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Compte-rendu bilan du Référendum pour les Animaux

La proposition d’un Référendum pour les Animaux a échoué, voici un compte-rendu de ce qui s’est passé, pour tracer un bilan.

Pourquoi le Référendum pour les Animaux est-il un échec ?

La raison de l’échec tient à ce que cinq mois après son lancement, la proposition de ce référendum n’a réussi à obtenir que 145 signatures de parlementaires sur les 185 nécessaires pour la validation par le Conseil Constitutionnel.

Il ne sera pas possible d’en obtenir plus et l’initiative s’arrête là, malgré qu’un million de personnes aient apporté leur signature de soutien sur le site officiel.

Qui a eu l’idée de proposer un Référendum pour les Animaux ?

La présentation de l’idée a été prétexte à une scène assez pittoresque. En février 2020, des représentants de quasiment toutes les associations de protection animale du pays ont été invitées chez un restaurateur parisien, dans le plus grand secret.

Ce furent alors le journaliste Hugo Clément, le chef d’entreprise Marc Simoncini (à l’origine du site de rencontre Meetic) et la spécialiste de la communication Jennifer Bierna qui présentèrent le projet.

Les représentants des associations furent évidemment très étonnés et comprirent immédiatement que la situation présentait un piège. Refuser, c’était mettre de côté quelque chose pouvant aider les animaux. Accepter, c’était suivre un projet aux contours flous mis par des gens extérieurs à la cause animale.

En quoi consistait la proposition d’un Référendum pour les Animaux ?

À la réunion de février 2020, il y avait cinq propositions devant servir de dénominateur commun aux représentants présents afin de leur forcer la main, en quelque sorte :

– Fin de l’élevage en cage à l’horizon 2025 et obligation pour les élevages d’avoir un accès plein-air à l’horizon 2040,

– Fin des élevages à fourrure à l’horizon 2025,

– Interdiction immédiate de la chasse à courre,

– Interdiction immédiate des spectacles avec animaux sauvages,

– Obligation d’utiliser des méthodes alternatives à l’expérimentation animale « lorsqu’elles existent ».

Quel est le rôle des milliardaires dans le Référendum pour les Animaux ?

Pour compliquer encore plus la situation, il n’y avait pas que le chef d’entreprise Marc Simoncini à la manœuvre. Il y avait également deux milliardaires :Jacques-Antoine Granjon (vente-privee.com) et Xavier Niel (Free).

Tout partirait d’une initiative de ce dernier. Sa naissance est contée ainsi : révolté par des images de maltraitance animale et convaincu par des amis, Xavier Niel se mit à chercher les leviers à sa disposition pour changer les choses. Son choix se porta alors sur le Référendum d’Initiative Partagée, dont la possibilité était née un an auparavant. En quête d’un partenaire pour porter le projet devant le public, le nom d’Hugo Clément lui fu suggéré par ses enfants. Les mesures, elles, furent choisies sur la base de sondages : seules celles comptant plus de 80% d’opposition dans le grand public furent retenues.

Au-delà du conte, on peut en tout cas constater que les milliardaires n’ont strictement rien apporté à part une petite aide technique. Ils n’ont pas apporté d’argent, ils n’ont pas apporté de moyens et même leurs contacts se sont avérés peu efficaces et réalisés sur le tas.

Il n’y avait pas d’intention machiavélique, plus une sorte d’attirance à l’américaine de milliardaires s’imaginant une fonction sociale dans le cadre de leurs activités. D’ailleurs, à la toute fin novembre il fut annoncé que Xavier Niel se lançait sur le marché agro-alimentaire « bio et durable ».

Pourquoi avoir accepté une telle proposition de leur part ?

Il faut bien comprendre le dilemme vécu alors par les représentants présents. D’un côté, une telle proposition de tels gens était pour le moins surprenante. De l’autre, la situation des animaux est tellement catastrophique qu’il y avait là peut-être un levier pour faire avancer les choses, surtout s’il y avait une unité imposée par les faits.

Les représentants d’une association internationale de protection de l’environnement très connue, présente dans une cinquantaine de pays, exposèrent par exemple leurs doutes sur la crédibilité d’une telle démarche en collaboration avec de grands capitalistes, et ils se retirèrent. Mais ils pouvaient se le permettre alors qu’ils ont déjà plus de deux cent millions d’euros de budget annuel !

Les représentants des associations, tout en regrettant pour beaucoup l’anomalie qu’était l’absence du rejet de la corrida, décidèrent donc d’aller de l’avant pour voir ce qu’il en ressortirait. Il leur semblait pour les animaux qu’il n’y avait guère le choix et d’ailleurs tout le monde a réagi ainsi dans les associations, tout en attendant de voir.

Liste des associations sur le site du Référendum

Comment s’est passé le lancement du Référendum pour les Animaux ?

Prévue pour la fin mars 2020, l’annonce au public a plusieurs fois été reportée en raison de la crise sanitaire du Covid-19. Il y avait alors bien sûr la grande crainte que le projet ne soit plus lisible par l’opinion publique en raison d’une intense actualité occupant tous les esprits.

Dans cette intervalle, il y eut également des ajustements, avec beaucoup de discussions. Des mesures furent ajoutées au package, dont l’interdiction de la vénerie sous terre et de la chasse à la glu. Ces ajouts furent simultanés à l’arrivée de la Ligue de Protection des Oiseaux parmi les associations partenaires.

Il fut alors décidé de lancer coûte que coûte l’initiative, sans attendre septembre. En juillet 2020, il y a alors l’annonce qui s’est déroulé à la « Station F », la pépinière de start-ups appartenant à Xavier Niel.

Ce fut l’occasion d’une mauvaise surprise, puisque le CV de Jennifer Bierna, la « communicante » du projet, était particulièrement lourd. On pouvait lire sur la présentation fournie aux journalistes qu’elle avait été l’assistante de Bruno Le Maire, d’Eric Woerth, puis de Christophe Castaner, chargée de commission à l’UMP pendant la campagne de Nicolas Sarkozy… Bref, c’était une cadre de la droite éprouvée, qui officiait quelques semaines avant encore comme directrice de la communication chez Illiad, la maison-mère de Free.

C’était un premier problème majeur soulevant beaucoup de questions, mais devenant en même tout de suite très secondaire alors que le processus se lançait.

Quel a été l’impact du projet de Référendum pour les Animaux ?

De prime abord, l’impact médiatique recherché par les organisateurs a été relativement au rendez-vous. Les premières signatures de parlementaires tombèrent rapidement : en un mois, le site en comptait déjà une centaine.

Le groupe parlementaire ÉcologieDémocratie – Solidarité, qui venait de se créer avec des députés de La République En Marche, soutinrent notamment le projet comme un seul homme. Ce sont au total 88 parlementaires de la majorité (LREM, Agir, MoDem & EDS) qui signeront le RIP.

Le groupe La France Insoumise à l’Assemblée signa aussi à l’unanimité. Toutefois, à la demande de François Ruffin qui ne voulait pas être associé individuellement à l’initiative, il fut exigé que leurs noms n’apparaissent pas sur le site officiel, protégés par un unique logo de groupe.

