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Covid-19: les personnes vulnérables livrées au bon vouloir du patronat

Le nouveau décret sur la classification de vulnérabilité face au Covid-19 place les personnes concernées dans une situation de dépendance par rapport au patronat.

Le mercredi 11 novembre 2020, un nouveau décret a été publié au journal officiel élargissant la classification de vulnérabilité vis à vis du Covid-19, par rapport au précédent décret du 5 mai.

La classification de ces maladies ou pathologies permet aux personnes qui en sont atteintes de bénéficier du chômage partiel pour cause de vulnérabilité.

Les maladies ajoutées à ce décret l’ont été sur la base des données récoltées depuis le début de la pandémie dans différents hôpitaux de différents pays et vise à protéger les personnes les plus à risque de développer des formes graves de la maladie. On peut maintenant trouver parmi les personnes fragiles les personnes atteintes de cirrhose ou de sclérose en plaque, etc.

Cela est un bon point et il est encourageant de voir l’entraide internationale avec la mise en commun d’expériences et la tentative de classifier les vulnérabilités face au Covid-19.

Cependant, si d’apparence le gouvernement français semble vouloir protéger les personnes les plus à risque de développer des formes graves de la maladie, il exige maintenant de remplir un second critère pour que ces personnes puissent bénéficier du chômage partiel et donc d’être protégé.

Voici un extrait de l’article 1 du décret précisant les modalités pour être concerné :

« 2° Ne pouvoir ni recourir totalement au télétravail, ni bénéficier des mesures de protection renforcées suivantes :

a) L’isolement du poste de travail, notamment par la mise à disposition d’un bureau individuel ou, à défaut, son aménagement, pour limiter au maximum le risque d’exposition, en particulier par l’adaptation des horaires ou la mise en place de protections matérielles ;

b) Le respect, sur le lieu de travail et en tout lieu fréquenté par la personne à l’occasion de son activité professionnelle, de gestes barrières renforcés : hygiène des mains renforcée, port systématique d’un masque de type chirurgical lorsque la distanciation physique ne peut être respectée ou en milieu clos, avec changement de ce masque au moins toutes les quatre heures et avant ce délai s’il est mouillé ou humide ;

c) L’absence ou la limitation du partage du poste de travail ;

d) Le nettoyage et la désinfection du poste de travail et des surfaces touchées par la personne au moins en début et en fin de poste, en particulier lorsque ce poste est partagé ;

e) Une adaptation des horaires d’arrivée et de départ et des éventuels autres déplacements professionnels, compte tenu des moyens de transport utilisés par la personne, afin d’y éviter les heures d’affluence ;

f) La mise à disposition par l’employeur de masques de type chirurgical en nombre suffisant pour couvrir les trajets entre le domicile et le lieu de travail lorsque la personne recourt à des moyens de transport collectifs. »

Cela est complété par l’article 2, dont voici un extrait :

« […]Lorsque le salarié est en désaccord avec l’employeur sur l’appréciation portée par celui-ci sur la mise en œuvre des mesures de protection renforcées mentionnées au 2° de l’article 1er du présent décret, il saisit le médecin du travail qui se prononce en recourant, le cas échéant, à l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail. Le salarié est placé en position d’activité partielle dans l’attente de l’avis du médecin du travail. »

On voit ici que le gouvernement laisse les salariés vulnérables en proie à la décision de leurs patrons et à des analyses subjectives.

Le risque est que les dirigeants d’entreprises se limitent à l’application minimum des mesures de protection obligatoires pour déclarer assurer la sécurité des salariés vulnérables.

Sachant aussi qu’à compter du 1 janvier 2021, les conditions financières du chômage partiel vont changer, les salariés ne toucheront plus que 60% de leur salaire brut contre 70% aujourd’hui et que celui-ci sera versé a 40% par les employeurs (contre 15% aujourd’hui).

Donc la mise en application du décret sur les personnes vulnérables, combiné à celui sur le financement du chômage partiel, risque de rendre insupportable la pression exercée par les patrons sur des salariés vulnérables.

Les plus démunis risquent d’être paralysés par la confrontation avec la médecine du travail ou avec les dirigeants d’entreprises et de venir malgré tout sur leurs lieux de travail s’exposant ainsi aux risques de contamination.

Plus la crise sanitaire avance, plus la crise économique se renforce. La bourgeoisie française n’assume plus rien et va faire payer tout cela aux salariés, vulnérables ou non.

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Covid-19: 5 choses à faire pour les délégués du personnel ou syndical

Compte-tenu du confinement qui n’en est pas vraiment un, le lieu de travail est une zone à risque de transmission du coronavirus. Plutôt que de rester désemparé, voici quelques éléments à mettre en place pour installer un esprit collectif face à la pandémie. Mettre cela à l’ordre du jour de son activité syndicale ou de délégué du personnel est primordial à l’heure actuelle.

1) S’informer

Connaître techniquement la maladie (la transmission, temps d’incubation, contagiosité, symptômes…), le protocole officiel (temps et motifs d’isolement, quand se faire tester…) et les collègues à risque si possible (quelle pathologie…). C’est la meilleurs arme pour savoir quand les décisions sanitaires de l’entreprise sont cohérentes ou sont de la poudre aux yeux et d’adapter au mieux les revendications.

> Notre page spéciale regroupe nos articles sur la crise sanitaire, avec des ressources

2) Informer ses collègues

Proposer des points d’informations quotidiens sur l’évolution locale de l’épidémie à ses collègues et particulièrement sur les cas à l’intérieur s’il y en a. Les cas en internes sont généralement gérés en vase clos et froidement par la hiérarchie, il faut marquer l’aspect solidaire et humain de la collectivité des travailleurs en prenant des nouvelles, en maintenant le lien.

3) Veiller à la désinfection des lieux

Il faut exiger que la désinfection des postes et outils de travail soit organisée et exécutée à la charge de l’entreprise, quitte à embaucher quelqu’un dédié à cette activité.

Le virus a mené les entreprises à fournir le matériel d’hygiène, son exécution repose cependant en majorité sur les salariés. C’est inacceptable ! Demander des procédures supplémentaires à des personnes subissant une économie à flux-tendu a pour seul résultat de les rendre optionnel et d’ouvrir une voie d’accès au virus au travail.

