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Culture & esthétique

Des halles socialistes plutôt que des zones commerciales

Avec l’essor de la commande en ligne et des livraisons à domicile (ou points relais), le capitalisme s’enfonce tout en essayant de résoudre ses propres contradictions. La décadence d’un mode de production est justement complet quand même les solutions aux problèmes sont de nouveaux problèmes.

Depuis les années 1950, la société marchande a connu un véritable bond en avant, développant une multitudes de possibilités de consommation. D’un côté cela veut dire que l’abondance des biens est un progrès immense qui permet de vivre confortablement, si l’on vit dans un pays développé. D’un autre côté, cela signifie que la tendance au monopole et la mise en concurrence produisent un éparpillement. En pratique, pour trouver ce que l’on cherche il faut se rendre dans plusieurs enseignes au lieu d’une seule et souvent cela veut dire faire des kilomètres, perdre du temps et ne plus s’y retrouver.

Cela est particulièrement palpable au moment des fêtes dans la mesure où l’on veut mettre la barre haute, que ce soit en faisant des cadeaux ou préparant des repas conviviaux, mais c’est surtout une réalité qui pèse toute l’année pour ses courses au quotidien.

Galeries Lafayette, boulevard Haussman, Paris (1894, coupole 1912)

Dans un magasin A on trouve de la nourriture pour animaux correcte, dans un magasin B comment s’alimenter sainement de manière vegan, dans un magasin C le meilleur rapport qualité prix pour des produits de base, dans un magasin D l’ambiance sera moins oppressante que le magasin C mais on ne trouvera que peu de choses, ainsi de suite. C’est un vrai casse-tête du quotidien qui se multiplie dans tous les domaines de consommation.

Il ne faut pas négliger cet aspect dans la tendance à l’augmentation des achats en ligne, du recours au « drive » ou à la livraison de ses courses à domicile : il y a une tentative de résolution de ce chaos à l’échelle individuelle. Et comme cela touche l’organisation du quotidien, ce sont principalement les femmes qui ont recours à ces services.

Certes beaucoup apprécieront de faire les boutiques, mais au quotidien naviguer de zones commerciales en supermarchés en zones piétonnes, de tours de ronds-points en embouteillages et recherche d’une place de parking, c’est tout bonnement intenable.

Dans ce cadre, il faut maintenir un certain rythme, un certain standing et avec le développement anarchique des enseignes et des produits visant simplement à satisfaire des niches, rien n’est uniformisé, homogénéisé, centralisé, simplifié et surtout rendu plus agréable. Le temps libre se transforme en un long cauchemar quand il faut se confronter à ces espaces labyrinthiques d’une grande laideur. À ce titre on voit bien l’évolution esthétique de la bourgeoisie rien qu’en comparant un centre commercial d’après les années 1970 avec une galerie marchande de la fin du XIXe siècle. Entre vecteur de beauté et décadence capitaliste.

Grand Magasin à dimension populaire, Paris (1856)

Les centre commerciaux ont été imaginés chacun comme une flânerie à l’abri des intempéries, mais dès qu’une agglomération dépasse quelques milliers d’habitants ce sont plusieurs centres commerciaux, voire zones commerciales qui se font concurrence, et alors cela se transforme en course contre la montre quotidienne. À moins d’être chanceux, il faut choisir entre rationaliser ses lieux de consommation avec ses trajets domicile travail ou faire de choix plus culturels ou sain au prix de beaucoup de temps et d’argent.

En soi cela ne pose aucun problème pour le capitalisme que le temps libre du travailleur soit dédié à ce genre de course à la consommation. Mais le besoin de sérénité et surtout de rationalité trouve toujours un chemin !

Celui-ci pourrait être celui de remettre en question une vie quotidienne dictée par les lois du profit et sa laideur. Mais en l’absence de perspectives la remise en question est remplacée par un repli sur soi et une participation à l’extension de la consommation capitaliste à la sphère privée.