En apparence, on avait donc une bonne base. En réalité, c’était là en trompe-l’œil. Ces forces étaient relativement marginales et avaient tout à gagner à se présenter sous un jour positif auprès des gens, alors qu’au niveau populaire il y avait un vrai soutien pour l’initiative. Les 500 000 soutiens sur le site dédié au projet furent rapidement atteints.

Comment sont apparus les premiers obstacles au Référendum pour les Animaux ?

Il faut bien comprendre ici que pour les représentants des associations, tout cela était déjà très bien. Former un écho dans la société pour les animaux était quelque chose d’incontournable dans une situation terriblement difficile. C’était déjà ça.

Mais évidemment, il y avait l’espoir d’aller plus loin. Il y a toutefois une énorme sous-estimation des forces traditionalistes-réactionnaires dans le pays. Pour les chasseurs, pour les éleveurs… bref pour tous ceux pour qui les animaux sont des matières premières ou des marchandises, le Référendum apparaissait comme une menace terrible.

Aussi faible qu’elle soit – on est très loin du véganisme évidemment – il y avait une charge démocratique œuvrant à pousser les choses dans un certain sens.

Les fédérations d’éleveurs et de chasseurs commencèrent alors, au milieu de l’été 2020, une véritable campagne de harcèlement des parlementaires dont le nom figure sur le site du RIP.

Fin juillet, ceux-ci reçoivent d’ailleurs un SMS venant de la Société de Vénerie leur indiquant que des noms auraient été ajoutés frauduleusement à la liste, pour semer le doute. Des fédérations de chasse publient des tracts et envoient des e-mails affirmant que le RIP entraînerait l’abolition des chiens d’aveugles, du miel ou de la pêche même non-léthale, etc.

Des rassemblements furent organisés devant des permanences d’élus signataires, comme celle de Caroline Fiat (LFI) en Meurthe-et-Moselle, le président de la fédération de chasse locale déclarant alors :

« Vous allez avoir la guerre dans les campagnes. On est venu aujourd’hui sans le monde des agriculteurs ou des forestiers. Mais ça va barder en France. Retirez votre signature, car, sinon, à mon avis, vous ne referez pas un second mandat. »

Le député de Nancy Laurent Garcia (MoDem) vit quant à lui sa permanence carrément vandalisée. Deux mois plus tard, les freins de son véhicule furent sabotés et il échappe de peu à un accident.

Comment sont apparus les seconds obstacles au Référendum pour les Animaux ?

Les activités des éleveurs et des chasseurs ont été très efficaces. Pendant toute une période, des désistements viennent chaque jour équilibrer le nombre de nouveaux signataires, et le total se trouve gelé juste avant la rentrée, autour de 140 noms.

Ce n’est en soi pas du tout étonnant et c’était tout à fait prévisible. Les gens de la protection animale savaient à quoi s’en tenir et ce dès le départ. Il va de soi que pour les milliardaires et Hugo Clément, tout cela apparaissait plutôt comme surprenant, car leur initiative vient de l’extérieur de la réalité du terrain.

Dans les faits, il y avait une véritable polarisation et d’ailleurs il y avait une attente pour que le référendum, une fois validée, serve de base à une véritable campagne d’envergure nationale.

C’est là qu’est apparue la seconde limite. Elle vint du Parti Socialiste. Celui-ci aurait dû tenir une réunion pour envisager une signature collective, comme à l’occasion du Référendum sur la privatisation des Aéroports de Paris l’année précédente.

Après quelques semaines, le premier secrétaire Olivier Faure finit toutefois par contacter les organisateurs : il ne donnait sa signature qu’à titre personnel, son parti refusait de soutenir l’initiative. Seuls cinq parlementaires PS sur 89 finiront par figurer sur la liste, soit même moins que les 8 signataires Les Républicains !

Pourquoi le Référendum pour les Animaux n’a-t-il pas su dépasser les obstacles par la Gauche ?

Le problème s’est posé de la manière suivante. Pour le Parti socialiste, il y avait trois blocages. Le premier, c’était la question des milliardaires à l’origine de l’initiative, mais ce n’était qu’un prétexte car il aurait été possible, en mettant son poids dans la balance, de changer la donne.

Le second, c’était justement que le centre de gravité du Référendum tenait aux associations pour les animaux, avec leur propre agenda, auquel le Parti socialiste ne comprenait pratiquement rien.

Le troisième, c’est que le peu de ce que le Parti socialiste saisissait de l’agenda des associations pour les animaux était inacceptable. Il y a eu une véritable vague d’opposition à la question animale de la part de gens totalement inféodés à l’idéologie de l’élevage, du terroir, à la France profonde avec ses préjugés, sa vision du monde rétrograde, etc.

Cela peut sembler étrange, car on parle là de gens se définissant de Gauche. Cependant, les valeurs de la Gauche ont été abandonnés au profit d’un libéralisme culturel associé à un conservatisme très violent concernant les animaux, avec en plus des considérations électorales populistes.

On peut retrouver tous ces arguments à travers deux articles du journal l’Humanité (12), très hostiles au Référendum pour les animaux et arqués sur des positions qui sonnent tout à fait comme des prétextes pour ne pas s’engager.

Le pendant de la Gauche gouvernementale, c’est l’ultra-gauche, mais là aussi il n’y avait rien à attendre comme soutien. Cette mouvance pro-LGBT, anti-islamophobie, etc. n’en a rien à faire des animaux, étant obnubilés par les questions purement « identitaires ».

Quant aux « antispécistes », très à la mode il y a quelques années encore, ils ont commencé à s’évaporer avant même la question du Référendum pour les animaux et de toutes façons batailler pour l’opinion publique ne les a jamais intéressés.

Pourquoi le Référendum pour les Animaux n’a-t-il pas su dépasser les obstacles par la Droite?

Il est bien connu qu’il y a des gens qui veulent aider les animaux mais qui face aux horreurs, face à un mur, bascule dans la misanthropie, dans le camp de l’extrême-Droite. Celle-ci prétend en retour vouloir améliorer le sort des animaux. C’est de la démagogie et on l’a vu dans les faits avec le Référendum pour les animaux. Il y avait un boulevard pour l’extrême-Droite et naturellement elle s’est bien gardée de quitter le terrain de la démagogie.

Pour l’extrême-Droite, ce fut comme si le Référendum pour les animaux n’existait pas, c’est dire même à quel point cela lui posait problème.

On peut même dire qu’en fait le Référendum pour les animaux posait des problèmes à tout le monde. Cela remettait trop de choses en questions : le rapport aux animaux, le rapport à l’agriculture, le rapport à la vie quotidienne, le rapport à la consommation, à la définition des marchandises…

C’était possiblement ouvrir la boîte de Pandore permettant une remise en cause générale. C’est bien pour cela que les milliardaires à l’origine de l’initiative ne se sont nullement investis réellement et n’ont rien investi pour faire avancer les choses.

La défaite arrange en fait beaucoup de monde. La proposition a donné l’illusion qu’il est possible d’essayer quelque chose, mais la porte a été refermée.

Quel est le bilan du Référendum pour les Animaux ?

Si l’on pose la question s’il a été juste de la part des associations de soutenir un tel projet, la réponse est oui. Elle a provoqué beaucoup de choses, une certaine prise de conscience, une volonté de faire quelque chose. Cela a montré que la surface est grande pour la Cause animale.