4) Réduire l’exposition des employés

Aller vers l’établissement d’un rapport de force pour obtenir des changements d’organisation du travail qui réduisent l’exposition au virus.

Réduction du temps de travail, roulements d’équipes moins nombreuses, réagencement des positions de travail, et pour les secteurs non-essentiels : arrêt total du travail pour des raisons de santé publique, avec maintien du salaire. Dans les structures brassant beaucoup de monde, il faut demander à tester l’ensemble du personnel dès lors qu’il y a un cas positif déclaré.

5) Utiliser les CSE

Savoir utiliser le Comité social et économique de son entreprise (CSE), jusqu’au respect strict du protocole demandé par le personnel soignant pour endiguer l’épidémie. Le CSE est une nouvelle instance qui, en fusionnant le CHSCT avec les délégués du personnel et comité d’entreprise, noie les questions de santé notamment avec des membres moins au fait de ces questions. Le fait que l’employeur y soit représenté et que les représentants du personnel puissent faire partie de l’encadrement amène à faire passer les intérêts capitalistes avant l’intérêt général.

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Malgré la crise sanitaire, le gouvernement ouvre les frontières pour la main-d’œuvre immigrée dans l’agriculture

Les frontières sont normalement fermées en raison de la crise sanitaire, mais les impératifs de santé ne font pas le poids face aux besoins du marché. Le gouvernement a donc décidé des dérogations afin de faire venir des immigrés dans l’agriculture. Les capitalistes du secteur ont en effet besoin d’une main-d’œuvre bon marché et surtout peu regardante sur les conditions de travail, provenant essentiellement de Roumanie et de Bulgarie.

Alors que les récoltes de fraises et d’asperges ont déjà commencé, c’est bientôt la saison pour les cerises, les pêches, les nectarines, les poires ou encore les abricots. Les besoins passeraient en quelques jours de 45 000 personnes à 80 000 personnes.

Les agriculteurs du secteur, qui ne sont nullement des paysans mais de véritables chefs d’entreprises capitalistes, prétendent manquer de main-d’œuvre. Cela paraît étonnant tant on connaît la réalité du chômage en France, particulièrement en ce moment. N’a-t-on pas entendu parler d’ailleurs ces derniers jours de ces milliers d’étudiants ayant perdu leur job avec le confinement ?

Le problème en réalité n’est pas celui de la main-d’œuvre, mais de la nature de la main-d’œuvre. Le secteur a besoin d’une main-d’œuvre immigrée afin d’exercer une pression sur le travail, en maintenant des conditions difficiles, des rendements importants et une rémunération faible.

De part leur situation, les immigrés, en l’occurrence venant principalement d’Europe de l’Est et en partie du Maghreb, acceptent des conditions inacceptables pour les travailleurs français en général. Ils l’acceptent d’autant plus facilement que les salaires sont élevés en comparaison de ceux de leurs pays. Il y a bien sûr des Français faisant « les saisons », notamment des étudiants, mais non seulement c’est de moins en moins vrai, mais en plus ceux-ci sont en général jeunes, vivant une situation considérée comme seulement temporaire. La concurrence immigrée exerce sur eux une pression sociale : soit les conditions sont acceptées, soit il faut prendre la porte.

Cette pression est d’autant plus forte qu’il y a chez les travailleurs immigrés du secteur une mentalité surtout opportuniste, imprégnée de féodalisme, s’imaginant faire un bon « deal » avec l’employeur, avec un bon salaire contre un dur labeur, lui-même valorisé en tant que tel.

Dans ces conditions, les capitalistes de l’agriculture ne veulent absolument pas entendre parler des travailleurs français, ou alors seulement dans la mesure où ces derniers se plient aux standards acceptés des travailleurs immigrés.

Il faut à ce propos rappeler l’épisode récent où une campagne a été menée pour inciter des chômeurs partiels à venir travailler dans les champs, intitulée « Des bras pour ton assiette ». Cela a été un véritable fiasco, tant les travailleurs français arrivant ont été stupéfaits des conditions de travail, préférant tout simplement ne pas revenir le lendemain. Les employeurs, anticipant souvent ces réactions, ont dans la plupart des cas refusé d’eux-mêmes les embauches, préférant s’asseoir sur une partie de la production (15 % à 20 % des récoltes d’asperges et de fraises).

Les chiffres sont ainsi édifiants : sur 300 000 candidatures, seules 15 000 ont abouti d’après le ministère de l’Agriculture, et pas forcément durablement.

Le secrétaire général de l’Interprofession des fruits et légumes frais (Interfel), Daniel Sauvaitre, a très bien résumé cette situation dans la presse :

« Pour la main-d’œuvre locale c’est : un jour il fait trop chaud, un jour il fait trop froid, et il faut s’arrêter le vendredi midi. Les cueilleurs habituels, notamment venus de l’étranger, sont davantage rompus au travail de la terre. »

Les travailleurs français osent demander des bonnes conditions de travail ? C’est inacceptable pour les capitalistes du secteur, alors il faut impérativement ouvrir les frontières pour importer de la main-d’œuvre, peu importe la crise sanitaire. Telle est l’immonde logique du capitalisme, utilisant l’immigration pour maintenir les profits et freiner la lutte des classes, faisant fi des nécessités sanitaires.

Ce qui est vrai dans l’agriculture l’est d’ailleurs aussi pour de nombreux secteurs : la restauration dans les grandes villes, le BTP, le ménage, la sécurité privée, une partie de la sous-traitance industrielle, etc. La différence étant que dans ces cas-là, la main-d’œuvre immigrée est déjà sur place, souvent en situation irrégulière, contrairement à la main-d’œuvre agricole qui n’est que saisonnière et pour qui le capitalisme ouvre les frontières avec empressement.

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CFDT: Covid-19 : Les personnels des Ehpad face au confinement

Voici un communiqué de la CFDT alarmant sur la situation du personnel des Ehpad, de plus en plus souvent confiné dans les établissements…

« Covid-19 : Les personnels des Ehpad face au confinement

« Depuis quelques jours, nous constatons qu’un certain nombre de professionnels d’Ehpad, sous l’impulsion de leur direction, se confinent dans leur établissement », alerte Eve Rescanières, secrétaire générale de la fédération Santé-Sociaux CFDT.

