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Refus de l’hégémonie

Esequibo : second pas vers l’annexion

Après le résultat triomphal du référendum vénézuélien sur l’Esequibo, le président du Venezuela Nicolas Maduro a présenté une carte. L’Esequibo, actuellement une partie de la Guyana, y est présentée comme faisant partie du Venezuela. Nicolas Maduro a demandé à ce que cette carte soit présente désormais partout : dans les écoles, les universités, les lieux publics, etc.

Le nouvel Etat (au sens régional, mais avec de nombreuses prérogatives décentralisées), bien que virtuel, est concerné par trois décisions de la plus haute importance. Tout d’abord, il a désormais un responsable militaire, Alexis Rodríguez Cabello. Celui-ci est désormais « l’autorité unique » de l’Etat dénomme « Guayana Esequiba ».

Alexis Rodríguez Cabello est un partisan de la première heure de Hugo Chavez, le fondateur du régime « bolivarien » vénézuelien à partir de 1999. Il a été notamment le responsable militaire de la Región Estratégica de Defensa Integral de la capitale Caracas et celui de la Garde d’honneur de la présidence. C’est un fidèle parmi les fidèles et sa nomination est résolument une affirmation de jusqu’auboutisme.

Alexis Rodríguez Cabello votant au référéndum

Alexis Rodríguez Cabello est également depuis 2020 député de l’Etat du bolivar, à la frontière avec l’Esequibo. Et dans une ville à l’est de cet Etat, juste à côté de l’Esequibo, va être mis en place un « Servicio Administrativo de Identificación, Migración y Extranjería (Saime) » afin de recenser les habitants du nouvel Etat et de leur fournir des cartes d’identité vénézuéliennes. C’est là un prélude à l’annexion assez clair.

La carte officielle avec le nouvel Etat intégré au Venezuela

Enfin, il a été annoncé la mise en place de la « PDVSA Esequibo », section locale de la PVDSA nationale (Petróleos de Venezuela SA). Elle fournira les licences pour l’exploitation du pétrole, du gaz et des mines (d’or et de bauxite). C’est là une ligne d’affrontement direct avec les entreprises, surtout occidentales mais pas seulement, qui ont investi et se sont mis en rapport étroit avec la Guyana.

Il est intéressant de noter également que la superpuissance américaine avait tout récemment supprimé des sanctions à l’égard du Venezuela dans le domaine pétrolier. Etait-ce une tentative américaine pour freiner le Venezuela dans son expansionnisme? En tout cas, deux choses découlent immédiatement de la décision vénézuélienne.

Le Brésil a ainsi envoyé des véhicules blindés, afin de sécuriser sa frontière. Le spectre d’une intervention est là. Comme il y a la jungle partout dans la zone toutefois, la seconde chose est la plus importante. Il est en effet parlé de plus en plus d’une intervention américaine.

Comme l’offensive du Venezuela passerait forcément par les côtes, c’est par un porte-avions que la superpuissance américaine réagirait le plus facilement.

Cette intervention est naturellement souhaitée par le président de la Guyana, Irfaan Ali, qui parle de « menace imminente ». Il a organisé une manifestation le 5 décembre 2023 dans la capitale, dans le stade national. S’il a qualifié de « bouffonnerie » le référendum au Venezuela, il sait que son pays de 800 000 habitants ne fait pas le poids militairement et qu’une épée de Damoclès pèse sur lui.

On est ici dans le schéma classique de la bataille pour le repartage du monde. Le capitalisme en crise provoque, à l’échelle mondiale, les affrontements pour se maintenir et s’étendre. L’onde de choc qui va être ici provoqué sera d’une immense ampleur, de par son arrière-plan qu’est l’affrontement entre les superpuissances américaine et chinoise, les principaux ennemis des peuples du monde.

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Du tapón del Darién à la guerre pour l’Esequibo

Il n’y a pas de route à la frontière entre le Panama et la Colombie, seulement une jungle marécageuse très dense, à cheval entre les deux pays. On appelle la zone le tapón del Darién, le bouchon du Darien.