Il apparaît par contre que justement cette Cause est incapable de passer un stade : celui de l’organisation, de la réflexion prolongée. Le capitalisme a déformé les gens en général et les défenseurs des animaux également. L214 est un équivalent des gilets jaunes dans la cause animale, avec un style consommable, du populisme racoleur, une négation de l’intellect, etc.

De manière cohérente, cette association a d’ailleurs pesé de tout son poids pour essayer de faire converger le Référendum pour les animaux avec sa propre démarche. La proposition de Référendum avait en effet dans sa substance même une démarche tellement ouverte qu’elle inspirait et pouvait permettre aux gens de faire finalement un peu n’importe quoi n’importe comment, du moment qu’ils s’inscrivent dans ce cadre.

Et ce qui est flagrant, c’est que cette définition donnée par les milliardaires s’est heurtée à la réalité. La France profonde a dit stop. Il y a eu un mur et il est politique. Le capitalisme veut bien qu’on fasse ce qu’on veut, mais si cela aboutit à l’universalisme, il dit stop ; si cela aboutit à remettre en cause des pans entiers de l’économie ainsi que la forme même de la société humaine dans sa relation avec les animaux, il dit stop.

Il ne faut sans doute pas penser que les gens l’aient compris. C’est cependant une expérience importante qui servira d’exemple plus tard. Si le Référendum, avec ses revendications n’allant pas bien loin, s’est enlisée, quelle est la crédibilité d’une association comme L214 pour réussir là où le Référendum a échoué ?

Il est évident qu’il y a en réalité en France un problème de mentalités, de vision du monde, avec comme base le capitalisme qui diffuse le relativisme, maintient le conservatisme, tout en laissant un espace consommateur anecdotique aux végétaliens. C’est la fin d’une époque ; le Référendum pour les Animaux a accompagné l’insertion de la question animale dans le panorama du pays et sa place est simplement anecdotique.

Si l’on n’est pas d’accord avec cela, alors il faut mener la bataille culturelle ; il faut saisir en quoi il n’y a pas de « spécisme », mais un capitalisme destructeur engloutissant tout sur son passage ; il faut mettre au centre la vie naturelle, les refuges, les centres de soin. C’est là l’unité du particulier et du général et c’est exactement cela qui manque pour se mettre efficacement au service de la Cause animale.

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Communiqué de Delphine Batho critiquant le référendum sur l’écologie dans la Constitution

Emmanuel Macron a annoncé en fin de soirée lundi 14 décembre qu’il compte organiser un référendum sur l’inscription de l’écologie dans l’article 1 de la Constitution. Voici le communiqué de Delphine Batho, présidente de Génération Écologie, qui comme souvent a très bien compris ce qui se tramait et émet une critique très juste de la proposition, tant au nom de la démocratie qu’au nom de l’écologie elle-même.

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Lancement du projet «référendum pour les animaux»

Un référendum pour faire progresser la condition animale : tel est le projet lancé par en haut, mais avec le soutien logique d’associations disposant de peu de moyens et de peu de leviers pour faire avancer les choses.

Quand il n’y a pas d’initiative par en bas, il y en a par en haut, car un espace démocratique inoccupé se voit forcément utiliser. En l’occurrence, on a une proposition de référendum qui a été lancée à l’initiative de Hugo Clément, Marc Simoncini, Jennifer Bierna, Marie Tabarly, Xavier Niel et Jacques-Antoine Granjon.

Hugo Clément est un journaliste végétarien totalement extérieur à la tradition de la lutte vegan, mais ayant un énorme succès médiatique ces derniers mois autour du thème de la condition animale ; Marie Tabarly est une navigatrice et comportementaliste équin.

À leurs côtés on a donc des capitalistes chevronnés formant des poids lourds financiers : Xavier Niel (Free), Marc Simoncini (Meetic), Jacques-Antoine Granjon (vente-privee.com).

En ce qui concerne Jennifer Bierna, c’est une juriste, qui s’occupe de la communication du groupe Illiad auquel appartient Free (et accessoirement ou pas, elle est une cadre de la Droite, conseillère au plus haut niveau possible, y compris gouvernemental).

Ce sont eux qui sont à l’initiative du projet « référendum pour les animaux », présenté comme une « initiative citoyenne, engagée et politique en faveur de la cause animale ». Ce sont eux d’ailleurs qui ont pris la parole pour présenter pendant 1h30 le projet, à la Station F, un campus de startups ouvert par Xavier Niel à Paris.

Comme quoi, la politique c’est quand des citoyens multimillionnaires prennent la parole ? Et pourquoi le font-ils ? Par philanthropie à l’américaine ? Par calcul ? Par intérêt ?

En tout cas, de nombreuses associations se sont insérées dans l’initiative, n’ayant, de facto, pas le choix. En effet, la situation est dramatique : il n’y a ni relais, ni financement, ni investissement humain suffisant dans la défense des animaux. Pour faire du bruit, il y a toujours des gens. Pour remplir son Facebook ou son compte Instagram, les gens sont prêts à agir de manière véhémente. Mais dès qu’il y a toutefois un travail de fond à mener, silencieux et ingrat, invisible et difficile, il n’y a plus personne.

L’idée de pousser à un référendum apparaît donc comme soit une utopie formidable, soit au moins un levier de plus. Mobiliser en faveur de la signature de 185 parlementaires et de 10% des personnes inscrites sur les listes électorales (ce qui fait presque 5 millions de signatures à recueillir) va faire du bruit et c’est déjà bon à prendre. Et si cela marche, un référendum d’initiative partagée imposerait encore plus le thème de la condition animale.

Participent donc à la proposition d’un référendum pour les animaux les associations ASPAS, AVA, CIWF, Code Animal, CRAC, Fondation Brigitte Bardot, Fondation GoodPlanet, L214, L’alliance anti-corrida, LPO, On est prêt, One Voice, PAZ, PeTA, Pro Anima, Rewild, Sea Shepherd, la SPA, Welfarm.

On note évidemment tout de suite l’absence de la principale structure de refuges en France qu’est la Confédération Nationale Défense de l’Animal. C’est fort dommageable. En même temps c’est tout autant de galères en moins pour elle. Car les associations signataires se retrouvent dans une situation compliquée.

D’un côté, elles avaient, au moins pour beaucoup d’entre elles, intérêt à signer car le référendum consiste en des points les concernant directement :

1 : Interdiction de l’élevage en cage

2 : Interdiction des élevages à fourrure

3 : En finir avec l’élevage intensif

4 : Interdiction de la chasse à courre, du déterrage et des chasses dites traditionnelles

5 : Interdiction des spectacles avec animaux sauvages

6 : Fin de l’expérimentation animale

Cela va faire du bruit en leur faveur ; il y a déjà des soutiens people, artistiques, etc. comme avec Alessandra Sublet, Nicolas Hulot, Juliette Binoche, Tryo, Stéphane Bern, Nagui, Nicolas Sirkis, Julien Courbet, Sheila, Pascal Obispo, Bruno Solo, etc.

De l’autre, il y a trois obstacles, insurmontables.

Le premier, c’est l’arrière-plan. Les multimillionnaires à la barre, c’est quelque chose qui fait qu’on ne sait pas où on va. Le 30 juin 2020, Xavier Niel a racheté Paris Turf, le quotidien des courses hippiques. Et le 2 juillet 2020, il prend la défense des animaux ? C’est un bon exemple du fait que pour les grands capitalistes, tout sert de pion.

