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De Michel Audiard au Raptor dissident et sa bande, un style réactionnaire modernisé

Le « Raptor dissident », c’est d’abord un style. Un style exprimé par la connexion entre deux formes symétriques de la réaction que le YouTuber a su réaliser et développer de manière réussie, l’amenant à être suivi par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux et la plateforme YouTube. Il s’agit donc d’un style qu’il faut analyser, dénoncer et dépasser depuis les valeurs de la Gauche.

Raptor dissident

Un « dissident 2.0 » propre à flatter sa génération.

Ismaïl Ouslimani, dit le « Raptor », s’est d’abord appuyé sur les codes expressionnistes propres à rassembler et à toucher toute une frange de sa génération. Cela autour d’un univers largement alimenté par des références aux jeux vidéos, au hip hop, aux mangas, aux blockbusters américains, aux émissions de télévision des années 1990-2000. On retrouve ici cet univers geek largement développé sur les réseaux ou sur YouTube par le Joueur du Grenier ou même Usul par exemple selon un style parallèle, assez similaire en tout cas sur la forme, le ton, le montage.

Mais cette forme, le « Raptor » l’a considérablement approfondie et politisée par toute une démarche culturelle, de nature « méta-politique », propre à l’extrême-droite. C’est-à-dire, un mélange d’individualisme aristocratique mêlant dans une perspective romantique, un appel aux vertus chevaleresques, aux valeurs « identitaires » et à l’esprit de communauté, dans le but de produire et d’affirmer des cadres culturels en capacité d’influencer le débat public, par leurs idées et leur style.

Et pour cela, le Raptor a bénéficié de l’espace politique ouvert par Dieudonné et Alain Soral, en s’inscrivant lui-même dans ce courant de la « dissidence » populiste réactionnaire. Le Raptor a donc poussé cette démarche à fond, rassemblant autour de lui d’autres figures en mesure de renforcer cette ligne, comme Papacito ou le dessinateur Marsault.

La tentative de constituer une base réactionnaire identifiable.

D’autre part, le Raptor et sa bande ont perçu l’impasse vers laquelle se dirigeaient Dieudonné et Soral, qui après leurs premiers succès, se sont contentés d’une situation de rente propre à simplement leur assurer une existence confortable, mais ayant échoué à produire un changement culturel significatif selon leur perspective. Il s’agit alors d’approfondir la démarche en passant au-dessus de Dieudonné ou Soral, sans les considérer comme des adversaires mais comme des précurseurs, ou des concurrents, outranciers et surtout pas au niveau de la ligne qu’entend promouvoir le Raptor.

> Lire égalementAlain Soral et le « Raptor », produits de la décadence complète de la société française

Celui-ci entend compléter la culture geek dont il est issu par tout un parallèle avec la culture réactionnaire antérieure. L’idée étant de renvoyer à la France gaullienne d’avant Mai 1968, comme base idéalisée permettant de produire une image propre à marquer par son style et à rallier de manière large.

On a donc ici toute une démarche consistant à mettre en avant des codes identifiables comme ceux de l’acteur Jean Gabin par exemple, notamment avec ce qu’essaye de reproduire quelqu’un comme Papacito. C’est-à-dire une mise en scène qui se pense irrésistible, « virile », avec des poses et des répliques surjouées, théâtralisées, forcées pour tout dire, une esthétique qui mélange les pages « culture » du Figaro ou de Valeurs Actuelles avec ses lunettes de soleil hors de prix et son goût pour la consommation distinctive et luxueuse, avec une attitude et un jeu, des punch-lines pour faire « populaire ». Par exemple en vantant la nécessité d’éduquer à coup de « gifle avec élan » les immigrés récalcitrant à se sentir français. Ou encore affirmant qu’au fond s’il y a des agressions contre les femmes, c’est aussi parce que les hommes ne sont plus des « bonhommes à l’ancienne », qu’il manquerait donc plus de patriarcat et d’autorité virile.

On a là le même anti-réalisme, caricaturant les types et forçant les traits mais qui s’affirme toutefois authentique, rejetant la modernité corrompue au nom de la liberté individuelle et de l’esprit du terroir et de « ceux qui triment » et qui se retrouvent dans leur temps libre à dialoguer entre copains, quand ils ne sont pas à salle pour « pousser » ou mettre les gants, entre hommes de préférence, échangeant sur leur écoeurement face à l’écroulement du monde. Tout cela entourés de filles reflétant symétriquement leur vulgarité désabusée, sur le ton de la dérision semi-sophistiquée et du bon mot, qu’on peut se permettre, parce qu’on a du muscle et qu’on est « street credible ».