Or, les Latino-américains veulent quitter leur pays, c’est une tendance générale. Et pour beaucoup, la voie qui mène aux États-Unis ou bien au Canada, passe par le bouchon, qu’ils franchissent à pied, avec leurs baluchons. 130 000 migrants ont donc traversé la jungle en 2021, contre 11 000 pour toute la décennie précédente. Ils ont été 250 000 en 2022 et 500 000 en 2023.

Le parcours, d’une soixantaine de kilomètres, prend si on survit une semaine environ, avec des extrêmes de deux jours et demi et 25 jours, selon les moyens de payer les passeurs. Les mafias contrôlent en effet totalement la zone, et « taxent », vendent à manger ou à boire, volent, violent et tuent comme bon leur semble.

Il y a également désormais même des migrants provenant de Chine, d’Afghanistan, du Bangladesh. Tel est le tiers-monde dont profite l’occident. L’épisode migratoire du tapón del Darién est l’un des chapitres les plus odieux d’un 21e siècle déjà rempli de massacres et d’horreurs.

De ces migrants, un quart sont des mineurs, surtout des enfants ; un peu plus de la moitié sont des Vénézuéliens fuyant leur pays. Car le Venezuela ne se distingue pas des autres pays, en rien ; c’est la même violence endémique, le règne de l’arbitraire, le patriarcat criminel généralisé, l’exploitation par une bourgeoisie repliée sur elle-même et s’accaparant l’administration et l’armée.

Plusieurs millions de Vénézuéliens ont ainsi émigré depuis vingt ans, et c’est en ce sens qu’il faut comprendre le référendum sur l’Esequibo, prétexte à une intense mobilisation nationaliste. Le Venezuela compte bien annexer cette partie de la Guyana, et l’orchestration du référendum a obéi à tous les codes de la démagogie.

Le président du Venezuela Nicolás Maduro, lors du référendum

La région de l’Esequibo est historiquement il est vrai vénézuélienne, cependant l’initiative du Venezuela s’inscrit dans la bataille pour le repartage du monde. L’affrontement sino-américain ouvert, produit de la crise commencée en 2020 qui a débuté par le conflit en Ukraine, commence à s’étaler au monde entier et l’Amérique du Sud n’y coupera pas.

Les résultats du référendum sont sans appel, avec plus de 95% de « oui » pour chacune des cinq questions, qui fournissent au régime toute légitimité pour récupérer la région « par tous les moyens ».

Le nombre de votants est difficile à évaluer ; le régime parle de 10 millions de votants, soit à peu près une participation de 50% dans le pays (qui a 32 millions d’habitants officiellement, sans doute bien moins), l’opposition dit qu’avec cinq questions il n’y a eu en fait 2 millions de votants.

Cela ne change rien au fond, car le régime bureaucratique, pour se maintenir, doit aller au conflit. Un conflit très difficile d’ailleurs, car l’Esequibo, c’est 160 000 km2 de jungle. Une offensive vénézuélienne demanderait de passer par les côtes et de directement affronter l’armée de la Guyana. Un tel acte serait explosif au niveau mondial.

Mais il y a le pétrole, il y a le régime du Venezuela en crise, et il y a la tendance à la guerre qui l’emporte depuis 2020 et l’ouverture de la crise mondiale. Le nationalisme et la guerre s’étendent immanquablement.

Les choses ne peuvent qu’aller relativement vite, c’est une question de semaines ou de mois, sans quoi le régime perdrait ses acquis nationalistes. Et l’ouverture d’une guerre ajouterait un continent au conflit sino-américain mondial, ouvrant encore davantage la boîte de Pandore de la guerre mondiale.

