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Le maréchal Juin n’a pas été un antinazi

La dégradation d’un monument au maréchal Juin lors de « l’anniversaire » de la première manifestation des gilets jaunes est stupide. Mais le définir comme un antinazi car il a dirigé l’armée française aux côtés des Alliés est totalement faux.

Alphonse Juin est resté une figure de « l’État français » de Pétain jusqu’au bout, avant de changer de camp au moment du grand renversement des rapport de force sur le front occidental de la Seconde Guerre mondiale.

Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès du ministère des Armées, a condamné en les termes suivants la dégradation du monument en l’honneur du maréchal Juin :

« Écœurée et scandalisée par cette nouvelle dégradation des symboles de notre Mémoire nationale. Le Maréchal Juin et tous ses soldats ont combattu le nazisme et se sont battus pour notre liberté. Aucune cause ne justifie de tels actes, aucune. »

Le souci dans cette affirmation, c’est qu’Alphonse Juin a combattu les Allemands, certainement pas le nazisme, et encore l’a-t-il fait très tardivement. C’est même la grande figure de ces hauts cadres de l’État français de Pétain qui, à partir de 1943, changent de camp. Ce n’est pas la conviction qui les a poussé à cela, mais la défaite de l’Allemagne nazie.

Il suffit de regarder l’évolution d’Alphonse Juin. En 1938, il est général de brigade. Lors de la défaite française de 1940, il est emprisonné par les Allemands. L’État subordonné à Pétain le nomme alors général de division et parvient à obtenir sa libération en juin 1941.

C’est un pétainiste, on pense même à lui pour le ministère de la guerre ! Finalement en juillet il devient adjoint au général commandant supérieur des troupes du Maroc et en novembre général de corps d’armée, commandant en chef des forces d’Afrique du Nord.

À ce titre, il est en étroit rapport avec l’armée allemande, avec qui bien entendu il entre relativement en conflit, puisque sa ligne est comme celle de Pétain. L’idée est de profiter de la situation pour la France, autant que possible, tout en acceptant donc de se subordonner à l’Allemagne nazie. Il cherche à préserver « l’empire français » coûte que coûte.

Lors du débarquement allié en Afrique du Nord, il s’y oppose donc. Il est même arrêté par des résistants, mais parvient à s’en libérer. Il s’oppose aux Américains mais comme parallèlement l’État français de Pétain est finalement balayé par les Allemands, il accepte de rejoindre les Alliés.

De Gaulle le nomme alors à la tête du corps expéditionnaire français en Italie, regroupant 112 000 soldats. Il gère avec succès la bataille de Monte-Cassino et il devient en 1944 le chef d’état major et ce jusqu’en 1947 ! Il entre dans Paris aux côtés de De Gaulle et sera le seul général de la Seconde Guerre mondiale à être nommé maréchal.

Le souci, cela avait évidemment été le procès du maréchal Pétain. De Gaulle fait en sorte de l’envoyer en Allemagne pour éviter qu’il ne soit présent et ne le soutienne. Cela n’empêchera pas Alphonse Juin d’écrire un message en sa faveur !

Il est ensuite résident général au Maroc de 1947 à 1951, puis de 1951 à 1956, commandant en chef du secteur Centre-Europe de l’OTAN. Il est même nommé à l’Académie française en 1953 !

Et de 1954 à sa mort en 1967, il est président du Comité de patronage de la Revue Défense nationale, tout comme il est à partir de 1955 président d’honneur de la Société nationale des anciens et des amis de la gendarmerie.

Avec un tel parcours, le jour où un régime de Gauche existera en France, il va de soi que ce personnage passera à la trappe. Il est l’exemple même du militaire au service de la France capitaliste, sans états d’âme, sans morale aucune. Il n’a jamais été un combattant du nazisme – quelqu’un qui négocie avec quelqu’un comme Goering pour savoir comment placer des soldats est un collaborateur. Il symbolise également toute la continuité du pétainisme dans l’appareil d’État français.

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Politique

« Principes du syndicalisme » (le « Manifeste des douze »)

Lorsque le régime de Vichy se met en place le 10 juillet 1940, il organise un système corporatiste. A ce titre, les syndicats sont dissous le 9 novembre 1940.

Au lieu de se confronter au régime, l’esprit syndicaliste tente la négociation, en proposant un meilleure encadrement des ouvriers que le corporatisme et l’antisémitisme, tout en reconnaissant la valeur du planisme.

C’est ainsi que naît le document intitulé « Principes du syndicalisme » et connu sous le nom de « Manifeste des douze », en raison des douze signataires.

Il s’agit de Maurice Bouladoux, Gaston Tessier et Jules Zirnheld pour la CFTC (le syndicat chrétien, qui devient la CFDT en 1964), et d’Oreste Capocci, François Chevalme, Albert Gazier, Eugène Jacoud, Robert Lacoste, Christian Pineau, Louis Saillant et Victor Vandeputte pour la CGT.

