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L’intolérable multiplication des « free parties » en France, en dépit du contexte sanitaire

Le libéralisme culturel et le conformisme à la société de consommation ont largement envahi la musique techno française, en particulier pour tout ce qui relève des « free parties ». Le fait que des dizaines d’événements sauvages soient organisés ces derniers jours dans le plus grand mépris pour toutes considérations sociales et sanitaires en dit très long à ce sujet.

Quelques jours avant le confinement en mars dernier, on apprenait que le collectif Heretik reportait en septembre une grande soirée, en présence de l’emblématique Manu Le Malin. Il s’agit si l’on peut dire de la crème de la scène techno à la française des années 1990 et 2000, avec les fameuses raves parties et toute une culture alternative allant avec, dont l’apogée est sans conteste l’événement devenu mythique de la piscine parisienne Molitor, alors désaffectée, en 2001.

Les billets sont toujours en vente et la description de la soirée sur Facebook se contente du commentaire :

« Ne souscrit pas à la doctrine établie ».

Au regard des événements récents, la question se pose clairement de l’interprétation qu’il faut faire de ce slogan typique de cette scène. Car justement, la doctrine établie en France c’est le libéralisme et force est de constater que les « free parties » en sont devenues des postes avancés.

Le début du mois de juillet a été particulièrement chargé en la matière : en plus du grand événement tenu dans la Nièvre regroupant 5000 personnes, il y a eu 2000 personnes dans le bassin d’Arcachon, ainsi que des groupes de plusieurs centaines ici et là. De manière particulièrement marquante, il y a eu à Montreuil (Seine-Saint-Denis), à 10 jours d’intervalle, deux « teufs » au parc des Beaumonts. Ce parc se situe à deux pas des habitations, mais il est surtout… une réserve écologique pour les animaux, classée Natura 2000.

C’est un véritable scandale, une honte s’ajoutant au fait déjà honteux d’organiser un tel événement sans respect pour les mesures sanitaires. Les gens ayant fait cela devraient être conspués, dénoncés comme les pires avatars du capitalisme moderne dévastant tout, méprisant tout.

Au lieu de cela, on a en France une scène des « free parties » qui vit dans un mensonge permanent depuis au moins dix ans, en prétendant à une culture alternative, autonome, « libre », etc. En vérité, les « teufs » sont surtout des supermarchés de la drogue à ciel ouvert, avec des murs de son diffusant une techno toujours plus mauvaise, vulgaires, qui n’est qu’un strict équivalent inversé de « l’électro » insipide des radios commerciales.

En fait, pour trouver ce qu’il peut rester d’alternatif et de culturel dans la musique techno, il faut surtout se tourner vers les villes et les clubs, d’inspiration plutôt berlinoise. Il n’y est en général pas question de « changer le monde », mais on a au moins des gens sérieux, concernés, cohérents dans leurs valeurs.

On a de ce côté des personnes ayant cherché à mettre en place des choses pour ouvrir les dancefloors en respectant les enjeux sanitaires, sans non plus se ranger derrière les préoccupations uniquement commerciales des discothèques classiques. On peut toujours penser que c’était voué à l’échec par nature, et c’est d’ailleurs ce qu’a fait l’État qui refuse tout discussion à ce sujet. Cela a néanmoins du sens, et surtout une grande dignité.

C’est tout l’inverse de ces « free parties » décadentes, ouvertement tolérées par le gouvernement, qui est souvent au courant et ne fait pas grand-chose pour les empêcher.

Il faut dire qu’entre partisans du libéralisme et de l’individualisme forcené, on se comprend. C’est donc la « Ministre de la citoyenneté » qui s’est rendu sur place dans la Nièvre pour demander gentiment aux teufeurs de porter un masque…

Elle s’est félicité de la distribution de 3000 masques ainsi que de 6000 « bons pour être testé ».

C’est directement l’Agence régionale de santé qui a été dépêchée sur place pour organiser, cette même agence tant décriée depuis le début de la crise du covid-19 pour ses insuffisances. Les sapeur-pompiers chargés de la distribution expliquent alors :

« Les gens sont très contents qu’on leur donne ce bon. Ils prennent le papier, choisissent le laboratoire, et les résultats vont au médecin qu’ils veulent ».

Dans le même genre, on a la gendarmerie expliquant à la presse que des participants ont été « invités » à « passer une nuit de plus sur le site » en raison de leur état d’ébriété. C’est directement le colonel de Gendarmerie de la Nièvre qui précise ensuite, de manière particulièrement bienveillante :

« pour moi l’objectif recherché par la gendarmerie sera atteint si, mercredi matin, on se réveille sur le constat d’aucune victime sur la route ».