Alors que le nombre de décès se multiplient au sein des 7 000 établissements public et privé du territoire, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé une mesure radicale pour les 700 000 résidents et l’ensemble des personnels soignants et accompagnants. « Partout où cela sera possible, j’encouragerai toute démarche pour que le personnel (…) des Ehpad puisse sortir le moins possible de ces établissements. » Une décision aussitôt dénoncée par la fédération Santé-Sociaux. « Elle a été faite mépris des règles d’hygiène élémentaires, du respect des gestes barrières, de la législation sur le temps de travail et du dialogue social. »

Un confinement imposé aux agents et salariés

Fabienne Deconchat, secrétaire générale du syndicat Santé-Sociaux Haute-Vienne déplore l’attitude de plusieurs directions. Dans le sud du département, les responsables d’un établissement ont convoqué les agents le vendredi pour un confinement effectif dès le lundi, sans en informer les organisations syndicales. « Une façon de faire honteuse ! » Dans le Lot-et-Garonne, trois établissements ont mis en place ce confinement. « On s’assoit complétement sur le code du travail. Que se passe-t-il en cas d’accident en dehors du temps de travail ? Comment sont pris les temps de repos ? s’interroge Julia Morel, secrétaire générale du syndicat Santé-Sociaux 47. Dans un établissement, elles dorment à sept par dortoirs, il n’y a pas de respect des règles de distanciation sociale… » Dans les Landes,Béatrice Jayo, secrétaire générale du syndicat CFDT Santé-Sociaux 40, fait le même constat. A Biscarosse, la direction d’un EHPAD a convoqué les agents pour leur signifier la mise en place quasi-immédiate du confinement. « Devant les inquiétudes légitimes des agents, les incompréhensions et les réticences des personnels, la direction a tenu des propos extrêmement culpabilisant afin de les faire céder. Les contractuels étaient particulièrement ciblés ». Le syndicat a condamné ces méthodes. Il alerté la DIRECCTE et l’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine et a fini par faire reculer la direction. « Grâce à notre action, l’ARS a rapidement réagi. Elle a rappelé qu’il n’existait aucune preuve scientifique que le confinement soit efficace. Elle a aussi signifié son opposition au confinement total, se félicite Béatrice. L’ARS a néanmoins fait savoir qu’elle restait ouverte à l’adaptation des cycles de travail, sur la base d’une négociation et de l’accord formel des représentants des salariés. »

« Le Président qui fait des soignants des héros, ne doit pas en faire des martyrs »

Une option pour le syndicat Santé-Sociaux des Landes, à condition que cela soit assortie de règles strictes : protection de la santé des personnels et des résidents, conditions de logements dignes, rémunérations adéquates, temps de travail respectés et congés supplémentaires. « Nous tenons à rappeler que ces préconisations ne sauraient être déployées sans obtenir, en amont, l’assentiment individuel de tous les professionnels concernés. Aucune forme de pression ou de contrainte ne saurait être tolérée. Seuls les personnels volontaires peuvent s’y inscrire. Le Président qui fait des soignants des héros, ne doit pas en faire des martyrs », martèle Béatrice. Même son de cloche du côté la fédération. « Le dialogue social doit être privilégié. Il est inadmissible que les personnels doivent se sacrifier pour pallier les insuffisances du système. Si les professionnels possédaient les équipements nécessaires suffisants, s’ils avaient accès au dépistage et à du renfort de personnel, ils ne seraient pas contraints de se confiner. » Pour la CFDT Santé-Sociaux cette situation est inacceptable. « Nous demandons au gouvernement de la faire cesser immédiatement ».

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La folie de la dette publique fait courir un risque de crise majeure

La pandémie de Covid-19 a engendré un retour massif de la puissance publique et de l’intervention des États. Sur le plan économique, cela consiste en le fait d’assumer un endettement public massif, à différents niveaux. On peut penser que c’est inévitable face à la situation, mais certainement pas que c’est une bonne chose marquant l’avènement d’un capitalisme plus « juste » et moins libéral. C’est au contraire un facteur de grande instabilité, qui pourrait mener au précipice de nombreux pays, voire l’économie mondiale. Il n’y a pas d’argent magique pouvant être dépensé sans compter, alors que l’économie est en récession.

L’impact du Covid-19 sur l’économie mondiale et celle des différents pays est immense, personne n’est encore en mesure d’en estimer l’ampleur. En France, si le gouvernement tablait initialement sur une récession de 1 % du PIB dans son budget rectificatif à la mi-mars, il est maintenant assumé que ce sera pire, mais sans pouvoir donner de chiffre pour l’instant.

Du côté de la Banque centrale européenne, une estimation a été faite récemment pour la zone euro en 2020, évoquant une récession de 5 % du PIB. La Banque Goldman Sachs parle pour sa part d’une prévision de récession de 9 % du PIB pour la zone euro.

Autre exemple, concernant la Chine, premier pays touché, mais où la production commence déjà à repartir avec la plupart des usines actives et 74 % des travailleurs en poste fin mars. La Banque mondiale, une institution spécialisée de l’ONU, mise dans son rapport sur la région Asie-Pacifique publié ce mardi 31 mars 2020 sur une croissance chinoise limitée à 2,3 % en 2020, tout en incluant la possibilité d’un scénario plus pessimiste avec une croissance quasi nulle, de 0,1 %. En 2019, la croissance chinoise était de 6,1 % ; cela sera donc dans tous les cas en 2020 un recul drastique, avec dans le meilleur des cas une croissance étant la plus faible depuis plus de 40 ans.

Dans ce même rapport, des scénarios noirs sont déjà envisagés pour la Malaisie et la Thaïlande, alors qu’il est prévu pour l’Indonésie (puissance économique d’importance en Asie) un recul de 3,5 points de la croissance.