Avec le développement des plateformes d’achats en ligne, de la livraison et des « drive », le capitalisme exploite ses propres failles en compensant l’absence de l’objet convoité par un « parcours client » virtuel amenant à la compulsivité.

Passage Pommeraye, Nantes (1843)

Là où en allant en ligne on pensait gagner en tranquillité tout en supprimant la tentation des packaging et de la mise en rayon en faisant son panier en ligne, les publicités ciblées se chargent de rappeler qu’on ne s’est mis à l’écart de rien du tout, que la capitalisme se glisse dans la moindre pensée de manière perfide.

La seule échappatoire est politique et sur ce sujet là, il n’est pas compliqué d’avoir un minimum d’utopie car on peut faire beaucoup mieux. Alors, que serait un lieu de distribution de la marchandise tout à fait socialiste ?

Tout d’abord, le socialisme permet d’unifier les différents monopoles et ainsi de supprimer l’éparpillement des produits tout en réduisant le volume de l’inutile grâce à la planification. Il est donc possible de rendre la distribution des produits plus claire. Surtout cela permet de satisfaire la qualité des produits dans l’abondance générale. Car à y regarder de près, le capitalisme prétend à l’abondance en ne parvenant pas à répondre à la qualité, sauf à appartenir aux classes les plus riches de la société.

La « publicité » doit être limitée à promouvoir des bonnes habitudes de salubrité et à présenter les nouveaux produits élaborés dans ce sens. Cela diminue le stress psychique au quotidien et au moment des courses. Ainsi, les dépenses compulsives en raison de prétendues promotions sont éliminées.

Passage Balthus, Autun (1848)

Le moment des courses est replacé au centre de la vie quotidienne et doit pouvoir s’effectuer à moins de dix minutes de chez soi, sans prendre la voiture puisque les voitures sont bannies du quotidien du plus grand nombre.

La fin des voitures étant nécessaire pour réduire l’étalement urbain, il est évident que les zones commerciales seront repensées soit pour ramener la nature dans et aux abords des villes, soit pour créer de nouveaux centres-villes là où les grandes villes et zones commerciales avaient absorbés l’activité des bourgs secondaires. Dans le cas de cette seconde option, les nouveaux magasins socialistes sont une structure centrale pour reconstruire la vie collective dans les déserts urbains capitalistes.

On trouve une halle dans chaque quartier dans les grandes villes, celles-ci sont adaptées au nombre d’habitants par leurs dimensions et la quantité de produits, mais le choix est aussi large dans les bourgs modeste que les grandes villes. Les halles participent à l’attractivité et ainsi au rééquilibrage démographique entre ville et campagne.

La forme du lieu où faire ses courses pourrait être empruntée aux halles ou galeries marchandes puisque cela permet d’éviter les « parcours clients » des hypermarchés de la société actuelle au milieux de rayons de marchandises dont l’achat n’est pas prévu. Les galeries sont un ensemble de boutiques thématiques approvisionnées essentiellement de la marque issue des monopoles précédemment socialisés.

Ainsi, on a d’une part l’alimentaire sec, de l’autre les fruits et légumes, ou encore la parapharmacie, les produits d’entretien, etc. La qualité est mise en avant car mise à disposition du peuple tout entier, que cela concerne l’alimentation, l’habillement, l’ameublement, etc.

Les galeries sont couvertes et il est possible de ramener les chariots jusque chez soi, jusqu’aux prochaines courses. Pour les personnes âgées et le parent faisant les courses en présence d’enfants en bas âge, les halles emploient des personnes affectées à l’aide aux course et à la restauration du lien social.

Coupole en vitrail dans le magasin Printemps (Paris) reconstruit en style néo-classique en 1883

Le beau redevient un critère essentiel aux nouvelles constructions, y compris pour les halles. Leur architecture se réfère au classicisme et les ornements empruntent à différents courants figuratifs du classicisme à l’art nouveau.

