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Société

Le développement du ski alpin en France

Le ski alpin est traditionnellement un sport pratiqué par la bourgeoisie intellectuelle des grandes villes, notamment celle des professions libérales médicales (médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, etc.). Ce sont ces personnes, souvent jeunes, françaises ou anglaises, qui l’ont introduit au début du XXe siècle.

C’était un prolongement de l’activité des clubs alpins (qui ont inventé l’alpinisme), au moment de l’avènement du tourisme et du sport.

L’attrait pour la montagne exprimait le besoin de se tourner vers la nature alors que les villes étaient déjà saturées et les campagnes largement façonnées par l’agriculture et considérées comme seulement arriérées culturellement. Le Club Alpin français a par la suite largement contribué à la création de parcs nationaux sur les grands massifs de montagne, les plus connus étant ceux de la Vanoise (créé en 1963) et des Écrins (crée en 1973).

Encore aujourd’hui, les massifs montagneux sont très peu façonnés par l’humanité. La neige, la végétation, la hauteur des sommets et la rudesse des pentes, la vivacité des cours d’eau, fascinaient et fascinent largement.

La question de l’eau est d’ailleurs primordiale. Le tourisme est d’abord parvenu dans les massifs montagneux via les stations thermales (avec une fascination parfois irrationnelle pour les eaux minérales et leurs propriétés curatives prétendues). La neige est elle-même une forme particulière d’organisation de l’eau.

Le ski alpin est directement le produit de cet engouement pour la montagne par la bourgeoisie intellectuelle des grandes villes voulant se tourner vers la nature et les sensations.

C’est une manifestation évidente de la contradiction ville-campagne, mais aussi de la contradiction entre le travail intellectuel et le travail manuel : les travailleurs intellectuels voulant avoir une activité manuelle, utiliser et maîtriser leur corps, mais de manière agréable.

Tant la neige que la forte inclinaison des pentes attenantes à certaines stations thermales étaient justement propices à l’expression de sensations et à la maîtrise de son corps dans des conditions particulières que permet le ski alpin. L’attrait étant bien sûr renforcé par le plaisir d’être au « grand-air » dans un environnement inhabituel, grandiose, etc.

La naissance du ski alpin n’a été possible bien sûr qu’avec l’appuie des masses les plus avancées des populations locales connaissant la montagne et ses dangers. Elles y voyaient la possibilité d’un développement économique et culturel.

Nombres de jeunes se sont rapidement intéressé eux-mêmes au ski – la plupart des champions de ski étant par la suite essentiellement des locaux. Pour autant, c’est d’abord et surtout avec des codes culturels bourgeois et un style urbain, voir même parisien, que s’est développé le ski.

Le premier concours international de ski alpin eu lieu à Chamonix en 1907, organisé par le Club Alpin Français. La seconde édition en 1908 attira largement le « Tout-Paris » pour qui le sport était depuis plusieurs dizaines d’années une mondanité incontournable, et même un style de vie pour les éléments aristocratiques ayant une bonne condition physique et s’impliquant dans le sport.

La ville de Chamonix n’est ainsi pas tant une ville savoyarde qu’une sorte de prolongement de Paris et des grandes villes françaises, avec une architecture de type haussmannienne pour de nombreux bâtiments. C’est le cas également pour la ville de Cauterets dans les Pyrénées, autre berceau du ski en France où furent organisés les championnats de France en 1910.

Durant les années 1920 et 1930, les concours de ski étaient nombreux. Les premiers Jeux Olympiques d’hiver organisés en 1924 à Chamonix (avec 300 coureurs issus de 16 nations) eurent un retentissement considérable. La France était au cœur d’un mouvement culturel et sportif de développement des sports d’hiver, à tel point que fut développé dans les années 1930 un style proprement français : une méthode de ski français.

Cette technique de ski était d’abord une recherche d’efficacité qui permit à son initiateur Émile Allais de devenir un des plus grands champions de sa génération. Il est né à Megève en 1912, c’est-à-dire avant même que le village devienne une station de ski. Ses parents y tenaient une boulangerie et lui-même était porteur de bagages à ski pour les premiers touristes dans sa jeunesse.

Sa méthode sera ensuite popularisée avec l’appuie de la fédération française de ski et la publication d’un livre, puis d’un livre illustré. L’École Nationale du Ski Français qui a vu le jour à la même époque sous l’impulsion de Léo Lagrange, ministre du Front Populaire des Loisirs et des Sports, reprendra directement cette méthode française. Elle sera ensuite diffusée après la guerre via les moniteurs de l’ESF (Ecole de Ski Français), connus pour leurs « pulls rouges ».

S’est alors développée une attitude autour du ski, non forcément liée à la compétition mais en tout cas avec la volonté d’avoir une technique maîtrisée et efficace, en plus d’un style sophistiqué, élégant « à la française », urbain.

Nul hasard au fait que cette méthode française trouve son origine à Megève puisqu’il s’agit là d’une station créée de toutes pièces autour du village initial par la famille Rothschild avec l’ambition d’en faire une station française.

Il lui fallait les codes culturels de l’aristocratie et de la haute-bourgeoisie française qui ne souhaitait pas être mélangée avec l’aristocratie allemande dans les stations suisses. On a là la rencontre entre les masses habiles et connaissant la montagne et les hautes sphères de la société française véhiculant un style français qu’elle appelle « art de vivre à la française ».

A partir des années 1950/1960 le ski et les stations de sport d’hiver se sont largement développées en France, sous l’impulsion de l’État qui a mis en place un « plan-neige » à partir de 1964 jusqu’à la fin des années 1970. Émile Allais a d’ailleurs beaucoup œuvré pour cela. Via des classes de neiges, des colonies de vacances, des possibilités par les comités d’entreprises, une partie des masses a alors eu accès au ski, ne serait-ce que sporadiquement.

Durant les années 1970, les vacances en famille au ski sont devenues accessibles pour la petite-bourgeoisie et les parties les moins pauvres des masses populaires. Cela a largement contribué à faire des vacances au ski non pas un plaisir sportif en tant que tel mais surtout un faire-valoir, une sorte de « must have » petit-bourgeois afin de s’imaginer riche, de s’imaginer appartenir à la bourgeoisie.

Ce genre d’attitude est très bien illustrée dans le film Les Bronzés font du Ski de 1979. Les médias avec leurs reportages redondants chaque année lors des vacances d’hiver relaient largement cet état d’esprit aisément détestable de par sa dimension régressive.

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Culture

RanXerox

RanXerox est une bande dessinée absolument mythique, une sorte d’ovni graphique extrêmement puissant, épuisant toute une gamme de possibilités cyber-punk et s’épuisant par conséquent également, l’oeuvre n’ayant pratiquement que deux tomes, si l’on omet le troisième produit bien plus tard.

Le scénario de cette bande dessinée italienne du tout début des années 1980 est un mélange de Blade Runner et de Robocop, même si ces œuvres ne sortiront qu’après. On est dans une ville géante, une Rome du future entièrement moderne consistant surtout en de gigantesques bas-fonds où règnent l’ultra-violence, les drogues et la décadence, avec des couches ultra-privilégiées vivant dans la décadence la plus outrancière.

Un étudiant révolutionnaire a fabriqué, au moyen de pièces de photocopieuses (de marque Ranx Xerox), un androïde, mais alors qu’il était en train de le régler, la police intervient, sur la dénonciation d’une espionne du Parti communiste italien.

L’étudiant est tué et l’androïde connaît alors diverses aventures de zonard, toutes focalisées sur un triptyque meurtres gratuits – drogues dures – sexualité avec une jeune de treize ans dont il amoureux, le tout présenté sous la forme d’un véritable choc graphique.

Mais il faut ici saisir la nature de ce choc. En filigrane, de par les nombreuses allusions politiques trouvées ici et là dont les nombreux marteaux et faucilles, on reconnaît tout à fait l’ambiance nihiliste qui a été celle de toute une frange des intellectuels de gauche en Italie après la période 1977-1982.

Refusant catégoriquement le Parti communiste italien, sympathisant avec les Brigades Rouges mais refusant l’orthodoxie marxiste, liés d’une manière ou d’une autre à la scène de l’Autonomia Operaia (autonomie ouvrière) ayant basculé dans le mode de vie « alternatif » avec une très forte présence de l’héroïne, ces intellectuels de gauche ont sombré dans une sorte de mélancolie furieuse, dont RanXerox est un témoignage très puissant.

A l’espoir révolutionnaire a succédé un malaise, un mal-être, une fascination pour le morbide, le dégénéré, le décadent, le tout avec plus ou moins de discours néo-romantiques sur les drogues, la sexualité sans limites, la fascination pour l’extrême (les références pullulent de groupes de musique d’ambiance sombre comme Throbbign Gristle, Joy Division, les Ramones avec la chanson sur le fait de sniffer de la colle, etc.), etc.

RanXerox est pour cette raison une bande dessinée à la fois très vivante et horriblement glauque. C’est le besoin existentiel d’autre chose qui suinte de la bande dessinée qui sauve le tout, car sinon tout tombe des mains.

Graphiquement à l’initial tout est mal dessiné, ensuite il y a une véritable atmosphère, mais le scénario se résume à quelques scènes et des meurtres en série de l’androïde, allant jusqu’aux enfants, avec en plus des cases pornographiques.

On a l’impression, pour faire un parallèle discutable mais qui apporte de l’eau au moulin, d’avoir déjà une série par opposition à un film : tout est en continu, tout traîne sans avoir de but, pour capter l’attention on a de l’ultra-violence et de la pornographie.

On fait donc face ici à une gigantesque ville rempli de sociopathes et de psychopathes, d’un chaos urbain peuplé d’une population passive, de cafés futuristes, de délinquants sexuels forcenés, de mafieux et de pervers, avec des scènes malsaines, voire odieuses.

Rien de bien intéressant et pourtant, derrière la désillusion qui se dégage de l’œuvre, on trouve une critique radicale de la société, comme une case précise de manière cynique :

« Il est 20H30 sur le pont Garibaldi : A cette heure-là, l’atmosphère est tellement chargée d’oxyde de carbone qu’on peut presque entendre, dans les poumons des passants, le frou-frou des cellules cancéreuses qui prolifèrent allègrement à la manière de spermatozoïdes dans les testicules d’un beau gosse en parfaite santé. »

C’est donc tout un témoignage sur une époque. Le scénariste Stefano Tamburini, à l’origine de RanXerox, appartenait à toute la scène italienne, massive, des revues alternatives, lui-même travaillant à la maison d’éditions Stampa Alternativa et donnant naissance aux revues Combinazioni (1974), Cannibale (1977) et Frigidaire (1980), avant de mourir d’une overdose d’héroïne en 1986.

Le dessinateur Tanino Liberatore est surtout connu pour cette bande dessinée, certains musiciens lui demandant par ailleurs de faire leur pochette (notamment Frank Zappa, Gold pour Laissez-Nous Chanter, Bijou, Dick Rivers).

Dans le milieu des années 1990, un troisième tome de RanXerox a été publié à son initiative, l’humoriste Alain Chabat terminant un scénario non terminé de Stefano Tamburini. « Amen » n’a cependant nullement la qualité de « Ranxerox à New York » et de « Bon Anniversaire Lubna »… pour autant qu’on puisse parler de qualité pour une oeuvre cherchant justement à montrer l’impossibilité d’en avoir dans un monde ignoble.

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Politique

Delphine Batho : « Mitterrand, réveille-toi, ils sont devenus fous ! »

Le Parti socialiste a rejeté la candidature de Delphine Batho pour le congrès d’Aubervilliers. Pour pouvoir se présenter, le Parti socialiste exigeait deux choses :

– le parrainage par 5% des membres du conseil national ;

– un texte d’orientation d’au maximum 50 000 signes et des thématiques obligatoires : Europe, inégalité, écologie, République et démocratie.

Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, n’a pas eu les parrainages et a tenté de forcer l’acceptation de sa candidature avec un référé au tribunal de grande instance, qui a échoué.

Voici le texte de sa réaction à cet échec, ainsi que son texte d’orientation.

Je prends acte de la décision de la direction de refuser l’enregistrement du texte d’orientation et de la candidature que je souhaitais défendre dans le cadre du congrès.

Cette décision est contraire, pas seulement à l’espoir de nombreux militants, de nombreux élus et citoyens qui nous regardent, mais à l’intérêt collectif du PS et de la gauche.

En ce sens, c’est une décision très grave. Hélas, elle apporte une preuve supplémentaire de la faiblesse d’une direction coupée du réel et de la société, qui n’a plus comme ultime recours que la censure. Mais à l’heure des réseaux sociaux et d’internet, il n’y a plus de censure possible !

De quoi ont-ils peur, ceux qui prédisent un congrès joué d’avance ? Pourquoi empêcher le débat s’ils sont si sûrs d’eux ? Tous les autres candidats, sauf un seul, ont voté pour ce pacte de censure en commission des résolutions.

Ce samedi, c’est en fait une victoire à la Pyrrhus pour la direction du Parti socialiste.

En fait, ils savent bien que rien ne peut résister à la volonté des citoyens lorsqu’ils se mettent en mouvement, c’est désormais une question de temps.

Le débat politique que l’on jette par la porte, il reviendra par la fenêtre, et si la fenêtre se ferme elle-aussi, il passera par le trou de serrure.

Ma campagne était prête. Je vais la poursuivre.

Je vais aller échanger et débattre aux quatre coins de la France avec tous les militants qui le proposent.

Il y aura donc le théâtre d’ombres du congrès officiel, et un peu comme à Avignon, le « festival off ».

Ceux qui croient que j’ai proposé une candidature pour des enjeux de pouvoirs se trompent lourdement sur le sens de ma démarche.

A toutes les militantes et les militants qui espéraient un autre comportement de la direction aujourd’hui, je dis ne vous découragez pas, c’est ce qu’ils espèrent, c’est ce qu’ils attendent ! J’assume ma responsabilité de vous demander de rester comme moi au Parti socialiste parce que l’avenir aura besoin d’une force de transformation sociale et écologique qui s’assume comme un parti de gouvernement.

Nous allons mettre en commun et en partage nos exigences et nos solutions.

D’ores et déjà vous pouvez partager notre texte d’orientation sur les réseaux sociaux, vous en emparer, le signer, le commenter, le critiquer ici. Il est fait pour cela. Faire vivre le débat.

Téléchargez et partagez le texte « Mitterrand, réveille-toi, ils sont devenus fous ! » :
http://myreader.toile-libre.org/uploads/My_5a6c9e0c81226.pdf

Voici le texte d’orientation en question.

Mitterrand, réveille-toi, ils sont devenus fous !

« La pire erreur n’est pas dans l’échec, mais dans l’incapacité de dominer l’échec » François Mitterrand

Chers camarades,

Que valent tous les textes de motions, comparés aux actes ?