En ce qui concerne la France, on sait déjà que 2,2 millions de salariés (dans 220 000 entreprises) sont concernés par les mesures de chômage partiel, avec de nombreux secteur industriels à l’arrêt tandis que d’autres fonctionnent au ralenti par manque de clients ou de matières premières. Dans le commerce, l’activité est réduite ou quasiment à l’arrêt pour de nombreux secteurs (habillement, ameublement, décoration, etc.), elle est fortement réduite dans le secteur du BTP. En ce qui concerne l’économie des services ou l’administration (publique ou d’entreprise), le télétravail quand il est possible ne permet qu’un maintien partiel des activités.

En arrière plan de cela, il y a toute une économie du loisir et de la culture (parcs, sport, concerts, festivals, voyage) qui a été stoppée nette et qui forcément ne repartira pas du jour au lendemain après le confinement.

Pour se donner une idée de l’ampleur de ce ralentissement général, il y a l’indice « PMI » du cabinet Markit qui mesure l’activité du secteur privé en France. Cet indice enregistre déjà pour le mois de mars la plus forte chute de son existence avec une baisse de plus de 20 %, alors que le confinement n’a commencé que le 17 mars. Un autre critère reflétant l’activité économique est la consommation d’électricité : celle-ci a reculé de 20 % depuis le début du confinement, alors même que beaucoup de gens consomment énormément d’électricité chez-eux du fait de ce confinement.

Pour faire face, ou plutôt en s’imaginant pouvoir faire face aux menaces de faillites en série, les différents gouvernements et institutions gouvernementales ont déjà pris des mesures d’une ampleur jamais égalée, alors que ni les confinements, ni la crise sanitaire elle-même n’ont pris fin. À la fin du mois de mars 2020, ce sont en tout déjà 7 000 milliards de dollars de dépenses budgétaires, de prêts et de garanties des États et des banques centrales qui ont été annoncés partout dans le monde.

En France, rien que pour les mesures de chômage partiel, il y a 8,5 milliards d’euros qui ont été provisionnés par le gouvernement, qui sait déjà que ce ne sera pas suffisant. D’après l’Observatoire français des conjonctures économiques, la mesure de chômage partiel pourrait concerner plus du double du nombre de personnes déjà recensées, avec 4,5 millions de salariés en tout.

Ce sont également quatre milliards d’euro pour la santé qui ont été annoncés hier par le Président (en plus de deux milliards déjà budgétés) et le gouvernement sait déjà que les 1,2 milliards prévus pour le fonds de solidarité pour les petites entreprises et les indépendants ne seront pas suffisants. Il faudra certainement compter aussi sur plusieurs milliards d’euros pour recapitaliser ou nationaliser telle ou telle entreprise importante n’ayant pas surmonté la crise, ce qui pourrait être le cas pour Air France par exemple.

À ces dépenses s’ajoute également une baisse drastique des recettes pour l’État.

Il y a les pertes nettes du fait de la récession (moins de taxes et d’impôts), évaluées dans un premier temps à 10,7 milliards (ce sera plus), mais aussi les reports de revenu. Selon le gouvernement, le report du paiement des charges sociales et fiscales pour les entreprises en difficulté représente déjà 32 milliards d’euros pour le mois de mars, mais personne bien entendu ne peut garantir que toutes les entreprises seront en mesure d’honorer ces dettes dans les mois à venir.

En plus de cela, l’État a annoncé qu’il garantira jusqu’à 300 milliards d’euros de prêts accordés à des entreprises, le procédé ayant déjà été activé pour 3,8 milliards d’euros.

Tout cela a donc pour conséquence de faire exploser la dette publique, dans un contexte où les entreprises elles-mêmes vont être endettées, alors que l’État est déjà très endetté à la base. La France n’est pas la seule concernée, évidemment.

On a, pour le dire autrement, des milliards d’euros qui sont dépensés à tout-va… par des États ne disposant pas de cet argent. C’est le principe du crédit, ou de la dette, qui est devenu un mode de fonctionnement structurel pour le capitalisme, tant en ce qui concerne les États que les grandes entreprises.

Seulement voilà, la dette ne crée aucune richesse, ni même la monnaie (on parle de liquidité, et c’est de cela qu’il s’agit avec les 750 milliards d’euros annoncés par la Banque centrale européenne pour racheter des dettes d’État et d’entreprise indéfiniment). Il faut bien que quelqu’un paye au bout du compte, car l’argent doit correspondre à une certaine valeur pour être valable, sinon la monnaie s’effondre comme en Allemagne dans les années 1920.

Quand un État émet de la dette (on parle d’obligations, qui sont des titres de créance), il y en face un investisseur qui prête son argent, de l’argent qui n’a rien de fictif, et qui doit être remboursé à un moment (en plus de recevoir éventuellement une rémunération pendant la durée de ce prêt). Les fonds sont en général gérés par des structures spécialisées, mais proviennent en grande majorité de l’épargne dite des ménages. Ce sont les réserves d’argent de la bourgeoisie et de la petit-bourgeoisie.

Tout cet argent n’est pas extensible, ou en tous cas la quantité de valeur qu’il représente ne l’est pas, d’autant moins que l’économie est en récession. Si beaucoup de dette est émise, il faut en face suffisamment d’investisseurs pour prêter l’argent.

Le problème qui va se poser à l’économie est très simple et facilement compréhensible : personne ne peut garantir qu’il y a suffisamment de valeur en circulation pour valoriser la dette des États.

Il faut bien comprendre une chose ici : actuellement sur les marchés financiers, les placements sont beaucoup moins faits dans le but de s’enrichir (par la spéculation ou l’investissement productif, ce qui induit un risque dans les deux cas), que dans le but de garantir une épargne. Ce qui compte n’est pas tant les bénéfices ou dividendes éventuellement perçus que la solidité d’une dette, car posséder une dette « solide » a en soi beaucoup de valeur.

Dire « l’État italien me doit tant d’argent qu’il me remboursera dans 10 ans », cela a de la valeur pour les épargnants voulant garantir leur épargne. Il existe même un marché très important où ce genre dette est échangée.

Seulement, cela n’a de la valeur que tant que les investisseurs ont confiance dans la capacité de l’État à honorer sa dette, c’est-à-dire à garantir une certaine valeur à cette dette. L’Italie, pour rester sur cet exemple, est déjà dans une situation très compliquée avec une dette publique en 2019 de 2373 milliards d’euros, ce qui correspond à près de 140 % de son PIB. Cela tient encore, car il est considéré que l’Italie « vaut » plus que ce qu’elle produit, ne serait-ce que par son patrimoine public, avec des « villes » comme Venise, Florence, Pise et en partie Rome qui sont devenues de véritables usines à tourisme.