Les halles socialistes sont réellement des lieux de flâneries où l’on se croise aussi bien à faire ses courses qu’à admirer les bas reliefs, tableaux, vitraux et statues représentant la Nature, les animaux ou des moments clefs de l’Histoire de l’humanité. Ce lieu, comme le reste des villes et communes populaires sont décorés avec goût pour fêter les solstices et les dates clefs de l’Histoire mondiale du mouvement ouvrier.

En somme une halle socialiste se doit d’être un carrefour entre le musée, l’architecture et la satisfaction des besoins humains. La halle a comme aspect principal de mettre en exergue le contrôle par le peuple des forces productives permettant de satisfaire les besoins. Contrairement aux grands magasins bourgeois, les halles socialistes ne font pas dans la démesure, l’objectif est de faire du beau simplement, et néanmoins répandu sur tout le territoire.

Retrouver des lieux de consommation agréables ne pourra se faire qu’avec le socialisme puisque les modalités d’accumulation du capital poussent à réduire le bâtis au fonctionnel et poussent ceux-ci en dehors des villes. Cette incapacité à faire du beau, de la qualité et de l’écologique est d’ailleurs une des choses qui va pousser inéluctablement l’Humanité dans l’ère du Socialisme.

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Planète et animaux

La stérilisation des chats ou des pigeons

La question de la stérilisation de chats, et d’autres animaux, fait parfois face à un rejet de la part de certaines personnes. La forme peut varier ,mais le fond du problème reste le même : la stérilisation ne serait pas naturelle et il faudrait laisser faire. Que ce soit une réflexion en passant d’un collègue ou d’un proche ou un rejet plus massif, cette mentalité a des conséquences très concrètes pour les animaux.

Les chattes enchaînent les portées, sont de plus en plus faibles, les maladies se répandent plus vite en raison de la promiscuité et du manque de nourriture, nombre de chatons viennent au monde en très mauvais état, etc.

Les pigeons se reproduisent et luttent toujours plus pour trouver de quoi manger. Les familles nichent là où elles peuvent, les petits tombent des nids les uns après les autres et font face à des prédateurs, etc.

Et ceci peut s’étend directement et indirectement à toutes les espèces que l’humanité côtoie.

Face à la situation catastrophique des chats en France, la question de la stérilisation n’en est plus une. Ce n’est pas un débat concernant notre rapport au chat mais une réponse urgente à une situation urgente. Il faut des campagnes massives de stérilisation pour beaucoup d’animaux, ainsi qu’une stérilisation systématique pour beaucoup d’animaux de compagnie.

La nature quand cela les arrange

Ce que refusent de voir les gens qui refusent la stérilisation est que ces chats, ces pigeons, etc. sont d’une certaine manière dénaturés, arrachés de force à leur réalité. D’un côté les chats restent des chats, les pigeons des pigeons, etc. ; ils vivent une vie naturelle et évoluent avec l’humanité et l’influencent en retour. De l’autre, ils se font broyer par une humanité qui s’imagine sortie de la Nature et en guerre contre elle (donc une humanité en guerre contre elle-même, ou encore une Nature en guerre contre elle-même).

Lorsqu’une chatte enchaîne les portées avec des petits en très mauvais état, elle est en quelque sorte arrachée de sa condition naturelle par une humanité folle qui n’a pas encore pris conscience d’elle-même.

D’une certaine manière, ces personne ne voient la Nature que lorsque cela les arrange.

Lorsqu’il s’agit d’abandonner des chats au milieu des voitures, les laisser errer dans le chaos urbain personne ne se soucie de la Nature. Mais dès qu’une personne cherche à venir en aide à une colonie de chats… levée de boucliers, il ne faut pas intervenir, ce ne serait pas naturel.