Le second, c’est que pour rassembler les signatures pour que le référendum se tienne, il faut d’abord avoir les 185 parlementaires. Cela signifie composer et se soumettre à ces parlementaires. Or, cela converge parfaitement avec l’apparition toute récente d’un nouveau mouvement « écologiste » et de « gauche » lancé par d’ex-macronistes.

Emmanuel Macron a besoin d’un mouvement écologiste en sa faveur aux prochaines présidentielles et là tout tombe très bien. Les lanceurs multimillionnaires de l’idée de référendum sont d’ailleurs eux-mêmes exactement des macronistes.

Le troisième, c’est l’obstacle culturel. Si on ne change pas les mentalités on ne change rien. Prenons par exemple le thème de la fin de l’expérimentation animale. C’est un combat tellement impossible que les vegans français ne l’ont absolument jamais assumé, à part le mouvement International Campaigns et bien entendu les tenants (très minoritaires) de la libération animale sans compromis.

C’est pourtant un combat juste. Cependant, c’est un combat culturel et il faut une base pour l’assumer. Et elle est de haut niveau. Même des végétariens ne peuvent ainsi pas l’assumer : on ne peut pas dire qu’on s’oppose à l’expérimentation animale tout en consommant du fromage qui contient par définition des morceaux d’estomac de jeunes ruminants.

Pour que ce référendum ait ainsi un sens, il faut un changement des mentalités, un changement culturel. Sinon, c’est de la rhétorique.

Et c’est là justement qu’on tombe sur l’Histoire. Car, finalement, la question animale est une problématique relevant du Socialisme. Soit on fait le Socialisme et on dit qu’on fait en sorte de l’élargir aux animaux, soit on parle des animaux mais cela tourne à l’abstraction, au fantasme bobo d’un capitalisme pacifié avec des élevages bio, qui est anti-historique par définition.

Ce référendum est donc voué à l’échec… Ou à une réussite, mais alors cela ne sera pas un référendum, mais un soulèvement en faveur des animaux. Et ce ne seront pas les multimillionnaires qui décideront de comment cela se passera, puisqu’ils sont une partie du problème, pas une partie de la solution.

> Le site de l’initiative : referendumpourlesanimaux.fr/

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Après le mythe de la grève générale, le populisme du référendum

La grève générale n’étant clairement pas en vue, il fallait trouver un autre mythe mobilisateur de la part du PCF et de La France insoumise pour sauver la CGT. C’est l’Humanité qui s’est chargée de la mission, avec un grand appel à un référendum. Il faut sauver le soldat CGT.

Si la CGT coule, alors tout un pan de la Gauche s’écroule. Pas celle liée au Parti socialiste, car elle s’appuie de son côté sur des valeurs, un programme. Mais celle liée au PCF, à La France insoumise, au NPA, c’est-à-dire « à la gauche de la gauche », qui vit de surenchère.

S’il n’y a plus la CGT, il n’y a plus le levier de la surenchère. Et c’est la fin de tout. Il ne reste alors que les idées, le programme, les valeurs, et cela ne pèse pas lourd, tellement le populisme a fait des ravages.

L’ultra-gauche peut bien de son côté commencer à dénoncer une CGT qu’elle a entièrement soutenu jusque-là. Elle ne fait que revenir à son culte de la marginalité après un traditionnel suivisme syndical à la première occasion. Hier, les chasubles CGT, les cortèges CGT, aujourd’hui les postures de regret du manque d’élan, de la « trahison » des dirigeants. Rien de plus classique. On connaît l’adage : « la crise est une crise de la direction révolutionnaire ». L’ultra-gauche connaît son Léon Trotski.

Mais le PCF et LFI ont de l’ambition. Sans la CGT, il n’y a plus les moyens de cette ambition. Il faut donc agir avant qu’il ne soit trop tard. Ce qui se lit ici, c’est l’étrange rapport, très pervers, entre la gauche de la gauche et le syndicalisme. Il y a des non-dits, des zones réservées, un équilibre précaire mais en même temps une grande connivence, etc. Il y a un accord masqué qui, véritablement, pourrit la primauté de la politique et ce depuis les débuts de la CGT.

Il y a par conséquent une dépendance à la CGT, que le PCF et LFI la reconnaissent comme essentielle. Il faut donc sauver la CGT, qui va dans le mur. Mais comment faire pour ne pas la compromettre, pour qu’elle sauve la face ? D’où l’idée de demander un référendum, avec une pétition en ce sens, signée des principales figures de la « gauche de la gauche ».

La CGT, anti-politique, ne le signera pas, surtout lancée dans la grève, du moins officiellement. Si elle le fait, elle remettrait en cause sa propre logique syndicaliste. Elle ne peut donc pas vraiment être vexée. Surtout que c’est l’Humanité qui lance la pétition. On a aussi parmi les signataires Patrick Le Hyaric, qui est directeur de l’Humanité, ainsi que Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT.

Les angles sont donc arrondis. Et pour sauver le soldat CGT, on a Ian Brossat du PCF, ainsi que Adrien Quatennens et Jean-Luc Mélenchon de La France Insoumise. On a Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel de la Gauche républicaine et socialiste et Gérard Filoche de la Gauche démocratique et sociale.

On a Julien Bayou, qui est secrétaire national d’EELV, et Alain Coulombel, porte-parole d’EELV. On a Clémentine Autain de La France insoumise et Guillaume Balas, coordinateur de Génération-s.

On a également des figures d’arrière-plan, comme Pouria Amirshahi, ancienne figure majeure du syndicalisme étudiant et actuel directeur de publication de Politis, Willy Pelletier qui est coordinateur général de la fondation Copernic, Alain Obadia qui est président de la fondation Gabriel-Péri.

La liste initiale comporte également des avocats, des intellectuels, des chercheurs, des artistes, des économistes, etc. avec quelques ambulancier, sans profession et chauffeur poids lourd pour donner un côté populaire.

Est-ce que cela suffira ? Certainement pas. C’est même plus un signe d’effondrement qu’autre chose. Car la véritable actualité n’est pas dans ces noms. Elle est dans le fait que les hauts cadres du Parti socialiste ont également signé la pétition, et notamment Olivier Faure, qui est secrétaire national du PS, et Jean-Christophe Cambadélis, ex-premier secrétaire.

Qu’Olivier Faure veuille faire bien, soit. Mais que viennent faire les autres signataires, et notamment Jean-Christophe Cambadélis ? Ce dernier a un regard extrêmement précis et aguerri. Il disait tout récemment, avec justesse, au sujet des municipales :

« La gauche, elle, va toucher le fond de la piscine alors que le PS gardera pour l’essentiel ses bastions. Le PCF aussi, grâce à une alliance jugée hier impossible avec le PS. Même si ce sera l’arbre qui cachera la forêt des reculs du premier tour, la rupture avec la France insoumise va coûter chère au PCF et à la France insoumise.

Les écologistes seront globalement très hauts et devant les socialistes là où la gauche n’est pas sortante. Dans les villes de Besançon, Bordeaux etc. où la gauche est unie avec eux, ils peuvent même virer en tête. Reste que l’écologie est un vote de 1er tour, pas ou pas encore de rassemblement.