C’est-à-dire qu’on a littéralement ici des petit-bourgeois qui se travestissent en ouvrier, méprisent les masses dont ils sont issus pour vivre romantiquement une aventure individualiste, une entreprise contre le reste du monde dont ils rejettent la médiocrité de manière unilatérale, en hommes libres et solitaires. Évidement, on a là aussi tout un écho avec le style développé par le réalisateur Michel Audiart, qui a mieux que personne joué sur cette confusion entre les valeurs de la Gauche et le soi-disant pragmatisme « concret » de la Droite, exprimant faussement le « bon sens » populaire de la seconde contre la première.

Une démarche vaine et vouée à l’échec.

« C’est la gauche qui me rend de droite » disait Audiard, et toute la démarche, tout le style du Raptor s’inscrit dans cette filiation, et mieux dans la posture, le style, de la « rébellion » petite-bourgeoise contre le monde moderne. Le Raptor a compris qu’un écho était jouable en affirmant le parallèle avec cette forme identifiable et malheureusement appréciée car mal comprise au sein de la culture de notre pays, et qui permet d’apparaître crédible, de dire quelque chose de familier, avec un style qui apparaît faussement « français » et authentique en surface.

La vulgarité de l’esthète désabusé, mais fort d’esprit et de corps, prolonge donc ici des figures propres à flatter l’esprit réactionnaire d’une partie des masses, piégées dans la culture beauf à qui elle donne une forme « noble », « cultivée », « aristocratique ». Comme l’a fait Louis-Ferdinand Céline dans le domaine littéraire ou Jean-Marie Le Pen dans celui de la politique, que le Raptor présente comme le « daron du game trop stylée et déter » face à sa fille surnommée ironiquement « Malika Le Pen » qui ne porte pas « ses couilles » et ne consiste en rien.

La « dissidence » du Raptor consiste donc à se reconnecter directement à ce style démagogique et à ces figures, en proposant une enveloppe modernisée, établissant une continuité propre à permettre l’héritage, d’exprimer faussement la « permanence » d’une rébellion française face à la Modernité, d’affirmer « l’homme ancien » contre le monde moderne. Il s’agit bien là en ce sens d’une offensive culturelle de la réaction, d’un populisme réactionnaire sur une ligne menant très clairement au fascisme.

Bien entendu, tout cela est sans consistance et dans sa dernière vidéo, le Raptor se présente face caméra dans un genre de FAQ prétexte à présenter sa pure et simple capitulation, son incapacité à assumer sa ligne jusqu’au bout. Finalement, il se révèle lui aussi rentier de la situation qu’il a pu constituer à son avantage, se contentant du rôle de trublion un peu stylé et de n’être qu’un entrepreneur du Fitness. Il est tout ce qu’il critique ou prétend critiquer, illustrant la pure vanité, tout le néant et l’impasse de sa démarche et de la perspective qu’il a  proposé.

Cette impasse, cet échec traduit aussi symétriquement le reflet du besoin d’affirmer de manière ouverte, authentique et visible, un style véritablement démocratique, propre au cadre français et rejetant cette imposture petit-bourgeoise.

Pour aller plus loin : Saisir la dimension petite-bourgeoise et réactionnaire du cinéma de Michel Audiard au sein de la culture française.

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Alain Soral et le « Raptor », produits de la décadence complète de la société française

À la toute fin du mois de juillet, Dieudonné et Alain Soral ont organisé une conférence de presse payante trois euros pour annoncer que la bastonnade entre le second et le youtubeur « Raptor » aura lieu le 20 octobre. Le « Raptor », lui, était aux Maldives en vacances et a rejeté Dieudonné comme organisateur du combat, accusant Alain Soral d’être un lâche ne répondant pas aux messages textos. Il ne veut plus entendre parler d’Alain Soral par conséquent.

C’est un épisode de plus dans le scénario grotesque de l’affrontement à coups d’insultes, de menaces, de paranoïa et d’inculture entre une extrême-droite tellement raciste anti-arabe qu’elle en fait sa cause unilatérale, et une extrême-droite purement antisémite.