Les personnes qui refusent la stérilisation au nom de la Nature ne voient qu’un aspect, la dimension naturelle des animaux qui nous entourent, dans le meilleur des cas. Mais ils refusent de voir des êtres vivants détruits par une humanité barbare : cela reviendrait à reconnaître que nous sommes nous-mêmes pris dans une logique anti-naturelle qui atomise tout, broie les sensibilités et les sens. C’est de l’indifférence, du cynisme.

Elles refusent de voir une partie d’elles-même lorsqu’elles font face à un animal. Les êtres humains ne sont pas des individus vivant à l’extérieur de la Nature, ils n’en sont qu’un aspect. Il n’y pas une humanité faisant face à une nature ayant besoin de régulateurs mais un vaste ensemble d’une richesse infinie, la Nature.

Laisser des animaux dépérir dans l’horreur du béton et des villes, c’est s’atrophier, c’est se couper de sa compassion et de son lien à l’ensemble de la vie sur notre Terre.

Ce qui se comprend. La moindre initiative en faveur des animaux est une attaque en règle contre l’apathie ambiante, contre l’individualisme barbare et contre la décadence d’une société toujours plus près du gouffre. Alors beaucoup préfèrent ignorer les souffrances, ou préfèrent regarder ailleurs en inventant une Nature fantasmée et anti-naturelle où règnent les valeurs dominantes.

Aimer les animaux

Il faut être réaliste : il sera très difficile de convaincre la plupart de ces personnes. Surtout celles qui y ajoutent une dimension religieuse à leur discours. Cette question soulève des problèmes bien trop vastes pour être réglée par de simples discussions. Il y a une longue bataille culturelle à mener.

En attendant d’arriver à renverser la tendance, des animaux en détresse demandent de l’aide partout, chaque jour.

A sa propre échelle, il est alors crucial de se tourner vers les animaux, vers leurs vies concrètes, en fonction de son temps, de sa sensibilité et de ses connaissances.

Il y a toujours plein de moyens d’aider, même si cela donne l’impression de vider l’océan à l’aide d’une cuillère. Mais pour chaque animal secouru cela sera un changement très concret.

Pour ce qui est des chats, des associations partout en France identifient des chats errants, les attrapent, les stérilisent et leur trouvent un foyer. Toute aide directe ou indirecte changera la vie de ces chats.

En ce qui concerne les pigeons et les animaux sauvages en général, avoir le réflexe de mettre à l’abri un animal jeune ou blessé avant de le transporter jusqu’à un centre de soins peut lui sauver la vie. Il est important de se renseigner sur les gestes à adopter en fonction des animaux afin de ne pas priver un petit chevreuil, par exemple, de sa mère.

Et bien sûr, n’hésitez pas à contacter le centre de soin le plus proche de chez vous afin de donner un peu de votre temps pour aider des animaux. Il y a toujours besoin de conducteurs, de bricoleurs, des personnes pour nettoyer des cages, des locaux et bien sûr du monde pour nourrir des petits et des adultes blessés ou malades.

Les moyens d’aider ne manquent pas. Il s’agit de s’effacer et de faire ce qui doit être fait. Les grands discours ne nourrissent pas des pigeonneaux, les postures derrière un clavier ne permettent pas d’attraper une chatte errante et ses petits.

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Vie quotidienne

La place du skateboard dans la ville

Le skateboard est né au cœur de l’urbanité. On peut se dire que le skateboard suit, finalement, la bétonisation de la ville. C’est vrai et cela constitue forcément un problème si l’on se place du point de vue écologique.

Mais en rester là serait formel car en réalité le skateboard ne suit pas tellement l’extension urbanistique de la ville à travers l’agglomération périurbaine, mais plutôt son renouvellement incessant.

Si l’on prend une zone périurbaine résidentielle, l’architecture y est finalement très pauvre et routinière. Il n’y a que peu de place pour des formes urbaines originales, ouvrant la voix à une exploration dense par le skateboard.

