Catégories
Culture

The Mandalorian, entre Terminator et Star Trek

La série The Mandalorian est une réussite surprenante, renouvelant le moralisme et le déterminisme de Terminator et Star Trek. Allant totalement à rebours de l’idéologie dominante, elle se fera immanquablement mettre au pas.

À l’origine de The Mandalorian, il y a l’étrange Boba Fett. Ce chasseur de primes n’apparaît que de manière très brève dans les films L’Empire contre-attaque en 1980 et Le Retour du Jedi en 1983. Mais il a immédiatement acquis une sorte de statut culte, au point d’être légèrement mentionné dans l’univers Star Wars par la suite et qu’un film devait avoir lieu à son sujet dans les années 2010.

Finalement, le personnage a été totalement recyclé sous la forme d’un autre personnage, membre d’une confrérie de chasseurs de primes « mandaloriens ». On aurait pu craindre le pire, car l’esprit des Star Wars est ultra-individualiste, « l’empire » représentant bien entendu le Socialisme considéré comme une forme tyrannique uniformisant le monde.

Étonnamment, The Mandalorian a pris une direction totalement différente. Alors que Star Wars a comme arrière-plan le libre-arbitre, l’unité des ceux qui en disposent face aux forces unificatrices, The Mandalorian est à la fois moraliste et déterministe, se raccrochant dans ses fondements à Terminator et Star Trek.

Terminator, sorti en 1984, est un chef d’œuvre parallèle au développement concret de l’informatique ; ses définitions internes sont entièrement déterministes, au sens strict. Le « Terminator » du futur vient avec une mission dont il ne peut dévier. Le soldat du futur vient du futur avec une mission dont il ne peut dévier. Sarah Connor, auparavant un individu avec un libre-arbitre, se voit attribuer une fonction historique inévitable, qu’elle doit assumer et dont elle ne peut dévier.

Dans Terminator, le déterminisme est ainsi entier, implacable, personne n’y échappe. Cela sera tellement vrai que le cinéma américain n’aura de cesse de vouloir exorciser ce film. Tous les films « Terminator » qui ont suivi sont totalement anti-déterministes, avec une insistance massive sur le libre-arbitre. Outre qu’ils aient perdu tout caractère philosophique et l’ambiance tech noir propre au premier film, qu’ils soient également le plus souvent lamentables, leur dynamique est entièrement fondé sur le principe d’un prétendu choix.

Nom d’un club où se déroule une scène de Terminator, « Tech Noir » a été employé par la suite pour désigner les films à l’atmosphère sombre dans un cadre de science-fiction, avec la technologie comme trame de fond, tel Blade Runner.

Terminator est ainsi comme exorcisé par Terminator 2 : Le Jugement dernier (1991),  Terminator 3 : Le Soulèvement des machines (2003), Terminator Renaissance (2009) et Terminator: Genisys (2015), Terminator: Dark Fate (2019).

Ce dernier film va même jusqu’à faire du Terminator quelqu’un ayant « choisi » de devenir un père de famille et d’aider les humains. Et donc de manière surprenante, The Mandalorian se place du côté du déterminisme, du caractère inévitable d’une tâche, qu’on doit reconnaître soi-même comme inévitable pour être en adéquation avec ce qu’on est.

On a même une affirmation moraliste massive, qu’on a dans les premiers Star Trek, avec le Capitaine Kirk appliquant tous les deux, à leur manière, le sens le plus absolu du devoir, pratiquement une identification avec celui-ci et le reconnaissant comme triomphe de la morale. The Mandalorian est en rupture totale avec le relativisme, le scepticisme, il décrit une transformation par le devoir, au service du devoir.

Il n’est pour cette raison nullement racoleur, récusant le cocktail « sexe et violence », ce qui en fait là encore une anomalie. L’esprit des séries est également littéralement aboli, au profit d’un retour à l’esprit western, dans un cadre futuriste, mais avec le même goût pour l’introversion, la réflexion consciente, la délibération morale.

The Mandalorian vaut ainsi clairement le détour ; s’il y a des aspects candides, dans la série, elle est farouchement intéressante, et cela d’autant plus qu’elle se fera forcément défigurer de par les exigences de la décadence propre au capitalisme.

Catégories
Culture

L’échec de Star Trek Discovery à un retour aux sources

Star Trek Discovery est une nouvelle série américaine dont la diffusion a débuté en septembre 2017. On a pu déjà voir neuf épisodes de la première saison, les six derniers étant diffusés à partir du 7 janvier 2018.

Les événements de la série ont lieu une dizaine d’années avant ceux de la série originelle des années 1960, cependant la série se distingue principalement des autres séries et de l’univers Star Trek en général sur deux points.

La première saison est dès le début, et jusqu’aux derniers épisodes diffusés, marquée par une guerre (celle avec l’empire Klingon) et elle est centrée sur la vie d’un personnage. Or, s’il y a des conflits et de guerre présents dans Star Trek, à aucun moment une guerre ne prend autant de place dans l’opus…

Et cela encore moins au tout début d’une série. Star Trek est avant tout une tentative de présentation d’un monde unifié, en paix, tourné vers la bienveillance. C’est l’une des différences majeures avec Star Wars, qui relève de la fantasy dans un contexte spatial.

De plus, si à l’origine certaines personnages ont eu plus d’importance que d’autres dans les différents films et séries, aucun n’a autant monopolisé l’attention que l’héroïne de la nouvelle série, Michael Burnham.