Dignes équivalents hystériques de la gauche « postmoderne » et « postindustrielle », ces gens sont le pur produit, littéralement surréaliste, de la décadence complète de la société française. Dieudonné a ainsi lors de la conférence de presse expliqué que l’État israélien visait à la destruction des nations, des familles, de l’humanité entière, Alain Soral dénonçant David ayant tué Goliath au moyen d’une fronde au lieu de se battre à la loyale !

C’est un exemple assez édifiant de l’anti-civilisation que représente l’extrême-droite, rempli d’individualités cherchant à devenir des porte-paroles plébéiens ayant assez d’écho pour parvenir au pouvoir.

C’est la base intellectuelle, si l’on ose utiliser ce terme, de cette fuite en avant dans l’explication paranoïaque du monde. Incapable de voir la question des idées, le « Raptor » ne voit en Alain Soral qu’un « baboucholâtre », Alain Soral voyant en le « Raptor » le vecteur de réseaux sionistes et de regroupements visant les ratonnades.

Ce sont des équivalents directs de Donald Trump, de cette vague conservatrice radicale cherchant à mobiliser en disant qu’il n’est pas besoin de culture, qu’il suffit de l’identité. Ce n’est même plus du nationalisme, mais une sorte de beauferie radicalisée.

Si jamais on se demande pourquoi beaucoup de gens ont voulu malheureusement croire en Emmanuel Macron aux présidentielles, c’est justement parce que l’image de la construction européenne est de maintenir le flambeau de la civilisation, de renforcer le cadre institutionnel. Face aux tendances de repli identitaire, cela semble plus moderne, même si imparfait…

Benoît Hamon et EELV ont très bien compris cette sensibilité de la Gauche et cherchent à en profiter. Mais c’est une illusion : seul le socialisme peut, réellement, concrètement, balayer l’inculture, établir des normes morales et culturelles.

C’est le capitalisme qui produit les valeurs du « raptor » et d’Alain Soral, avec leur style strictement parallèle à celui des rappeurs véhiculant les pires clichés. C’est le capitalisme qui anéantit la culture et ne tolère que la superficialité.


Tous ces gens doivent être mis au pas ; les attitudes guignolesques sont une insulte à toute une culture accumulée et dont les figures sont notamment Montaigne, Racine ou Diderot. L’existence en 2018 d’une telle expression barbare est un scandale historique.

Il faut réorganiser la société ; l’État doit le faire, mais là il ne le peut pas. Seule la reconstruction de l’État sur une base sérieuse, par la classe ouvrière, avec le peuple à la base, peut empêcher les forces de la déliquescence de triompher.

Il est intéressant d’ailleurs de voir Alain Soral l’avoir relativement senti aussi, en dénonçant lors de la conférence de presse les jeunes ne respectant pas les aînés, appelant à la réconciliation nationale et au refus complet de la guerre civile. Cela, bien entendu, en prenant l’antisémitisme comme idéologie, sur le modèle du national-socialisme allemand.

C’est bien là la risque : si la Gauche authentique – pas celle postmoderne, postindustrielle – n’établit pas le socialisme, la démagogie antimoderne et nationaliste l’emportera, comme dans les années 1930.

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« Combat » Alain Soral et Raptor Dissident : un écho de la décadence

Opération de promotion racoleuse en même temps que tribalisme réel, Alain Soral, chef de l’association « Egalité et Réconciliation » et le polémiste Ismaïl Ouslimani connu sous le pseudonyme du « Raptor Dissident » ont décidé de se taper dessus en mode MMA.

Alain Soral Twitter

Se taper dessus, c’est mal et idiot, voilà pourquoi nous refusons le MMA ; de la même manière, tout cela n’est qu’un écho grotesque de la démarche déjà mise en place par des youtubeurs parmi les plus célèbres, comme KSI.

Ce racolage et cette brutalité sont strictement parallèles au succès de Donald Trump, à la décadence de la société américaine, avec son culte de l’individualisme, de l’affirmation du moi.