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« El sol de Venezuela nace en el Esequibo »

« Le soleil du Venezuela naît dans l’Essequibo » : comme expliqué ici, le Venezuela se lance dans l’aventure militariste de reconquête de sa région perdu, l’Esequibo. La propagande de l’Etat tourne à fond, profitant d’une vraie question liée au colonialisme britannique et à l’impérialisme américain pour en faire une opération nationaliste d’expansion. C’est dans la joie, la bonne humeur et les rythmes dansants dont ceux du reggaeton que les Vénézuéliens sont hypnotisés dans la marche à la guerre. Le référendum du 3 décembre 2023, dont un test grandeur nature a même été réalisé le 19 novembre 2023, sert de ticket de validation pour justifier le conflit, qui « n’est pas encore armé », comme l’a rappelé le ministre vénézuélien de la défense Vladimir Padrino López.

Hugo Chávez, fondateur du régime « bolivarien » du Venezuela, lié à la Russie et surtout la superpuissance chinoise, n’avait pourtant pas fait de la question de l’Esequibo une question primordiale. Il avait bien souligné l’exigence historique sur cette région, mais tout allait bien tranquillement, car le Venezuela avait d’excellents rapports avec Cuba, et Cuba avec la Guyana. Comme toutefois cette dernière compte désormais profiter des gisements pétroliers découverts dans la zone de l’Esequibo… l’affaire devient autrement sérieuse.

La Guyana entend faire passer sa production à 1,2 million de barils par jour en 2027… Ce qui ferait fait de ce petit pays le troisième plus grand producteur d’Amérique latine derrière le Brésil (actuellement à 3 millions par jours) et le Mexique (1,7 million par jour). Le Venezuela produit en ce moment 750 000 barils par jour. Les principales productions journalières de barils sont les suivantes : Etats-Unis 12,9 et Russie 9,4, Arabie Saoudite 9 et Irak 4,3.

Le Venezuela, pays au capitalisme bureaucratique, est qui plus est en crise interne massive. L’émigration est massive, la violence criminelle endémique. L’opposition a dans ce contexte réussi à tenir une primaire avec 2,4 millions de votants alors que l’élection présidentielle doit se tenir en 2024. D’où la nécessité interne de s’aligner de manière forte sur la bataille pour le repartage du monde, avec n’importe quelle justification.

Le président du Venezuela Nicolás Maduro diffuse ainsi un discours « patriotique » plein d’urgence, comme par exemple le 25 novembre 2023 :

« Je suis très heureux de voir le Venezuela renaître et fleurir dans son union nationale.

Ils ont pris l’avantage de la division du 19e siècle, alors que nous n’avions pas d’Etat, que nous n’avions pas de force militaire.

Ils ont également pris l’avantage lors du 20e siècle.

Mais le 21e siècle est totalement différent, nous sommes unis, nous avons une seule conscience, une puissance militaire, un seul Etat et un seul peuple. »

C’est une démarche expansionniste de sortie du crise qui explique l’opportune redécouverte de la nécessité « patriotique » de récupérer sa région historique… Qui est à l’origine du besoin « pressant » du Venezuela en entier, Venezuela toda !

Naturellement, l’affrontement entre le Venezuela et la Guyana n’est qu’un aspect de la confrontation entre les superpuissances chinoise et américaine. C’est en raison de la logique d’affrontement des superpuissances que les pays du monde, satellisés par la tendance historique, se précipitent eux aussi dans la bataille pour le repartage du monde.

Si la guerre se déclenche – et elle se déclenchera – c’est encore une partie du monde à ajouter dans la liste sinistre des zones acquises au conflit, faisant partie du problème et pas de la solution. La tendance à la guerre mondiale fait tomber les dominos un par un…

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Le Venezuela entend annexer une partie de la Guyana

La crise a ouvert la boîte de Pandore de la guerre pour le repartage du monde ; aucune puissance n’y échappe, même si à l’arrière-plan tout dépend de la confrontation sino-américaine. L’Amérique latine a échappé jusque-là à une explosion véritable, même s’il est vrai qu’elle connaît une implosion un peu partout, depuis la hausse gigantesque des prix en Argentine jusqu’aux massacres par les cartels au Mexique.

L’initiative du Venezuela fait toutefois passer un cap, puisqu’on est dans un processus d’annexion. S’il a historiquement tout à fait un sens, le contexte est bien évidemment celui du repartage du monde. Voici comment y voir clair.

