L’incroyable silence (pour ne pas dire censure) des médias français tranche avec la ferveur et le dynamisme de cette nouvelle alliance. Le sommet élargi des Brics en Russie du 22 au 24 octobre 2024 est en effet le cœur brûlant de l’actualité mondiale, une actualité qui se fait sans l’occident, voire franchement contre l’occident.
L’idée des Brics est né avec le 21e siècle, comme contre-poids à l’hégémonie américaine dans le monde. C’est à partir de 2009 un regroupement entre le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (d’où l’acronyme BRIC) puis en 2011 un élargissement à l’Afrique du Sud (South Africa, donc BRICS).
La matrice originale des Brics est économique, mais cela va bien entendu au-delà, tout comme l’hégémonie américaine est tout autant militaire et culturelle qu’économique. Toutefois, l’aspect économique a pris dans ce cas une importance capitale au fur et à mesure des années, et il a été au centre des débats pour ce nouveau sommet qui s’est tenu en 2024.
L’idée est simple : on a des pays bien ancrés dans le capitalisme mondial, mais qui considèrent y avoir une place insuffisante, ne faisant pas partie de l’occident et subissant négativement l’hégémonie américaine. Les pays des Brics+ représentent près de la moitié de la population mondiale, mais moins de 30 % de l’économie mondiale.
Au centre de cette démarche, il y a la superpuissance chinoise qui entend faire contre-poids en assumant sa propre hégémonie, avec son propre camp.
Ce camp s’élargit à vitesse grand V. L’alliance est maintenant élargie et s’appelle BRICS+, puisque l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran font dorénavant partie du groupe, et que des dizaines d’autre pays sont associés de près ou de loin.
La Russie affirme que 35 États et 6 organisations internationales (dont le secrétaire général de l’Onu), ont participé à ce 16e sommet des Brics qui s’est tenu à Kazan, sur les rives de la Volga.
La ville de plus d’un million d’habitants est justement peuplée à moitié de Russes et à moitié de Tatars, qui plus est à 720 km à l’est de Moscou, ce qui marque de manière très volontaire l’éloignement et la différenciation culturelle par rapport à l’occident.
C’est bien plus que du symbole. Cela d’autant plus que l’actualité des Brics – qui est en fait l’actualité de la Chine depuis une dizaine d’année – est l’élargissement forcené vers l’Afrique, qui est appelée à se tourner massivement vers les pays de l’alliance.
Vladimir Poutine a profité du sommet pour réaffirmer la nécessité de la présence africaine au Conseil de sécurité de l’Onu.
Le Président mauritanien Mohammed Ould Ghazouan, le Président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, le ministre éthiopien des Affaires étrangères Mesganu Arga Moach ou encore le ministre des Affaires étrangères de la République du Congo Jean-Claude Gakosso ont longuement pris la parole en séance plénière, pour affirmer leur orientation déterminées vers les Brics.
De manière typique, le Président de la République du Congo
Denis Sassou-Nguesso, qui aurait été spécialement invité par Vladimir Poutine, a expliqué :
« Le devoir impérieux pour nos nations du Sud est d’unir nos efforts afin de créer des mécanismes financiers alternatifs qui régulent avec plus de justice l’économie mondiale au bénéfice des intérêts légitimes de nos États. Une telle approche implique de réformer les institutions financières internationales ».
Il y a foule au portillon des demandeurs d’adhésion : Algérie, Turquie, Mexique, Corée du sud, Bangladesh, Bolivie, Nigéria, Sénégal ou encore Thaïlande sont connus pour vouloir adhérer officiellement à l’organisation, aux contours toutefois très flous, et qui n’accepte plus de nouveaux membres pour le moment.
Mais ce flou n’est absolument pas un problème pour la superpuissance chinoise, qui justement joue sur cette idée d’une vague générale aux contours imprécis, et où sont hégémonie est cachée, ou au moins subtile.
C’est ce que la Chine appelle le monde multipolaire. La Russie est habilement utilisée par la Chine pour cette affirmation multipolaire ; il apparait ici évident que la guerre en Ukraine sert directement et largement la superpuissance chinoise désireuse d’exacerber les antagonismes avec la superpuissance américaine.
Et la présence massive à Kazan de plusieurs dizaines de pays aux côtés de la Russie exprime de fait une défiance vis à vis du camps occidental, qui a tenté de manière acharnée d’isoler la Russie et de lui faire subir des sanctions économiques gigantesques.
Ce sont précisément ces sanctions occidentales contre la Russie qui ont été au cœurs des débats du sommet de Kazan, avec l’idée qu’il faut absolument pour ces pays sortir de l’influence du dollar et être capable d’exister sans.
Il ne sera pas question d’une nouvelle monnaie, ni d’une alternative au système inter-bancaire SWIFT, mais d’un renforcement des coopérations bancaires nationales, pour généraliser l’utilisation des monnaies nationales (à la place du dollar ou de l’euro), précisément dans la perspective chinoise multipolaire.
Le monde vit actuellement un moment de bascule décisif par rapport à la fin du 20e siècle, après l’effondrement du bloc de l’est et la grande faillite du tiers-monde qui n’avait pas réussi sont affirmation.
La Russie est ici à l’avant-garde de la défiance contre l’occident, en ayant osé l’affronter militairement en Ukraine et en ayant maintenant une grande légitimité pour porter un discours alternatif.
Vladimir Poutine ne s’en prive pas, expliquant à maintes reprise pendant le sommet qu’il est dans le camps du droit, de la justice, du respect entre les pays, à l’inverse de l’occident :
« Le « droit du poing » est aujourd’hui cultivé dans les affaires mondiales, alors que les BRICS visent à renforcer le rôle du droit international. »
« Les nouveaux membres des BRICS ont constaté que le groupe possède l’élément le plus important: le respect mutuel. La Russie a l’intention de construire des relations avec les pays qui respectent son indépendance. »
« L’Occident a toujours essayé de garder la Russie à « sa place », soit en faire un simple fournisseur de matières premières ».
Au passage, lors de la conférence de presse finale du sommet, il en a profiter pour directement cibler l’occident :
« L’armée ukrainienne ne peut pas utiliser les missiles occidentaux sans l’implication directe des officiers de l’Otan ».
La guerre mondiale pour le repartage du monde prend chaque jour un contour plus francs, plus nette, plus évident. Et il ne s’agit pas pour nous, à Gauche, d’y participer, mais au contraire de la saboter, en dénonçant notre propre camps, celui de l’occident capitaliste moribond et ultra-agressif.
Les Brics+ ne sont pas dans cette perspective une voie de salut, car la solution ne viendra que de l’unité mondiale des peuple en lutte pour la construction d’un monde nouveau, socialiste. Notre horizon n’est pas l’émergence de nouveaux capitalistes voulant prendre la place des anciens, sous l’égide chinoise, mais bien l’effondrement des superpuissances chinoise et américaine, ainsi que de leurs laquais respectifs.
Le changement mondial en cours est immense, et tout ne fait que s’accélérer. Dans ce processus, les masses mondiales vont se précipiter sur le devant de la scène – en premier lieu les masses d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine !