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Décès de l’historien Zeev Sternhell

Zeev Sternhell (1935-2020) a été un historien assez connu en France, à défaut d’être reconnu. La raison est que cet Israélien a considéré que le Fascisme en tant qu’idéologie puise dans la « droite révolutionnaire » française du XIXe siècle. Les historiens français considèrent au contraire que la France est historiquement imperméable au Fascisme.

Jeune Juif polonais fuyant les persécutions nazies, Zeev Sternhell passa plusieurs années en France avant de rejoindre Israël en 1951. Cela explique son tropisme français et ses œuvres ayant provoqué une vive polémique dans les milieux intellectuels français : Maurice Barrès et le nationalisme français ; La Droite révolutionnaire, 1885-1914 : les origines françaises du fascisme ; Ni droite ni gauche : l’idéologie fasciste en France.

La problématique est la même que chez Bernard-Henri Lévy avec L’Idéologie française. Tant Lévy que Sternhell, tous deux Juifs, disent que l’idéologie du régime de Vichy ne tombe pas du ciel mais qu’il existe bien une tradition fasciste spécifiquement française, d’orientation spiritualiste et vitaliste, consistant en une Droite à prétention conservatrice « révolutionnaire ».

Tous deux se sont fait écharpés par le milieu universitaire français : on ne touche pas si aisément à Barrès, Péguy, Bergson, ces monstres sacrés, ces idoles du fond français régionaliste, paysagiste, décentralisateur, tourné vers le spirituel, célébrant le culte des ancêtres, adepte du terroir.

On avait ici le fond d’une véritable critique des mentalités, une chose que la Gauche de notre pays n’a jamais fait, au contraire notamment de la Gauche allemande, italienne, autrichienne, russe… qui a souvent voire toujours porté son attention sur les mœurs, les comportements, les attitudes, etc.

Tant Bernard-Henri Lévy que Zeev Sternhell reprenaient d’ailleurs, en fin de compte, la critique marxiste d’une France de gauche pétrifiée dans le syndicalisme et farouchement anti-intellectuelle, au point de converger avec l’extrême-Droite.

Ils l’ont cependant abandonné. Bernard-Henri Lévy, d’une famille richissime, a choisi d’abandonner toute prétention intellectuelle pour jouer au « nouveau philosophe » à travers des Essais et vivre une vie dans l’opulence. Zeev Sternhell a lui mené une carrière dans la Gauche israélienne, notamment avec Shalom Archav (La Paix Maintenant), cherchant à faire revivre un sionisme de gauche bien spécifique aux années 1930-1960.

C’est que Zeev Sternhell, comme Bernard-Henri Lévy, était un intellectuel pour qui l’histoire, c’était l’histoire des idées. Tous deux pensaient que si une idéologie était démolie dans un ouvrage, alors elle le serait concrètement sur le terrain matériel. Il s’agit concrètement d’hégéliens de gauche cherchant à faire avancer l’histoire au moyen d’une dynamique des idées.

Chez Zeev Sternhell, les idées ont leur propre vie : elles avancent toutes seules, elles reculent toutes seules, et elles envoûtent les gens – ou pas.

Ce qui est assez flagrant, par exemple, est qu’on lit toujours au sujet de Zeev Sternhell qu’il aurait le premier dit qu’il aurait existé un Fascisme français. Or, la Gauche historique l’a dit bien avant lui et il y a même eu… le Front populaire. Mais ni les partisans ni les détracteurs de Zeev Sternhell n’abordent cette question, ni même Zeev Sternhell. On est dans le monde des idées, dans un idéalisme universitaire tout à fait traditionnel, entièrement extérieur au mouvement ouvrier. Le Fascisme comme réalité concrète, Zeev Sternhell ne l’aborde pas.

Il aura d’ailleurs fallu attendre 2019 pour qu’il aborde les Croix de Feu, et encore sous sa direction seulement. C’est là trois années après un un dossier maoïste à ce sujet, qu’il a forcément vu, ce qui le place à la remorque dans l’analyse. Il rate pareillement totalement des figures comme Bernanos ou Drieu La Rochelle, ce qui est pour le coup ridicule quand on se propose de parler du Fascisme en France.

C’est que là est le problème de fond : une analyse de l’extérieur permet un regard critique plus incisif, ce qui aide beaucoup. L’ensemble des dirigeants de l’extrême-Gauche en 1968 était d’origine juive, à peu de choses près. Cependant, si ce n’est pas aligné sur un mouvement historique réel, on passe dans des idées qui deviennent des abstractions. Cela donne alors un Daniel Cohn-Bendit beauf et conformiste, à l’opposé du contestataire de mai 1968.

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L’histoire refoulée – La Rocque, les Croix de feu et le fascisme français, sous la direction de Zeev Sternhell

C’est un ouvrage collectif important qui vient de sortir. Intitulé : L’histoire refoulée – La Rocque, les Croix de feu et le fascisme français, il présente le parcours de François de La Rocque, qui a été à la tête d’un littéralement gigantesque mouvement d’extrême-droite lors de l’entre-deux guerres. Le paradoxe est que malgré l’importance de cela – le quotidien Le Figaro a appartenu à un moment à ce mouvement – il y a très peu de connaissances à ce sujet.

On ne s’étonnera pas que derrière cet ouvrage on retrouve l’historien israélien Zeev Sternhell, auteur de grands classiques sur la  « droite révolutionnaire » en France, présentant notre pays comme un grand laboratoire d’idées mêlant nationalisme et un « socialisme » anti-marxiste. Cette thèse a historiquement mis en rage les historiens français, qui ont toujours nié le fascisme français, présentant notre pays comme « immunisé ».

On va donc en savoir enfin plus sur les Croix de Feu, même si les communistes orthodoxes de lesmaterialistes.com avaient déjà publié un très long dossier sur les Croix de Feu et le Parti Social Français, reprenant les thèses du Parti Communistes français alors. Ce dernier remarquait en effet qu’au-delà de l’apparence « populiste », comme on le dirait aujourd’hui, le mouvement de La Rocque accumulait des armes et organisait de véritables structures militaires, avec même une aviation !

Il est évident que du côté communiste, les Croix de Feu apparaissaient comme une sorte d’anti-mouvement, c’est-à-dire comme les fascistes italiens et les nazis allemands, un mouvement visant directement à concurrencer l’affirmation révolutionnaire communiste.

Telle n’est pas la mise en perspective de Zeev Sternhell, qui est lui d’esprit social-démocrate et voit la « droite révolutionnaire » comme un mouvement d’idées dont la base serait les « anti-Lumières ».

C’est là le prolongement de son ouvrage Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, déjà en 1983 ; Zeev Sternhell se considère comme le grand protecteur des Lumières sur le plan des idées, affirmant que les historiens français ont toujours masqué l’existence d’un fascisme français en quelque sorte « bien de chez nous », dont la base est justement le rejet des Lumières. La préface de l’ouvrage souligne d’ailleurs avec insistance le fait que le philosophe Alain, très connu puisque encore largement présent dans les sujets du bac philosophie, exprimait dans son journal récemment publié un antisémitisme exterminationniste.

De manière intéressante, il est présenté comme « l’idéologue organique du parti radical et, de fait par extension, l’idéologue quasi-officiel de la troisième république » ; on reconnaît ici le concept d’intellectuel organique du communiste Antonio Gramsci, avec en arrière-plan le principe de la bataille des idées pour l’hégémonie culturelle.

Cet ouvrage est donc extrêmement intéressant ; il présente un phénomène historique très important dans l’histoire de France, il permet de renforcer la culture antifasciste, et on peut même y voir une opposition intellectuellement productive entre la vision social-démocrate (ou socialiste) de Zeev Sternhell et la lecture communiste orthodoxe. La Rocque était-il la principale figure d’un mouvement de masses sur la base d’idées anti-Lumières, comme le pense Zeev Sternhell, ou bien l’expression du fascisme comme massification dans une perspective anti-Socialisme, comme l’affirme le dossier des Matérialistes mentionné plus haut ?

Cela ne peut être un débat qui ne fait que commencer et qui doit par ailleurs se multiplier ; il appartient à la Gauche de mettre en place une véritable réflexion quant à la nature du fascisme, la réalité de sa menace, le sens de ses activités. Personne de sérieusement à Gauche ne peut penser que le Fascisme n’a été qu’un accident historique, une simple anomalie de parcours dans l’établissement d’une sorte de société capitaliste libérale-sociale stable au point de devenir éternel. Parler du Fascisme, c’est malheureusement parler de son actualité.

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Ces gens de gauche qui passent à droite selon Sternhell

Si on se rappelle des travaux de l’historien Zeev Sternhell, on a froid dans le dos sur ces gens de gauche qui, par perte des valeurs de tout un mouvement historique, basculent dans des idées troubles, populistes, nationalistes.

Sternhell dresse un panorama historique montrant que le fascisme est né en tant qu’idéologie portée par les éléments décomposés de la gauche qui, incapables de trouver un chemin de gauche qui convainc et mobilise, cherche ailleurs un chemin qui persuade et agite.

Il l’a fait dans plusieurs ouvrages, dont Ni droite ni gauche L’idéologie fasciste en France, qui lui a valu une haine générale des historiens français, qui ont tous une ligne très simple au sujet du fascisme français « Circulez, il n’y a rien à voir ».

Voici un passage représentatif de ce que dit Sternhell, dans La droite révolutionnaire (Les origines françaises du fascisme, 1885-1914).

« C’est aussi en France que l’on constate dans toute son ampleur ce phénomène-clef du fascisme : le passage de gauche à droite d’éléments socialement avancés, mais violemment opposés à l’ordre libéral.

Car le fascisme est allé puiser tant dans la gauche que dans la droite et, parfois, dans certains pays, beaucoup plus dans la gauche que dans la droite.

Il ne s’agit point ici d’un phénomène spécifique à la France : le comportement du ministre travailliste Oswald Mosley, la pléiade de syndicalistes italiens autour de Mussolini ou l’accueil réservé au nazisme par Henri de Man recoupent les réactions des militants du Parti populaire français ou du Rassemblement national populaire.

Cependant, depuis les radicaux d’extrême gauche, au temps du boulangisme, jusqu’à Déat et Doriot et les milliers de militants socialistes et communistes qui gravitent autour d’eux, en passant par Sorel, Lagardelle et Hervé, nul autre pays que la France n’enregistre de revirements aussi nombreux et aussi spectaculaires. Nul autre parti ne perd en faveur d’un parti fasciste un tel nombre de membres de son bureau politique que le PCF (…).

Un fascisme qui est une révolte contre les bassesses de la vie bourgeoise, contre ses valeurs et son régime, et un fascisme qui découle en droite ligne d’une crise du socialisme, provenant elle-même de l’impuissance du marxisme à répondre au défi que présente la crise du capitalisme.

La littérature fasciste de l’entre-deux guerres – Drieu, Brasillach, Rebatet ou Céline – n’a que fort peu de choses à ajouter aux thèmes développés par Barrès, Le Bon, Drumont, Berth ou Sorel. Mis à part le motif ancien combattant et les références à Rome ou à Berlin, on croirait avoir sous les yeux une version modernisée du Testament d’un antisémite ou des Cahiers du Cercle Proudhon. »