On a donc un État complètement débordé par la crise sanitaire depuis des mois, mais qui accompagne tranquillement des irresponsables anti-sociaux, méprisant totalement l’effort sanitaire du reste de la population.

Il ne faudrait pas croire ici qu’il s’agit de « jeunes » voulant simplement s’amuser et faisant une sorte de bêtise de jeunesse. Ces événements sont au contraire très organisés avec une logistique bien rodée, une coordination à grande échelle, des gens avec des talkies-walkies organisant sur place et des participants venant de très loin, y compris de Belgique, d’Italie, d’Espagne, et même d’Europe de l’Est, circulant pour beaucoup dans des camions aménagés tels de véritables camping-car.

Ces chiffres en disent très long sur l’état d’esprit de la « fête », particulièrement décadente :

200 verbalisations en raison de produits stupéfiants, une vingtaine de permis retirés pour conduite en état d’ivresse, 61 personnes admises au poste médical avancé, 11 évacuées à l’hôpital de Nevers dont 3 en urgence absolue…

> Lire également : L’échec des free, entre Docteur Jeckyll et Mister Hyde

Tout cela est un aspect du capitalisme, seulement un aspect du capitalisme, contrairement aux prétentions des « free parties » qui s’imaginent être une contre-société.

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L’échec des free, entre Docteur Jeckyll et Mister Hyde

Les free ont été des événements pour beaucoup de gens, une bulle d’air dans un monde irrespirable. Mais l’air était contaminé.

Vous naviguez en voiture, à la tombée de la nuit, dans un coin perdu qu’on imagine pas trop loin, qu’on espère pas trop loin… d’une free party annoncée par une hotline au dernier moment. Vous vous précipitez et là, quand elle est significative, vous roulez sur une route de campagne… avant de voir une série de lumières, telle une petite ville, un aéroport. Mais ce sont en réalité les sons qui sont installés, décorés, entourés bientôt d’une foule de gens bienveillants s’ordonnant au rythme de la musique techno. Les heures passent alors, elles passent et repassent plutôt, car les sons sont répétitifs, les esprits anesthésiés par les drogues et tout le monde se ressemble, s’assemble.

Telle est une tranche de vie et, pour nombre de gens, c’était la vie elle-même. Loin du travail et des tracas, les free c’était le moment tant attendu, une actualité totalement différente de la banalité d’une société de consommation insupportable. C’était la boue, la fatigue, la saleté, le basculement dans les drogues, mais aussi une sorte de communauté où l’on était accueillie tel quel.

Bien entend, il y a de la mauvaise foi dans tout cela, dans la mesure où les mafias étaient omniprésentes pour vendre les drogues, que l’ampleur des infrastructures faisait que finalement les mobilisations possédaient une dimension opaque certaine. Les mafias étaient-elles de mèche avec les organisateurs et à quel degré ? Qui profite de quoi ? Personne n’en sait rien, car les free n’ont pas été un mouvement démocratique, mais une fuite passive, avec un investissement actif, mais sans esprit de responsabilité.

Cela ne veut pas dire pas de culture : derrière une free, on ne trouvait aucune ordure de laissée. Mais ce n’était pas une société, simplement un refuge. Il suffit de voir d’ailleurs la « hype » autour du collectif Heretik, de par la free à la piscine Molitor à Paris en 2001. Une piscine à ciel ouvert désaffecté depuis plusieurs années, transformé en free party : ce fut la gloire. Une gloire accompagnée pourtant : la police était déjà sur les toits du bâtiment avoisinant et ce dès le départ. L’État savait et a laissé faire, pour étouffer les free dans la foulée, pour assécher un mouvement devenant indéniablement populaire, car les rats des champs se voyaient toujours plus rejoints par les rats des villes, qui ne trouvaient plus dans des villes neutralisées ou embourgeoisées quoi que ce soit de satisfaisant.

Et en même temps, les mafias se systématisaient, les éléments antisociaux étaient attirés pour trouver des personnes à transformer en victimes, notamment des femmes pour des viols. Il y a eu la tentative de teknival légalisé-encadré, le « Sarkoval ». Lassés du parcours du combattant, avec la galère du matériel saisi, de nombreux activistes ont vendu leur âme… Au final, tout est une sorte d’histoire d’un grand ratage. En Angleterre, ce sont les drogues qui ont pétrifié un mouvement s’assumant contestataire. En France, c’est un esprit petit-bourgeois pour qui jouer la chanson « Porcherie » des Béruriers Noirs en fin de free c’est une rébellion généralisée.