Nous voulons la démocratie, mais chez nous des votes internes truqués sont devenus une maladie chronique ;

Nous voulons l’écologie, nous avons même inscrit la « social-écologie » sous notre logo, mais chez nous les dirigeants décident que la position « officielle » du parti est de dénoncer l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ;

Nous voulons le féminisme, mais chez nous les femmes se voient toujours dénier leurs capacités de chef politique, subissent des violences inouïes, harcelées et violées dans l’équipe de campagne présidentielle et dans des organismes associés du parti ;

Nous voulons la décentralisation, mais, chez nous, sans la moindre explication, les moyens sont coupés aux fédérations qui doivent licencier leurs permanents et vendre leurs locaux ;

Nous voulons être un parti de militants, mais chez nous, en dehors des échéances électorales où il faut faire campagne, les adhérentes et les adhérents sont affublés d’étiquettes en fonction de choix passés et qualifiés d’ « aubrystes », « hollandais », « ex-hamonistes », « ex-strausskhaniens », « ex-ségolénistes », « exvallsistes »…, pour être catalogués alors qu’ils aspirent à des débats internes où chacun est écouté pour ses idées et qui ne soient plus des rapports de force permanents ;

Nous sommes le parti de l’Unité, dont la raison d’être historique est d’avoir été fondé pour rassembler toutes les sensibilités de pensée de la gauche, mais chez nous les départs massifs, les exclusions et les excommunications, se multiplient.

« Vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde » disait Gandhi.

Et si, en fait, la crise idéologique de la gauche avait une autre cause que celle que l’on croit ? Et si elle n’était que le résultat implacable de vieilles pratiques et d’une dérive poussée à son paroxysme qui conduit à rejeter toute idée nouvelle, à interdire tout débat de fond honnête, à refuser toute ouverture à la société et aux citoyens dans leur diversité sociologique, à empêcher toute intelligence collective ?

Et si, en fait, cet enfermement conduisait à refouler toutes les demandes sociales émergeantes, qui auraient dû logiquement irriguer notre pensée, mais qui au lieu de cela finissent par être portées par nos concurrents faute de trouver leur place au Parti socialiste.

Et si, en réalité, toutes ces tribunes, tous ces commentaires proclamant ad nauseam la fin du Parti socialiste n’étaient que le paravent de cette autre crise ?

Celle d’une direction politique confisquée depuis des années par les mêmes chefs de courants, de clans, de castes, qui placent leurs intérêts particuliers au-dessus de toute autre considération et pour lesquels les débats d’idées ne sont plus que des postures tactiques – souvent factices puisque les vrais débats traversent tous les « courants » – afin de conserver le pouvoir.

Non l’espérance n’est pas morte.

Non l’injustice n’a pas disparu dans le nouveau monde.

Non les énergies ne manquent pas dans la société pour porter les combats du 21ème siècle pour l’égalité, l’écologie, le travail, le féminisme, la laïcité, la démocratie numérique, la jeunesse, l’émancipation sociale et finalement la dignité humaine.

Oui, la France a plus que jamais besoin d’une force progressiste moderne, porteuse des nouvelles espérances, qui s’assume comme un parti de gouvernement.

Beaucoup de citoyens, déçus des choix qu’ils ont pu faire lors de l’élection présidentielle pour « voter utile » contre nous, se sentent orphelins et nous regardent. Il existe toujours un espace politique et électoral pour une force de gauche et écologiste de transformation, sérieuse et crédible.

A l’heure des réseaux sociaux et de la révolution numérique, c’est en fait un petit groupe de personnes qui parlent et décident pour le plus grand nombre dans notre parti. Leurs manœuvres divisent en permanence et empêchent le rassemblement. En fait, la gauche meurt parce qu’elle est confisquée, infantilisée, caporalisée par cette direction qui veut s’auto-reconduire.

Elle meurt par les faillites morales que sont l’absence de transparence, le sexisme, la reproduction des inégalités en son sein, le conservatisme de dirigeants sûrs d’eux-mêmes. Ce parti-là n’aura pas de nouvelle chance. Le PS que nous connaissons aujourd’hui, même en changeant de nom, ne reviendra jamais aux responsabilités.

Les temps changent, voilà ce que n’ont pas compris nos « dirigeants ». Ou plutôt l’ont-ils si bien compris qu’ils ont décidé de tout sacrifier pour assurer leur présent et leur passif, en transformant l’attendue « refondation » en processus d’enfermement de la direction sur elle-même.

Les temps changent, et la parole se libère, les militantes et militants, les adhérentes et adhérents, les élus locaux, s’émancipent, ne veulent plus d’un système qui les réduit à l’obéissance, aux pressions, aux exclusions, aux ordres. Ils veulent peser sur les décisions.

Des femmes et des hommes libres veulent contester la légitimité, non pas des personnes ou de certains responsables, mais du système lui-même, du fonctionnement du Parti socialiste et de sa dérive.

Sans parrain, sans clan, sans courant, en femme libre, socialiste, écologiste, laïque, républicaine, antiraciste, j’appelle chaque militant à reprendre le pouvoir, sa part de souveraineté socialiste, contre l’enterrement de nos espérances, pour faire de ce congrès, non pas celui d’une prétendue refondation programmatique avec des textes d’orientation grandiloquents, mais d’un big-bang organisationnel et du changement radical dans la gouvernance du Parti socialiste.

C’est le préalable indispensable pour avoir la capacité de bâtir ensemble un nouveau projet solide. Qui peut croire que ce congrès pourrait à lui-seul tout résoudre face à l’effondrement du socialisme démocratique constaté en France comme partout ?

Ce qu’il nous faut décider enfin et tout de suite, c’est de créer les conditions d’émergence d’une nouvelle orientation. Cette vitalité retrouvée est la condition d’un nouvel élan qui, seul, pourra nous permettre de regagner des forces dans la perspective des élections européennes et territoriales.

Si vous pensez que le verrouillage de l’appareil qui dégoûte tant de citoyens de s’engager au Parti socialiste, ça suffit !

Que le sacrifice des espérances des générations actuelles et à venir, ça suffit ! Ensemble, levons-nous pour dire « stop » et pour changer le cours de l’histoire. Après la déroute, les Français n’attendent pas de nous un long et lent processus d’immobilisme. Ils exigent des actes, vite.

LES PREUVES CONCRETES ET IMMEDIATES DE CHANGEMENT :

1. L’abolition des clans et des courants, par la constitution d’une majorité de travail ouverte à tous et émancipée, qui place le respect des militants audessus de tout ;

2. L’élection d’une Première Secrétaire et d’un collectif d’animation (secrétariat national) dont le mandat sera non-reconductible, seule garantie qu’ils se consacreront intégralement pendant 18 mois à la conduite du processus devant remettre le Parti socialiste sur de bons rails, et qu’ils ne viseront pas la conservation d’un quelconque pouvoir interne.

3. Une nouvelle structuration du Parti socialiste, non plus verticale, mais en réseau s’inspirant des nouveaux modèles de l’économie sociale et collaborative, favorisant les coopérations directes entre les territoires, les thématiques de réflexion et les secteurs de militantisme.

4. La démocratie interne, partout, tout le temps, qui seule peut rendre de nouveau attractif le Parti socialiste avec la fin du huis clos dans les réunions de nos instances, la mise en place du vote électronique et l’ouverture aux citoyens de tous les grands choix du parti.

Contrairement aux nouvelles organisations politiques présentées sous forme de « mouvements », qui n’ont de modernes que les apparences puisque conçues comme des marques au service d’un chef, nous voulons reconstruire notre parti comme une organisation démocratique du 21ème siècle.

5. Un processus de remise en ordre et de remise au travail pour créer une dynamique nouvelle posant les jalons de la construction d’un Parti socialiste populaire, ouvert à la société, dont voici le processus sur 18 mois :

LE CALENDRIER DU CHANGEMENT

Avril -> Mai 2018 :

Installation du nouveau secrétariat national, collectif composé de 16 personnes (pour moitié de responsables expérimentés et pour moitié de militants de terrain issus des territoires prêts à prendre des responsabilités), qui ne décide pas à la place des adhérents mais qui est au service des militants et des territoires.

La formation d’un shadow-cabinet en lien avec nos groupes parlementaires pour être la gauche utile aux Français tout de suite dans l’opposition et porter nos contre-propositions à la politique d’Emmanuel Macron, en écho à toutes les forces vives de la société civile.

Rétablissement immédiat des dotations aux fédérations dans l’attente de décisions du Conseil national sur les règles de décentralisation d’une part conséquente des moyens du parti.

– Audit financier sur les cinq dernières années dont les analyses et conclusions seront rendues publiques.

– Saisine de la Haute Autorité Ethique sur la responsabilité morale et politique du parti dans l’omerta entourant les faits de harcèlement et de violences sexuelles commis dans les équipes de campagne et les organismes relevant de nos statuts ; mise en place de procédures opérationnelles de soutien direct à toutes les victimes.

5 Mai -> octobre 2018 :

– Commission d’enquête « vérité et transparence sur le bilan » : On ne peut rien construire sur le déni d’une défaite historique, nous devons prouver aux français que nous avons compris les causes profondes. L’enjeu n’est pas de savoir qui avait tort ou qui avait raison, puisque chacun à sa part d’une responsabilité collective, mais de tirer ensemble et en profondeur, les leçons de l’exercice du pouvoir et de notre déroute électorale pour apprendre et nous rendre plus forts dans la perspective des échéances futures.

La Commission, animée par des militants et des personnalités socialistes qui n’ont pas été directement au premier plan des responsabilités dans le quinquennat, procèdera à l’audition publique des anciens ministres, des responsables du parti et des groupes parlementaires, de nos élus locaux, des syndicalistes, des associations, des candidats aux primaires, de chercheurs, de chefs d’entreprise et de toutes celles et ceux qui ont leur mot à dire.

Toutes les auditions seront retransmises en live sur les réseaux sociaux et le site du parti. Les conclusions de la Commission serviront de lignes directrices pour l’élaboration du projet.

Août 2018 :

– Universités d’été des communs : organisées dans un territoire rural, l’ordre du jour des ateliers de formation, comme des séances plénières de débats et des temps conviviaux, ainsi que les intervenants, seront choisis sur proposition et par un vote en ligne des fédérations et des militants.

Octobre 2018 :

* Congrès extraordinaire de la démocratie ouverte au Parti socialiste : élaboration collective, discussion et adoption de nouvelles règles statutaires, élaborées par une commission composée exclusivement de militants de terrain, plaçant l’adhérente et l’adhérent au cœur de la vie de notre parti, fixant les règles de non-cumul entre les fonctions dans le parti et les fonctions électives, et organisant la participation numérique et pratique de tous les citoyens intéressés à nos choix et décisions. Adoption d’un plan de reconquête des adhérents.

Novembre 2018 -> janvier 2019 :

* Trois conventions thématiques :

– L’émancipation des femmes

– Le travail et la révolution numérique

– La République et la laïcité

6 Février 2019 :

– Convention pour l’Europe écologique, sociale et démocratique : présentation du projet de refondation du projet européen comme un projet de civilisation écologique et sociale dans la mondialisation, et démocratique face à l’influence des multinationales et des lobbies. Mars -> Mai 2019 :  Présentation de nos listes et campagne des élections européennes

Octobre 2019 :

– Congrès de bilan sur la mise en œuvre du calendrier du changement, renouvellement de toutes les instances sur la base des nouveaux statuts, y compris première secrétaire, lancement de l’élaboration du projet et de la campagne des municipales.

Une révolution pacifique, déterminée et généreuse, voilà notre projet. Rejoignez-nous !

#MitterrandRéveilleToi

mitterrandreveilletoi@gmail.com

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Politique

Delphine Batho « sur le Front de l’Écologie »

Delphine Batho devrait présenter aujourd’hui sa candidature à la tête du Parti Socialiste. Elle assume son opposition face à la direction du parti et dénonce une mafia avec des manœuvres antidémocratiques. Sa candidature sera normalement rejetée pour non respect des nouvelles règles qu’elle conteste, à savoir le fait de devoir être parrainé par 16 membres du Conseil National du parti.

Son positionnement politique est lui aussi assez tranché par rapport à la ligne générale du parti. Elle est très à gauche, avec une réelle vision écologiste. L’entretien qu’elle a accordé à la revue Esprit et intitulé « Sur le Front de l’Écologie » est un bon aperçu.

Delphine Batho y explique que :

« Il y a une confrontation de plus en plus tendue entre la recherche du profit immédiat et l’intérêt général de l’humanité sur la planète.

Cette contradiction fondamentale du système capitaliste aurait logiquement dû être au cœur du combat de la gauche française et internationale depuis des années. »

Elle précise ensuite que :

«  Il y a toujours cette croyance que si les résultats économiques du pays s’améliorent, alors le reste suivra. Pourtant, un taux de croissance ne fait pas un projet de société pour une nation comme la France. »

En d’autre terme, c’est une volonté de véritablement changer la vie, et pas seulement prétendre à des aménagements sectoriels.

Elle fait partie des rares personnes qui affirment le caractère absolument urgent de la question écologique :

« Cette question du rapport au temps est cruciale. Le réchauffement climatique s’accélère, les destructions irréversibles de la biodiversité et la crise sanitaire liée aux produits chimiques aussi.

Quinze mille scientifiques alertent : « Bientôt il sera trop tard », il reste peut-être cinq ou dix ans pour inverser la trajectoire. Et nous répondrions à cette situation en décrivant le monde idéal que nous imaginons pour 2050?

Tant que l’on évoque l’horizon, en général, tout le monde est d’accord. Mais il faut en finir avec ce faux consensus, qui se fait au détriment des décisions concrètes immédiates et du courage politique. Pour la planète, ce qui compte, c’est ce qui est fait maintenant. L’écologie ne doit plus être appréhendée comme une question de long terme ; elle doit se conjuguer au présent. »

C’est une vision globale qui est proposée, avec la conscience du fait que l’enjeu est celui d’une « transformation civilisationnelle » :

« L’écologie est la nouvelle question historique pour l’humanité, comme le socialisme a pu l’être au XIXe siècle. Aujourd’hui, l’accélération inouïe de la capacité de destruction des écosystèmes par l’espèce humaine entraîne une baisse tendancielle de la qualité de vie.

Le défi fondamental de l’anthropocène, c’est de savoir si nous sommes capables de reprendre le contrôle de nos destins, de changer l’architecture de la consommation et de la production. L’écologie porte un nouveau projet global de société. »

On peut regretter cependant le manque de cohérence idéologique par rapport à la compréhension de ce qu’est le capitalisme

C’est insuffisant d’expliquer d’un côté que « l’écologie est la nouvelle ligne d’affrontement avec le capitalisme » et de regretter de l’autre que « la France a des savoir-faire dans de nombreux domaines mais les grands groupes, qui devraient être à l’avant-garde, traînent souvent les pieds. »

C’est une chose d’avoir une vision économique et d’expliquer par exemple que :

« Pour organiser le basculement de nos modes de production, il faudrait quasiment fusionner les ministères de l’Écologie et de l’Industrie.