Le titre choisi en référence à « Le syndicalisme français », un texte du même esprit écrit en 1937 par le très anticommuniste Léon Jouhaux, alors dirigeant de la CGT. Christian Pineau, Victor Vandeputte, Eugène Jacoud et Oreste Capocci sont d’ailleurs membres de la tendance anticommuniste « Syndicats » ; Pierre Neumeyer rejoindra quant à lui Force Ouvrière à sa création issue de l’anticommunisme, après 1945.

C’est un excellent exemple d’esprit syndicaliste de participation aux institutions, de cogestion, de théorie du « syndicat libre », etc.

PRINCIPES DU SYNDICALISME FRANÇAIS
Syndicats CGT et CFTC
15 novembre 1940

Le syndicalisme français doit s’inspirer de six principes essentiels :

A. Il doit être anticapitaliste et, d’une manière générale, opposé à toutes les formes de l’oppression des travailleurs.

B. Il doit accepter la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général.

C. Il doit prendre dans l’État toute sa place et seulement sa place.

D. Il doit affirmer le respect de la personne humaine, en dehors de toute considération de race, de religion ou d’opinion.

E. Il doit être libre, tant dans l’exercice de son activité collective que dans l’exercice de la liberté individuelle de chacun de ses membres.

F. Il doit rechercher la collaboration internationale des travailleurs et des peuples.

A. Anticapitalisme.

Le syndicalisme a été le premier à comprendre et à dénoncer la responsabilité du capitalisme dans les crises économiques et les convulsions sociales et politiques de I’après-guerre.

Les financiers et les trusts internationaux, de grandes sociétés anonymes, des collectivités patronales, véritables féodalités économiques, groupements menés par un nombre limité d’hommes irresponsables, ont trop souvent sacrifié les intérêts de la patrie et ceux des travailleurs au maintien ou à I’accroissement de leurs bénéfices.

Ils ont systématiquement arrêté le développement de la production industrielle française par leurs opérations monétaires, les exportations de capitaux, le refus de suivre les autres nations dans la voie du progrès technique.

Ils sont plus responsables de la défaite de notre pays que n’importe quel homme politique, si taré ou incapable soit-il.

Au régime capitaliste doit succéder un régime d’économie dirigée au service de la collectivité. La notion du profit doit se substituer à celle du profit individuel.

Les entreprises devront désormais être gérées suivant les directives générales d’un plan de production, sous le contrôle de l’Etat avec le concours des syndicats de techniciens et d’ouvriers.

La gestion ou la direction d’une entreprise entraînera, de plein droit, la responsabilité pleine et entière pour toutes les fautes ou abus commis.

C’est ainsi et ainsi seulement que le chômage pourra être supprimé, que les conditions de travail pourront être améliorées de façon durable et aboutir au bien-être des travailleurs, but suprême du syndicalisme.

B. Subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général.

Cette subordination doit être effective dans tous les domaines et, en particulier, à l’intérieur des organisations syndicales elles-mêmes.

L’excès d’individualisme a toujours empêché dans notre pays toute action collective coordonnée, chacun croyant avoir le droit, après avoir exprimé son point de vue, d’entraver par son action personnelle l’application des décisions nécessaires prises par la majorité.

Le syndicalisme est un mouvement collectif ; il n’est pas la somme d’un grand nombre de petits mouvements individuels.

Les hommes n’ont pour lui de valeur que dans la mesure où ils servent sa cause et non la leur. Toute l’histoire du syndicalisme prouve d’ailleurs que c’est par l’action collective que la défense des intérêts individuels est le mieux assurée.

C. Place du syndicalisme dans l’État.

Le syndicalisme ne peut pas prétendre absorber l’État. Il ne doit pas non plus être absorbé par lui. Le syndicalisme, mouvement professionnel et non politique, doit jouer exclusivement son rôle économique et social de défense des intérêts de la production.

L’État doit jouer son rôle d’arbitre souverain entre tous les intérêts en présence. Ces deux rôles ne doivent pas se confondre.

D’autre part, I’action syndicale et la souveraineté de l’État s’exerceront d’autant plus facilement que les professions seront organisées.

Cette organisation professionnelle indispensable ne doit pas faire échec à l’action d’un organisme interprofessionnel capable d’avoir, sur les problèmes économiques et sociaux, une vue d’ensemble et de pratiquer une politique de coordination. L’organisation des professions dans des cadres rigides aboutirait à un système étatiste et bureaucratique.

La suppression définitive des grandes confédérations interprofessionnelles nationales serait, à cet égard, une erreur. Il n’y a pas à choisir entre le syndicalisme et le corporatisme. Les deux sont également nécessaires.

La formule de l’avenir c’est : le syndicat libre dans la profession organisée et dans l’État souverain.

De la souveraineté de l’État et de l’efficacité de son rôle d’arbitre dépend la suppression pratique de la grève, en tant que moyen de défense des travailleurs.

Il serait inique de priver ces derniers de tous moyens d’action, si l’État ne se porte pas garant, vis-à-vis d’eux, de l’application stricte de la législation sociale et du règne de l’équité dans les rapports sociaux. La lutte des classes qui a été jusqu’ici un fait plus qu’un principe ne peut disparaître que :

— Par la transformation du régime du profit.

— Par l’égalité des parties en présence dans les transactions collectives.