Cela n’est bien sûr pas extensible à l’infini, surtout en période de crise. L’agence de notation Standard & Poor’s (dont le métier consiste justement à évaluer la capacité d’un créancier, y compris d’un pays, à rembourser ses dettes) a par exemple évalué que la croissance italienne va chuter de 2,6% à cause de la pandémie de Covid-19.

Cela fait peser un risque énorme sur la valeur de la dette italienne. Et comme dans le même temps d’autres pays (ainsi que beaucoup d’entreprises) vont contracter encore plus de dette (et le font déjà), les investisseurs vont être tentés de se tourner ailleurs, craignant pour leur épargne. L’État italien, faute de prêteurs, peut alors faire faillite.

Face à ce risque tout à fait concret, l’Italie, mais aussi l’Espagne et d’autres pays, souhaitent des « coronabounds » européens, c’est-à-dire des obligations (de la dette publique) émises au nom de toute l’Union européenne, avec comme motif la crise sanitaire.

Ce serait un moyen pour un État en difficulté comme l’Italie de garantir sa capacité à emprunter sur les marché financier, donc à continuer à s’endetter dans le cadre de la crise. D’autres pays, notamment l’Allemagne, ne veulent absolument pas en entendre parler. Du point de vue de l’Allemagne, cela reviendrait à mutualiser une dette qui n’est pas la sienne, affaiblissant ses propres capacités d’emprunt sur les marchés.

Or, l’Allemagne aussi a besoin de s’endetter, parce que 123 milliards d’euros de dépenses liées à la crise ont déjà été annoncés ( en plus de 822 milliards de garanties accordés aux dettes contractées par les entreprises nationales), dans le cadre d’une récession s’annonçant importante pour le pays en 2020 (entre 2,8 % et 5,4 % du PIB). L’Allemagne, qui n’a normalement aucun déficit, a déjà annoncé prévoir 156 milliards d’euros de déficit, soit une dette d’environ 5 % de son PIB (alors que selon la règle budgétaire européenne défendue bec et ongle par l’Allemagne ces dernières années, celui-ci ne doit être supérieur à 3 %).

On a donc une situation très tendue, qui s’inscrit elle-même dans le cadre d’une situation à l’origine très fragile en ce qui concerne la dette. En novembre 2019, la Banque centrale européenne alertait dans sa revue semestrielle de stabilité financière sur les risques en cours. Pour résumer, du fait de la politique monétaire européenne, l’endettement (public et privé) est fortement encouragé et pratiqué.

Le revers de la médaille constaté par la BCE est que beaucoup de risques sont pris par certains investisseurs en raison de taux d’intérêt faibles. Il était constaté que 45 % des obligations d’entreprises étaient notées « BBB », c’est-à-dire la note la plus faible possible, évoquant ainsi un grand risque pour la stabilité financière.

Tout cela est très technique et peut sembler lointain, mais c’est en fait très simple et concret. L’économie est littéralement pourrie par tout un enchevêtrement de mécanismes de dette, et cela s’accentue de manière radicale tout d’un coup en raison de la crise sanitaire.

Autrement dit, il y a un décalage de plus en plus important entre la masse réelle de la valeur existante et les capacités du système à répartir cette valeur, par le biais des monnaies et des mécanismes financiers. On a d’un côté une économie qui ralentit, de l’autre des États qui ont besoin de s’accaparer d’un coup une masse énorme de valeur (sous forme d’argent) par de la dette.

En vérité, seule la production de marchandises a de la valeur (soit par les marchandises elles-mêmes, soit par l’appareil productif), et donc seul le travail compte réellement. Les États s’imaginent pouvoir contourner le problème par le biais de la dette, mais c’est une véritable folie, relevant d’une fuite en avant inconsidérée.

La situation actuelle est tout simplement insoutenable, menant tout droit à une crise majeure. Nul ne peut savoir quelle forme cela prendra, si ce ne seront que quelques États qui s’effondreront, comme le risque l’Italie, ou bien si ce sont des régions entières qui seront entraînées dans une spirale négative, avec des licenciements à la chaîne, une inflation incontrôlable ou au contraire des dévaluations monétaires massives, etc.

Ce que l’on voit déjà par contre, c’est un resserrement drastique des différents États nationaux, qui vont se retrouver en concurrence exacerbée et tendront de plus en plus à la guerre. Cela est déjà visible concrètement aujourd’hui rien qu’au sein de l’Union européenne, cela l’est d’autant plus à l’échelle mondiale, avec comme fil conducteur l’affrontement entre les deux superpuissances que sont la Chine et les États-Unis.

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Société Vie quotidienne

Décadence, vie de bureau et corruption

La vie de bureau est une réalité pour de plus en plus de personnes dans notre pays et dans les autres nations capitalistes : enfermées sept heures par jours, voire plus, derrière un bureau, un écran et un clavier d’ordinateur. Chacun prend ses habitudes, chacun comprend la place de chacun, chacun trouve son rôle et finit par le jouer le plus naturellement possible.

John William Waterhouse - The Lady of Shalott

La vie de bureau intègre totalement les employées à leur entreprise. Ils font et sont la vie de « la boîte ». Ils portent ou défendent la « culture de l’entreprise », quand ce sont pas ses « valeurs ». Les plus chanceux et les plus aliénés auront un poste qui correspond à leurs besoins et à leurs attentes. L’entreprise remerciera ses collaborateurs par des séminaires, des séances de team building, des comités d’entreprise généreux afin de renforcer le lien entre l’entreprise et ses membres. Elle organisera des repas de Noël, elle forgera des liens entre ses collaborateurs grâce au management et aux ressources humaines : elle n’est plus une entreprises, elle est une famille.

Les moins chanceux n’auront pas cette joie d’aller travailler le matin. Tous les matins. Ils en rêveront. Ils accepteront le moindre petit cadeau et seront satisfait, d’avoir accès aux même activités d’entreprises que leurs compatriotes chanceux : pots de départs et alcool gratuit, prendre part aux jeux des relations sans lendemain entre collègues, sorties groupées dans un bar dont on parlera pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines.