En fait, la France n’a pas de politique industrielle : il y a des ministres de l’Industrie qui jouent les pompiers sur telle ou telle fermeture de site, mais il n’y a pas de stratégie sur la reconstruction d’un appareil productif tourné vers les technologies de demain. »

Cela en est une autre de savoir qui doit être à la tête de cette industrie justement.

Delphine Batho explique en quelque sorte que la sociale-démocratie a réussi sa mission historique. Selon elle, la plupart des pays sont maintenant démocratiques et les questions sociales y sont posées de manières aboutie, équilibrée, ou du moins peuvent l’être.

Cela n’est pas exact car justement, et c’est là le grand apport historique de la sociale-démocratie, la question démocratique ne peut être dissociée de la question sociale. Cela change tout de savoir qui détient les moyens de productions.

Soit ce sont des groupements privés, soit c’est la collectivité.

Delphine Batho semble penser que cela ne change pas grand-chose puisque selon elle, des entreprises et des grandes entreprises pourraient mener le changement.

Elle dit ainsi :

« Il faut mener la bataille de la crédibilité, économique et sociale, du projet de transformation écologique. Sur ce front, les chefs d’entreprise qui sont à la pointe de l’innovation doivent enfin donner de la voix.

Au moment de la discussion parlementaire sur la loi sur les hydro-carbures, encore une fois, tous les parlementaires ont reçu les argumentaires des industries pétrolières : où étaient ceux des entreprises qui ont tout à gagner à la sortie des énergies fossiles ? »

Cela aboutit au fait qu’elle pense que des choses sont possibles à l’intérieur même des institutions :

« Il faut détruire la légende selon laquelle rien n’est possible. Au gouvernement, j’ai obtenu, par exemple, en 2012, à une époque où pas grand monde pariait sur sa réussite, que la France décide d’accueillir la COP 21.

J’avais également empêché le retour du gaz de schiste, interdit le barrage de Sivens (finalement autorisé par mes successeurs), instauré un moratoire sur les retenues artificielles d’irrigation, baissé la TVA sur les travaux d’efficacité énergétique dans le bâtiment. »

Il y a bien sûr la volonté d’être constructif, efficace. Et c’est assurément une bonne chose. Mais c’est contradictoire avec les constats qui sont faits sur la recherche du profit.

On ne peut pas se satisfaire d’un côté de la COP 21 (« un succès historique ») tout en remarquant de l’autre qu’aucun État n’assume le caractère urgent de la question ni n’envisage de suivre les recommandations des scientifiques pour limiter le changement climatique.

Elle le dit d’ailleurs elle-même :

« Certes, l’accord de Paris reste notre meilleur point d’appui pour une action de la communauté internationale la plus large possible, mais il s’avère insuffisant au regard des réalités scientifiques : les seuls engagements volontaires des États ne permettent pas de contenir le réchauffement sous les 2°C.

L’engagement déterminé et unilatéral d’un groupe de nations pionnières doit pousser les feux de toutes les solutions permettant de sortir des énergies fossiles. »

Sa position est alors compliquée à comprendre.

En quoi la COP 21 est-elle une bonne chose si finalement elle n’a aucune efficacité ?

Pour autant, à côté de ce qui apparaît comme une naïveté par rapport aux possibilités de changer les choses sans bouleverser l’ordre politique, Delphine Batho n’a pas d’illusion quant à la situation.

Elle est assez critique par rapport à la fiction d’une grande stabilité du système, fiction qui était finalement le grand thème de François Hollande, et qui est plus encore maintenant celui d’Emmanuel Macron.

Elle explique très bien que :

« La politique industrielle de l’État est pleine d’ambiguïtés : la France organise la COP 21 et, « en même temps », François Hollande se rend en Alberta pour proposer le concours des entreprises françaises pour l’extraction des hydrocarbures les plus polluants du monde, les sables bitumineux.

La France organise le One Planet Summit et, « en même temps », Emmanuel Macron veut ratifier le Ceta ou encore autoriser la Montagne d’or en Guyane qui va détruire la forêt amazonienne à proximité immédiate de deux réserves de biosphère. Ce n’est plus possible. »

Seulement, le manque de clarté idéologique conduit à une mauvaise interprétation des choses, malgré des constats justes. Il est erroné de répondre ainsi à la question « Comment qualifieriez-vous aujourd’hui la situation de l’écologie en France ? » :

« Forte culturellement, mais faible politiquement. Le hiatus va grandissant entre l’aspiration de plus en plus forte des citoyens à une alimentation saine, au respect du climat et de la biodiversité d’un côté, et la représentation politique de l’autre. »

Cela n’est pas vrai. Globalement, et particulièrement dans la jeunesse, il n’y a pas de véritable mouvement de masse en faveur d’une alimentation saine, de la lutte contre le changement climatique et de la question écologique.

Les jeunes français mangent en masse dans les fast-food et n’envisagent nullement de se passer de l’automobile, pour ne prendre que ces deux exemples typiques.

Delphine Batho souhaite se « consacrer patiemment à l’unification des forces de progrès sur un programme écologique afin de proposer un chemin d’espérance crédible. »

Cette unification est une étape fondamentale, indispensable. Cela d’autant plus que, comme elle le dit, « les forces conservatrices et réactionnaires partout dans le monde sont un obstacle. »

La contribution de Delphine Batho pour faire avancer la gauche sur le plan de l’écologie est indéniable.

Mais pour que cela aboutisse, il faudra de la clarté sur le plan idéologique ainsi qu’une véritable volonté de mener la bataille sur le plan culturel.

En d’autres termes, les constats faits pas Delphine Batho sont bons mais il y a mégarde quant à la nature du mode de production capitaliste ainsi qu’un certain relativisme par rapport au niveau culturel de la société française.

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Réflexions

L’image de poète tourmenté et de son rapport au suicide

L’image de poète tourmenté, de l’artiste mort avant trente ans sont autant de fascinations morbides portées et entretenues par notre société. Il y a l’idée qu’il faut souffrir pour ressentir véritablement le monde qui nous entoure, comme une déformation de la célèbre citation de Rimbaud :

« Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. »

Chez Rimbaud la démarche est active, même s’il n’a pas réussi à prolonger le tir, et d’ailleurs il dit que n’importe qui peut être « voyant ». Dans l’image du poète torturé ayant souffert, la démarche est complètement passive : tout repose sur ce passé érigé un outil de production artistique.

Cela rejoint l’idée d’un certain génie, inné, chez certaines personnes : si des heures et des années de travail méthodique ne permettent pas de devenir un Baudelaire, un Nick Drake, un Ian Curtis, un Kurt Cobain, etc. alors leur talent doit tomber du ciel. Et si l’on ne croit pas à un Dieu tout puissant et capricieux, on se réfugie dans le parcours et l’histoire individuels.

Prenons l’exemple du fabuleux Nick Drake. Né en 1948 en Birmanie de parents anglais, il est vite de retour en Angleterre où il vivra jusqu’à sa mort en 1974. Issu d’un milieu aisé, il vit une vie d’anglais des pavillons au sein d’une famille cultivée et libérale (dans le bon sens du terme).

Tous ses proches l’ont décrit comme une personne joyeuse, avec ses hauts et ses bas comme tout le monde.

Un garçon sensible qui aura du mal à trouver sa place dans l’Angleterre d’après-guerre. Il n’aura ni une vie de misère, ni une enfance traumatisante.

Sur le plan artistique, il compose un premier album prometteur en 1969, un second plus riche et travaillé sur le plan musical en 1971 et un dernier album dépouillé, presque minimaliste, en 1972. Ses œuvres ne connaîtront un succès qu’après sa mort, lorsque d’autres artistes le citeront comme une de leurs références majeures (comme Robert Smith du groupe The Cure).

Et c’est à l’âge de 26 ans, dans la nuit du 24 au 25 novembre 1974, que Nick Drake meurt d’une overdose d’amitryptyline – un antidépresseur. Il n’en fallait pas plus pour fabriquer de toute pièce une image du poète torturé.

Est-ce que ses chansons sont des hymnes à la joie à la fois niais et naïfs ? Non. Doit-on le considérer comme un artiste tourmenté pour autant ? Certainement pas. Il y a la mélancolie, mais pas la dépression. Un certain désenchantement traverse son œuvre, c’est vrai. Est-ce suffisant pour décréter que Nick Drake était un artiste au bord du suicide dès 1969 ? Aucune écoute honnête de son œuvre ne le permet.

A l’exception des toutes dernières années de sa vie, Nick Drake n’était pas une personne rongée par la dépression. Être fasciné de la sorte par cet immense poète est une insulte envers sa mémoire, son œuvre et ses proches.

Doit-on être soit dépressif, soit en extase permanente ? N’y a-t-il pas des moments de vides, de flottements, de doute, de deuils dans les vies des chaque personnes ? N’y a-t-il pas de place pour la mélancolie pour de nombreuses personnes qui cherchent une place dans nos sociétés ?

« Très bien nous dira-t-on, mais qu’en est-il d’artistes réellement dépressifs, voire suicidaires ? Les textes de Joy Division évoquent souvent le suicide, à demi-mot. Qu’en penser ?»

Nous dirons que s’ils ont réussi à atteindre un tel niveau malgré la maladie, il faut imaginer ce qu’ils auraient pu produire sans. Car il faut dire les choses telles qu’elles sont : la dépression, les pensées suicidaires et les (tentatives de) suicides n’ont rien de beau. Elles ne produisent rien : elles ne font que détruire des vies.

On ne peut pas accepter la moindre fascination, la moindre complaisance envers tout ce qui brise des vies de la sorte. C’est une question de civilisation. Nous voulons des artistes entiers et sensibles qui parviennent à retranscrire une époque et son atmosphère avec toujours plus de finesse, toute la densité de la sensibilité personnelle.

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Société

La remise en cause du principe d’un baccalauréat universel

C’est une ironie comme l’histoire les connaît qu’Alain Devaquet soit décédé quelques jours avant la remise hier d’un dossier au ministre de l’Éducation nationale afin de réformer le baccalauréat. Car le projet d’Alain Devaquet en tant justement que ministre de l’Éducation nationale en 1986 avait provoqué une mobilisation énorme de la part des étudiants et des lycéens.

Ceux-ci avaient compris que le projet d’Alain Devaquet était la sélection, un parcours universitaire à multiple vitesses. Ils ont été d’une grande combativité par conséquent, la répression étant elle brutale, comme en témoigne la mort de l’étudiant Malik Oussekine.

Celui-ci avait été tué par des policiers du peloton de voltigeurs motoportés, c’est-à-dire deux policiers à moto, l’un conduisant, l’autre frappant avec sa matraque. Malik Oussekine a été tué peu après minuit, alors qu’il sortait d’un club de jazz et que la police traquait des « casseurs ». Ils l’ont massacré dans un hall d’immeuble.

Cet événement, combiné à la vague contestataire contre le projet d’Alain Devaquet, a marqué toute une génération. Cela a été un marqueur de la contestation du capitalisme.

Mais en trente années, le libéralisme a largement conquis les masses. La fausse gauche célèbre le libéralisme de mœurs sans voir – ou plutôt sans prétendre voir – qu’il va de pair avec le libéralisme économique.

Aussi, cette fois, le projet de sélection passe comme une lettre à la poste chez les lycéens et les étudiants. Pire encore, il va commencer au lycée.

On connaît ici le principe : l’État laisse pourrir une situation, pour après reconnaître la nécessité d’un changement. La plupart des privatisations ont connu ce justificatif de « l’efficacité ».

Et en l’absence de connaissances politiques, de traditions de gauche, les lycéens et les étudiants tombent dans le panneau. Chacun s’imagine « sortir du lot » pour les plus carriéristes, quant aux autres, ils voient juste avec plaisir le principe d’un « bac à la carte ».

Car le baccalauréat, pour ce qui ressort du rapport remis hier au ministre concerné, supprime les séries L, ES et S. Il y aura un tronc commun et des options à choisir.

Dans le tronc commun, on trouve l’histoire-géographie, les mathématiques, deux langues vivantes, l’EPS, le français et de philosophie. Puis, en option, il y aura les mathématiques-sciences de la vie et de la Terre, lettres-langue vivante, sciences économiques et sociales / mathématiques.

En apparence, aucune différence. En pratique, pour les classes de seconde, de première, de terminale, il faudra à chaque fois re-sélectionner une de ces options. C’est la fin d’un bac universel.

De plus, les notes seront en continu, ce qui va renforcer la valeur très différente des lycées. Un bac dans tel lycée n’aura clairement pas la même valeur qu’un autre bac dans un autre lycée.

Évidemment, les options à choisir dépendront du « marché du travail ». A la soumission aux professeurs pour avoir les bonnes notes – on connaît la dimension subjective dans les matières littéraires ou les langues – s’ajoute celle aux entreprises.

Pour préserver la fiction du « bac », le projet prévoit également que la moitié de la note finale dépende de quatre examens de fin d’année, avec deux majeures au printemps, la philosophie et un oral en juin.

Enfin, pour clouer la dépendance, il n’y aura plus d’oral de rattrapage, mais l’étude du livret scolaire de première et de terminale.

C’est la négation de l’épreuve universelle et le renforcement de la soumission à la concurrence, à la compétition, aux intérêts des entreprises, et cela de manière totalement unilatérale.

Cela ne veut pas dire que le baccalauréat ait été idéal dans sa forme passée. Tous les gens de gauche savent ce que signifie l’épreuve comme mise sous pression, bachotage sans contenu, illusion sur la vie adulte qu’il y a après, etc.

Cependant, l’idée d’une épreuve universelle, pour une société reconnaissant être une collectivité transcendant les individus, ne peut être que l’exigence de base de toute personne de gauche.

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Écologie

La cymbalaire, également appelée « ruine de Rome »

Le cymbalaire linéaire ou cymbalaire mural est considéré comme « nuisible » par beaucoup de monde parce qu’il peut s’étendre dans de nombreux espaces où l’absence de végétation est attendue.

Cette plante touffue, rampante ou tombante pouvant atteindre 80 cm de long pousse dans de nombreux endroits quelque soit l’exposition au soleil. Ainsi, du nord au sud de la France, le cymbalaire est légion.

Ses tiges très fines s’immiscent dans les murs à ciment calcaire. On peut la rencontrer sur des voies ferrées, sur les ponts ou les édifices.

Sa reproduction est assurée par un astucieux moyen de dispersion. La tige s’allonge et se courbe pour enfoncer le fruit dans les fissures des murs.

Les graines y sont déposées à demeure jusqu’à ce que la pluie en assure leur portage grâce au ruissellement de l’eau.

Dans le Moniteur Universel de 1836, journal crée en 1789 par l’éditeur de l’Encyclopédie Universelle de Diderot et D’Alembert, Théophile Gautier, dans sa nouvelle Avatar publiée en 1836, fait référence à la ruine de Rome en évoquant un caractère envahissant donc repoussant de cette plante.

« Dans les anfractuosités de ces roches, le cactier raquette, l’asclépiade incarnate, le millepertuis, la saxifrage, la cymbalaire, la joubarbe, la lychnide des Alpes, le lierre d’Irlande trouvaient assez de terre végétale pour nourrir leurs racines et découpaient leurs verdures variées sur le fond vigoureux de la pierre ; un peintre n’eut pas disposé, au premier plan de son tableau, un meilleur repoussoir. »

Cette belle plante légère et aérienne se répand très vite dans les interstices des trottoirs et des murs qui ne sont plus entretenus. Son nom vernaculaire évoque d’ailleurs la représentation d’une plante s’épanouissant sur une cité détruite : « la ruine de Rome ».

Par les caractéristiques propres à cette plante, les notions de nature et de culture sont en contradiction apparente. Dans la conception académique de la philosophie, la culture suppose le développement historique de l’humanité par sa sortie de l’état de nature.

Rome est la capitale de l’un des plus grands empires de l’Antiquité. Elle est le symbole de ce qu’est la civilisation : des constructions monumentales représentant la domination de la cité sur la nature.

Dès le moyen-âge, les monuments de l’antiquité romaine sont délaissés jusqu’à tomber en ruines. La vie sauvage apparaît alors, sur les vestiges de la civilisation antique. Le cymbalaire des murs en est le symbole.

Cela en fait sa valeur : admettre que la civilisation humaine ne peut se faire parfaitement sans la nature, rien n’est en dehors de la nature.

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Culture

Le musée Vodou de Strasbourg

Le Musée Vodou, ouvert depuis 2014 à Strasbourg, a la particularité de présenter la plus importante collection d’objets au monde du culte vodou, originaire d’Afrique de l’Ouest (Togo, Ghana, Bénin, Nigéria dans une moindre mesure). En tout 1060 pièces répertoriées, pour un total de 220 présentées.

L’intérêt et la curiosité pour les cultures africaines sont bien sûr une excellente chose que partagent toutes les personnes progressistes, à la fois en raison des profonds et anciens liens historiques que notre pays partage avec une grande partie de ce continent, de l’importance de la francophonie en Afrique et de celle de la présence au sein des masses françaises de nombreux immigrés venant pour la majeure partie justement des pays dits francophones d’Afrique.

A Strasbourg en particulier, de nombreux migrants africains viennent d’Afrique de l’Ouest et concernant ce sujet, notamment du Togo et du Bénin.

Le musée en lui-même a été installé dans un ancien château d’eau de l’époque du Reich allemand, construit au début des années 1880 par l’architecte berlinois Johann Eduard Jacobsthal (1839-1902), qui a réalisé les plans des gares berlinoises de l’Alexanderplatz et de Bellevue, et à qui l’Etat impérial allemand confia la réalisation des gares de Strasbourg et de Metz (qui sera ensuite revue plus grande au début du XXe siècle).

Il se présente sous la forme d’une haute tour octogonale, massive, de style « néo-roman », couronnée d’un ouvrage en brique jaune orné de croisillons de métal et de verrières géométriques, s’inspirant des bâtiments de la Renaissance rhénane des XVe-XVIe sièscles.

Le soubassement de grès rose est un écho à la fois à la gare de Strasbourg justement et aussi à la cathédrale. Outre sa fonction technique de ravitailler en eau les machines à vapeur du réseau ferré de la Reichbahn, le château était aussi un lieu de vie des ouvriers de cette entreprise et après eux des sociétés françaises qui en ont pris le relais jusqu’aux années 1950.

En particulier avant la généralisation de l’eau courante dans les logements populaires, il y était possible d’y faire sa toilette après le travail notamment. En conséquence, ce lieu a fini, après son abandon lamentable dans les années 1950, par être inscrit sur la liste de l’inventaire des Monuments Historiques en 1983, sans toutefois faire l’objet de rénovations.

Jusqu’à son rachat par l’ancien PDG des brasseries Fischer et Adelshoffen Marc Arbogast, soutenu par son épouse Marie-Luce Arbogast pour un faire un musée exposant leur collection personnelle.

La rénovation a été confiée à un architecte strasbourgeois d’envergure : Michel Moretti, qui a aussi notamment réalisé les plans de l’ENA de Strasbourg en 1995 et de l’Ecole d’Architecture (ENSAS) en 1987.

La requalification du lieu en musée est une belle réussite de ce point de vue, et le travail muséographique réalisée par des salariés et des bénévoles de l’association qui gère le musée sur la base du droit local (maintenu après la réannexion de l’Alsace et de la Moselle à la France), est aussi une réalisation esthétiquement agréable, notamment en terme de présentation. Le musée étant formellement plaisant et accessible à visiter.

La démarche même de la collection suinte cependant l’esprit bourgeois de toutes part, dans une perspective agressive colonial-impérialiste à l’ancienne. En dépit de son objectif de rencontre des cultures, le malaise raciste ne quitte pas le visiteur, si celui-ci à une culture de gauche développée.

Le ton est donné par le propriétaire même du lieu : « Le Château Vodou est l’aboutissement de ma passion pour l’Afrique, qui combine une curiosité pour les savoirs traditionnels, la chimie et la chasse. »

On ne saurait mieux dire. Marc Arbogast et son épouse Marie-Luce ne sont pourtant pas eux-mêmes des personnes racistes au sens strict. Marie-Luce se présente comme une ancienne volontaire aux Médecins du Monde, et le couple souligne à l’envie la passion commune et ancienne pour l’Afrique qui les unit, depuis leur jeunesse.

Le musée est d’ailleurs fortement et ouvertement marqué par leur présence et leur promotion, on y apprend rapidement plus sur eux que sur n’importe quelle personne qu’ils auraient rencontré en Afrique. Leur promotion individuelle écrase littéralement tout le reste.

La performance de réaliser un musée sur l’Afrique sans qu’on puisse identifier d’Africains, ne semblent pas leur avoir traversé l’esprit. Il n’est question que de leur expérience, que nous sommes invités à partager sous leur propre prisme. On a vite l’impression de parcourir plus une vulgaire page FaceBook qu’un musée en tant que tel.

C’est ainsi que de leur propre aveu, leur intérêt pour l’Afrique s’est construit comme une fascination propre à l’époque coloniale :

« Je me souviens de ma mère, petite-fille de pasteur, qui n’avait de cesse de me parler d’Albert Schweitzer, dont nous admirions l’éthique du « respect de la vie », et aussi de mon père, fasciné par Tarzan et l’image d’une Afrique mythique qu’il partagea avec moi. À cette époque, pourtant, aucun de nous n’y avait mis les pieds ! ».

Cette vision « mythique » de l’Afrique aurait nécessité pour le moins depuis un conséquent exercice d’autocritique et de révision. Mais Marc et Marie-Luce Arbogast n’ont en pas été capables, en raison de leurs préjugés de classe et ont fini en outre par verser dans un complet mysticisme, malgré leurs indéniables aspirations progressistes.

C’est ainsi que Marc Arbogast relit son enfance pour y justifier son goût pour le vodou en précisant
qu’il avait l’habitude de côtoyer une « sorcière » lors de ses séjours dans une maison secondaire
avec ses parents dans les Vosges.

Le portrait et les valeurs de ce couple sont des élément repérables dans bon nombre de familles bourgeoises ou petites-bourgeoises alsaciennes, notamment celles liées à ce protestantisme philanthrope, ouvert au monde mais miné par une fascination pour le mysticisme et le religieux.

C’est ainsi que ce couple, connaisseur des cultures d’Afrique de l’Ouest de par leurs nombreux voyages, n’ont néanmoins pas vu l’Afrique dans sa dimension populaire, ni même les cultures africaines dans leur esprit. Ils ont en revanche « expérimenté » le vodou et ils en ont déduit que ces séries d’expériences leurs avaient appris quelque chose qui valait la peine de partager, dans une démarche d’individualisme bourgeois tout ce qu’il y a de plus caricatural.

On ne s’étonnera pas que parmi tous les soutiens médiatiques du musée, on trouve bien sûr en bonne place la catholique Société des Missions Africaines de Strasbourg, avec le curé Jacques Varoqui, qui
entretient lui-même à Haguenau un « espace africain » dédié aux missions en Afrique de l’Ouest.

La première chose auquel le visiteur est confronté, c’est la première chose que fit Marc Arbogast a
son arrivée en Afrique : chasser. Tout est ici dit de son rapport à la « vie » et à la nature.

Tout le premier niveau n’est rien de moins qu’une glaçante salle de trophée de chasse, exposant les cornes de dizaines d’animaux abattus au cours des multiples parties de chasse livrées par le propriétaire en Afrique. On y voit même un lion entièrement empaillé pour servir de lieux de photographies souvenir.

Le reste du musée est ensuite à l’avenant, une galerie d’objets exposés avec une réflexion sur leur fabrication matérielle et leurs usages, sans chronologie, sans mise en perspective sociale de la moindre forme. Le rapport avec l’Islam ou la Traite sont à peine mentionné.

En un mot, aucune mise en histoire, aucun mouvement. Une Afrique immobile et rongée par le mysticisme, vue par des yeux complaisants qui ne veulent voir de l’Afrique que cela.

Viennent enfin les « divinités masquées », ici on a directement des éléments de cultures populaires, mais rien n’est franchement creusé, analysé, relié. Même le lien avec les pratiques vodou du niveau précédent n’est pas clair.

Faut-il alors s’étonner que des institutions comme le Musée du Quai Branly, ou des chercheurs comme Bernard Müller (IRIS-EHESS) associés au Musée Vodou lors de son lancement, se soient depuis désolidarisés à la fois pour des raisons de fonds concernant les expositions et de formes concernant l’esprit de management boutiquier du couple Arbogast.

Outre ce désaveu scientifique,d’institutions bourgeois pourtant initialement bienveillantes, le Musée a aussi été rejeté par les associations comme Curio, qui milite pour la dignité et l’expression des cultures nationales du Togo en Alsace et en Franche-Comté.

Captif de la vision mystique et égocentrée de ce couple bourgeois, la tentative de ce musée est donc un échec, porté à bout de bras par la fondation qui le finance et le dense réseau religieux et bourgeois qui le soutien. Ce musée est donc à la connaissance de l’Afrique, et même du Vodou, ce que la Fondation
Vuitton est à l’art : une appropriation bourgeoise frisant le délire.

Strasbourg a certes besoin et a du coup presque une sorte de base avec ce musée pour affirmer les cultures africaines, très vivantes dans la métropole, dans un esprit démocratique (avec la participation des éléments des masses originaires de ces pays), populaire (en l’ouvrant sur la curiosité des masses alsaciennes, désireuses de mieux connaître une part de l’Afrique au-delà des clichés éculés entretenus par ce musée) et scientifique (en dépassant la seule question des cultes et du vodou et en développant une vraie perspective matérialiste historique, qui ne fétichise pas les cultures d’Afrique mais permet leur connaissance et leur métissage).

En un mot, on attend la confiscation populaire de ce lieu !

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Politique

1934, quand la Droite faisait rêver…

Lorsqu’on pense aux années 1930 et que l’on est de gauche on pense spontanément au fascisme et au front populaire de 1936. Mais, en France, l’Histoire s’apprend de manière découpée, en section altérant la compréhension des processus de moyen long terme.

En effet, c’est souvent sous l’angle d’un « moment », celui de mai-juin 1936 qu’on parle du Front Populaire, ce qui met dans l’ombre la dynamique interne globale qui a vu émerger cette expérience populaire de gauche.

Car l’arrière-plan de l’unité populaire en 1936, c’est évidemment le 6 février 1934 des ligues factieuses et plus généralement c’est la montée du fascisme en France alors que le pays a aux frontières deux pays fascistes, l’Allemagne (janvier 1933) et l’Italie (mars 1922). L’extrême droite française connaît alors un développement massif et populaire, tandis que que les forces de gauche sont affaiblies.

En 1933-1934, au plan des forces numéraires, alors que la S.F.I.C compte environ 60 000 membres et la S.F.I.O 120 000 adhérents, l’Action Française compte près de 60 000 membres, il y a 90 000 « Jeunes Patriotes » et 180 000 Croix De Feu. Il faudrait aussi mentionner les chemises vertes d’Hervé Dorgères, rassemblant près de 400 000 « fascistes ruraux » agissant dans les campagnes…

A la pointée de l’offensive fasciste en janvier-février 1934, ce sont 130 000 hebdomadaires de l’Action Française qui sont vendus avec une agitation de rue permanente dans Paris.

Pendant le Front Populaire, malgré le recul momentané des forces d’extrême droite, deux principaux partis se partagent le terrain réactionnaire : le Parti Populaire Français de Jacques Doriot et le Parti Social Français du Colonel de La Rocque. Avec Le PPF on a là une véritable machine fasciste, sur une ligne violemment anticommuniste et national-socialiste, rassemblant en 1937, 120 000 adhérents. Le PSF est quant à lui un véritable monument de la culture politique nationale, parti réactionnaire de masse avec plus 500 000 adhérents en 1938.

A ces deux principales forces parlementaires réactionnaires s’ajoute bientôt un groupuscule clandestin pratiquant une stratégie de la tension à coup d’assassinats et d’attentats, le Comité Secret d’Action Révolutionnaire ou dit « La Cagoule ». Ce groupuscule lié à certains secteurs de la haute bourgeoisie maintient des liens lointains avec des personnalités plus ou moins proches du Colonel De La Rocque.

La valse des intimidations violentes et des attentats menés par « La Cagoule » et la « dédiabolisation » du PSF issu des ligues Croix de Feu créé une tension sociale et politique profonde sur le peuple de gauche. Tout en noyautant l’armée, l’enjeu stratégique fut bien de favoriser une profonde tension à l’intérieur de la gauche (comme en 1937 à Clichy ) afin d’appeler à un retour militaire à l’ordre sous la direction des forces fascistes.

Dans cette ligne, à l’agitation militaire et politique s’ajoute le pilonnage idéologique de la société par des fascistes qui tissent des liens et développent une presse à scandale, basée sur des faits divers montés en épingle et analysés sous un angle raciste et antisémite, rappelant ce que l’on nomme aujourd’hui « fachosphère ».