Rassemblement de skateurs au « LOVE park », une place de Philadelphie (États-Unis) détruite en 2016 pour stopper la pratique.

Mais voilà, une place urbaine, un escalier d’immeuble, une succession de trottoirs ou de bancs, etc., sont partagés avec d’autres usagers. Des usagers de toutes sortes, donnant lieu à des conflits et des nuisances tels le bruit et la dégradation du mobilier urbain.

Les mairies ont cru trouver une solution clef en main avec la multiplication des skateparks dans le but de pouvoir limiter la pratique dans la ville elle-même. A cela s’ajoute parfois des éléments anti-skate posés sur les mobiliers urbains, à l’instar des installations anti-SDF.

Le problème c’est qu’un skatepark reste un endroit limité par nature et bien qu’on puisse sans cesse renouveler son approche, il n’en reste pas moins vrai que les espaces sont les mêmes, avec les mêmes formes, les mêmes prises d’élan, etc., etc. Fondamentalement, un skatepark vise plutôt la performance et l’entraînement et c’est pourquoi en parallèle à l’inflation de ces structures, toujours plus élaborées ces dernières années, se sont montés en parallèle des clubs de skate dispensant un « enseignement ».

Mais la pratique du skateboard n’est pas un sport : plus qu’une discipline d’effort physique, il exige un déploiement de sa subjectivité à travers les formes sans cesse mouvantes de l’urbanité. Ce n’est pas pour rien qu’il y a une règle informelle, le ABD pour « Already Been Done » (déjà fait), qui veut qu’il ne faille pas réaliser un tricks (une figure) déjà réalisée sur un spot. Ou bien que s’est développé ces dernières années la mode de relever des grilles et/ou les plaques d’égout pour sauter un obstacle ou atteindre une surface, normalement inatteignable.

Une place urbaine va changer au fil des années et skater un park cloisonné et placé entre un gymnase et un terrain de football ne remplacera jamais le plaisir d’évoluer sur une place urbaine avec ses aléas, sa vie, ses contacts sociaux fluctuants… Une place s’est aussi un point central pour partir ensuite dans la ville, à la différence du skatepark qui en est le plus souvent éloigné.

Un skateur est donc une sorte d’artiste qui sculpte la ville et c’est pourquoi la scène est si connectée au monde des arts, pour le meilleur et pour le pire. Le skate, c’est l’art de combiner à la fois l’exploration et l’exploitation des possibilités de la ville.

La team « GX1000 » à San Francisco (États-Unis) est parvenue a marquer son empreinte par le fait qu’elle skate les nombreuses descentes très abruptes de la ville (down hill dans le jargon skate) d’une manière ultra-engagée, à la limite du suicide (Pablo Ramirez, un des membres du team, est décédé le 23 avril 2019 à la suite d’une percussion à grande vitesse avec un bus).

C’est à la fois le bon et le mauvais exemple : le bon car il traduit l’appropriation de la ville, le mauvais car il montre le côté anti-social du skate avec des comportements pleins de danger pour soi et pour autrui.

Les choses sont donc entendues : le skateboard est une démarche semi-artistique qui prend corps dans la ville mais se heurte à d’autres usages tout aussi légitimes.

Or voilà, étant donné que le skateboard est finalement quelque chose de récent dans sa forme moderne, il ya un tâtonnement pour résoudre ces questionnements.

Faut-il accepter de se transformer en un sport avec ses règles et son encadrement pour mieux négocier sa place au soleil ou maintenir la fidélité avec l’art urbain au risque de se heurter aux politiques de la ville et à sa police ?

Landhaus plaza à Innsbruck (Autriche). Une place urbaine qui a été refaçonnée en 2011 en acceptant le skateboard, après une interdiction en 1991-1992.