Quant à la France insoumise, elle est réduite à une posture de témoignage protestataire, ayant du mal à exister dans ce scrutin qui est pour elle encore plus difficile que les européennes. »

Et il ajoutait, présentant sa solution :

« Mais, encore une fois, le problème de la gauche c’est la faiblesse et le manque d’attractivité du PS. Ce n’est pas un problème de personnes mais une question structurelle. La marque est obsolète, il faut la refonder (…). Ce renouveau, cette réinitialisation du PS nécessite de dépasser le PS. »

Jean-Christophe Cambadélis croit-il qu’une Gauche, qu’il qualifie de « réformiste », peut naître d’un appel populiste à sauver une CGT antipolitique qui a mené un mouvement de protestation dans le mur ?

Cet appel au référendum est un suicide pour la Gauche politique. Il est une énième tentative de contourner les problèmes, les questions de politique, d’économie, de morale, de société, de valeurs. Il n’est aucunement possible d’échapper à la seule solution possible : constituer une Gauche consciente, organisée, structurée, établie de manière stricte.

Cela n’est pas possible avec une Gauche populiste, libérale culturellement, refusant l’organisation au nom de « mouvements », ne cherchant jamais à établir des structures locales menant un travail sur le long terme.

Le signe qu’on a ici, c’est que le Parti socialiste lui-même agonise – pas qu’il va contribuer à une structuration à Gauche. Sinon il ne se retrouverait pas là.

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Les 150 ans de la démocratie directe suisse

Les gilets jaunes ont comme leitmotiv le référendum d’initiative citoyenne (RIC), qu’ils considèrent comme la panacée pour résoudre les problèmes liés à la domination d’une « caste » technocratique. Ce 18 avril 2019, on célèbre justement les 150 ans de la démocratique directe à Zurich, ce qui a ouvert la voie au « style » référendaire à la suisse. C’est l’occasion de voir que ce que demandent les gilets jaunes n’est pas original, ni par ailleurs conforme aux exigences populaires.

Le 18 avril 1869, ce fut à Zurich le triomphe des populistes, comme Johann Caspar Sieber, qui entendaient réduire le parlement à une sorte de commission préparatoire. 60 % des voix se portèrent sur une réforme constitutionnelle, établissant le référendum comme base des décisions, supprimant donc la démocratie représentative pour la remplacer par ce qui sera par la suite appelé la « démocratie directe ».

Quelques années plus tard, la Suisse dans son ensemble effectuait un pas décisif dans cette direction ; rappelons qu’il s’agit d’une confédération, avec donc une très importante décentralisation. Mais c’est là justement le problème : comment le peuple peut-il s’exprimer dans son ensemble, si on le découpe en tranches ? Ou bien faut-il alors rejeter le principe de la souveraineté populaire à l’échelle nationale ?

Cette problématique a également beaucoup marqué le mouvement ouvrier, par exemple avec l’opposition entre Rosa Luxembourg et Lénine en 1917. Rosa Luxembourg était pour le maintien d’élections et d’un parlement, alors que Lénine était pour le pouvoir des soviets, c’est-à-dire des comités populaires organisés à la base.

Le système suisse, qui s’est ensuite également développé surtout dans l’Ouest américain sous l’impulsion des « populistes », n’a évidemment rien à voir avec les soviets. Il correspond en fait au rêve anarchiste de décentralisation absolue, où des individus décident de ce qui leur semble individuellement le plus adéquat. De nombreux penseurs socialistes utopiques en furent d’ailleurs une source idéologique locale.

À partir donc du 18 avril 1869, à Zurich, 5 000 citoyens peuvent appeler à un vote pour modifier une loi ou la constitution. Toute modification de la constitution ou des lois exige également un référendum, tout comme les dépenses supérieures à 250 000 francs suisses. La composition du gouvernement et les conseils communaux sont pareillement élus directement.

De manière très intéressante par rapport aux gilets jaunes, Zurich mit également en place une banque cantonale, pour faciliter l’obtention de crédits. Le parallèle est ici flagrant. Dans une même perspective, les impôts deviennent désormais progressifs, avec les riches devant payer davantage.

L’objectif est ici de souder la communauté, sur une base libérale solidaire, et de mettre de côté les patriciens, c’est-à-dire les capitalistes fortement développés et exerçant une pression conservatrice très forte. Leur grande figure était Alfred Escher, qui fut responsable du conseil d‘État, président du conseil d’administration du Crédit Suisse, président de la direction de différentes sociétés de chemins de fer, etc.

Il s’agissait ni plus ni moins que d’empêcher que les grands capitalistes fassent passer les institutions et l’administration sous leur coupe. C’est un peu la même chose avec l’opposition entre républicains et démocrates aux États-Unis. Mais c’est uniquement un conflit entre riches et ceux qui vont le devenir, tout comme Emmanuel Macron représente la nouvelle vague de riches contre l’ancienne.

Et il n’y a aucune expression politique populaire ni aux États-Unis ni en Suisse, car les bourgeois nouveaux combattent les bourgeois du passé en mobilisant le peuple contre ceux-ci, les accusant de tous les maux dans les institutions et l’administration. Comme en plus le système est particulièrement décentralisé, les mentalités se réduisent à des perspectives locales, empêchant toute envergure dans le raisonnement.

Impossible surtout de voir des classes sociales dans un tel découpage localiste, dans ces considérations individuelles et cette volonté de chasser les anciens pour mettre des nouveaux, sans qu’il n’y ait aucune considération sur le contenu. Tout serait une question de personnes, de nouvelles personnes contre les anciennes personnes.

C’est la raison pour laquelle la Gauche historique ne peut pas accepter cette logique populiste. La Gauche historique raisonne en termes de parti politique avec un programme établi par ses membres, avec une fonction d’avant-garde pour exprimer les intérêts du peuple. Le populisme propose lui un remplacement formel d’individus pour que le « système » se remette à fonctionner.

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Le référendum et le positivisme bourgeois

La critique du RIC (référendum d’initiative citoyenne) doit être comprise depuis le cadre même de ce que sont les institutions de la bourgeoisie dans notre pays.

De l’expérience de la Première République jusqu’aux juristes positivistes de la IIIe République, la bourgeoisie a fortement marqué la culture politique française en cherchant à affirmer une dimension faussement démocratique, bornée et restreinte, aux différents régimes républicains, jusqu’à notre propre époque. Loin d’être une mesure subversive ou même avant-gardiste, la question du référendum est précisément et ni plus ni moins qu’un des éléments de ce dispositif.

Une fois élancé le mouvement révolutionnaire de 1789, les différentes factions de la bourgeoisie ont passé l’essentiel de leur histoire à affronter d’une part la réaction et d’autre part à s’affronter les unes les autres pour le contrôle de l’État bourgeois en réprimant, souvent dans le sang de la classe ouvrière, les revendications démocratiques trop poussées qui les mettent dangereusement face à leurs contradictions. Cette lutte se poursuit jusqu’à nos jours, mais elle s’est organisée et institutionnalisée dans les formes que nous lui connaissons à partir de la IIIe République.

