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Écologie

Un exemple d’incompréhension socialiste de la question animale en 1931

Le Populaire était le journal quotidien de la SFIO, l’ancêtre du Parti socialiste. On y trouve le 28 avril 1931 un article tout à fait représentatif d’une arriération culturelle pétrie de libéralisme, ici sur la question animale. C’est une petite chronique, qui est signée Jarjaille, en réalité Sixte Quenin (1870-1957).

Ayant défendu la corrida en Espagne (ainsi qu’en France) dans une chronique quatre jours auparavant, lui-même venant d’Arles, Jarjaille répond quelques jours après à une lettre ayant critiqué son positionnement. Ce faisant, il en arrive même à défendre la chasse à courre et l’aristocratie la pratiquant. Après tout, chacun peut faire ce qu’il veut selon lui et le socialisme n’aurait qu’une dimension économique.

C’est une position tout à fait caractéristique de l’incompréhension française du fait que le socialisme concerne tous les aspects de la vie. Le socialisme serait, selon cette conception erronée, simplement une meilleure répartition, mais pas une vision du monde. C’est la porte ouverte aux mœurs réactionnaires, au cynisme, à une défense des valeurs capitalistes assassines.

Tout ce que raconte Jarjaille est faux, depuis sa mise en valeur de la boxe par KO jusqu’à celle de la corrida, et son soutien au libéralisme.

La première chronique, du 24 avril 1931 :

« Pas de bêtises !

On imagine volontiers que les républicains et les socialistes d’Espagne savent ce qu’ils ont à faire et que les multiples conseils qui leur sont donnés généreusement, par des gens qui jugent les choses de loin et de haut, ne sont pas pour les influencer.

C’est pourquoi on a le droit de penser que l’invitation, que leur adresse M. Ernest Judet, de supprimer les courses de taureaux, laissera indifférents les hommes qui ont là-bas de lourdes responsabilités et qui ne vont pas s’amuser à compliquer inutilement la difficile tâche qu’ils ont à accomplir.

M. Judet – et s’est son droit – n’aime pas les corridas. Peut-être choisit-il mal son moment pour prétendre que ce spectacle écarte l’Espagne « de notre civilisation humaine ». L’attitude admirable du peuple espagnol au cours de ces derniers jours, semble plutôt prouver le contraire, ou tout au moins que les spectacles n’ont pas autant d’influence sur les spectateurs que le prétendent leurs dénigreurs ou leurs thuriféraires.

Sans quoi les Espagnols pourraient répondre à l’invite de M. Judet, qu’avant de faire la leçon aux autres, il conviendrait d’abord de se la faire à soi-même.

La vue d’un taureau piqué, ou d’un cheval encorné, émeut M. Judet. Nous comprenons cette sensibilité et nous conseillerions à M. Judet, s’il va en Espagne de ne pas assister à,une corrida. Il lui serait bien facile d’imiter les nombreux habitants de nos régions du Nord, qui craignent la vue du sang, et qui ne vont jamais voir ces combats de coqs, vers lesquels par contre se précipitent des milliers d’amateurs, qui trouveraient étrange qu’un journaliste espagnol les tienne, de ce fait, à l’écart de la civilisation humaine.

De même, il y a beaucoup de gens, à Paris, que dégoûte profondément la vue de deux athlètes demi-nus, se bourrant la figure de coups de poings Ces gens restent chez eux, cependant que des milliers d’autres payent très cher pour voir des émules de Dempsey et de Carpentier, la figure sanguinolente, s’allonger sur le tapis.

Personne, j’imagine, ne prétend que la boxe, voir le rugby, sont des spectacles propres à développer la douceur, la politesse et la passion du grec et du latin. Lorsque les travaillistes sont arrivés au pouvoir en Angleterre, ils auraient pourtant trouvé bizarre qu’un journaliste français leur dise que la première chose qu’ils avaient à faire c’était d’interdire toutes ces brutalités.

Enfin les républicains espagnols pourraient penser qu’avant que, de France, on leur demande de supprimer leur spectacle national, celui-ci devrait d’abord être interdit en France. Or, voici quarante ans qu’on redonne à Nîmes, Arles Bordeaux, Bèziers, Dàx, Perpignan et bien d’autres villes, ces corridas qui, en Espagne, indignent.

M. Judet ne le savait pas? Il ne demande qu’à voir fermer les arènes françaises? On ne lui conseille pas d’aller le dire dans le Midi !