Cette nouvelle série brise donc le fondement même du Star Trek de Gene Roddenberry : critiquer le présent à travers une utopie en évitant la personnalisation, même si c’est à travers des personnages que l’on découvre les événements.

L’origine du problème est relativement simple : au lieu de proposer un futur qui critique le présent, Discovery fait surgir notre présent dans le futur de Star Trek.

Il n’y a plus l’unité qu’il y avait auparavant : avancées technologiques, progrès médicaux, raffinement culturel, etc. Le seul progrès ici est d’ordre technologique…

Comme si les progrès technologiques n’avaient pas de limite, tandis que nous approcherions des limites de tout ce qui est d’ordre culturel et moral.

Cela revient ni plus ni moins à briser toute utopie. Pourquoi ? Parce que le simple fait de poser une pseudo critique (de certains aspects) du présent dans ce qui est censé être une utopie revient à dire que dans deux siècles l’humanité se posera toujours ces questions. Si elle se les pose toujours, c’est qu’il est impossible d’y apporter une réponse. Star Trek Discovery tue le futur en y incorporant de force une époque relativement barbare.

Dans Star Trek à l’origine, on ne pose pas la question du racisme, mais on y répond en montrant que dans le futur, il y a des gens de toutes couleurs de peau et que la couleur ne compte pas. Lorsque est posée la question de la guerre, des conflits, c’est à travers la présentation de monde arriérés, qui doivent progresser encore.

Prenons un exemple. La question des animaux et du rapport à la nature est une question brûlante de ce début du XXIe siècle. Il est clair qu’un futur où la chasse à courre, la vivisection et l’industrialisation de la mort d’être vivants continuent d’exister n’a plus rien d’utopique. Même l’Utopie de Thomas Moore publié au début de XVIe siècle repoussait déjà la mise à mort d’animaux du cœur de son utopie.

Cette question a déjà été comprise ne serait-ce que partiellement dans différentes œuvres : pensons à Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (aussi publié sous le titre Blade Runner), ou  encore au quatrième film Star Trek : Retour sur Terre. Ces œuvres ont plus de trente ans.

Qu’en est-il aujourd’hui avec Star Trek Discovery ? Tout cet héritage est nié. Ceci se voit à travers le tardigrade spatial. Il s’agit d’un animal colossal retrouvé sur un vaisseau, et retenu en captivité afin de l’étudier afin de développer de nouvelles armes. Aucune dignité n’est reconnue à cette forme de vie. Le capitaine justifie et justifiera toutes ses décisions le concernant par la guerre avec l’empire Klingon. L’héroïne de la série est tout d’abord réticente mais accepte.

Rapidement, le scientifique de l’équipage comprend le rôle de l’animal sur le vaisseau où il a été trouvé et capturé : il permet de stabiliser et d’améliorer le nouveau système de navigation du vaisseau (passons les détails sur la vision délirante et anti-scientifique de l’univers qui va avec).

Comment ? En étant attaché dans une cellule transparente au coeur de la salle d’ingénierie et en souffrant à la vue de tous.

L’héroïne comprend que l’animal souffre mais ne réagit pas fermement : elle commence par accepter, puis tente de convaincre le capitaine qu’il faut arrêter. Pendant ce temps, les voyages continuent et le tardigrade alterne sa cellule de captivité et sa cellule de torture.

Où est la civilisation lorsque devant de tels actes tout le monde reste passif ? Comment peut-on penser que dans une civilisation avancée, une telle ignominie puisse exister ?

La question qui est posée ici est celle de la vivisection. Mais elle est posée selon les critères de notre époque – et même pour notre époque, elle est posée d’une manière grossière. La poser de cette manière c’est admettre plus qu’à demi-mot que l’humanité sera toujours capable de barbarie dans deux siècles.

Star Trek Discovery s’imagine donc « progressiste » parce qu’elle aborde, entre autres, la question des animaux à travers la vivisection. Toutefois, il n’en est rien. Le discours est libéral ; il n’y a plus d’universel, il n’y a que des individus avec différentes sensibilités.

Certains sont amenés à faire de mauvais choix, d’autres à en faire de bons. Il n’y plus de société comprise comme un tout. Il n’y a plus un ensemble qui avance vers toujours plus de progrès : l’individu est ici un horizon indépassable.

Cette importance de l’individu se voit avec la place centrale qu’occupe Michael Burnham et son passé. La série nous en apprend plus sur son passé que sur celui de n’importe quel capitaine ou officier dans toute une saison d’une autre série.

Pour souligner ce caractère central, le personnage qui est une femme a un nom d’homme, une absurdité servant à surfer sur la question du « genre » et de l’identité. Afin de bien renforcer cela, ce personnage a été sauvé de la mort par un Vulcain.

Les Vulcains forment une espèce extra-terrestre plus avancée technologiquement que l’humanité qui a fait le choix de se défaire de ses émotions pour ne plus vivre que selon la logique. Ils symbolisent la rationalité : dans la série à l’origine, le personnage de Spock, Vulcain, faisant le pendant au côté émotionnel tête brûlée du Capitaine Kirk.

C’est une manière de philosopher sur comment combiner émotion et raison. Là, on a droit à un questionnement identitaire de Michael Burnham se demandant si elle doit céder aux sentiments, avec tout un questionnement existentiel sur son rapport avec son père.

Cette personnalisation correspond vraiment à une incapacité à revenir aux sources de Star Trek. On pourrait, somme toute, faire un parallèle avec les gens de gauche comme Benoît Hamon, qui choisisse d’être des Emmanuel Macron de gauche plutôt que de revenir aux sources.