Alain Soral aime se mettre en avant de manière narcissique en vantant sa soi-disant production d’écrivain et d’intellectuel et le Raptor Dissident s’aime tout autant, en jouant pareillement sur l’imagerie viriliste et agressive, avec des vidéos saccadés et insultantes, tout à fait dans l’esprit vain et vaniteux de l’époque : en 2017 il avait cumulé 25 millions de vues uniques, avec 500 000 abonnés.

Dans les deux cas, c’est le règne de longs monologues dans lesquels le youtubeur déroule, de manière unilatérale et avec un style outrancier et vulgaire, des réflexions populistes prétentieuses entendant « démasquer » les apparences.

Avec des photos d’eux partout et une réflexion sans aucune référence intellectuelle, que ce soit à des penseurs ou à l’histoire, on est dans l’idéologie décadente facebook-instragram-snapchat. Ce ne sont pas tant des fachos ou des conservateurs que des sous-produits de la destruction de la pensée. Il est vrai toutefois que c’est la nature inévitable justement des fachos et des conservateurs qu’être de tels sous-produits, des reflets du vide capitaliste.

Raptor dissident youtube

Il n’est donc guère étonnant qu’ils se bouffent entre eux. Le parcours du Raptor dissident en dit d’ailleurs très long. Né dans les années 1990, ce dernier a d’abord été actif sur le forum de jeuxvideo.com, qui est devenu au tournant des années 2010 un véritable espace d’expression pour une partie de la jeunesse attirée par l’affirmation dissidente de contre-modèles réactionnaires : identitaires, populistes ou islamistes en particulier.

Cette jeunesse, peu structurée politiquement et de plus en plus culturellement vide, offrait un public au potentiel énorme pour des agitateurs comme Dieudonné ou Alain Soral, qui apparaissaient porter cette volonté de rompre avec le « système », dans un style d’autant plus accessible qu’il était outrancier, vulgaire, prenant des cibles faciles comme la gauche post-moderne, petite-bourgeoise et insupportable de bout en bout.

C’est donc de là qu’a émergé progressivement le Raptor dissident, qui a su développer un style partant dans tous les sens, mais se présentant justement comme animé d’une sorte de foi chevaleresque pour les valeurs.

Et justement, donc, le Raptor Dissident, fort de son succès dépassant sur YouTube celui de l’association « Égalité et Réconciliation », a fini par attaquer Alain Soral par une vidéo publiée début juin compilant durant 40 minutes des extraits de celles d’Alain Soral pour mettre en avant certaines de ses contradictions, réfuter sa ligne jugée pro-islamiste et immigrationniste, l’accusant d’être marxiste.

 

Raptor dissident Youtube

La sortie de la vidéo a été prévue et annoncée des semaines à l’avance et répondait sans doute à un programme, une sorte de plan de carrière que le Raptor Dissident commence à dessiner. Celui-ci en effet met en avant, outre ses « idées », ses activités sportives, c’est-à-dire la musculation, le dopage et les sports de combat. La salle de musculation permet justement d’affirmer le narcissisme et la virilité supposée, mais cela ne suffit pas. Il faut le buzz.

D’une manière générale, l’esprit de « clash » est largement mis en avant sur YouTube, où certaines personnes ont gagné une réputation uniquement en postant des vidéos d’insultes, comme ce fut le cas pour Morsay, un commerçant des « puces » à Clichy connu pour son style extrêmement vulgaire notamment face à un identitaire nommé Vincenail qui s’est effacé depuis.

Pour Alain Soral, cette attaque était insupportable, sa situation étant devenu précaire. Par son style, ses outrances et ses attaques volontiers ad nominem ou allant même jusqu’à la promotion à peine voilée de l’idéologie nationale-socialiste, Alain Soral a forcément fini par avoir maille à partir avec les institutions bourgeoises et même avec YouTube. Ce qui a bien entendu encore plus alimenté sa propre paranoïa complotiste le poussant toujours davantage vers des outrances de plus en plus difficile à assumer pour certains de ses soutiens ou son public.

Alain Soral

Sans parler des prises de position littéralement délirantes comme son soutien à la Corée du Nord, son appel à Poutine pour envahir la France et son offre de collaborer avec une éventuelle occupation russe, en assumant d’ailleurs explicitement et avec un air manifestement amusé de sa provocation, toute la charge du terme renvoyant à Vichy sinon même à ce que fut le milieu de la Collaboration en tant que tel à Paris.