Dès qu’on pose cette question, il émerge deux options bien connues de la contre-culture : il y a ceux qui optent pour l’intégration aux institutions et voient donc la démarche vidée de son contenu, et les autres qui gardent la substance alternative mais se retrouvent marginalisés.

Ces deux options sont deux écueils qui pêchent par leur unilatéralisme. Car la clef, ce n’est pas « contre-culture » versus « institution » mais la mobilisation des pratiquants sur une base démocratique. De ce point de vue, si un débat et une mobilisation démocratique avait lieu, l’intégration du skateboard aux Jeux olympiques serait apparue pour ce qu’elle est : une simple tentative de relancer par en haut une institution qui n’attire plus les spectateurs.

Ce qui est intéressant, toujours, c’est la mobilisation des esprits à la base. Il existe depuis plusieurs années une démarche qui vise à se mobiliser pour peser auprès des mairies dans le but de sauver des places destinées à être détruites.

En 2016, à l’annonce de la destruction du « LOVE Park », une place très réputée à Philadelphie (États-Unis), les skateurs se sont rassemblés pour témoigner de leur attachement à un lieu, par ailleurs marqué par des conflits. La police municipale y menait régulièrement des raids anti-skateurs sur la base d’arrêtés d’interdiction, assimilant les skateurs aux dealers qui squattaient le même endroit.

Il y a également la très mythique « Stalin Square », son marbre et son point de vue à couper le souffle, à Prague (République Tchèque) qui a été sauvée de la destruction par ce type de mobilisation.

En France aussi, à Lyon, les skateurs se sont mobilisés pour sauver en 2016-2017 la place Louis Pradel (renommée en Hôtel de ville ou plus simplement « HDV ») qui était menacée de destruction alors qu’elle fait partie d’un des endroits les plus populaires pour le skateboard mondial.

Parmi l’architecture, il a été conservé les bancs en pierre qui bordent la place et dont la pierre offre un matériau tout particulier pour le skate, ainsi que les dalles de la place eux-mêmes en carreaux de pierre lisse.

Ici une vidéo tournée juste avant que la place soit rénovée, par la marque de skate Venture qui avait spécialement sorti un tee-shirt ainsi que des trucks avec la statue de Louise Labé et Maurice Scève, deux célèbres poètes français du 16e siècle, qui trône au milieu de la place et en est devenue l’emblème du fait de sa forme pyramidale :

L’enjeu c’est donc bien de générer une mobilisation à la base des skateurs dans le but de mieux faire cohabiter le skate avec les autres usages et usagers de la ville.

Il a d’ailleurs été suffisamment démontré que la présence de skateurs sur une place régulièrement minée par des incivilités contribue en fait à en réduire l’impact du fait de la présence prolongée faisant office de médiation.

Le skateur et co-fondateur de la marque Magenta skateboard Léo Valls, a impulsé une nouvelle approche dans le rapport aux mairies. A Bordeaux où il est installé, le skateboard s’est fait une place dans la ville en négociant tout à la fois l’installation de modules urbains adaptés à la pratique dans tel ou tel endroit et l’encadrement de la pratique sur les places par le biais d’horaires légales. Cet encadrement, respecté, devrait être généralisé à toutes les villes, avec une sorte de passeport interne délivré à chaque pratiquant pour évoluer en connaissance de cause.

On peut apprécier toute la démarche dans ce documentaire :

Mais voilà, si la mobilisation à la base est une clef pour entretenir un rapport avec la ville, il n’en reste pas moins vrai que les villes sont le plus souvent dirigées par une conception marchande de l’espace public, limitant aussi les autres usagers à des circuits de consommation et vis-à-vis desquels le skateboard peut apparaître comme un obstacle.

Le rapport du skateboard à la ville exige donc tout à la fois la prise en main de la scène skate pour assumer l’encadrement par rapport à la collectivité et une révolution des esprits pour liquider la perpétuelle tentation des villes à aseptiser ses rues dans l’objectif de satisfaire la société de consommation.