L’idéal du teufeur, cela a malheureusement été Docteur Jeckyll et Mister Hyde : je fais semblant la semaine, je me défonce le week-end. Avec une telle schizophrénie, l’échec était évident sur les deux tableaux. Le mouvement s’est beaufisé, ne portant plus de valeur alternative même en apparence à part un anarchisme digne des gilets jaunes. Quant à la vie quotidienne, elle est passée dans l’acceptation : il n’y a pas de culture rebelle qui s’est généralisée.

Quelqu’un qui a vraiment saisi l’esprit free, qui s’y est reconnu, ne peut que penser : le covid là, c’est l’expression d’un monde qui va dans le mur, exactement ce qu’on a refusé, ce qu’on a voulu éviter avec une autre approche de la vie.

Alors autant profiter de cette expérience populaire, d’en faire un patrimoine et d’aller de l’avant.

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Le teknival «Tek’Steve’All» en périphérie de Nantes

Pratiquement 15 000 personnes se sont rassemblées en périphérie de Nantes pour un teknival nommé « Tek’Steve’All », en référence au jeune décédé dans cette ville lors de la fête de la musique. L’événement, traditionnel dans sa forme, a ouvertement assumé un discours anarchiste, prônant la vie à l’écart des valeurs dominantes, la haine de la police, le cantonnement dans une fuite en avant dans le « son » et, bien évidemment, l’alcool et les drogues.

Depuis l’occupation de la piscine Molitor à Paris en 2001 pour une free party historique, la scène techno des frees et des teknivals a toujours oscillé entre une volonté de reconnaissance et un goût prononcé pour la marginalité. Les exigences préfectorales ont cependant toujours été telles que finalement, c’est le choix de la bande à part qui a été fait pour ceux refusant de tout abandonner ; sur la vingtaine de frees de l’année dernière, une seule avait été déclarée.

La mort de Steve lors d’une fête techno à Nantes a forcément transcendé une scène qui, à l’arrière-plan, a toujours connu un énorme problème d’identité. À l’opposé du phénomène de masse que cela a été en Angleterre, la scène techno française des frees a toujours surtout rassemblé des jeunes à la périphérie des grandes villes, cherchant une dynamique culturelle positive.

L’apolitisme dominant – même si de manière régulière la chanson « porcherie » (sic!) des Béruriers Noirs clôt une free – se résume donc toujours par cette volonté suprême d’être « laissé tranquille ». Les multiples slogans du teknival qui vient de se dérouler sont à comprendre en ce sens :

« La police peut nuire à vous et à vos proches », « Etat policier, rue de la répression », « Ni oubli ni pardon pour Steve », « Justice pour Steve », « Justice pour Steve, mort pour avoir dansé », « Partout comme en teuf, défendons-nous face aux keufs », « Légitime défiance, la police est coupable », « La police tue… pas nos basses ! », « Face à la répression, unis pour nos libertés », « danger police », « UnisSONs-nous et RAVE’oltons-nous contre la répression », etc.

Cela semble d’autant plus rebelle que, conformément à l’esprit des teknivals, il y a un vrai effort de fait pour la décoration, le jeu de lumières, la qualité des sound-system, etc. Le problème est que cela fait 20 ans que les choses n’ont pas bougé. La scène des free parties vit dans la passé. Elle écoute une musique du passé, avec un style du passé. Rien ne bouge, surtout rien ne doit bouger.

À cela s’ajoute le problème de fond : l’utilisation obligatoire de drogues. La scène techno des free parties n’utilise pas les drogues comme un moyen, ce sont désormais les drogues qui l’utilisent comme moyen. Le problème des drogues était déjà énorme à la base, mais il était possible de discuter. Aujourd’hui c’est impossible, les drogues imposent leur domination totale. Ce panneau d’avertissement artisanal au teknival de Nantes prévenant, sur un pont, qu’en-dessous il y a un cour d’eau, en dit long :

Le teknival « Tek’Steve’All » est donc régressif sur tous les plans, ce qui est typique d’une orientation anarchiste. C’est une simple expression de la volonté de vivre isolé, à l’écart, sans intervention de l’État, pour vivoter d’une manière artisanale tout en se défonçant, tout en imaginant que culturellement on écoute une musique « underground », incompréhensible pour le commun des mortels vivant une vie banale, etc.

Le monde peut s’effondrer, tant pis, il faut vivre à l’écart. « Plus le son est fort, moins on entend le monde s’effondrer. »