JARJAILLE [Sixte Quenin] »

La seconde chronique, du 28 avril 1931 :

« Aujourd’hui les affaires sérieuses

Un lecteur a bien voulu me faire connaître que mon dernier papier sur les courses de taureaux n’avait pas eu l’heur [sic] de lui plaire. Et tandis que M. Judet estime que ce spectacle écarte l’Espagne de notre civilisation humaine, mon correspondant soutient qu’on ne peut pas être socialiste si l’on n’a pas pitié des animaux.

On m’a appris, il y a longtemps, que le socialisme avait pitié des êtres humains et parmi eux surtout des plus faibles : la femme, l’enfant. Mais si, pour être socialiste, il faut aussi me préoccuper des toutous à leur mémère et compatir aux souffrances du ver de terre que j’enfile sur mon hameçon, je suis, évidemment, indigne de préconiser la socialisation du sol et des moyens de production.

Mais je pense qu’il faudrait nous garder de mêler le socialisme et la civilisation à des histoires où ils n’ont rien à voir. Le socialisme est une chose, l’opinion que l’on peut se faire sur les relations de l’homme et des animaux en est une autre. Il peut y avoir d’excellents socialistes à la Société Protectrice des Animaux, on y compte aussi de parfaits réactionnaires. Et parmi les aficionados, les amateurs de combats de coqs, ou les pêcheurs à la ligne, qui trouvent leur plaisir au martyre d’animaux, gros ou petits, les opinions politiques sont bien mêlées.

Mais ce qu’il faudrait surtout c’est avoir vraiment le sens de la liberté. Que. M. Judet écrive des articles, voire des livres, pour convaincre ses contemporains que la corrida est un spectacle abominable, rien de mieux. Mais ne pourrait-on se garder de cette manie de vouloir imposer ses goûts, comme ses opinions, à son voisin? Tel spectacle ne vous plaît pas, très bien, n’y allez pas, mais s’il plaît à d’autres, pourquoi l’interdire?

J’avoue que l’étripement d’un cerf ne doit pas être quelque chose de bien ragoûtant. Pourtant, tant qu’une duchesse pourra disposer du terrain nécessaire, je ne vois pas pourquoi on empêcherait par la force, Mme d’Uzès de faire bénir par un évêque, les meutes qui vont pourchasser un malheureux animal.

Les catholiques, certes, pourraient faire observer que l’eau bénite n’a pas été inventée pour les chiens, ils ne le font même pas.

Alors qu’on laisse les républicains et les socialistes espagnols s’attaquer à des problèmes qui ont une autre importance sociale que les courses de taureaux.

JARJAILLE [Sixte Quenin] »

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Réflexions Vie quotidienne

La fidélité, une valeur prolétarienne

En tant que classe sociale, le prolétariat est le vecteur d’une morale, de valeurs qui sont liées au quotidien mais aussi à toute une transmission collective, allant de la famille jusqu’aux luttes sociales en passant par les relations amicales et amoureuses. Au cœur de la transmission prolétarienne, il y a valeur cardinale qui est celle de la fidélité.

La loyauté est une valeur qui est difficile à saisir si l’on est pas soi-même issu ou lié à la classe ouvrière. Pour la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, elle apparaît toujours comme quelque chose de « décalé », d’un peu has been. Être moderne, ne serait-ce pas être « libre » de tous les carcans moraux, des normes ?

Cette incompréhension des classes éduquées se voit parfaitement bien lors d’une fermeture d’usine avec des reclassements à la clef ou lors d’une rénovation urbaine d’un quartier HLM délaissé. Bourgeois et petit-bourgeois se disent : « pourquoi ces gens ne sont pas contents de la modernisation ? Cette usine n’était-elle pas le vecteur d’un travail aliénant ? Ce quartier ne tombait-il pas en ruine ? ».

Pour les bourgeois, c’est la preuve du conservatisme des classes populaires, de leur réticence au « changement ». Mais, pour les prolétaires, c’est tout un monde qui s’écroule, un héritage de riches histoires, d’amitiés, d’expériences culturelles à laquelle on est fidèle.

Plus que fidèles à eux-mêmes, à leur propre personnalité, les prolétaires sont loyaux envers leur propre histoire en tant qu’histoire collective partagée dans la morosité et la joie du travail, du quartier, de la zone pavillonnaire, de la campagne. Il n’y a qu’à voir comment Mc Circulaire parle de sa campagne, en refusant le business du rap mainstream. Il y a une forme d’humilité, de respect et c’est cela la fidélité populaire.