Le capitalisme moderne des pays comme la France a ceci de fantastique qu’il repousse toujours plus loin le concept d’offre et de demande : chaque personne peut trouver la vie de bureau qui lui correspond. Mieux : chacun doit trouver la vie de bureau qui lui convient… à chaque moment de sa vie. Tout est possible.

Une personne cynique et prétentieuse trouvera chaussure à son pied, une autre davantage portée sur le sens de son travail trouvera aussi l’entreprise qui lui permettra de s’épanouir et de grandir, selon les termes chers aux défenseurs de l’entreprise.

La bonne vie du bureau devient le rêve, l’idéal de la mauvaise vie de bureau. On galère, et enfin : on trouve sa place. On remercie l’entreprise et les collègues qui nous ont fait confiance. On souhaite le meilleur et plein de succès à tous lorsque l’on quitte le navire : peu importe tous les non-dits, toutes les rumeurs, toutes les choses qui se savent très bien. Et peu importe les piques qui seront lancées dans son dos.

On part ensuite pour une entreprise qui nous correspond davantage : que ce soit en terme de valeurs ou de carrière. On s’intègre à nouveau, on participe à une nouvelle vie dans une nouvelle entreprise. La vie quotidienne continue son travail de destruction, de sape et de corruption.

L’esprit de chacun se fait plier, broyer, écarteler. Peu importe la vitesse, le résultat sera identique: la richesse, la lumière qui brille en chacun sera détruite petit à petit. La vie quotidienne isole et bride les sens, elle restreint l’intelligence au strict minimum : l’entreprise devient le seul horizon. Et si l’entreprise seule n’y arrive pas assez vite, la vie sociale prend le relais.

La moindre nuance de couleur dans le ciel, le moindre changement dans la couleurs des arbres devraient être des sources d’émerveillement et de curiosité continus parmi les innombrables perceptions que nous avons du monde et de l’univers. Mais rien de tout cela n’est nécessaire à la vie de bureau : il faut optimiser les sens et l’esprit afin qu’ils ne perturbent pas le bon déroulement d’une vie de bureau morne.

L’émerveillement et l’attention accordée au sens, et donc à la vie et à l’univers, n’apportent rien à l’entreprise. Tandis que des parties de Call of Duty entre collègues après le travail permettent de souder l’équipe, de fournir des sujets de discussion, de créer des groupes de collègues…

Un divertissement des plus abrutissants pour un travail abrutissant. Un travail abrutissant qui permet de s’offrir des biens abrutissants. La boucle est bouclée : difficile d’en échapper. Les années passent, certains restent dans la même entreprise pendant dix ans, vingt ans… Et finissent complètement démolis.

Deux mille ans d’histoire et certains acceptent, et sont même fiers, de faire rayonner une marque, une entreprise, sur la réseaux sociaux ? De vendre des produits qui n’ont, socialement, aucune utilité ? De développer des applications plus ou moins calamiteuses qui ne servent en réalité à rien ? D’organiser des séminaires, de séances de team-building, tous plus destructeurs culturellement les uns que les autres ? Quand ils ne sont pas des insultes à l’idée même de culture.

Les plus chanceux acceptent avec plaisir l’horreur, l’abrutissement quotidien et la négation pure et simple de la complexité et de la richesse de la vie. Mais combien, parmi les moins chanceux, rêvent de cette situation ? En étant bien conscients que tout est faux. Combien acceptent cette petite vie quotidienne faite de corruption dans l’espoir d’avoir un peu mieux plus tard ?

La capitalisme en perdition n’est plus capable de donner le moindre sens au travail. Il ne chercher plus qu’à étendre son emprise sur toujours plus d’aspects de la vie quotidienne. Les sens, la vie intérieure doivent être brisés, pliés et calibrés afin de permettre à un mode de production à l’agonie et gagner ainsi des années d’espérance de vie. C’est une impasse qui ne pourra aboutir qu’à l’avènement d’un monde et d’un homme nouveaux sous le socialisme. Mais cette renaissance ne se fera pas sans douleur : il faudra payer le prix de décennies de corruption.

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Politique

Grève: qu’est-ce qu’une assemblée générale ? Qu’est-ce qu’un «soviet» ?

La pratique de l’assemblée générale n’a jamais réellement pris en France : soit parce qu’elle est étouffée par les syndicats, soit parce qu’on la confond avec une sorte de meeting activiste. Dans les universités, la caricature est extrême, avec les présents qui se réduisent à une simple petite minorité se voulant agissante. Une assemblée générale est en réalité une structure qui englobe l’ensemble des travailleurs, existe de manière organisée et prolongée.

La pire erreur, c’est de considérer qu’une assemblée générale ne concerne que les grévistes ou les partisans de la grève. C’est là une erreur complète nuisant fondamentalement à l’unité des travailleurs. L’assemblée générale est un lieu démocratique rassemblant tous les travailleurs. Bien sûr tous ne veulent pas forcément y venir, par dédain, esprit de défaite ou opposition à la grève. Or dans tous les cas il faut chercher à les convaincre de venir, d’exposer leurs points de vue.

Une assemblée générale dans une entreprise, à l’occasion d’une grève, est en effet un lieu démocratique pour les travailleurs et par conséquent en soi un lieu de rupture avec l’idéologie dominante. C’est un saut dans l’organisation et c’est précisément la base nécessaire à quoi qu’il se passe.

Une grève qui n’est portée que par une minorité agissant est une grève qui échoue ; lorsqu’elle n’est portée que par les syndicats, elle s’enlise dans des tractations qui peuvent apporter quelque chose, mais produisent dans tous les cas à la base la passivité, l’absence d’organisation, une non-dénonciation du niveau de conscience.

L’assemblée générale impulse par contre la conscience, l’organisation, l’action, parce que dans tous les cas elle implique les travailleurs. En ce sens, même une assemblée générale décidant de ne pas faire grève est une réussite par rapport à l’absence d’assemblée générale. Elle aura au moins été un lieu de décision, donc une expérience favorable.