Voici trois drapeaux nationaux. Ce sont les drapeaux respectivement du Venezuela, de la Colombie et de l’Équateur. Comme on le voit, ils sont très proches.

La raison de cette similitude tient au fait qu’au début du 19e siècle, ils relevaient tous de ce qu’on appelle désormais la « Grande Colombie ». A l’époque cela s’appelait la « République de Colombie ».

Son président était Simón Bolívar et son vice-président Francisco de Paula Santander. On peut pratiquement dire qu’en Amérique latine, si vous n’êtes pas marxiste (dans la ligne du Péruvien Mariatégui qui dénonce le féodalisme latinoaméricain allié au capitalisme étranger), vous êtes soit pour les libertés et le progrès, donc d’orientation libérale (à la Santander), soit pour la centralisation et les grands projets populistes et par la force (à la Bolivar).

Le territoire de la République de Colombie était vaste ; il concernait non seulement donc la Colombie, l’Équateur et le Venezuela, mais également le Panama (qui fut une invention des États-Unis pour contrôler le canal du même nom), une partie du Pérou, une partie du Brésil, et la partie ouest de la Guyana.

La Guyana est un pays anglophone lié au Royaume-Uni ; c’était la « Guyane britannique », à sa droite on trouve le Surinam et à droite du Surinam la Guyane française.

La Guyane britannique avait conquis son territoire oriental sur le Venezuela en 1899. Depuis, le Venezuela exige de le récupérer ; c’est la partie verte sur la carte suivante ; une partie de la Guyana est également exigé par le Surinam, c’est la partie hachurée sur la carte.

Autant dire que la partie réclamée par le Venezuela, dénommée Esequibo, est énorme ; avec 159 500 km2, elle représente les 7 dixièmes de la Guyana.

Le Venezuela a d’ailleurs officialisé en 2015 la mise en place d’un État numéro 25, appelé Esequibo, et en décembre 2023 il y aura un référendum à ce sujet. Le président du Venzuela chauffe le pays à blanc, expliquant que tant les partisans de Chavez (l’ancien président populiste) que ses opposants doivent être unis pour la reconquête.

Le référendum, qui n’est que consultatif, est en fait une opération de guerre psychologique pour mobiliser en faveur de la guerre. Si effectivement, la région relève bien du Venezuela, la démarche rentre totalement dans la bataille pour le repartage du monde.

Il n’existe pas de cause « juste » sans indépendance par rapport à la bataille pour le repartage du monde, et là on est plein dedans avec un Venezuela lié à la Russie et la Chine.

Les questions du référendum seront les suivantes :

1) Acceptez-vous de rejeter par tous les moyens, conformément à la loi, la ligne frauduleusement imposée par la sentence arbitrale de Paris de 1899, qui vise à nous priver de notre Guyane Essequibo ?

2) Soutenez-vous l’Accord de Genève de 1966 comme seul instrument juridique valable pour parvenir à une solution pratique et satisfaisante pour le Venezuela et la Guyane concernant la controverse sur le territoire d’Essequibo ?

3) Êtes-vous d’accord avec la position historique du Venezuela de ne pas reconnaître la compétence de la Cour Internationale de Justice pour résoudre la controverse territoriale quant à l’Essequibo ?

4) Acceptez-vous de vous opposer, par tous les moyens légaux, à la prétention de la Guyane de disposer unilatéralement d’une mer aux frontières en cours de délimitation, illégalement et en violation du droit international ?

5) Êtes-vous d’accord avec la création de l’État d’Essequibo et le développement d’un plan accéléré de prise en charge globale de la population actuelle et future de ce territoire qui comprend, entre autres, l’octroi de la citoyenneté et d’une carte d’identité vénézuélienne, conformément à l’Accord de Genève et le droit international, incorporant par conséquent ledit État sur la carte du territoire vénézuélien ?

Ces questions ne disent pas qu’il faut mener la guerre, mais tout ce qui y est dit l’implique. C’est un pas de plus dans le conflit généralisé pour le repartage du monde.