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Love – Forever Changes (1967)

A sa sortie en 1967, Forever Changes du groupe américain Love n’eut aucun succès. S’il reste encore strictement inconnu du grand public, il est depuis unanimement considéré par les critiques musicaux comme un des plus grands chefs d’œuvre.

Le paradoxe est que, loin d’une sur-esthétisation, d’un intellectualisme élitiste ou quoi que ce soit de ce genre, l’album est bien d’une très grande accessibilité.

On comprend pourquoi il fut l’album préféré des Stones Roses et de leur producteur, justement en raison de cette fragilité jamais gratuite, cette esthétique formidable et jamais ostentatoire, toujours ouverte, lisible, connaissable.

A cela s’ajoute bien entendu une incroyable synthèse de folk, de rock psychédélique, avec des éléments préfigurant la pop, alors que des guitares acoustiques accompagnent une démarche orchestrale.

La chanson Alone again or est la plus emblématique et la plus célèbre (« on dit que ça va ; je n’oublierai pas, toutes les fois que j’ai attendu patiemment pour toi, et tu feras seulement ce que tu as choisi de faire, et je serai encore seul ce soir ma chère »).

La chanson A House Is Not a Motel est également marquante, avec son éloge du couple (« Une maison n’est pas un hôtel de passage »).


Le groupe avait saisi une certaine précarité du mouvement hippie et l’échec de l’album amènera son implosion, avec un basculement encore plus flagrant dans l’héroïne et le LSD.

La critique de la société est profondément romantique, avec une exigence résolument franche d’une autre vie, comme ici avec Live And Let Live (Vivre et laisser vivre) : « J’ai t’ai vu de nombreuses fois de par la passé, une fois j’étais un Indien, et j’étais sur ma terre, pourquoi est-ce que tu ne comprends pas ? (…) J’ai fait mon temps, je l’ai bien servi, tu as fait de mon esprit une cellule ».

Le phrasé de Bummer In The Summer est également très puissant de par sa dimension blues, l’histoire comptant la mésaventure d’un plombier qui a trouvé la femme de ses rêves, mais la jalousie environnante agresse leur relation et lui rappelle à la femme sa liberté.

La référence à Love a été relativement partagée dans le milieu rock, des Ramones à Alice Cooper, de Jesus and Mary Chains à Billy Bragg, de Robert Plant au Velvet Underground, etc. La chanson Alone Again or fut notamment plusieurs fois reprises.

Voici la version des Damned, des Boo Radleys, des Oblivians, de Sarah Brightman, d’UFO, et enfin une version de Bryan McLean, le membre de Love auteur de la chanson et par ailleurs ancien roadie des Byrds.






Il est à noter que ces références à Love profitent également de la chanson Seven and Seven Is, de de l’album précédent datant de la même année, Da Capo, connue pour avoir une très forte dimension pré-punk.

Cependant, au-delà de la dimension expérimentale caractérisant Love, Forever Changes est marquant comme album avec beaucoup de sensibilité, partant selon dans le tourmenté déboussolé, le réconfortant, l’agressif protestataire, le frénétique ; c’est un album qui affirme toute une recherche d’expression des facultés émotionnelles lors de la vague psychédélique et hippie.

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The Stone Roses – The Stone Roses (1989)

Lorsque The Stone Roses sortit son album éponyme en 1989, il fut très apprécié mais ce n’est qu’au bout d’un certain temps que l’ensemble des critiques britanniques s’aperçut qu’il s’agissait de l’un des albums les plus brillants produits dans ce pays.

Il est vrai que le mélange pouvait semblait improbable : une base blues rock, un esprit résolument alternatif avec une revendication propre à la scène indépendante, mais avec une tonalité orienté vers le dance-rock (appelé « baggy ») et une forme de joie relevant de l’esprit techno (la fameuse scène dite « madchester » de la ville de Manchester).

La culture de la musique psychédélique forme d’ailleurs un arrière-plan culturel immanquable, la chanson la plus connue témoignant de cette dimension hypnotique, avec une capacité mélodique véritablement propre à la scène anglaise de l’époque.

La pochette de l’album est une allusion à une œuvre du peintre contemporain Jackson Pollock, Bye Bye Badman, titre également d’une chanson de l’album.

Les couleurs sont celles de la France, car la peinture est censée être une allusion à mai 1968 ; des citrons furent ajoutées en référence au récit d’un jeune Français rencontré et ayant raconté comment les citrons sont utilisées contre les gaz policiers lors des manifestations.

On reconnaît ici une approche à la fois révoltée et romantique, autodestructrice et outrageusement intellectualisée (« Ces pierres que j’envoie, Oh ces french kiss, sont la seule voie que j’ai trouvée… » ou encore comme refrain d’une chanson dénonçant un amour qui a trompé : « Je me fous d’où tu as été ou de ce que tu as prévu / Je suis la résurrection et je suis la vie »).

Et ce qui est frappant, c’est que cet esprit de révolte ne va pas de paire avec une négation de l’héritage musical anglais, bien au contraire : on a ici ni plus ni moins que la tentative – indubitablement réussie – de former un nouveau classicisme.

La liste des influences et références musicales qu’on trouve sur cet album est d’une densité peu croyable, allant de Led Zeppelin à Simon and Garfunkel, des Smiths aux Sex Pistols, des Rolling Stones à la northern soul, du reggae à Kraftwerk, des Byrds aux Jimi Hendrix.

Si aujourd’hui les Stone Roses forment quelque chose d’incontournable pour qui s’intéresse un tant soit peu à la culture anglaise, avec un prestige populaire de la plus haute importance, le groupe ne fut pas en mesure d’assumer une dimension trop grande pour eux.

Après toute une série de concerts, l’album Second Coming de 1994 fut intéressant, mais de bien moindre importance par rapport aux attentes, dans un environnement musical formant désormais la britpop (Suede, Blur, Oasis, Pulp), une scène bien plus raffinée et petite-bourgeoise, sans la vigueur et la profondeur de la vague précédente qui se voulait résolument liée à la jeunesse populaire dans une optique alternative, tout en ayant en fait sombré pour beaucoup dans les drogues chimiques.

Il est intéressant de voir le nombre de personnes d’importance que l’on trouve autour du groupe alors. Simon Wolstencroft a été le batteur de la première version du groupe, avant de partir pour la première formation des Smiths, qu’il quitta pour participer longtemps dans The Fall.

Peter Hook de New Order produisit une des chansons des Stone Roses, Elephant stone, un an avant la sortie de leur premier album. Le bassiste du groupe fut par la suite longtemps celui de Primal Scream.