La volonté et la nécessité de maintenir l’élan populaire qui avait initialement appuyé la bourgeoisie dans ce cadre a donc poussé celle-ci à tenter de trouver des formes institutionnelles permettant d’aller vers la démocratie sans pouvoir en être capable au bout du compte. C’est en ce sens que les différents projets de Constitution suivant la déclaration de la République en 1792 prévoient tous en quelque sorte un prolongement du régime parlementaire de l’Assemblée (appelée dans un premier temps « Convention ») par différentes solutions permettant plus ou moins l’expression politique et la participation populaire : censure des actes législatifs de l’Assemblée par les citoyens, droit de pétition, ébauche de référendum… L’idée commune est de refuser les organisations collectives et durables du peuple en-dehors de l’Assemblée nationale. Les autres assemblées instituées à l’échelle des départements et des communes sont étroitement contrôlées et fortement limitées dans leurs prérogatives et leur composition. L’expérience des cahiers de doléances est donc purement et simplement balayée, l’engagement politique est renvoyé à la capacité individuelle de s’organiser dans une logique d’entreprise et de mobiliser un réseau plus ou moins volatile autour de quelque chose.

Ainsi s’est formée la double perception du peuple que la bourgeoisie entend mettre en avant et qui est aujourd’hui même, celle des populistes : un agrégats de citoyens reflétant la diversité de la nation en tant qu’individus d’une part. Et de l’autre, une entité politique collective mais abstraite unie par un sentiment national tel que défini par le régime qui ne peut se rassembler comme force qu’autour d’un « projet » précis et borné.

C’est précisément cette conception du peuple qu’il faut bien comprendre pour saisir concrètement en quoi le populisme n’est pas la démocratie : à l’idée d’un peuple abstrait et réduit à une somme d’individus particuliers tenus par la seule capacité de l’État bourgeois à incarner la nation, il faut opposer celle où le peuple en lui-même est la nation hors de toute incarnation institutionnelle.

A l’idée que la participation politique est pilotée par les fractions de la bourgeoisie et de ses agents, de ses figures, que le peuple par sa force collective doit appuyer à la demande, il faut opposer celle que c’est le peuple lui-même qui fait l’histoire et que celle-ci s’inscrit pleinement dans le cadre de la lutte des classes, dont la bourgeoisie est désormais la cible, le problème.

A l’idée d’une participation collective additionnant des individus « libres » et divers autour d’une question avant de s’évaporer, il faut opposer la nécessité de se rassembler collectivement et durablement, d’organiser des Assemblées populaires à la base pour mettre sur le tapis les contradictions et affirmer le bien commun, chercher des solutions.

Ce cadre étant posé, il est évident que ce que l’on appelle « référendum » relève entièrement de la conception historiquement bourgeoise de la démocratie. Dans notre pays, la bourgeoisie a notamment produit tout un arsenal juridique et idéologique poussé ayant particulièrement marqué notre culture politique. De la Première République de 1792 et ses tentatives jusqu’au triomphe de la domination bourgeoise avec la IIIe République notamment, la bourgeoisie libérale a imprimé fortement toute la conception de l’État et de la souveraineté, notamment par son positivisme.

Au bout du compte, il a été produit une distinction entre d’une part « souveraineté nationale » qui relève de la légitimité de l’Assemblée Nationale et du parlementarisme, ce que la bourgeoisie considère comme la « démocratie représentative ». Et d’autre part, la « souveraineté populaire » qui produirait donc une « démocratie directe » s’appuyant sur les citoyens sous la forme d’une participation pétitionnaire à la vie politique. L’une comme l’autre néanmoins relevant entièrement de l’État bourgeois et de son cadre.

Cette distinction et la question de leur articulation constitue pour la bourgeoisie française un débat prolongé sur ce qu’elle pense être la « démocratie », qui précisément représente pour la Gauche une borne culturelle à dépasser. Depuis la IIIe République (1870-1940), toute la question se résume à savoir comment tempérer le régime parlementaire, considéré comme un acquis indépassable et irrécusable par la bourgeoisie, en y admettant une forme de participation collective et populaire sans aller « trop loin » vers la démocratie, considérée au mieux comme impossible techniquement et au pire comme une menace anarchique.

Ce débat est en soi un des éléments constituants la vie politique de la « démocratie » libérale de notre pays de manière fondamentale et permanente. D’où son éternel retour à chaque contestation populaire, sous la forme d’une soupape de sécurité en quelque sorte qui permet de proposer faussement une perspective populaire et démocratique en réactivant la question de la « souveraineté populaire » et de toute sa cohorte de référendums et autres pétitions.

La figure essentielle à connaître ici est celle de Raymond Carré de Malberg (1861-1935), un juriste positiviste strasbourgeois ayant contribué à établir cette distinction des souverainetés dans le cadre de l’État bourgeois. Par « positivisme », il est question ici d’une conception du droit qui considère de manière libérale qu’il n’est pas un héritage figé pour toujours mais qu’il est le reflet du « contrat social » à un moment donné entre tous les individus composant l’État, qui en tant que personnalité juridique suprême est à la fois le garant et l’expression politique de toute la société.

Raymond Carré de Malberg n’est pas une figure populaire en France, mais il est un juriste de grande envergure à connaître pour saisir la nature de l’État bourgeois en France et la culture politique qu’il a produit. Raymond Carré de Malberg en particulier a réfléchi au seuil des années 1930 aux insuffisances du parlementarisme de la IIIe République. On lui doit une longue affirmation de l’État comme un genre d’arbitre au-dessus de la société en dehors duquel le droit ne peut être énoncé.

Cette idée d’un État au-dessus de la lutte des classes est en soi un marqueur justement du populisme actuel. Plus concrètement, il a formulé l’idée que le parlementarisme affaiblit l’État et donc par conséquence, endommage l’ordre social. Face à cela, il prône un renforcement de l’exécutif sur le pouvoir législatif qui sera précisément à la base des réformes de Vichy puis plus tard de la Ve République, renforçant cette idée d’un État fort incarnant la « souveraineté nationale » et son bon fonctionnement.

Enfin, Raymond Carré de Malberg réfléchit aussi sur la question de la participation populaire. Depuis les travaux de Maurice Hauriou (1856-1929), la bourgeoisie voit au mieux la « souveraineté populaire » comme accomplie dans la simple expression du suffrage universel acquis depuis 1848 pour les hommes en France. En particulier s’il permet d’élire le président de la République, qui incarne l’institution par excellence qu’est l’État, donc en pratique le « peuple » lui-même.

La bourgeoisie dispose donc dès lors de tout un arsenal idéologique et juridique en mesure d’imposer une définition bornée de la démocratie. Raymond Carré de Malberg vient le compléter en 1931 en proposant d’y ménager une place pour le référendum susceptible d’affirmer une dimension plus « démocratique » au parlementarisme républicain dans son ouvrage : Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme.

De l’expérience de la Révolution bourgeoise de 1789 jusqu’aux juristes de la IIIe République, on peut donc mesurer toute la profondeur de ce cadre républicain constitué progressivement autour de l’État bourgeois pour tenter de le faire incarner la « souveraineté nationale » ou dans une moindre mesure la « souveraineté populaire », c’est-à-dire de lui donner une dimension faussement démocratique.

Dans ce dispositif, le référendum ne peut donc pas rationnellement être saisi comme un moyen « neutre » ou pire comme une sorte de mesure en capacité d’imposer une évolution démocratique. Ce serait méconnaître la profondeur historique de la réflexion et des capacités de la bourgeoisie sur ce sujet et de toute façon s’inscrire d’emblée dans le cadre maîtrisé des institutions.