Après avoir pu capitaliser sur son succès internet, et réussi à organiser un public, en grande partie aussi grâce au soutien de l’humoriste décadent Dieudonné et en comptant aussi sur l’appui d’un certain nombre de groupuscules et de réseaux de l’extrême-droite, gravitant autour du Front National, de la mouvance catholique traditionaliste ou nationale-révolutionnaire, les énergies qu’il a pu capter sont en réalité en train de s’épuiser.

Toutes ses tentatives politiques ont abouti à des échecs cuisants et son ego vaniteux agressif et vulgaire ne lui a pas permis de densifier et de maintenir quelque chose qui pourrait s’apparenter à un parti. Le Raptor dissident entend en quelque sorte clouer le cercueil politique.

Alain Soral et Dieudonné

Évidemment, le doute existe encore comme quoi c’est une mise en scène, une division du marché, les deux tapant dans des créneaux différents, Dieudonné connaissant les deux et se proposant par ailleurs comme entremetteurs.

Cependant, le style en dit long. On est ici dans le tribalisme, l’absence d’ordre dans l’esprit, de mesure dans l’analyse, de valeurs bien circonscrites intellectuellement, de clarté dans l’expression. On est dans la manipulation émotionnelle, dans le racolage le plus éhonté, la quête du buzz.

Que l’extrême-droite témoigne ici qu’elle n’a rien à voir avec les apports de la France à la civilisation humaine, qu’elle corresponde en tous points au style décadent du capitalisme moderne… est plein de leçons.

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Au sujet du « Raptor dissident »

L’envergure du succès du « Raptor dissident » se voit au nombre de vues que l’algorithme de YouTube mesure, et il faut bien admettre que l’on est là présence d’une surface d’influence littéralement énorme : plus de 500 000 abonnés le suivent, ses vidéos atteignent et dépassent de plus en plus le millions de vues, notamment sur sa chaîne YouTube Raptor Dissident, avec plus de 2,5 millions de vues pour certaines d’entre celles de la série « Expliquez moi cette merde ».

Raptor dissident youtube

Les vidéos de sa seconde chaîne, Raptor vs Wild, où il anime de longues émissions dans un esprit plutôt radiophonique de plusieurs heures, avec des invités, rencontrent moins de succès en comparaison, mais tournent néanmoins autour d’une base solide de pratiquement 150 000 vues chacune. On peut donc parler ici d’un phénomène particulièrement significatif.

A quoi est dû ce succès ? Le « Raptor dissident », c’est donc d’abord un style. Un style exprimé par la connexion entre deux formes symétriques de la réaction que le YouTuber a su réaliser et développer de manière réussie.

D’abord, le Raptor s’est appuyé sur les codes expressionnistes propres à rassembler et à toucher toute une frange de sa génération. Cela autour d’un univers largement alimenté par des références aux jeux vidéos, aux mangas, aux blockbusters américains, aux émissions de télévision des années 1990-2000. On retrouve ici cet univers geek largement développé sur les réseaux ou sur YouTube par le Joueur du Grenier ou même Usul par exemple selon un style parallèle, assez similaire en tout cas sur la forme, le ton, le montage.

Mais cette forme, le Raptor l’a considérablement approfondie et politisée par toute une démarche culturelle, de nature « méta-politique », propre à l’extrême-droite. C’est-à-dire, un mélange d’individualisme aristocratique, mêlant dans une perspective romantique, un appel aux vertus chevaleresques, aux valeurs « identitaires » et à l’esprit de communauté, dans le but de produire et d’affirmer des cadres culturels en capacité d’influencer le débat public, par leurs idées et leur style.

Et pour cela, le Raptor a bénéficié de l’espace politique ouvert par Dieudonné et Alain Soral, en s’inscrivant lui-même dans ce courant de la « dissidence » populiste réactionnaire. Le Raptor a donc poussé cette démarche à fond, rassemblant autour de lui d’autres figures en mesure de renforcer cette ligne, comme Papacito en particulier.

D’autre part, le Raptor et sa bande ont perçu l’impasse vers laquelle se dirigeaient Dieudonné et Soral, qui après leurs premiers succès, se sont contentés d’une situation de rente propre à simplement leur assurer une existence confortable, mais ayant échoué à produire un changement culturel significatif selon eux.

