrents, outranciers et surtout pas au niveau de la ligne qu’entend promouvoir le Raptor.
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Celui-ci entend compléter la culture geek dont il est issu par tout un parallèle avec la culture réactionnaire antérieure. L’idée étant de renvoyer à la France gaullienne d’avant Mai 1968, comme base idéalisée permettant de produire une image propre à marquer par son style et à rallier de manière large.
On a donc ici toute une démarche consistant à mettre en avant des codes identifiables comme ceux de l’acteur Jean Gabin par exemple, notamment avec ce qu’essaye de reproduire quelqu’un comme Papacito. C’est-à-dire une mise en scène qui se pense irrésistible, « virile », avec des poses et des répliques surjouées, théâtralisées, forcées pour tout dire, une esthétique qui mélange les pages « culture » du Figaro ou de Valeurs Actuelles avec ses lunettes de soleil hors de prix et son goût pour la consommation distinctive et luxueuse, avec une attitude et un jeu, des punch-lines pour faire « populaire ». Par exemple en vantant la nécessité d’éduquer à coup de « gifle avec élan » les immigrés récalcitrant à se sentir français. Ou encore affirmant qu’au fond s’il y a des agressions contre les femmes, c’est aussi parce que les hommes ne sont plus des « bonhommes à l’ancienne », qu’il manquerait donc plus de patriarcat et d’autorité virile.
On a là le même anti-réalisme, caricaturant les types et forçant les traits mais qui s’affirme toutefois authentique, rejetant la modernité corrompue au nom de la liberté individuelle et de l’esprit du terroir et de « ceux qui triment » et qui se retrouvent dans leur temps libre à dialoguer entre copains, quand ils ne sont pas à salle pour « pousser » ou mettre les gants, entre hommes de préférence, échangeant sur leur écoeurement face à l’écroulement du monde. Tout cela entourés de filles reflétant symétriquement leur vulgarité désabusée, sur le ton de la dérision semi-sophistiquée et du bon mot, qu’on peut se permettre, parce qu’on a du muscle et qu’on est « street credible ».
C’est-à-dire qu’on a littéralement ici des petit-bourgeois qui se travestissent en ouvrier, méprisent les masses dont ils sont issus pour vivre romantiquement une aventure individualiste, une entreprise contre le reste du monde dont ils rejettent la médiocrité de manière unilatérale, en hommes libres et solitaires. Évidement, on a là aussi tout un écho avec le style développé par le réalisateur Michel Audiart, qui a mieux que personne joué sur cette confusion entre les valeurs de la Gauche et le soi-disant pragmatisme « concret » de la Droite, exprimant faussement le « bon sens » populaire de la seconde contre la première.
Une démarche vaine et vouée à l’échec.
« C’est la gauche qui me rend de droite » disait Audiard, et toute la démarche, tout le style du Raptor s’inscrit dans cette filiation, et mieux dans la posture, le style, de la « rébellion » petite-bourgeoise contre le monde moderne. Le Raptor a compris qu’un écho était jouable en affirmant le parallèle avec cette forme identifiable et malheureusement appréciée car mal comprise au sein de la culture de notre pays, et qui permet d’apparaître crédible, de dire quelque chose de familier, avec un style qui apparaît faussement « français » et authentique en surface.
La vulgarité de l’esthète désabusé, mais fort d’esprit et de corps, prolonge donc ici des figures propres à flatter l’esprit réactionnaire d’une partie des masses, piégées dans la culture beauf à qui elle donne une forme « noble », « cultivée », « aristocratique ». Comme l’a fait Louis-Ferdinand Céline dans le domaine littéraire ou Jean-Marie Le Pen dans celui de la politique, que le Raptor présente comme le « daron du game trop stylée et déter » face à sa fille surnommée ironiquement « Malika Le Pen » qui ne porte pas « ses couilles » et ne consiste en rien.
La « dissidence » du Raptor consiste donc à se reconnecter directement à ce style démagogique et à ces figures, en proposant une enveloppe modernisée, établissant une continuité propre à permettre l’héritage, d’exprimer faussement la « permanence » d’une rébellion française face à la Modernité, d’affirmer « l’homme ancien » contre le monde moderne. Il s’agit bien là en ce sens d’une offensive culturelle de la réaction, d’un populisme réactionnaire sur une ligne menant très clairement au fascisme.
Bien entendu, tout cela est sans consistance et dans sa dernière vidéo, le Raptor se présente face caméra dans un genre de FAQ prétexte à présenter sa pure et simple capitulation, son incapacité à assumer sa ligne jusqu’au bout. Finalement, il se révèle lui aussi rentier de la situation qu’il a pu constituer à son avantage, se contentant du rôle de trublion un peu stylé et de n’être qu’un entrepreneur du Fitness. Il est tout ce qu’il critique ou prétend critiquer, illustrant la pure vanité, tout le néant et l’impasse de sa démarche et de la perspective qu’il a proposé.
Cette impasse, cet échec traduit aussi symétriquement le reflet du besoin d’affirmer de manière ouverte, authentique et visible, un style véritablement démocratique, propre au cadre français et rejetant cette imposture petit-bourgeoise.
Pour aller plus loin : Saisir la dimension petite-bourgeoise et réactionnaire du cinéma de Michel Audiard au sein de la culture française.