En raison d’une absence de conscience développée sur ce qu’est concrètement la lutte des classes dans notre pays, la revendication du RIC aujourd’hui illustre toutes ces illusions, toute la complète servitude à la culture bourgeoise, de ceux qui s’en réclament en imaginant proposer là une chose quasiment révolutionnaire.

La tâche culturelle de la Gauche est justement de replacer cette question dans sa juste dimension historique afin de pousser à chercher des solutions en réelle rupture avec les institutions et avec la culture politique de la bourgeoisie.

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Le « référendum d’initiative populaire » contre la démocratie

La généralisation du référendum n’est pas une démarche démocratique servant les intérêts des classes populaires. Il relève du populisme le plus élémentaire, en niant la complexité des choses, en dépolitisant les sujets, ce qui mène tout droit au fascisme en contribuant à tuer la société civile.

Le « RIC », référendum d’initiative citoyenne, est la grande revendication du mouvement des gilets jaunes depuis le début de son effondrement. Dépouillé de ce qu’il pouvait avoir de populaire, quand il portait une révolte contre la vie chère et le mode de vie dépendant à l’automobile, le mouvement affirme maintenant pleinement sa nature populiste.

Il y a en effet quelque-chose de profondément idéaliste, pour ne pas dire irrationnel, à s’imaginer que la démocratie puisse s’incarner en des réponses « oui » ou « non » à quelques grandes questions.

La démocratie n’est pas un formalisme consistant en la somme des « points-de-vue » des individus. C’est quelque-chose de bien plus grand, un mouvement devant pénétrer chaque moment de la vie, avec un pouvoir populaire s’animant de manière concrète sur chaque aspect de la vie. C’est ce qu’on appelle la société civile, avec des gens s’organisant dans des moments particulier de la vie quotidienne et du monde qui nous entoure, débattant et façonnant des points de vue élaborés, en rapport avec des choses concrètes qu’ils connaissent et pratiquent vraiment.

Résumer cela en des questions posées aux électeurs, même régulièrement, et trouvant leur issue par « oui » ou « non », est une insulte à l’idée même de pouvoir populaire. La motivation du « RIC » n’est de toutes façons pas démocratique, mais se veut seulement une réponse rapide et facile à l’indignation de petit-bourgeois pris de rage face à leur propre situation.

Les gilets jaunes ne veulent pas faire de politique, ils ne veulent pas saisir la complexité du monde et des rapports sociaux, ils veulent simplement pouvoir dire « non ». Le « RIC » est la quintessence du consumérisme petit-bourgeois, complètement aliéné par le capitalisme, où tout est question de choix individuel, de défendre les intérêts de sa petite personne, sans aucune considération plus élaborée ni pour la planète, ni pour la communauté.

On imagine d’ailleurs très bien les dégâts si la société fonctionnait ainsi, car évidemment il ne serait plus possible d’avancer collectivement, plus personne ne voudrait plus rien mettre en commun ni se plier à l’exigence collective.

Le problème de notre société n’est pas que les hommes politiques soient incompétents ou qu’ils aient « trahi », comme le résument les populistes, mais qu’ils servent des intérêts de classe. Il ne s’agit donc pas de pouvoir simplement dire « oui » ou « non », mais de renverser le pouvoir de la bourgeoisie qui accapare la culture et les richesses, pour au contraire défendre les intérêts culturels et matériels des classes populaires.

Cela est bien plus complexe que des « RIC », car il faut s’organiser sur le long terme, connaître et défendre le long cheminement de la civilisation, avoir une opinion élaborée et aboutie conformément à la complexité de chaque phénomène particulier et des rapports sociaux et naturels en général.

Le référendum n’est bien sûr pas un outil qui serait mauvais en lui-même, car il ne s’agit que d’un vote et il est utile en démocratie que les débats et les réflexions puissent être tranchés à un moment donné. Mais le « RIC » ne consiste pas en cela. Il s’agit juste du prolongement du mouvement des gilets jaunes opposés aux taxes sur le carburant, qui veulent pouvoir lancer leurs pétitions à grandes échelles et faire voter tout le monde sur la fin d’une taxe, puis certainement d’autres taxes, etc.

Il ne faut pas s’étonner ici de voir une figure populiste comme François Ruffin de La France Insoumise soutenir pleinement le « RIC », qui figurait au programme en 2017 tant de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. Il y a eu cette polémique récemment car, lors d’une conférence à l’Assemblée Nationale, François Ruffin a félicité le fasciste Étienne Chouard qui est un initiateur reconnu du « RIC ».

Cela est logique, et tous ceux à Gauche qui ont refusé le populisme savent très bien qu’il existe depuis le référendum sur la constitution européenne en 2005 une grande convergence entre les nationalismes. Étienne Chouard n’est ici qu’un pont parmi d’autre entre la France Insoumise et le Rassemblement National, par l’intermédiaire d’Alain Soral notamment.

Ce qui est ironique par contre, c’est que la France Insoumise ne bénéficie pas du mouvement des gilets jaunes, malgré le fait qu’elle dise la même chose, car finalement les gilets jaunes préfèrent le Rassemblement National, la version originale, plutôt que sa pâle copie insoumise teintée de bons sentiments dépassés. C’est que la France Insoumise est encore trop « politique », et on imagine d’ailleurs que le Rassemblement National, qui a pourtant poussé très loin le populisme et le refus de la « politique-politicienne », des clivages politiques, est encore de trop pour certains gilets jaunes.

Leur « RIC », en tant qu’objet antipolitique et antidémocratique, en tant que fausse promesse démocratique et populaire, en tant qu’illusion populiste, en tant que négation de la lutte des classes, mène alors tout droit au fascisme.

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Faut-il une région administrative pour savoir que Nantes est en Bretagne ?

L’association Bretagne Réunie a présenté récemment une pétition de 100 000 signatures demandant un référendum sur le rattachement du département de la Loire-Atlantique à la région Bretagne. Suite à la pression exercée par cela, et alors qu’il est juridiquement obligé de prendre en compte cette demande émanant de 10 % du corps électoral de Loire-Atlantique, le conseil départemental s’en retourne finalement à l’État pour organiser un référendum décisionnel sur la question.

Entendre dire par des gens qui n’y connaissent rien à l’histoire et à la culture bretonne que Nantes ne serait pas en Bretagne est vécu comme une véritable agression culturelle par de nombreuses personnes. C’est en effet une insulte à l’histoire et à la culture, car bien-sûr le pays Nantais ou le pays de Retz sont bretons.

Ce discours niant une partie de la Bretagne est largement porté par la non-intégration administrative de la Loire-Atlantique à la région Bretagne. Le territoire complètement fictif des Pays-de-la-Loire, dont trois départements sur cinq n’ont aucun rapport avec le fleuve la Loire, s’est pour sa part développé dans une optique de modernisme capitaliste tout puissant, niant en bloc les traditions et l’héritage.

Rien que pour cette raison, les personnes progressistes en Loire-Atlantique ont en général toujours vu d’un bon œil la question bretonne, parce que c’est une question démocratique et populaire.

Les 100 000 signatures ligériennes réunies par la pétition de l’association Bretagne Réunie représentent de ce point de vue quelque-chose de très important numériquement.