Il s’agit alors d’approfondir la démarche en passant au-dessus de Dieudonné ou Soral, considérés non comme des adversaires mais comme des précurseurs, ou des concurrents, outranciers et surtout pas au niveau de la ligne qu’entend promouvoir le Raptor.

Celui-ci entend compléter la culture geek dont il est issu par tout un parallèle avec la culture réactionnaire antérieure, revoyant précisément à la France gaullienne d’avant Mai 1968, comme base idéalisée permettant de produire une image propre à marquer par son style et à rallier de manière large.

On a ici toute une démarche consistant à mettre en avant les codes de l’acteur Jean Gabin, notamment avec ce qu’essaye de reproduire quelqu’un comme Papacito, une mise en scène qui se pense irrésistible, « virile », avec des poses et des répliques surjouées, théâtralisées, forcées pour tout dire, une esthétique qui mélange les pages « culture » du Figaro ou de Valeurs Actuelles avec ses lunettes de soleil hors de prix et son goût pour la consommation distinctive et luxueuse, avec une attitude et un jeu et des punch-lines pour faire « populaire », vantant par exemple la nécessité d’éduquer à coup de « gifle avec élan » les immigrés récalcitrant à se sentir français.

Ou encore affirmant qu’au fond s’il y a des agressions contre les femmes, c’est aussi parce que les hommes ne sont plus des « bonhommes à l’ancienne », qu’il manquerait donc plus de patriarcat et d’autorité virile.

On a là le même anti-réalisme, caricaturant les types et forçant les traits mais qui s’affirme toutefois authentique, rejetant la modernité corrompue au nom de la liberté individuelle et de l’esprit du terroir et de « ceux qui triment » et qui se retrouvent dans leur temps libre à dialoguer entre copains, quand ils ne sont pas à salle pour « pousser » ou mettre les gants, entre mâles de préférence, échangeant sur leur écœurement face à l’écroulement du monde, entourés de filles reflétant symétriquement leur vulgarité désabusée, sur le ton de la dérision semi-sophistiquée et du bon mot, qu’on peut se permettre, parce qu’on a du muscle et qu’on est « street credible ».

Raptor dissident Youtube

C’est-à-dire qu’on a littéralement ici des petit-bourgeois qui se travestissent en ouvrier, méprisent les masses dont ils sont issus pour vivre romantiquement une aventure individualiste, une entreprise contre le reste du monde dont ils rejettent la médiocrité de manière unilatérale, en hommes libres et solitaires.

Évidemment, on a là aussi tout un écho avec le style développé par le réalisateur Michel Audiart, qui a mieux que personne joué sur cette confusion entre les valeurs de la Gauche et le soi-disant pragmatisme « concret » de la Droite, exprimant faussement le « bon sens » populaire de la seconde contre la première :« c’est la gauche qui me rend de droite » disait Audiard, et toute la démarche, tout le style du Raptor s’inscrit dans cette filiation, et mieux dans la posture, de la « rébellion » petite-bourgeoise contre le monde moderne.

Le Raptor a compris qu’un écho était jouable en affirmant le parallèle avec cette forme identifiable et malheureusement appréciée car mal comprise au sein de la culture de notre pays, et qui permet d’apparaître crédible, de dire quelque chose de familier, avec un style qui apparaît « français » et authentique.

La vulgarité de l’esthète désabusé, mais fort d’esprit et de corps, prolonge donc ici des figures propres à flatter l’esprit réactionnaire d’une partie des masses, piégées dans la culture beauf à qui elle donne une forme « noble », « cultivée », « aristocratique », comme l’a fait Louis-Ferdinand Céline dans le domaine littéraire ou Jean-Marie Le Pen dans celui de la politique, que le Raptor présente comme le « daron du game trop stylée et déter » face à sa fille surnommée ironiquement « Malika Le Pen » qui ne porte pas « ses couilles » et ne consiste en rien.

La « dissidence » du Raptor consiste donc à se reconnecter directement à ce style démagogique et à ces figures, en proposant une enveloppe modernisée, établissant une continuité propre à permettre l’héritage, d’exprimer faussement la « permanence » d’une rébellion française face à la Modernité, d’affirmer « l’homme ancien » contre le monde moderne. Il s’agit bien là en ce sens d’une offensive culturelle de la réaction, d’un populisme réactionnaire sur une ligne menant très clairement au fascisme.