Au cœur de la vie quotidienne, on reconnaît la loyauté prolétaire avec par exemple ces personnes qui donnent tant d’attention à leurs grands-parents car ils y voient le vecteur essentiel de la transmission d’une histoire, d’un héritage. Tout comme cela est visible dans cette parole si populaire de « respecter les anciens » ou dans cet attachement au couple amoureux, c’est-à-dire au prolongement dans le temps d’une fidélité à la fidélité elle-même.

Le style ouvrier réside bien dans cette loyauté et l’on peut voir d’ailleurs comme des pans de la Gauche se sont brisés sur cet aspect si essentiel de la vie quotidienne. Ce fut ainsi le cas de la Gauche contestataire dans l’après mai 1968. Si des milliers de gens, d’origine petite bourgeoise, sont allés aux ouvriers, à quoi cela sert-il si c’est pour partir aussitôt qu’on est arrivé ? Quelle fidélité, quelle loyauté, quelle crédibilité ?

Car, sur ce point, les ouvriers sont, plus que tout autre, d’une exigence absolue. À ce titre, la classe ouvrière est le seul contre-feu stable à la décadence d’une bourgeoisie qui valorise la casse de tout ancrage historique ( qu’il soit individuel ou historique ). C’est là le sens du triomphe de la PMA, de sites d’adultère comme Gleeden, de l’art contemporain sonnant comme un reflet de cette grande bourgeoisie cosmopolite en complète trahison de sa propre histoire.

La fidélité est tellement essentielle aux classes populaires qu’elle a été à la base de ses décrochages dans l’Histoire. N’est-ce pas de la fidélité populaire à la nation qu’est née la commune de Paris de 1871 ? N’est-ce pas de la loyauté envers la souveraineté que s’est développée la Résistance des années 1940 ?

Au regard de l’histoire, on peut dire certainement que la fidélité est le style de vie prolétarien dans tous les aspects la vie quotidienne. Elle se réalise ensuite au plan politique dans le Parti.

En effet, dans le mouvement ouvrier, cette fidélité s’est traduite par la discipline et la loyauté envers la SFIO ou la SFIC – Parti Communiste . Être membre d’un Parti de la classe ouvrière, c’est devenir fidèle à la fidélité elle-même incarnée par la discipline partisane.

Bien sûr on peut le critiquer, car sans la critique et l’auto-critique, cela dérive vers un enlisement bureaucratique. Mais d’un autre côté, c’est aussi l’expression de ce style ouvrier car derrière la fidélité il y a la ténacité, l’abnégation, la fermeté.

C’est ce que n’ont jamais compris la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, y voyant là un écrasement de l’individu, tout comme elles voient aujourd’hui la liberté dans l’amour libre, la déconstruction individuelle et bannit toute cadre moral collectif. C’est la raison qui explique que la Gauche, portée par les classes moyennes de centre-ville, s’est faite laminée par le postmodernisme et ses soutiens aux luttes des marges (LGBT, « racialisme », décoloniaux…)

Le danger est qu’il y a un courant, issu des classes dominantes, qui a saisi tout cela et surfe habilement dessus : le fascisme. C’est sa mise en avant de l’ « enracinement », sa valorisation unilatérale de la « famille », de la discipline militaire, de l’honneur de la patrie. Ce n’est qu’un détournement démagogique qui vise à assécher l’élan populaire vers son émancipation.

La Gauche historique se doit de défendre cette valeur de la fidélité dans tous les aspects de la vie quotidienne. C’est une des conditions à la conquête de l’hégémonie culturelle et à la construction d’une nouvelle société démocratique, populaire. S’il y a un sens à défendre la Gauche historique, c’est bien celui-ci : ouvriers, soyez fidèles à vous-même, à votre héritage, celui du Socialisme, du mouvement ouvrier, du drapeau rouge, de ses générations qui ont combattu pour l’émancipation.

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Politique

Décadence ou inversion des valeurs ?

A moins de penser que tout va pour le mieux ou d’être nihiliste, il y a deux manières de considérer les choses. Soit on assume le point de vue de la Gauche qui avait bien compris dans les années 1920 qu’il y avait une décadence des valeurs, car les riches ne pensent qu’à se goinfrer et ont jeté la culture par-dessus bord. Soit on adopte le point de vue de l’extrême-droite comme quoi les valeurs auraient été inversées.

Illustrataion Phèdre (Jean Racine), Acte V

Le grand discours de la « fachosphère » depuis une décennie est qu’il y aurait une inversion des valeurs. Les criminels seraient mieux traités que les victimes, les femmes adopteraient un patriarcat inversé, les élèves compteraient davantage que les professeurs, etc. La France aurait été prise d’assaut et il y aurait eu un retournement de la hiérarchie de ce qui compte vraiment. Il faudrait donc un retour aux sources.