L’hebdomadaire L’Ami du Peuple, fondé par le parfumeur François Coty et qui revendiquait plus de 3 millions de lecteurs est un bon exemple de cette presse populiste. François Coty fonde d’ailleurs en 1933 son propre mouvement appelé « Solidarité Française » , mouvement qui aura une forte implication dans les émeutes anti-parlementaires du 6 février 1934…

Il serait erroné de saisir cette montée du fascisme comme simple « caisse de résonance » des dynamiques étrangères, car c’est bien une dynamique interne au pays qui l’alimente. Un exemple de cela est l’échec des « chemises bleues » fondées en 1926 par Georges Valois, ancien syndicaliste révolutionnaire puis acquis au nationalisme de l’Action Française. Les « Chemises bleues » qui comptent alors 25 000 membres, disparaissent pourtant en 1927, preuve qu’un simple décalque du fascisme italien ne prend pas dans les mentalités et les valeurs françaises.

Ce qui marchera en France, c’est le national-catholicisme , comme le prouve ensuite la politique du régime de Vichy fondée sur un corporatisme maurassien : défendre le « pays réel » identifié aux villages ruraux cimentés par la morale du clergé et le conservatisme de « La Terre ». La prégnance des « chemises vertes » rurales dans les années 1930 a ainsi fourni l’armature politique et idéologique au pétainisme.

Aborder le Front Populaire de 1936-1938 c’est donc nécessairement prendre en compte la vitalité et l’importance des forces fascistes françaises développées sur une base nationale. Il est peu étonnant que la réaction antifasciste unitaire de 1934 se soit élancée essentiellement des campagnes , comme illustration de l’agitation profonde que connaît le cœur de la société française de l’époque.

Les années 1930 ont été l’histoire de la gauche autant que l’histoire de l’extrême droite, et c’est en cela d’ailleurs qu’elles constituent un puissant miroir de notre époque actuelle…

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Société

GPA : « Non au marché de la personne humaine »

 

Cette tribune est initialement parue sur le site du Le Monde, dans une version malheureusement payante.

En un temps où l’on s’insurge contre les violences faites aux femmes, où l’on traque les stéréotypes de genre et où l’on revendique l’égalité des sexes, il serait opportun que l’usage commercial de leur corps dans l’industrie procréative mobilise davantage l’opinion publique et les médias.

Au lieu de cela, on observe une étrange complaisance à l’égard de ce que l’on nomme abusivement une « technique », alors que la maternité de substitution est une « pratique sociale » qui consiste à louer la vie d’une femme, jour et nuit, pendant neuf mois.

Pour lui donner un aspect altruiste, on appelle gestation pour autrui (GPA) la convention par laquelle une femme s’engage à devenir enceinte (par insémination artificielle ou transfert d’embryon) et à accoucher d’un enfant qu’elle remettra dès sa naissance, et moyennant paiement, à ses « parents contractuels ».

Personne ne peut ignorer que cette pratique fait partie d’un marché procréatif mondialisé en pleine expansion, qui inclut, comme en Californie, la vente du sperme et des ovocytes. Là où il existe, ce marché constitue une forme nouvelle d’appropriation du corps féminin.

L’enjeu des choix législatifs nationaux et internationaux en ce domaine est considérable, face à la pression de tous ceux qui trouvent un intérêt financier important dans cette affaire : cliniques, médecins, avocats, agences de « mères porteuses », auquel s’ajoute l’intérêt subjectif de ceux que les agences appellent sans vergogne les « clients » et qui désirent obtenir un enfant à tout prix.

L’objet d’un tel commerce n’est pas seulement la grossesse et l’accouchement, c’est aussi l’enfant lui-même, dont la personne et la filiation maternelle sont cédées à ses commanditaires.

On convient à l’avance du prix du « service »

Dans son principe, une telle transaction commerciale (elle l’est toujours, même si l’on déguise le paiement en indemnité ou dédommagement) est contraire aux droits de la personne humaine et s’apparente à une forme de corruption.

De corruption en effet, puisqu’elle attribue une valeur marchande et à l’enfant et à la vie organique de la mère de substitution. Car l’un et l’autre sont des personnes, sujets de droits, et il existe une différence, capitale en droit, entre les personnes et les biens. De plus, depuis l’abolition de l’esclavage, nul ne peut exercer sur une personne humaine les attributs du droit de propriété.

C’est pourquoi, en matière d’adoption, la Convention de La Haye interdit tout arrangement programmant à l’avance l’abandon d’un enfant par sa mère de naissance et tout paiement de l’enfant par les parents adoptifs.

Or c’est un tel arrangement préalable qui est en cause avec la maternité de substitution : on convient à l’avance du prix du « service » rendu par la mère et donc du prix de l’enfant à naître. Et celle qui accouche est bien la mère biologique, même lorsque l’enfant n’hérite pas de ses gènes, car un embryon n’a aucune chance de devenir un enfant sans un corps féminin qui lui assure son lent développement biologique. On ne fait pas un enfant seulement avec des gènes.

« DEPUIS L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE, NUL NE PEUT EXERCER SUR UNE PERSONNE HUMAINE LES ATTRIBUTS DU DROIT DE PROPRIÉTÉ »

La GPA est ainsi une façon de falsifier la filiation maternelle de l’enfant en substituant une mère « intentionnelle » à sa mère de naissance. Certains demandent à la France de transcrire tels quels les actes d’état civil établis à l’étranger sur la base d’une GPA, sachant que cette transcription légitimerait la GPA et mettrait immédiatement en cause notre législation.

Or, en dépit de mensonges réitérés sans relâche, ces enfants ont heureusement des papiers, par exemple des passeports américains, ou délivrés par d’autres pays, et si l’un de leurs parents est français ils obtiennent un certificat de nationalité. Dans son arrêt du 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme elle-même a reconnu que la famille Mennesson vivait en France « dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles ».

Certains soulignent que des femmes « consentent », en connaissance de cause, à servir de mères porteuses, et donc qu’elles acceptent leur propre aliénation et leur propre marchandisation. Sans doute : mais l’inégalité économique entre la femme et ses clients explique assez ce genre de consentement.

Et surtout, dans une société où il y a des lois protectrices des droits fondamentaux, il n’appartient pas aux individus de passer entre eux des contrats contraires à ces droits. C’est pourquoi, en France, nul ne peut consentir légalement à vendre un de ses reins, ni s’engager à devenir esclave.

Résister au « marché total »

Dans cette affaire, débattue dans notre pays depuis presque trente ans, il s’agit de comprendre que la demande d’enfant est déjà un effet de l’offre médicale, dès lors que la médecine, oubliant l’impératif de ne pas nuire, collabore avec les marchés du corps humain au nom de la liberté des contrats.

Dans certains pays, des médecins ne voient pas non plus d’inconvénient à greffer sur leurs patients des reins achetés à des « donneurs » vivants, ou même extorqués par des trafiquants aux populations les plus déshéritées, comme les réfugiés.

Le corps médical doit ainsi s’inquiéter de savoir s’il veut sacrifier son éthique à une idéologie ultralibérale qui tend à réduire la personne humaine à une ressource biologique disponible sur le marché. Dans le passé, ne l’oublions pas, des médecins éminents se sont compromis avec des idéologies encore plus redoutables : la bioéthique est née à partir des procès de Nuremberg.

La responsabilité du législateur est ici immense, car le respect des droits de la personne humaine et de son corps est l’un des principaux critères susceptibles de définir une société civilisée.

Les Etats doivent-ils renoncer à la protection des personnes en les abandonnant aux lois du marché ? L’enfant doit-il être conçu comme un produit dont le prix fluctue selon l’offre et la demande ?

Il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre et d’avoir le courage de résister au « marché total », comme c’est encore le cas de la plupart des pays européens. L’honneur de notre pays serait, avec d’autres, de travailler à l’abolition universelle d’une pratique qui touche aujourd’hui, dans le monde, les femmes les plus vulnérables.

Eliette Abécassis, écrivaine ;Sylviane Agacinski, philosophe ; Marie Balmary, psychanalyste ;
Pilar Aguilar Carrasco, représentante du groupe espagnol No somos vasijas ; Marie-Jo Bonnet, historienne des femmes ; José Bové, député européen ; Lise Bouvet, philosophe, politiste et traductrice féministe ; Didier Cahen, écrivain ; Laure Caille, présidente de l’association Libres Mariannes ; Geneviève Couraud, présidente de l’association l’Assemblée des femmes ; Michèle Dayras, médecin, présidente de SOS Sexisme ; Maria De Koninck, professeure émerite à la faculté de médecine de l’Université Laval ; Anne Desauge, secrétaire générale d’Elus locaux contre l’enfance maltraitée (Elcem) ; Ana-Luana Stoicea-Deram, présidente du Collectif pour le respect de la personne ; Laurence Dumont, députée, initiatrice des Assises pour l’abolition universelle de la GPA ; Alice Ferney, écrivaine ; Eric Fiat, professeur de philosophie morale et d’éthique médicale, à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée ; René Frydman, gynécologue obstétricien ; Cristina Gramolini, présidente de l’association nationale Arcilesbica, Italie ; Florence Gruat, cadre hospitalière sup, docteure en éthique ; Diane Guilbault, présidente du groupe pour les droits des femmes du Québec ; Béatrice Joyeux-Prunel, historienne de l’art contemporain ; Frédérique Kuttenn, professeure émérite d’endocrinologie de la reproduction ; Catherine Labrusse-Riou, ­professeure de droit à l’université Paris-I ; Anne-Yvonne Le Dain, géologue, agronome, ancienne députée ; Manuel Maidenberg, pédiatre ; Christine Mame, présidente d’Elus locaux contre l’enfance maltraitée (Elcem) ; Francesca Marinaro, représentante de l’association italienne Se non ora quando – Libere ; Yaël Mellul, ancienne avocate, présidente de l’association Femme & libre ; Florence Montreynaud, historienne et féministe ; Françoise Morvan, présidente de la coordination française pour le lobby européen des femmes, membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; Isabelle Moulins, présidente du Centre évolutif Lilith de Marseille ; Nicole Péry, ancienne secrétaire d’Etat aux droits des femmes et vice-présidente du Parlement européen ; Yvette Roudy, ancienne ministre des droits des femmes ; Dominique Schnapper, directrice d’études à l’EHESS, ancienne membre du Conseil constitutionnel ; Martine Segalen, ethnologue, professeure émérite des universités ; Didier Sicard, professeur émérite de médecine et ancien président du Comité consultatif national d’éthique ; Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste, présidente de l’association La Cause des bébés ; Jacques Testart, biologiste de la procréation ; Henri Vacquin, sociologue ; Monette Vacquin, psychanalyste ; Jean-Louis Vildé, professeur émérite pour les maladies infectieuses ; Jean-Pierre Winter, psychanalyste.

Associations et collectifs : Association nationale Arcilesbica, Italie ; Assemblée des femmes ; Collectif pour le respect de la personne (CoRP) ; CQFD Lesbiennes Féministes ; Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac) ; Elus locaux contre l’enfance maltraitée ; Femme & Libre ; groupe No somos vasijas ; Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) ; association Se non ora quando – Libere ! (Espagne) ; Libres Mariannes ; collectif Ressources prostitution ; SOS Sexisme

 

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Le Parti socialiste de Loire-Atlantique dénonce l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes

La fédération de Loire-Atlantique du Parti socialiste a réagi à propos de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes en dénonçant « une vision à court terme » dans le titre de son communiqué.

Cela en est presque risible tellement c’est hors de propos. La vision « à court terme », c’est justement celle des partisans du projet qui n’ont pas encore compris en 2018 l’importance des zones humides et des milieux naturels pour l’avenir de notre planète.

Faut-il encore que l’humanité bétonne des milliers d’hectares de marécages et déversent un peu plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère avec l’accroissement du trafic aérien pour que ces gens comprennent ce qui est en jeu ?

Rien n’est plus « à court terme » justement que de croire que l’humanité puisse continuer son développement économique sans tenir compte des erreurs qu’elle a faite aux XIXe et XXe siècles.

Le Parti Socialiste se prétend écologiste et affiche sous son logo le terme « social-écologie ». On se demande bien pourquoi.

Comment peut-on se prétendre écologiste, invoquer « l’État de droit » comme il est fait dans ce communiqué, et ignorer ainsi la Loi sur l’eau ?

Tout écologiste sait pertinemment, et ce depuis de nombreuses années, que la Loi sur l’eau avait été littéralement piétinée par ce projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

Le reste de l’argumentaire du communiqué consiste en une sorte de chantage au développement économique, prétextant que la Loire-Atlantique serait un bon élève en France et aurait donc le droit à « son » équipement. Cela n’a pas grand-chose à voir avec les valeurs sociales et universelles de la gauche française.

C’est une vision d’entrepreneurs, de libéraux, de personnes ayant foi en les possibilités de développement économique du capitalisme. Mais ce n’est certainement pas un point de vue socialiste.

Les propos grandiloquents de la Maire de Nantes Johanna Rolland, membre du Parti Socialiste, sont du même registre :

« Je demande donc officiellement au Président de la République de me recevoir pour parler de l’avenir de la Métropole, de l’avenir du grand Ouest. Et la question que je lui poserai, elle est simple : « Est-ce que l’Ouest peut encore compter sur l’État pour son avenir ? »

Car l’abandon de ce projet d’État ne peut être synonyme d’abandon de l’Ouest. Nous participons activement à la dynamique du pays.

Nous sommes une terre source d’innovation, d’équilibre. Nous sommes moteurs dans beaucoup de domaines.

C’est de l’avenir des 600 000 habitants de la Métropole dont je veux lui parler.»

Voilà qui n’est pas sérieux. Voilà qui est bien éloigné de l’engagement et du flegme dont a besoin la gauche française pour se reconstruire.

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Politique

Parti socialiste : lettre pour l’unité contre Emmanuel Maurel

A l’occasion de la candidature de Luc Carvounas, Stéphane Le Foll et Olivier Faure au poste de secrétaire du Parti socialiste, des élus et des membres de la direction de ce dernier ont signé une « lettre pour l’unité ».

L’initiative part de Rachid Temal, coordinateur du Parti socialiste et représente le courant dominant de ces dernières années, liées à François Hollande. Cet appel à l’unité est, en ce sens, en fait un appel à battre un autre candidat, Emmanuel Maurel, qui représente le courant Maintenant la gauche, qui vient justement de publier un document exprimant sa lligne politique : L’ambition de gagner.

Lettre pour l’unité

Cher Luc, cher Olivier, cher Stéphane, Nous nous adressons à vous en cette veille de congrès car, membres de la majorité sortante comme vous, nous voulons vous transmettre un message.

Nous recevons vos candidatures séparées comme un engagement parce que notre parti, après les défaites historiques qu’il a subies, a besoin de débats, de réflexion et d’abnégation.