Et plus l’assemblée générale est capable de se structurer, plus elle reflète la prise de conscience des travailleurs, et inversement.

Quels sont les besoins d’une assemblée générale en termes d’organisation ?

D’un bureau s’occupant de noter les présents et les absents, de prévoir l’intendance telles les boissons non alcoolisés, le papier et les crayons ou l’ordinateur portable pour noter les points, pour compter les votes, etc.

D’un secrétaire de l’assemblée pour gérer les discussions en accordant la parole.

D’un secrétaire pour noter les points abordés et les résumer.

Ceci n’est qu’un minimum, puisque selon le nombre de travailleurs, l’ampleur de la grève, ses objectifs, d’autres besoins surgissent, auxquels il doit être répondu de manière démocratique et collective. Quelqu’un qui agit pour les autres ici ne les sert pas : il les dessert, en les maintenant dans la passivité. La moindre expérience pratique dans une grève a des conséquences fondamentales pour quiconque y participe : à chacun de faire son expérience.

Et, donc, l’assemblée générale continue. C’est elle qui mène les négociations, pas les syndicats. C’est elle qui choisit qui va négocier, avec un mandat bien déterminé. C’est l’assemblée qui décide d’accepter ou pas ce que les responsables de l’entreprise proposent.

Toutes les actions sont décidées par l’assemblée, rien n’est décidé dans l’assemblée.

L’assemblée ne doit jamais être le rassemblement d’une simple petite minorité – comme les étudiants le font jusqu’à la caricature – ni le lieu où une petite minorité agit avec une majorité qui suit passivement.

L’assemblée est ainsi générale car elle est démocratique et engage tout le monde. Si jamais l’assemblée cesse la grève, seule une minorité aura bien entendu assez de conscience pour en tracer le bilan, pour en conserver la mémoire, pour travailler dessus. Il s’agira là des éléments les plus conscients, qui le plus souvent seront politisés à Gauche. Inversement d’ailleurs, ces éléments n’existent pas dans la classe ouvrière s’il n’y a pas d’expérience de masse à la base… d’où leur nombre si restreint voire inexistant actuellement.

D’aucuns diront que l’assemblée générale, se prolongeant, doit se prolonger jusqu’au bout, jusqu’à former le fameux « soviet », le conseil décidant que le pouvoir revenait à tous les conseils partout. Cette hypothèse n’est pour l’instant simplement qu’une hypothèse, car il n’existe pour l’instant même pas de démocratie chez les travailleurs, qui sont isolés, passifs, sceptiques, quand ils ne sont pas corrompus par le capitalisme.

C’est pour cela que tout dépend de l’existence des assemblées générales, de leur organisation, de leur prolongement concret jusqu’à assumer la direction des luttes. Sans ces assemblées générales, il y a un « mouvement social » – pas une lutte des classes.

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Société

Morsay : «Moi, je dis des conneries et j’achète une maison à ma mère»

Morsay constate une vérité plus qu’amère : le travail ne paie pas, mais la vulgarité le fait. Et elle le fait justement en ôtant toute dignité au travail et à la rationalité qu’il implique. L’ensemble forme une terrible chape de plomb sur les mentalités, notamment des plus jeunes.

« Mon père, c’était un grand travailleur qui a galéré toute sa vie. Il est mort à cause de l’amiante à 63 ans. Moi, je dis des conneries sur YouTube et j’achète une maison à ma mère… »

Ces propos d’une grande profondeur sont tenus, paradoxalement, par Mohamed Mehadji, alias Morsay, connu justement sur internet par le passé pour des propos vulgaires et un positionnement violent, qui ont aisément attiré l’attention dans une société fascinée par les apparences. Lui-même, rapidement conscient de tout cela, en a profité pour se faire de l’argent par ce moyen par l’intermédiaire d’une marque de vêtements, tout en exprimant une sorte d’existentialisme perverti en soutenant Alain Soral.

Là n’est pas essentiel, toutefois. Car ce que dit Mohamed Mehadji, en l’occurrence dans un portrait du Monde, est beau, vrai, universel. Et c’est à la fois beau et vrai, car universel, ainsi qu’universel car beau et vrai. La réalité qui ressort de tels propos font comme péter à la figure, elle écrase littéralement toutes les impressions qu’on peut avoir.

Ce que dit Mohamed Mehadji au sujet de son père est parfaitement tourné, lui qui a quitté l’école en cinquième, sans savoir ni lire ni écrire. On l’imagine pratiquement l’avoir entendu, comme s’il l’avait dit juste devant nous. C’est une vérité tellement concomitante à notre société qu’on a l’impression d’avoir vécu la scène où il prend la parole. C’est qu’on l’a déjà entendu tellement de fois !

La dévaluation du travail est si immense – alors que celui-ci est la base de tout – que toute valorisation prend immédiatement une résonance pleine de dignité, et de dignité entière. Ce n’est pas pour rien que Mohamed Mehadji termine son propos en parlant de sa mère. La boucle est bouclée, le propos est puissant. Et le fait que son père soit mort à cause de l’amiante n’en résonne que davantage.

Alors, pourquoi Mohamed Mehadji ne prend-il pas le parti de la Gauche, du Socialisme, puisqu’il voit tout ? Sans doute qu’il ne sera pas contre la révolution et simplement qu’en attendant, il fait comme tout le monde, cherchant à tirer son épingle du jeu, avec fatalisme et avec une certaine joie, et fierté, d’avoir tenu le coup jusque-là. Oser vivre dans ce monde n’est pas simple, loin de là !

Mais il est un fait dont tout le monde a pleinement conscience, sauf les plus jeunes : les travailleurs sont méprisés, ils sont niés, ils sont considérés comme non existant. C’est de là que provient le discours faussement scientifique de la « disparition » de la classe ouvrière. La société ne valorise que les postures parasitaires, les « bons coups », les moyens les plus pragmatiques de « se faire de la maille ».

Cela n’empêche pas les jeunes bourgeois les moins fainéants de se précipiter pour faire une école de commerce, conscients de la difficulté de trouver la « bonne idée » et surtout le financement qu’il faut pour la réaliser. Mais l’imagerie capitaliste de la réussite va avec le non-travail. Les images d’oisiveté pullulent, avec Instagram comme fer de lance.