Certains prônent donc un retour à la France des années 1960, avec un racisme marqué, mais d’autres ont une autre approche. La grande idée d’Alain Soral et de Dieudonné est ainsi de s’appuyer sur une partie des gens issus de l’immigration pour prôner ce « retour aux valeurs », en s’appuyant sur leurs préjugés religieux, leurs valeurs patriarcales, leur romantisme anticapitaliste. Cela a donné une forme « populaire » à ce discours de la « fachosphère ». Alain Soral a eu de très grands succès de ventes avec ses écrits complotistes.

Et il est impossible de ne pas remarquer que les gilets jaunes sont ici en partie les successeurs des tenants de la quenelle de Dieudonné. Il y a le même populisme, le même rejet des « élites », la considération selon laquelle les politiques sont « tous pourris », une obsession petite-bourgeoisie pour l’État, etc. Avec la « quenelle », Dieudonné a popularisé avec un très grand succès un certain style rentre-dedans, revendicatif, sur la base de valeurs anticapitalistes romantiques.

L’antisémitisme virulent, le complotisme délirant, les fascinations pour les élites manipulatrices, etc., tout cela correspond à la mentalité comme quoi les choses auraient été déréglées, que des forces « obscures » auraient procédé à une inversion des valeurs. Comme ce qui devrait compter ne compte pas, on s’imagine qu’elles ne comptent plus, car n’est-il pas logique qu’elles aient compté par le passé, puisqu’elles doivent compter ?

On retrouve ici la logique de nombreux gilets jaunes, qui s’aperçoivent qu’ils sont exploités et pauvres, mais qui ne conçoivent pas que cela soit possible. Ils imaginent donc qu’avant ils n’étaient ni exploités, ni pauvres, alors qu’ils l’étaient également, mais qu’il y avait un peu plus de marge, et que donc ils ne le saisissaient pas… Ils idéalisent alors le passé, au lieu de s’assumer comme pauvres. C’est très étrange que cela : on a des pauvres ne voulant pas être pauvres, mais refusant le fait de s’assumer pauvres. Comme si c’était une honte et qu’il fallait, plutôt que de s’assumer prolétaire, toujours en revenir à la classe moyenne, cette forme sociale idyllique, au-delà du bien et du mal (c’est-à-dire des bourgeois et des ouvriers).

Ce qui saute aux yeux bien sûr, c’est que chez les tenants de l’inversion des valeurs comme processus « sabotant » la France, la culture est un thème qui n’existe pas. On est dans un style violemment beauf, avec une négation brutale de toute réflexion fondée sur la culture. Il n’y aucune référence en termes de romans, films, sculptures, monuments, peintures, pièces de théâtre, etc. On est dans un mouvement « élémentaire », brut de décoffrage, et qui s’assume comme tel. D’où tous les raccourcis, la paranoïa, le complotisme, la rage éparpillée, etc.

Il est important de voir cela, parce que cela montre que la fachosphère ne prône justement pas de réelles valeurs. La question de l’art contemporain est ici un très bon exemple. La fachosphère explique qu’il est scandaleux que l’art contemporain s’impose autant. Cependant, elle ne propose rien en remplacement. Le discours de la fachosphère consiste uniquement à parler d’une inversion des valeurs, pour mettre en avant des valeurs réactionnaires, mais de manière floue. Il ne faut pas croire que la fachosphère mette en avant Raphaël, Donatello, Michel-Angelo ou Leonardo de Vinci.

La fachosphère ne consiste pas à dire que Racine c’est autre chose maître Gims ou Molière autre chose que Booba ; la fachosphère n’est que du ressentiment. La culture n’y existe pas et pour cause : l’extrême-droite n’est que le produit de la décadence de la société française. Une décadence qui a une source simple : les couches sociales dominantes se goinfrent, de manière barbare, ayant abandonné ou abandonnant toujours plus la moindre valeur culturelle. L’ultra-consommation sur un mode nouveau riche devient la règle. On se moque beaucoup des oligarques russes et des millionnaires chinois consommant de manière ostensible et sans réel goût, mais croit-on vraiment que les riches français soient différents ?

La France va mal, elle est en crise, mais ce n’est pas qu’une crise sociale : c’est une crise morale, culturelle, idéologique. C’en est fini de la bourgeoisie hyper éduquée, extrêmement posée, techniquement efficace des années 1960. La bourgeoisie nouvelle est libérale, seulement libérale, et ne peut plus assumer son rôle de dirigeante de la société. D’où la décadence.