Cependant, il faut bien voir que la pétition a franchi ce seuil à l’arrachée, grâce au militantisme forcené de l’association, alors que la question est posée dans le débat public depuis de nombreuses années.

D’un côté, la population est bienveillante sur cette question, comme le montrent les réguliers sondages dans la presse locale, mais de l’autre il n’y a pas non-plus de véritable mobilisation démocratique et populaire sur le sujet. C’est-à-dire que, de la même manière que les Bretons dans leur ensemble ne se considèrent pas comme oppressés nationalement par la France, car ils sont français, la plupart des ligériens connaissent leur identité et leur héritage breton, tout en ne prêtant pas vraiment attention à la région Pays-de-la-Loire qui est surtout une entité administrative et technocratique abstraite.

De ce point de vue, il faut considérer que l’intégration de la Loire-Atlantique à la région Bretagne ne représente aucun progrès démocratique et populaire. Si cela peut être satisfaisant sur le plan personnel de voir reconnaître l’histoire et la culture bretonne de la Loire-Atlantique, ce qui n’est pas un aspect négligeable, il faut surtout considérer le contexte général motivant ce rattachement.

Le mouvement « breton » qui porte cette revendication est en effet largement réactionnaire. Il s’agit typiquement d’une mobilisation petite-bourgeoise hystérique, dévoyant une question démocratique au profit d’un idéalisme identitaire. Rien que la pseudo-langue bretonne inventée de toute pièce par des universitaires d’extrême-droite, qui n’a pas de réel rapport avec la langue populaire bretonne, est quelque-chose d’insupportable, qui en dit long sur le caractère réactionnaire, stupide, de ce mouvement.

Il faut aussi bien comprendre que l’actuelle région Bretagne entend se renforcer de l’intégration de Nantes dans une perspective régionale européenne, où il s’agit de tirer son épingle du jeu économiquement, en concurrence avec d’autres grandes région. Et il ne s’agit pas là que de tourisme, mais de tout un tas de considérations économiques capitalistes.

C’est dans ce contexte concurrentiel que le Président de la région Bretagne Jean-Yves Le Drian avait fait pression auprès de François Hollande contre la fusion de la Bretagne et des Pays-de-la-Loire en 2015, alors que c’était dans l’ordre des choses au regard des fusions ayant lieu pour d’autres régions françaises avec la loi NOTRe.

C’est dans ce sens également qu’il faut comprendre le vote la semaine dernière des élus du conseil régional de Bretagne se prononçant à l’unanimité en faveur d’un référendum sur le rattachement de Nantes et son département.

Que ce choix s’appuie sur une considération culturelle légitime à la base ne change rien au problème, au contraire. Il faut bien comprendre ici que la revendication identitaire sous-jacente est celle de l’autonomie bretonne, si ce n’est de l’indépendance au moins relative.

D’un point de vue progressiste, la Gauche ne peut pas accepter un tel pas en avant dans l’autonomisation d’un territoire. Cela représenterait un recul du cadre national, donc un recul démocratique. Le cadre national est l’expression historique la plus aboutie jusqu’à présent de la collectivité. C’est le cadre le plus démocratique possible à notre époque, celui dans lequel la Gauche historiquement s’affirme et affirme le point de vue de la classe ouvrière et de l’internationalisme prolétarien.

Une injustice culturelle, aussi importante soit-elle, ne peut pas justifier un tel démantèlement démocratique du cadre national au profit d’une région, d’un particularisme local qui serait par définition un retour en arrière.

Il faut saluer et reconnaître comme juste ici le vote majoritaire au conseil départemental de Loire-Atlantique, sous l’influence de son Président socialiste Philippe Grovalet, refusant d’activer le droit d’option du département en faveur de son rattachement à la région Bretagne.

Ce vote, reconnaissant largement dans les débats l’héritage culturel breton, est accompagné du vœu de s’en remettre à l’État pour régler cette question qui concerne la nation tout entière.

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Un référendum en Nouvelle-Calédonie qui n’en était pas un

La Nouvelle-Calédonie a connu dimanche dernier un référendum sur l’indépendance : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».

Nouvelle Calédonie

Tout au moins en apparence. En réalité, tout était joué à la base même. Le colonialisme français en Nouvelle-Calédonie, à 16 000 km de la métropole, a bloqué toute perspective, afin de conserver le territoire, les zones réservées dans l’océan (1,4 million de kilomètres carrés de zone exclusive), ainsi que les 25 % des réserves mondiales de nickel.

En effet, les Kanaks ne sont plus qu’une minorité sur l’île, ils ont voté en masse pour l’indépendance, mais ils plafonnent à 43,6  %, ils sont bloqués par la majorité d’origine européenne, mais aussi wallisienne et tahitienne, ainsi qu’asiatique.

De plus tout le monde sait bien que dans le cas d’une indépendance, la situation est telle que le pays nouveau basculerait immédiatement sous la coupe de la Chine ou de l’Australie. Il y a des revendications anti-coloniales, mais aucune dynamique démocratique réelle, pour ne pas parler de dynamique pour le socialisme.

L’indépendance de la Nouvelle-Calédonie n’apparaît donc que comme une aventure que, logiquement, dans tous les cas, la majorité ne veut pas essayer. Et en proposant l’indépendance telle quelle, les dirigeants kanaks ne font que servir l’inscription toujours plus prononcée de la Nouvelle-Calédonie dans la France.

Les indépendantistes du Parti travailliste et de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE) ont d’ailleurs parfaitement compris la situation et n’ont pas participé au référendum. Ils ont tout à fait compris que tout était joué d’avance et n’ont pas manqué de le dire. Seulement ils font face au problème de fond, celui du grand choix.

Le grand slogan de l’USTKE est « usines tribus même combat ». Sauf qu’il va falloir choisir. Soit c’est le choix des tribus et alors la seule revendication possible va être identitaire et ethnique, en appelant à couper le pays en deux, puisque le nord est kanak, contrairement au sud où la colonisation de peuplement a pris le dessus. Ou alors en appelant à expulser les autres, comme l’a fait le FLN algérien, sauf que là ce sera matériellement impossible.

Soit c’est le choix des usines, de faire des kanaks, qui sont socialement marginalisés de manière très brutale, le fer de lance des revendications démocratiques, voire socialistes, mais cela signifie accepter la formation d’un peuple calédonien, dont les Kanaks seraient une minorité.

Or, de par l’idéologie racialiste diffusée par les féodaux et les courants universitaires post-modernes, le choix démocratique et socialiste n’a strictement aucun espace.

Cela fait que la principale force sociale, les Kanaks, ne soutiennent pas la cause démocratique, socialiste, et que donc forcément les autres composantes du peuple préfèrent se rattacher au colonialisme français.

On reconnaît ici, en arrière-plan, une question essentielle, celle de la priorité donnée à la Cause démocratique, socialiste, sur un « droit des peuples » abstrait qui n’a jamais eu sa place à Gauche. L’histoire n’est pas l’histoire des ethnies et de leur affirmation, mais celle de la lutte des classes.

Tant qu’il n’y aura pas une génération d’avant-garde saisissant cela en Nouvelle-Calédonie, il n’y aura aucune perspective, à part le triomphe du colonialisme français et un repli identitaire kanak basculant dans le romantisme réactionnaire.