Vos initiatives démontrent que des hommes et des femmes pensent encore que notre histoire commune doit continuer pour la Gauche et pour la France. Ceci ne sera possible qu’au terme d’un profond renouvellement.

Si vos candidatures ont provoqué un regain d’attention pour le PS, elles ne peuvent porter que sur le fond et ne doivent pas se transformer en conflit de personnes qui nous ont tant abimés. Nous ne pouvons plus nous le permettre. Le pays a besoin de la Gauche parce qu’il n’est pas sain, pour une démocratie, que l’opposition ne soit portée que par les extrêmes. Sans la gauche, la France n’est plus la France.

Dans un monde incertain, où Trump, Poutine et d’autres illustrent par leurs politiques à quel point la démocratie n’est jamais acquise, le besoin d’Europe et d’une France debout est fort pour humaniser la mondialisation en œuvrant à un développement solidaire et à la paix.

Au moment où le Président de la République veut s’identifier au centre pour ne pas assumer sa politique libérale et Jean-Luc Melenchon veut incarner le peuple contre les élites, seul le PS peut rassembler la gauche. Nos militants et électeurs qui nous font encore confiance attendent beaucoup de nous. C’est pourquoi nous voulons réaffirmer quelques principes, avant l’ouverture de ce débat.

Un certain Parti socialiste est mort dans les urnes en 2017. Une certaine façon de faire de la politique doit bel et bien être enterrée. L’exigence, la sincérité et surtout l’utilité du PS, sa capacité à être humble et en résonnance avec les grands enjeux de société, voilà ce que le pays attend de nous pour pouvoir à nouveau redevenir audible et crédible. Les motions que vous présenterez, leurs analyses et les propositions que vous ferez nous aideront à comprendre ce qui vous distingue sur le fond.

Mais nous voulons vous rappeler un engagement commun : si le prochain congrès doit engendrer un profond renouveau, il ne peut le faire en rompant avec la culture de gouvernement qui est notre bien commun. Il faut mener un inventaire sérieux et lucide des cinq dernières années, au plan national comme au niveau européen.

Il nous faut tourner la page, nous rénover mais aussi assumer ce que nous fûmes au pouvoir. Si ce travail demande distinction et objectivité, on ne peut pas se contenter de la culture d’opposition. Nous avons tranché collectivement cette question.

Nous sommes et restons l’opposition de la gauche responsable. Chaque terme a son importance et son sens. Nous devons aussi travailler à l’autonomie du PS.

Aujourd’hui, aucune alliance politique ne s’impose. Emmanuel Macron construit une orientation de centre-droit, à vocation libérale et installe une autorité verticale toujours refusée par les socialistes.

Nous lui opposons une conception équilibrée de l‘économie, un refus du tout libéral, un renforcement de la solidarité, une décentralisation approfondie et un respect des corps intermédiaires.

L’actuelle crise structurelle du Front National met de côté, provisoirement, l’argument du vote utile face au risque frontiste, même si ses idées sont toujours violemment présentes dans le débat politique et ont dépassé depuis longtemps le cadre strict du parti d’extrême droite.

Quant à Jean-Luc Melenchon, touché par les sirènes populistes, il veut substituer un clivage élite/peuple au clivage gauche/droite, estimant les partis de gauche dépassés. Ne lui donnons pas raison !

Décider d’un type d’alliance, à cet instant de notre débat, reviendrait à nous subordonner, donc à disparaître. La rénovation avant les alliances devrait être notre ligne de conduite.

Cette démarche n’exclut ni les partenariats ponctuels sur certains sujets, ni une relation rénovée avec les autres femmes et hommes de gauche. Nous voulons le rassemblement du peuple de gauche et nous pensons être les seuls à pouvoir pratiquer le et – et : et ceux qui ont voté Macron, et ceux qui ont voté Melenchon et ceux qui se sont abstenus.

Le PS est encore le seul parti à pouvoir proposer ce rassemblement des électeurs de toutes les gauches, y compris dans le cadre d’un débat ouvert et constant au sein de la Gauche. Nous devons procéder de nous-mêmes mais aussi parler à ceux que nous avons déçus et que d’autres ont trompés Nous voulons également réaffirmer notre orientation.

Nous devrons aborder les élections européennes en européens et les élections municipales en décentralisateurs.

Pour cela, il faudra nous engager avec volontarisme et modestie, ne pas s’emballer pour un succès, ni se désespérer pour un revers, parce que la route de la reconstruction ne sera pas linéaire.

Nous vous proposons deux rappels :

– Le congrès qui s’ouvre n’épuise pas les sujets. Il faudra préparer, sous une forme renouvelée, ouverte et participative, les Conventions thématiques qui jalonneront notre reconstruction. Il nous faudra rajeunir, féminiser, représenter les territoires et prendre en compte la réalité sociologique de notre pays.

Notre Parti devra être décentralisé et ouvert. Il devra co-construire avec la société. Il faut un programme de travail dense avec le militant placé au coeur.

– Le Parti Socialiste a besoin d’une majorité claire, ce qui n’exclut pas la minorité. Mais, pour qu’il y ait un travail efficace, il faut que chacun inscrive son action dans un cadre prônant l’efficacité. Le travail en commun ne peut pas être la confusion. Le congrès d’orientation ne peut pas se rejouer sur chaque sujet en débat.

Nous souhaitons que, lorsque ce débat aura été arbitré par les militants, vous vous retrouviez sur les bases alors définies pour constituer une vraie majorité, car il n’y a pas de Parti renouvelé sans majorité assumée.

Premiers signataires : premier-es fédéraux, responsables nationaux et fédéraux ADOMO Caroline, ALARCON Antony, ASSARAF Christian, ARNAUD Samuel, AUGIER Florence, AZZAZ Nadège, AZOULAI Laurent, BERGOUNIOUX Alain, BLATRIX Florence, BRIEN Nicolas, BRUNSCHWIG Xavier, BODIN Nicolas, BOURGI Hussein, BOUAMRANE Karim, BORD Corinne, BRAUD Maurice, BROUSSY Luc, BRUEL Mickael, CANET Michel, CARREIRAS Joël, CLAVEQUIN Maude, CIOT Jean-David, CHANTRELLE Laurent, CHENUT Jean-Luc, CHEVALIER Fabien, COILLARD Stéphane, CONWAY-MOURET Hélène, COUMET Jérôme, DANEL Pierre, DESTOT Michel, DELBOS Olivier, DIOP Dieyneba, DOUCET Philippe, ELKOUBY Eric, FABIANO Patrice, FAGES Marie-Laure, FILLEUL Martine, FINIELS Philippe, FOUILLERE Christophe, GAGNAIRE Franck, Brice GAILLARD, GELLY-PERBELLINI Michel, GERARDIN Annie, GINER Bernard, GUUDUBOIS Elisabeth, GLOANEC-MAURIN Karine, GROSNON Thierry, GUERRIEN Marc, GUILLAUME Sylvie, HADIZADEH Ayda, HARQUET Philippe, HOFFMANN-RISPAL Danièle, IBARRA Stéphane, JEAN BAPTISTE EDOUARD Léon, JOUBREL Yannig, KHADEMI Antoine, LIME Catherine, LE CONSTANT Philippe, LE GARREC Alain, LE MEAUX Vincent, LE MOËL Annaig, LEPRÊTRE Marie, LEPRETRE Patrick, LIOUVILLE Jean-Pierre, MATHELIER Guillaume, MAALOUF Rita, MARECHAL Denis, MAUPAS Valérie, MESSAFTA Lies, MEYSEN Felix, MOINE Philippe, NARASSIGUIN Corinne, NICOLLET Eric, NIEPCERON Loïc, NEUGNOT Michel, ORAIN Frédéric, OUMER Nawel, PAPOT Jean-François, PESCHEUX Victor, PICARD Maxime, POLSKI Olivia, RECALDE Marie, REVAUL D’ALLONES-BONNEFOY Christine, RISPAL Gérard, ROULY Nicolas, ROUILLON Christophe, ROY Isabelle, ROZE Christophe, SAYER Ghislain, SAW Fatoumata, SEVE Patrick, SFEZ Nicolas, SADOUN Marc, SOUMARE Ali, VALENTI Paola, TEMAL Rachid, THOMAS Jean-Jacques, TRIJOULET Thierry, TRIGANCE Yannick, TYSSEYRE Jean-Michel, VIEU Patrick, VENON Boris, VERON Vincent, VINCENT Bernard, WOLF Romain

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Emmanuel Maurel : L’ambition de gagner

Emmanuel Maurel, candidat au poste de secrétaire du Parti socialiste, a publié un document exprimant sa ligne politique.

L’ambition de gagner.

Vous pouvez signer ici ou par mail emmanuelmaurel2018@gmail.com

UNE RESPONSABILITÉ HISTORIQUE.

Notre parti, le Parti socialiste, connaît une situation inédite. La double déroute du printemps 2017 n’a en effet pas d’équivalent dans notre histoire politique. En 2012 nous avions tous les leviers pour transformer la société. Cinq ans plus tard, nous n’en avons pratiquement plus aucun. Jamais, sous la Vème République, un parti n’est passé si vite de l’omniprésence politique à la marginalité électorale.

Ce vote-sanction ne saurait s’expliquer par la seule « usure du pouvoir ». Pour nombre de nos compatriotes de gauche, ce quinquennat a représenté une perte des repères spectaculaire. Pacte de responsabilité, loi travail, déchéance de nationalité : les Français ne se sont pas reconnus dans ce que nous avons fait, et, finalement, ne nous reconnaissent plus.

Dans ce paysage politique profondément bouleversé, il serait déraisonnable de penser que nous reviendrons mécaniquement aux responsabilités. Il faudra plus que les fautes des uns ou les échecs des autres pour revenir au pouvoir. La reconquête requiert un travail collectif méthodique, humble, sérieux, et l’ambition assumée de changer la société : pour ceux qui souffrent le plus, la reconquête ne peut pas attendre.

Nous en sommes capables ! Parce que nous continuons à croire à l’actualité du message socialiste.

Parce que, sur le terrain, des milliers de militants et d’élus continuent d’agir sans rien renier de nos principes communs. À celles et ceux qui ont eu le courage de rester, nous proposons de relever la tête, de viser l’horizon et de redonner l’espoir.

1. CE QUE NE DOIT PAS ÊTRE LE CONGRÈS D’AUBERVILLIERS.

Nous n’avons pas le droit ou le luxe de reproduire les figures habituelles. Évitons :

Un Congrès de « gouvernance », dans « l’entre soi », dont l’enjeu serait le choix du prochain syndic de copropriété, uniquement chargé de faire la police du bruit dans les étages du Parti. Au contraire : du bruit, il faudra en faire pour être à nouveau entendus. Et pour faire du bruit, il nous faudra être rassemblé autour d’une voix forte et claire.

Un Congrès « règlement de comptes » refaisant, dans l’indifférence des Français, le match du quinquennat. Bien sûr, nous devons tirer le bilan de l’expérience de 2012-2017.

Mais à quoi bon se renvoyer la balle sur la responsabilité des uns et la faute des autres ? Cela nous ferait oublier qu’un parti vivant doit regarder en avant et pas systématiquement dans le rétroviseur.

Un Congrès « hors-sol », une juxtaposition de slogans creux et de digressions thématiques intéressantes mais sans rapport avec les vraies questions qui nous sont posées au lendemain d’une telle débâcle.

Quelles réponses apporter aux enjeux économiques, sociaux, géopolitiques, régaliens, culturels qui interrogent, voire déstabilisent notre société démocratique ? Les Français ne nous jugeront dignes d’être à nouveau écoutés qu’à la condition de travailler sérieusement ces problèmes.

2. CE QUE DOIT ÊTRE LE CONGRES D’AUBERVILLIERS.

Le Congrès d’Aubervilliers doit constituer une première étape déterminante dans la reconstruction de notre unité et de nos perspectives collectives.

1. Réaffirmer la nécessité d’une voie socialiste distincte du social-libéralisme.

A l’heure où les inégalités se creusent à une échelle jamais observée dans l’Histoire, la social-démocratie se trouve comme paralysée. Alors que sa mission historique était de porter un meilleur compromis entre le capital et le travail au niveau des États-nations, elle semble y avoir renoncé depuis l’avènement de la globalisation.

Pire, elle donne le sentiment de s’accommoder, voire, parfois, d’accompagner un nouvel ordre planétaire inégalitaire, individualiste, marchand.

Ce “modèle” de développement est pourtant condamné. Il détruit les solidarités et les écosystèmes. Il va même jusqu’à corrompre l’intégrité de la personne et de la conscience, sous l’emprise de la marchandisation et du consumérisme. Il est à proprement parler insoutenable.

C’est le paradoxe du moment  que nous vivons : au moment où la gauche peine, nous n’avons jamais eu autant besoin d’un socialisme républicain, antilibéral, écologiste.

2. Assumer clairement les conséquences stratégiques qui s’imposent : opposition à la politique d’Emmanuel Macron, unité des forces de transformation de la société

Le Parti socialiste doit être sans ambiguïté dans le contexte national issu des élections. Nous sommes un parti  d’opposition et certainement pas la force supplétive d’une majorité clairement marquée à droite.

Les six premiers mois du quinquennat (ordonnances Travail, suppression de l’ISF, flat tax sur les revenus financiers, baisse des APL, contrôle des chômeurs…) ont démontré de manière éclatante qu’on ne peut pas être socialiste « et en même temps » dans la complaisance à l’égard de Macron. Le cap a été donné, il ne changera pas. Idéologiquement, politiquement, économiquement, Emmanuel Macron est le Président des riches.

Pendant ce temps, la société civile continue d’évoluer et d’élaborer des revendications nouvelles. Ce faisant elle a produit de nouvelles formes de contestation et d’intervention dans le champ politique : la lutte pour la cause des femmes, les nouveaux comportements de consommation, la dénonciation des paradis fiscaux, la solidarité avec les migrants, la mise en accusation des pollueurs, la révolte devant l’avidité sans limites du capitalisme financier…

Ces nouvelles aspirations ont d’ailleurs été reconnues et prises en compte par la gauche. Dans les collectivités locales, les élus socialistes expérimentent et innovent.

Beaucoup ont choisi les circuits courts face à la grande distribution et la malbouffe, de se battre pour faire reculer la pollution, la précarité ou la désindustrialisation, certains expérimentent le revenu de base… À leur échelle, ils contribuent déjà à la transformation écologique et sociale de la France.

Le Parti socialiste devra reconnaître et étendre ces expériences, tout en leur offrant un débouché politique à l’échelle de notre nation et du continent. C’est pourquoi sa ligne stratégique doit être celle d’un dialogue avec toutes les forces de gauche qui veulent transformer la société en profondeur.

3. Pour renouer avec le corps central de la société

Nous considérons que la renaissance du Parti socialiste implique de renouer avec le corps central de la société, c’est-à-dire les millions d’ouvriers et d’employés qui se sont progressivement détournés de nous à partir des années 2000.