C’est d’autant plus une illusion que le capital engloutit les esprits et qu’une personne qui a accumulé de la richesse va chercher à continuer à le faire, parce qu’il est un vecteur du capitalisme et rien de plus. Des gens qui s’arrêtent de travailler, pour vivre sans rien faire, en « profitant de la vie » ? Il n’y en a pratiquement pas. Même les acteurs les plus connus tournent sans arrêt, quitte à participer à des nullités sans nom ridiculisant leur carrière. Ils croient choisir, c’est l’accumulation du capital qui choisit.

Morsay continue d’ailleurs à essayer de faire la même chose, prisonnier de sa « réussite ». Il lui faudra choisir entre le travail et le « coup », ce qui est d’ailleurs un vrai problème pour des millions de jeunes, notamment ceux issus de l’immigration, mais pas seulement, tellement le quête du « hold up » est célébrée partout, dans les séries, dans les films, dans les biographies des entrepreneurs à succès, etc.

C’est là qu’on voit que le capitalisme est à bout de souffle, qu’il ne peut plus valoriser les capitaines d’industrie, seulement les pirates les plus opportunistes. Mais c’est à cela aussi qu’on voit que le capitalisme en train de pourrir est d’autant plus dangereux de par ce qu’il véhicule comme situations ordurières, avec l’opportunisme qui va avec. Les deux quasi-adolescents qui viennent de gagner des millions au tournoi mondial du jeu Fortnite ont déjà leur esprit aspiré par le capitalisme, comme tous ceux qui les envient.

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Rapport entre les classes Réflexions

La vie étriquée au sein de l’entreprise

Le passage de la jeunesse au conformisme adulte s’appuie grandement sur la neutralisation des personnalités au sein de la vie étriquée de l’entreprise. Il faut s’adapter à un environnement entièrement façonné par le capitalisme et au-delà des obligations à assumer, on doit changer ses comportements et son esprit, se forcer à les changer.

Quand on travaille, on est dans un certain milieu. Et lorsque ce milieu consiste en quelques personnes, même plusieurs dizaines, en tout cas toujours les mêmes, on est formaté. Ce qu’on dit, comment on se comporte, la manière de s’habiller… la moindre chose compte de manière disproportionnée, va profondément marquer les esprits. On est alors catalogué et vue la faible intensité des relations, des rapports, cela va durer. On peut se retrouver plomber pendant longtemps, ou bien être mis à l’écart. Et cela n’est pas possible dans une entreprise.

C’est cela qui explique que les jeunes deviennent des adultes. À l’école, à l’université, lors d’une formation… on peut donner son avis. On fréquente des gens dans un milieu temporaire. Quand on passe dans le monde du travail, il y a également une dimension temporaire, puisqu’on peut changer d’entreprise. Mais le fait qu’on dépende du salaire implique qu’on se tienne un minimum. Avec les gens autour, le minimum devient maximum.

On peut expliquer, au lycée ou dans une soirée, qu’on veut la révolution. Cela ne prête pas à conséquence. Dans une entreprise, on ne peut pas le dire. D’ailleurs, cela ne se dit pas, il y a une neutralisation de toutes les considérations politiques ou sociales, sauf lors des grandes élections, mais ce sont au mieux des affinités avec un candidat qu’on exprime, pas un point de vue opposant la Droite et la Gauche.

Dans une entreprise, on est bien sûr connu comme plutôt de droite ou plutôt de gauche, mais cela reste flou, et pas lié à des valeurs, ni à une organisation. On est jamais qu’un individu. Et le point de vue politique est réduit au même niveau que les anecdotes sur le vie privée : on fait de la guitare, on est célibataire, on est allé à tel resto, on est parti en vacances en Provence, etc.

Et de par le poids de l’idéologie beauf, cela est très dangereux pour les femmes, qui deviennent aisément des cibles propices à des « évaluations » sexistes, des opérations de séduction n’étant que du harcèlement. Les personnes non cyniques sont également des victimes potentielles des esprits manipulateurs, car comme on le sait l’entreprise divise pour régner et les carriéristes en profitent pour leurs manigances.

La vie étriquée de l’entreprise, c’est ainsi un petit monde où chacun agit tel un petit Prince tel que décrit par Machiavel, soit pour avoir la paix, soit pour avancer dans l’organigramme. On est en permanence sur le qui vive, au point qu’à un moment d’ailleurs on ne le remarque même plus. On devient chez soi le fantôme qu’on est à l’entreprise, sans s’en apercevoir. Le masque qu’on employait devient une part de nous-mêmes, puis nous-mêmes.

En fait, la vie dans une entreprise est tellement étriquée, qu’aucun densité intellectuelle ne peut être atteinte, aucune densité émotionnelle, aucune affirmation personnelle. On ne peut être qu’un individu, remplaçable, à responsabilité limitée, un spectre. C’est cela qui détruit la démocratie dans son essence même. C’est pour cela que la Gauche historique a toujours mis en avant la démocratie du travail et que le principe des « conseils », les « soviets », relève de la tradition ouvrière. Dans une assemblée générale, on dit ce qu’on pense, on est qui on est, alors que dans la vie étriquée de l’entreprise, on assume son rôle de figure aliénée se pliant aux règles de l’idéologie dominante.

Un vrai mouvement permet toujours de faire vaciller cette idéologie dominante, en posant une telle actualité, si pleine d’acuité, que l’espace démocratique se forme. Un mouvement contre la chasse à courre dynamite en certains endroits les verrous de l’idéologie dominante, tout comme l’a fait en région parisienne la grande grève des transports à Paris en 1995. Des thèmes d’importance nationale ont pu faire de même, comme « Je suis Charlie » ou bien l’opposition à la participation française à la guerre du Golfe contre l’Irak. C’est pour cela que l’État soutient les initiatives nationales « vides » de sens démocratique, comme la victoire à la coupe du monde de football, le 14 juillet… afin de proposer une contre-actualité, à la fois neutre et endormant les esprits.

La Gauche pour exister, ne peut pas contourner ce dispositif d’endormissement des esprits ; il lui faut se structurer pour partir à l’assaut des entreprises, de dépassement de sa vie étriquée.