— Par un esprit de collaboration entre ces parties, esprit auquel devra se substituer, en cas de défaut, l’arbitrage impartial de l’État.

D. Respect de la personne humaine.

En aucun cas, sous aucun prétexte et sous aucune forme, le syndicalisme français ne peut admettre, entre les personnes, des distinctions fondées sur la race, la religion, la naissance, les opinions ou l’argent.

Chaque personne humaine est également respectable. Elle a droit à son libre et complet épanouissement dans toute la mesure où celui-ci ne s’oppose pas à l’intérêt de la collectivité.

Le syndicalisme ne peut admettre en particulier :

— L’antisémitisme.

— Les persécutions religieuses.

— Les délits d’opinion.

— Les privilèges de l’argent.

Il réprouve en outre tout régime qui fait de l’homme une machine inconsciente, incapable de pensée et d’action personnelles.

E. La liberté.

Le syndicalisme a été et demeure fondé sur le principe de la liberté : il est faux de prétendre aujourd’hui que la défaite de notre pays est due à l’exercice de la liberté des citoyens, alors que l’incompétence de notre état-major, la mollesse de nos administrations et la gabegie industrielle en sont les causes intérieures.

La liberté syndicale doit comporter :

— Le droit pour les travailleurs de penser ce qu’ils veulent, d’exprimer comme ils I’entendent, au cours des réunions syndicales, leurs pensées sur les problèmes de la profession.

— Le droit de se faire représenter par des mandataires élus par eux.

— Le droit d’adhérer à une organisation syndicale de leur choix ou de n’adhérer à aucune organisation.

— Le droit de ne pas voir les organisations syndicales s’ingérer dans la vie privée.

La liberté peut comporter des abus. Il est moins important de les réprimer que d’éviter leur renouvellement.

A cet égard, I’éducation ouvrière, mieux que toutes les menaces ou contraintes, doit donner aux travailleurs les connaissances et les méthodes d’action et de pensée nécessaires pour prendre conscience des intérêts généraux du pays, de l’intérêt de la profession et de leur véritable intérêt particulier. Il appartiendra aux professions d’organiser, sous le contrôle des syndicats et de l’État, cette éducation ouvrière.

F. Collaboration internationale.

Si le syndicalisme n’a pas à intervenir à la place de l’État dans la politique du pays, il doit néanmoins se préoccuper :

— Des conditions internationales de la production.

— Du sort du travailleur dans le monde entier.

— De la collaboration entre les peuples, génératrice de mieux-être et de progrès.

Il serait, en effet, insensé de croire que notre pays pourra demain vivre sur lui-même, s’isoler du reste du monde et se désintéresser des grands problèmes internationaux, économiques et sociaux.

L’AVENIR DU SYNDICALISME FRANÇAIS

L’avenir du syndicalisme français dépend :

— De l’avenir de la France.

— De son organisation économique et sociale.

— Des hommes qui en prendront la tête.

De l’avenir de la France, nous ne devons pas désespérer.

Nous ne devons pas nous considérer, au hasard d’une défaite militaire, comme une nation ou un peuple inférieur. Nous reprendrons notre place dans le monde dans la mesure où nous aurons conscience de la place que nous pouvons prendre.

L’organisation économique et sociale de la France devra faire table rase des erreurs du passé. Nous avons donné les principes essentiels de cette organisation nouvelle.

Quant aux hommes qui peuvent prendre la tête du Mouvement syndical, ils doivent remplir les conditions suivantes :

— N’avoir pas une mentalité de vaincus.

— Faire passer l’intérêt général avant leur intérêt particulier.

— Respecter la classe ouvrière et avoir la volonté de la servir.

— Posséder les connaissances générales et techniques nécessaires pour faire face aux problèmes actuels.

Pour défendre le syndicalisme français, ses traditions et son avenir.

Pour défendre leurs intérêts professionnels.

Pour éviter le chômage et la misère.

Pour sauver leurs intérêts.

Les travailleurs français se grouperont.

Maurice BOULADOUX, ex-secrétaire adjoint de l’ex-C.F.T.C.

Oreste CAPOCCI, secrétaire général de la Fédération des employés (ex-C.G.T.).

L. CHEVALME, secrétaire général de la Fédération des métaux (ex-C.G.T.).

A. GAZIER, secrétaire général de la Chambre syndicale des employés de la région parisienne (ex-C.G.T.).

E. JACCOUD, secrétaire général de la Fédération des moyens de transports (ex-C.G.T.).

R. LACOSTE, ex-secrétaire de la Fédération des fonctionnaires (ex-C.G.T.).

P. NEUMEYER, ex-secrétaire de la Fédération des fonctionnaires (ex-C.G.T.).

Ch. PINEAU, secrétaire de la Section fédérale de banque et de bourse (ex-C.G.T.).

Louis SAILLANT, secrétaire de la Fédération du bâtiment et du bois (ex-C.G.T.).

Gaston TESSIER, ex-secrétaire général de l’ex-C.F.T.C.

VANDEPUTTE, secrétaire général de la Fédération du textile (ex-C.G.T.).

Jules ZIRNHELD, ex-président de l’ex-C.F.T.C.