Cela suppose de donner une priorité réelle dans nos programmes à des questions trop souvent esquivées ces dernières années, telles que le pouvoir d’achat des salariés ou la présence des services publics sur les territoires.

Partager les richesses

Le néolibéralisme déstructure et déshumanise, il empêche de bien travailler et sa rengaine de « l’insuffisante compétitivité » ajoute la démoralisation au stress, alors même que la productivité du travail est en France parmi les plus élevées du monde.

Les salariés attendent de nouvelles perspectives sur leur pouvoir d’achat, sur la sécurité sociale, la protection de l’emploi et la démocratie dans l’entreprise. Ils attendent aussi que nous ripostions fermement à la précarisation et l’atomisation sociale dont usent et abusent les entreprises « innovantes » et « disruptives » du monde merveilleux de l’ubérisation.

Aujourd’hui, les socialistes doivent continuer de se mobiliser contre les ordonnances Macron et la loi travail.

Mais c’est aussi leur rôle de mener campagne pour l’augmentation du SMIC (au moment où le mode de calcul de celui-ci est remis en cause), de proposer une « loi islandaise » d’interdiction du moindre écart de salaire entre les hommes et les femmes.

Pour l’écosocialisme

Au risque de l’accaparement des richesses par une minuscule oligarchie, s’ajoute celui d’un désastre écologique et climatique, alors que l’on sait aujourd’hui que les engagements internationaux actuels demeurent insuffisants pour le conjurer, voire juste le limiter.

Qui ne voit, à gauche du moins, que les deux phénomènes, l’ultra-domination économique et financière des « 1% » et la catastrophe climatique, sont inextricablement liés ?

L’extrême polarisation des richesses, les conditions insensées de l’exploitation du travail et des ressources naturelles, la dilatation des rapports de production et des profits dans la sphère financière : tout se tient.

Écosocialistes, nous lions le combat social et le combat écologique en renouant avec nos fondamentaux, et en renonçant à la course effrénée au profit et au productivisme, des périls mortels pour le genre humain.

Pour une relance des services publics

Enfin il n’y aura pas d’égalité sociale – et encore moins d’égalité entre les territoires – sans une relance des services publics. Nous avons laissé transformer La Poste, la SNCF, EDF, GDF, France Telecom, en entreprises sinon complètement privées, du moins complètement livrées à la concurrence.

Faut-il répéter que c’est là un pur non-sens ? Les services publics doivent fournir des services de qualité accessibles partout et à tous, ce que ne permet pas le marché. Ils nécessitent des investissements à 30 voire 50 ans.

Comment pourraient-ils fonctionner correctement dans un cadre concurrentiel dont le long terme se mesure en mois ? Interrompre la marche folle à la marchandisation des services publics : voilà un axe politique majeur – et un sujet sur lequel mettre en scène la réfutation en actes des contraintes européennes.

4. Pour une Europe au service des peuples

En n’ayant pas su associer engagement européen et souveraineté démocratique, la gauche a été punie et il en a résulté une désaffection grandissante des peuples.

Cette crise de confiance suppose de briser la logique austéritaire et inégalitaire de l’Europe et d’en revenir à son ambition initiale : celle d’un espace de solidarité, de prospérité et de protection pour tous.

Mais pour ce faire, nous ne pouvons plus nous payer de mots et d’incantations (« et maintenant l’Europe sociale »). Le risque d’une confrontation doit être assumé clairement, à l’avance, particulièrement pour ce qui relève de la gestion de l’euro, des politiques budgétaires, industrielles et de l’harmonisation sociale.

La France doit cesser de sous-estimer sa capacité d’influence ; elle doit rompre avec l’illusion qu’on n’est « crédible » qu’en se montrant l’élève le plus docile et zélé de la classe européenne.

Notre responsabilité européenne nécessite aussi de s’opposer au règne du libre-échange intégral, sous-tendu ces dernières années par la multiplication de projets d’accords bilatéraux (CETA, Mercosur, Corée du Sud, Vietnam, Australie, Mexique…) dont les conséquences risquent d’être dévastatrices pour nos industries et notre agriculture.

Les autres grands ensembles géopolitiques (USA, Chine…) veillent à leurs intérêts économiques, pourquoi l’Europe serait-elle la seule refuser de le faire ?

Enfin, comme on l’a observé à l’occasion des Panama Papers, Luxleaks et Paradise Papers, l’Europe s’est montrée faible face au pouvoir de l’argent. Certains États-membres, comme les Pays-Bas, le Luxembourg, se comportent en véritables paradis fiscaux.

L’Union européenne est encore trop timide pour lutter contre la fraude. Ce n’est plus supportable. Dans ce domaine aussi, la France doit prendre l’initiative, en assumant le risque de la confrontation.

Les Français veulent se protéger et se projeter : se protéger des menaces de désindustrialisation, de précarisation, de communautarisme et de dérèglement climatique, et se projeter dans l’avenir, comme ils l’ont toujours fait jusqu’ici, en relevant les défis du monde.

Entre d’un côté les partisans, au pouvoir, d’une libéralisation de tout et de tous et, de l’autre, les bonimenteurs du repli sur soi, notre Parti peut incarner cette double mission de protection et de projection. Il le peut, il le doit ; reste à le vouloir. C’est l’enjeu de ce Congrès.

5. Un parti conquérant

La lucidité impose de le reconnaître : parmi les causes de l’échec du quinquennat, il y a le rapport trop peu critique aux institutions de la Vème.

L’acceptation du présidentialisme qui implique que tout soit soumis à l’exécutif, la trop grande influence de la technostructure d’État et de certains milieux d’affaire, ont nui considérablement à notre exercice du pouvoir. Dans le même temps, renonçant à son autonomie, le Parti a été volontairement inaudible.

Or le rôle du Parti socialiste, c’est d’être l’acteur vigilant de la transformation quand nous gouvernons.

Dans l’opposition, il s’engage dans des mobilisations exemplaires (et en premier lieu celle de ses élus locaux qui s’insurgent légitimement contre les premières mesures du nouveau pouvoir) et prépare la reconquête avec méthode.

Nous voulons que les militants soient les acteurs de la reconquête. Pour cela, nous proposons la tenue trimestrielle de grandes conventions, et le recours régulier au référendum militant pour trancher certaines questions essentielles. Il faudra également produire un effort réel pour apporter une forte formation aux militants.

Ensemble, réfléchissons à une nouvelle organisation qui valorise toutes les formes d’implication et d’engagement : local, bien sûr, mais aussi thématique, dans un secteur professionnel ou en entreprise.

Enfin, il faudra mettre en chantier l’élaboration d’un manifeste pour le socialisme des temps nouveaux dont l’objectif sera de confronter les fondamentaux de notre doctrine aux défis contemporains (numérique, biotechnologies, etc.) qui bouleversent l’humanité.

***

L’UNION ET L’ESPOIR !

Le Congrès d’Aubervilliers doit constituer une première étape déterminante dans la reconstruction de notre unité et de nos perspectives collectives.

En 74, un jeune premier, libéral et prétendument surdoué, parvenait à l’Élysée en incarnant l’aspiration au changement, tout en poursuivant une politique plus favorable aux rentiers qu’au monde du travail. La gauche rassemblée le battit dès la fin de son premier mandat.

En 93, le Parti socialiste perdait les trois quarts de ses députés. Par les commentateurs, il était condamné à des décennies d’opposition, voire à une disparition prochaine. Quatre ans plus tard, il dirigeait à nouveau la politique de la Nation, accomplissant la réduction du temps de travail et mettant en place la CMU.

À chaque fois, les conditions du succès furent les mêmes : l’union et l’espoir.

Certes, comme l’expérience militante nous l’a appris, l’union est un combat. Certes, l’espoir ne se décrète pas : il renaît lorsque nous dégageons l’horizon des Français et des Européens, lorsque nous refusons les fatalités qui aliènent, et lorsque nous proposons des mesures qui permettent à chacun d’entrevoir qu’une autre vie, au quotidien, est possible.

L’espoir naît du droit aux bonheurs. Dans quatre ans, si elle redevient elle-même, la gauche gagnera.

À nous d’éclairer le chemin et plus nous serons nombreux, plus vite renaîtra parmi nos concitoyens l’espoir d’un monde différent.

Oui, un nouvel avenir est possible pour le Parti Socialiste et pour la Gauche !

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Écologie

L’abandon officiel du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes

L’annonce par le gouvernement de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes près de Nantes est assurément une bonne nouvelle pour toutes les personnes réellement de gauche. La persistance de ce projet était une insulte permanente à l’idée de progrès et de civilisation. C’était une idée d’un autre temps, portée par des forces antidémocratiques.

L’humanité ne peut plus s’imaginer pouvoir vivre en dehors de la nature, considérant la planète Terre comme un gros caillou pourvoyeur de « ressources » lui appartenant unilatéralement. L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes devait assécher plusieurs hectares de zones humides, au mépris des connaissances scientifiques de notre époque quant à leur importance.

Les personnalités politiques et économiques favorables au projet s’offusquent d’une décision qui serait anti-démocratique. En réalité, c’est précisément l’inverse qui est vrai.

Si l’on considère que la France est un État de droit, cela signifie que les lois sont censées s’appliquer. Or, le projet d’aéroport, quelque-soit la manière dont il était abordé, bafouait systématiquement la loi sur l’eau.

La loi sur l’eau est une loi datant des années 1970 et ayant connus quelques évolutions. Malgré ses limites évidentes, son but est justement de protéger les zones humides comme celle de Notre-Dame-des-Landes.

L’ensemble des décisions de justice rendues en faveur de la construction de l’aéroport allaient à l’encontre tant de l’esprit que de la lettre de cette loi. Elles consistaient en une interprétation unilatérale et biaisée de la réalité.

À partir du moment où il est techniquement possible de faire autrement, la destruction d’une zone humide est interdite.

De plus, de nombreux rapports, dont au moins un rapport officiel commandé directement par l’État en 2013, ont montré que les mesures compensatoires à des destructions ne seraient pas respectées par le projet d’aéroport, particulièrement par l’entreprise Vinci en charge de la construction.

Rien que cela aurait dû suffire à clore tout débat. Tel ne fut pourtant pas le cas et les forces politiques et économiques locales soutenant le projet ont continué à vouloir passer en force.

La consultation lancée par le gouvernement en juin 2016 était un nouveau coup porté à la démocratie et à l’écologie. Il n’était pas normal qu’elle ne concerne que les habitants de la Loire-Atlantique alors que l’enjeu était le respect ou non d’une loi, la loi sur l’eau, ce qui concerne la nation toute entière. On peut même arguer que cette loi relève d’accords internationaux (issus de la convention de Ramsar), et donc qu’elle concerne l’humanité toute entière dans son rapport à la planète Terre.

Le dernier épisode en date était le coup de théâtre juridique de novembre 2016, lorsque la Cour administrative d’Appel de Nantes avait rejeté des requêtes d’opposants.

Cela allait à l’encontre de l’avis du rapporteur public qui avait considéré que la loi sur l’eau n’était pas respectée. Cela montrait une nouvelle fois la faiblesse démocratique des institutions françaises. Le caractère politique et partisans de ces décisions de justices apparaissant comme évident, contrairement à ce qui est prétendu par l’Etat.

Le gouvernement en place a finalement considéré que « les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. »

Cela est dû en partie au rapport de force mis en place par les opposants, au manque de soutien réelle du projet par la population, ainsi qu’à d’autres considérations d’ordres politiques.

S’il est tout à fait logique et pertinent de se réjouir de cette décision, il ne faut pas pour autant considérer cela comme une grande victoire. L’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes n’est pas une victoire de l’écologie portée par des forces démocratiques en France.

Durant toute la campagne d’opposition, qui a pris de l’ampleur à partir des années 2010, l’écologie et les zones humides n’ont été qu’un prétexte. Le moteur de la contestation était une vision du monde arriéré, défendant de manière fantasmée l’agriculture d’autrefois et la vie en communautés isolées. Le mouvement d’opposition, particulièrement celui de la « ZAD », était largement d’essence réactionnaire.

Au contraire, les forces de gauche doivent maintenant se focaliser sur l’essentiel. Il est urgent de porter les exigences démocratiques de la population tout en diffusant et faisant vivre une culture authentiquement écologique.

Le mouvement d’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été un rendez-vous manqué pour la gauche française. Elle n’a pas su être à la hauteur des exigences de son époque. Il faut maintenant changer la donne.

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Société

Les footballs et la nécessité de l’esprit du jeu

Le football et le rugby sont d’après les historiens des variations de la soule (ou choule), un jeu de balle assez brutal. Une certaine forme de ce jeu serait toujours pratiquée traditionnellement dans certaines régions en France.

Depuis 1850 environ, les institutions sportives ont fait beaucoup d’efforts pour séparer football et rugby de la soule d’une part, et pour les distinguer l’un de l’autre d’autre part, par le développement de règlements spécifiques.

Le règlement officiel du football (Laws of the Game en anglais) comprend dix-sept règles écrites augmentées de quelques annexes. Néanmoins, il est dit de manière très officielle qu’une Law 18, la dix-huitième règle, supplante toutes les autres.

Selon cette règle non-écrite, le bon sens doit être de mise dans l’interprétation des règles du jeu afin de ne jamais aller contre l’esprit du jeu. Ce « Spirit Of The Game » constitue donc l’essence du football.

D’après les commentateurs, l’esprit du jeu réside dans une certaine justice naturelle, une fluidité dans la partie et dans le fait que l’issue du match doit être le produit de l’action des joueurs. Il semble donc que pour les juristes du football, l’essentiel réside dans la satisfaction qu’éprouve les joueurs à disputer une partie entre eux.

Jouer collectivement avec un ballon est une activité sportive très populaire. On se retrouve entre amis, entre deux cours, après l’école ou le travail, pour jouer.

Dans la pratique, on s’écarte des règlements du sport tel qu’il est imposé dans les stades. Entre plaisir et contraintes matérielles, les joueurs créent de nouveaux jeux. C’est ainsi que les fédérations sportives courent après les sports « de rue » pour tenter de référencer et de fixer ces jeux populaires : five-a-side football et « rugby à toucher » sont des exemples.

Les équipes mixtes de 5 ou 6 joueurs se rencontrent dans des lieux du quotidien, sur des terrains plus ou moins improvisés. Même si chacun cherche à faire triompher son équipe, pas besoin d’arbitre et encore moins d’arbitrage-vidéo. Il s’agit d’interpréter les règles afin que tous s’accordent au final sur le fait que la justice règne durant la partie.

Ignorant le conservatisme des institutions sportives, les joueurs et les joueuses ont ainsi pu imposer la mixité dans leur pratique du football et du rugby. L’interdiction des placages, des tacles et de tout contact violent, la réduction de la durée des parties et la simplification des règles permettent un jeu fluide et rapide.

Dans ces football populaires, c’est bien l’esprit du jeu qui domine.

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Culture

Abra : « Rose » (2015)

Aaliyah avait contribué à redéfinir une forme de R&B largement travaillé par la pop et le hip hop, mais l’orientation restait résolument ancrée dans une accessibilité tendant ouvertement au commercial.

Avec la chanteuse Abra, la « duchesse de la darkwave », on a un profil tout à fait similaire, mais avec cette fois une optique d’intimisme tourmenté et d’affirmation féminine dense et en-dehors des attentes des codes dominants.

Cette perspective, commune à d’autres artistes comme Kelela, Princess Nokia ou encore Tommy Genesis qui est proche d’Abra, n’est jamais simple de par les risques de sombrer dans l’esthétisme faussement rebelle de la posture identitaire, comme le « queer ».

Abra s’y arrache pourtant pour l’instant de manière magistrale grâce à son très haut niveau culturel, au moyen d’une R&B tendant vers cet electro vaporeux, froid, lancinant, d’une puissance démesurée.

Le plus impressionnant est que dans son premier album Rose en 2015, on croit qu’Abra pratique ses gammes, touchant à toutes les extrémités possibles d’une musique feutrée et dansante, avec à chaque fois une touche différente, une approche choisie.

S’agit-il d’ailleurs d’une pop electro tendant à la Soul pleine de langueur, visée de la quête inaboutie cette dernière décennie de Madonna, ou bien d’une musique de club envoûtante, ou encore de la bande originale d’une vie urbaine musicalisée, à la fois hostile à la société et totalement dedans, comme le vivent les jeunes ?

La nature féminine ainsi qu’afro-américaine du véritable projet d’Abra saute aux yeux. On est clairement dans une affirmation particulièrement étudiée, de la part d’une jeune chanteuse qui se produit avec un micro et un ordinateur, avec une aisance oscillant entre jeu sensuel et touche garçon manqué.

Et en arrière-plan, il y a cette force de frappe de l’esprit funk, avec cette basse frappant le rythme dans la première partie des années 1980, ou encore à la soul et son esprit particulièrement chaleureux. Ici, la seconde chanson n’est pas sur l’album, mais est issu d’une collaboration avec Stalin Majesty.

On a ici quelque chose de résolument moderne, correspondant à l’esprit de synthèse. Née à New York dans une famille de missionnaires s’installant à Londres juste après sa naissance, Abra a vécu à Atlanta à partir de 8 ans.

Sa famille interdisait la musique semblant non conforme à la religion, donc elle fonde sa culture musicale sur le folk, le jazz, le flamenco, pour ensuite se tourner elle-même vers la pop, son frère se tournant vers le punk et le neo-metal.

L’album Rose, sorti en 2015, revient quant à lui toujours à la R&B, mais Abra a une production inépuisable et les commentateurs musicaux sont unanimes pour souligner à quel point son avenir sera d’une très grande signification culturelle.

Loin de tout formatage identitaire individuel, on a ici une expression personnel faisant synthèse de plusieurs courants musicaux, avec une démarche solide et une très haute qualité, ici de l’autoproduction exigeante : Abra est une référence de la fin des années 2010.

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Société

L’auto-cuiseur Cocotte-minute

L’autocuiseur est un ustensile de cuisine commun à beaucoup de foyers. Le premier « digesteur d’aliments » doit son innovation à l’inventeur de la machine à vapeur, Denis Papin, en 1679.

Après le Salon des Arts Ménagers de 1926, c’est l’Auto-thermos des usines de Boulogne qui est mis en avant pour une cuisine rapide et peu coûteuse en combustible. Mais son système de fermeture compliqué n’assure pas son succès.

Ce mode de cuisson est promu dans les écoles des filles et les livres de conseil. « Les marmites ou cuiseurs sous pression peuvent rendre des services, grâce à l’économie de combustible qu’ils font réaliser, grâce aussi à la rapidité de cuisson ; précieuse pour les femmes qui travaillent au dehors » peut-on lire en 1935 dans La parfaite ménagère par Mmes Jumau et Herbet, aux éditions Librairie Larousse.

En 1948, Roland Devedjian commercialise sous le nom de Cocotte-minute® un autocuiseur en fonte d’aluminium, à fermeture à baïonnette. Mais c’est la faillite à cause du prix de vente exorbitant.

En 1953, Frédérique Lescure fondateur avec son frère de la Société d’Emboutissage de Bourgogne (SEB) rachète le brevet de Devedjian. En dépit du refus du Salon des arts ménagers de 1954, les frères Lescure commercialise leur premier autocuiseur.

Ce qui assure le succès de l’autocuiseur SEB c’est son faible coût d’achat, sa solidité, sa maniabilité et sa sécurité d’utilisation. Chaque marmite est vendue avec un livre de recettes.

Avec un faible coût d’achat, la femme peut désormais réaliser en toute sécurité des plats plus rapidement (le temps de cuisson est divisé par trois) tout en diminuant sa consommation de combustible de 70%.

C’est le succès assuré, de 130 000 en 1954, le nombre d’exemplaires commercialisés passe à 800 000 en 1965. C’est également l’année où l’autocuiseur devient la Cocotte-minute® SEB.

Pourtant c’est en 1975 que le pic de vente est atteint (1 727 733 exemplaires) avec la sortie de la Super-Cocotte® laquée rouge ou ornée de motifs floraux rouge-orangé.

SEB n’a cessé depuis d’innover pour suivre le mode de consommation alimentaire des gens.

Ainsi dans les années 1980, c’est le modèle SENSOR® pour une rapidité encore plus efficace et une sécurité renforcée ; dans les années 1990, c’est le modèle CLIPSO® avec un système d’ouverture automatique à pression, une vitesse turbo pour la décongélation des aliments et une soupape plus silencieuse.

Jusque-là le maintien de la qualité des aliments n’est pas pris en compte. Pourtant la cuisson à 120° détériore les qualités nutritives des aliments. Les vitamines A et D sont oxydées.

Les vitamines B, C et en grande partie E ainsi que les enzymes sont détruites. SEB commercialise alors le NUTRICOOK® CONNECT, en 2014, avec 4 programmes, deux temps de cuisson pour la préservation des optimales des nutriments et vitamines. Il est relié à une application Smartphone « Mon autocuiseur » qui remplace le livre de recettes traditionnel.

Les innovations techniques et leur commercialisation ont permis aux femmes qui devaient travailler en dehors de la maison, de continuer à cuisiner des plats demandant de long temps de cuisson tout en faisant des économies.

Avec un salaire en plus et le même pot-au-feu dans l’assiette, la famille ne sent pas lésée.

Mais c’est encore souvent la femme qui épluche les légumes et écoute le chuchotement de la soupape.

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Société

278 recettes de cuisine végétalienne

278 recettes de cuisine végétalienne, dans le document au format PDF ci-dessous (cliquer sur l’image).

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Société

Société libérale et déserts médicaux

Le propre de la société libérale est de faire primer le choix individuel sur le besoin collectif en postulant que la somme de choix individuels débridés revient au bien être collectif.

C’est bien évidemment erroné, la mauvaise répartition de l’accès aux soins en est un bon exemple.

Les personnes qui ont la possibilité de faire des études partent de leur région d’origine pour rejoindre les villes et ce, pendant trois à dix ans. C’est le temps qu’il faut pour avoir un cercle d’amis, des habitudes, une vie en somme.

Les villes sont des espaces où l’on peut se faire très vite absorber par le rythme, le choix des activités. Elle concentre la culture et du même temps, aspire la vie des zones rurales et péri-urbaines.

Donc d’un point de vue strictement individuel, qui voudrait quitter la ville après y avoir construit quelque chose ? Peu de gens. L’individualisme prime alors sur la morale, la conscience collective.

Le cas de la médecine est particulièrement révélateur de la capacité d’absorption des villes, car c’est un corps de métier que l’on choisit, si on est sincère dans la démarche, avec un sentiment d’altruisme et de nécessité d’être utile, vital même, à la collectivité.

Pourtant, les jeunes diplômés en médecine ont tendance à suivre la même trajectoire individualiste libérale que le reste de la petite bourgeoisie intellectuelle, qui cherche à valoriser ses diplômes dans le cadre de la ville.

Ce problème est visible dans les campagnes et les zones péri-urbaines et particulièrement les quartiers populaires, où beaucoup de médecins généralistes ne prennent plus de nouveaux patients. Au phénomène qui oppose les villes aux campagnes, s’ajoute donc l’ostracisme, voire le racisme.

La moyenne d’âge des médecins en activité augmente, les départs en retraite sont non renouvelés.

Certains praticiens sacrifient énormément de leur temps pour tenter de ne laisser personne sans soins, comme l’exige le code de déontologie de la médecine et conformément à leurs aspirations.

Malheureusement cela ne suffit pas et il devient très compliqué d’obtenir des rendez-vous.

Dans le même temps, avec l’écocide généralisé, de plus en plus de maladies chroniques se déclarent. Il y a notamment des problèmes respiratoires chez les jeunes enfants une multiplication des cancers ou des problèmes de thyroïdes.

Il y a donc un besoin croissant de professionnels de la santé, pour soigner, mais aussi pour alerter et rendre publiques les vagues de pathologies liées à la destruction de la planète, de la biosphère.

Il est également courant de devoir travailler plusieurs jours ou semaines avec des traumatismes causés par l’activité professionnelle, faute de pouvoir consulter rapidement et être arrêté. Cela peut avoir des conséquences graves sur l’usure du corps, déjà éprouvé par les tâches répétitives.

Du fait qui plus est de rapports inégaux entre les pays et d’un esprit d’hégémonie, les déserts médicaux français tendent à se combler à l’aide de diplômés venant de Roumanie où les études de médecines sont de bonne qualité, mais sans ressource matérielle pour une réelle implantation locale.

Ainsi, on pare au plus urgent en renforçant un déséquilibre ailleurs, et sous prétexte que c’est dans un autre pays, on s’en moque.

Le cas des déserts médicaux n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du dysfonctionnement profond du modèle actuel. La seule issue est de placer réellement le collectif au centre des préoccupations de la société, pour le bien des individus.

Ces questions se résolvent au moyen de la planification démocratique, en soutenant des projets relevant d’un héritage authentique de gauche.

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Culture

Le film « Le miroir » d’Andrei Tarkovski (1979)

Regarder Le Miroir, film d’Andreï Tarkovski de 1975, est au sens strict une expérience impossible pour un spectateur français, qui se dira nécessairement qu’il aura moins de mal à saisir ce que disent des extra-terrestres qu’à comprendre quoi ce soit à ce film.

Il y a trois raisons amenant à cet état de fait. Tout d’abord, les personnages du film ne peuvent pas s’empêcher d’être eux-mêmes et cela est montré avec tellement de densité que cela en est perturbant pour des spectateurs français habitués au contrôle de soi ou au psycho-drame surjoué.

Ensuite, ces personnages ne pouvant pas s’empêcher d’être eux-mêmes sont russes, avec tout ce que cela signifie en termes d’expression de la mélancolie, de sens de l’interrogation sur l’existence, avec les inévitables longues citations de poésie et références à la littérature (Tchékhov, Dostoïevski).

Le troisième point est le plus délicat, faisant que ce film est, finalement, davantage un film pour les réalisateurs que pour le public. Il se retrouve d’ailleurs systématiquement au plus haut des grandes références chez les réalisateurs.

Cela se concrétise de la manière suivante : le film montre des tranches de vie d’un cinéaste qui va mourir, l’œuvre se voulant par ailleurs autobiographique.

Or, non seulement on découvre cela à la fin, mais qui plus est la même actrice joue la mère et la femme du cinéaste, alors que le même acteur joue le cinéaste et le père de celui-ci au moment de sa jeunesse. Pire encore, on passe de l’année 1975 à 1935, puis à 1975 avant d’aller en 1937, pour retourner en 1975, pour se retrouver en 1942, puis en 1975, en 1935, en 1942 et finalement en 1975.

On ne s’y retrouve pas et le titre a été choisi pour montrer comment la vie reflétait de multiples aspects vécus, un miroir étant d’ailleurs présent dans de nombreuses scènes.

On peut interpréter alors l’œuvre de deux manières. La première, la plus juste, est de rattacher Le miroir à la culture russe et d’y reconnaître un sens de l’interrogation sur le statut de sa propre personne dans l’ensemble.

C’est la fameuse quête typiquement russe d’un sens cosmique général à l’existence – qu’on trouve dans le matérialisme dialectique de Lénine et Staline comme dans les icônes de l’Église orthodoxe ou la mystique de l’Eurasie formulée par Alexandre Douguine.

Reste à savoir dans quel sens va cette interrogation : est-elle un fétiche de sa propre vie, une tentative de saisir la profondeur de sa vie, une réflexion sur l’existence à travers ou malgré la situation de l’Union Soviétique alors ?

Après tout, une importance essentielle est accordée à la maison dans la campagne, avec une identité russe particulièrement marquée.

Et surtout – c’est l’argument principal – le film n’est en tant que tel pas sur le cinéaste, mais sur deux femmes, voire sur la profondeur féminine, la densité de sa psychologie.

Il y a ici la même caractéristique que chez Ingmar Bergman et c’est l’argument décisif montrant bien qu’il s’agit ici d’intimisme et non pas de « psychologisme » partant dans tous les sens.

L’autre manière d’interpréter Le miroir est d’y voir un équivalent soviétique de la réflexion propre à la littérature « moderne », avec son existentialisme, sa quête des « flux de la conscience », sa déconstruction permanente des identités.

Le philosophe Gilles Deleuze, l’un des chefs de file philosophiques de cette vision du monde, est très lyrique au sujet du miroir :

« Le miroir constitue un cristal tournant à deux faces, si on le rapporte au personnage adulte invisible (sa mère, sa femme), à quatre faces aux deux couples visibles (sa mère et l’enfant qu’il a été, sa femme et l’enfant qu’il a).

Et le cristal tourne sur lui-même, comme une tête chercheuse qui interroge un milieu opaque : Qu’est-ce que la Russie, qu’est-ce que la Russie…?

Le germe semble se figer dans ces images trempées, lavées, lourdement translucides, avec ses faces tantôt bleuâtres et tantôt brunes, tandis que le milieu vert semble sous la pluie ne pas pouvoir dépasser l’état de cristal liquide qui garde son secret. »

Gilles Deleuze considère que la qualité photographique du film va dans le sens d’une lecture subjective du film, dans le cas contraire il faudrait considérer celle-ci comme allant dans le sens d’une quête du concret, du solide, au-delà des tourments existentiels.

On comprend la densité de ce film et, en un certain aussi, son ambiguïté.