La liste Europe écologie conduite par Yannick Jadot et présentée par Europe Écologie-Les Verts a un programme intitulé « Plan d’action : qu’est-ce qu’on attend pour tout changer ? » (disponible ici). En voici une présentation critique, en dix points, qui explique pourquoi on devrait se méfier de cette liste quand on est à Gauche.
1/ Parce que l’écologie n’est pas le nouveau Socialisme
Yannick Jadot a farouchement refusé de s’allier avec les partis de la Gauche pour les élections européennes, alors que les Verts en France ont toujours été liés à la Gauche, électoralement et socialement.
Il y a la prétention, devenue classique, que le thème de l’écologie serait suffisant en lui-même, qu’il pourrait remplacer la conception de Socialisme comme perspective pour l’avenir du monde. Les « questions environnementales » devraient alors avoir une « force normative » pour déterminer « l’action politique et les choix de l’UE ».
L’écologie, comme thème, porterait la solution sociale, pour en quelque sorte endiguer un capitalisme à la dérive :
« Le plan d’investissement massif pour le climat que nous proposons est un bouclier tant écologique que social. »
Ce qui est proposé est un keynésianisme typique de ce qu’a pu faire le Parti socialiste ces quarante dernières années, mais sans la dynamique populaire de la Gauche :
« Face à la baisse de compétitivité et au chômage galopant, nous choisissons d’investir dans l’environnement. »
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2/ Parce que la liste mise sur un vote « par défaut » de la part de gens de bonne foi qui se disent qu’au moins, l’écologie va forcément dans le bon sens
C’est un positionnement de type marketing, où il s’agit plus d’occuper un créneau que de proposer une véritable perspective avec un contenu général.
Les principales listes pour les Européennes, et en tous cas celles liées à la Gauche, assument toutes le thème de l’écologie. La liste Europe écologie prétend simplement être la mieux placée sur ce terrain, en assumant exclusivement ce thème comme dénominateur des autres thèmes.
Cela donne un programme très vague, avec beaucoup de choses qui sont dites, mais qui peuvent à chaque fois être assumées par au moins une autre liste majeure.
On y retrouve ainsi un peu du populisme de la France insoumise, de la vigueur tempérée d’un Benoît Hamon, du modernisme d’un Raphaël Glucksmann et beaucoup du « réalisme » d’Emmanuel Macron.
C’est une construction à visée clairement électoraliste.
3/ Parce que le plan d’action imaginaire en cinq ans qui aurait fini par tout changer en 2024 relève de la mythomanie
Le document du programme de la liste pour les élections est introduit par un texte d’anticipation. Il est fait comme si, en 2024, on écrivait la rétrospective des cinq dernières années ayant changées le climat.
La liste aurait eu un grand succès, comme les autres listes « vertes » européennes, ce qui leur permettraient « enfin de peser ». Les « inquiétudes écologiques, sociales et démocratiques » secouerait en fait déjà l’Europe en 2019, ce qui est absolument faux.
On aurait alors droit à cette construction médiatique qu’est Greta Thunberg pour le discours inaugural du Parlement en juillet, avec des « mouvements de jeunesse pour le climat » qui sortiraient d’on ne sait où afin d’appuyer cette sorte de grand élan écolo.
Il est expliqué ensuite que les écologistes auraient réussit à dépasser les oppositions entre les forces de droite et de gauche, pour parvenir à quelque-chose, comme si d’ailleurs le Parlement européen pouvait véritablement parvenir à quoi-que cela soit, alors qu’il n’est dans les faits qu’un relais sans grand pouvoir du Conseil et de la Commission.
C’est un discours anti-politique d’une naïveté incroyable, qui contribue à dessiner encore plus cette malheureuse caricature de l’écolo « bobo », vivant dans un monde parallèle, pour ne pas dire au pays des Bisounours…
4/ Parce que le programme ne s’appuie pas sur une pratique concrète, de terrain, de l’écologie, mais sur des habitudes au sein d’institutions
Une liste réellement « écolo », si tant est que cela doive exister, s’appuierait sur la pratique quotidienne de militants de terrains.
Seraient alors mises en avant des personnes qui luttent ici contre tel projet d’une destruction de zone humide, là contre le nucléaire, contre la déforestation, contre la consommation d’huile de palme, contre la chasse à courre, contre l’exploitation animale en général, etc.
On aurait alors sur la liste des gens présentés comme luttant pour la protection animale dans les refuges, s’organisant pour développer le végétalisme, pratiquant une agriculture meilleure dans les campagnes ou des jardins ouvriers et des potagers urbains dans les grandes villes, promouvant les déplacements à vélo, etc.
Tel n’est pas du tout le cas avec cette liste menée par l’ancien dirigeant de Greenpeace, cette horrible ONG dont la démarche consiste à demander beaucoup d’argent aux gens pour réaliser de grandes opérations « coup de poing » de communication (tout en rémunérant confortablement un certain nombre de personnes).
La description de beaucoup d’autres colistiers est du même acabit, avec des personnes relevant des institutions et pas des pratiques populaires.
5/ Parce que le point de vue n’est pas biocentré, mais anthropocentriste
S’il est dit que « la condition humaine n’est pas de détruire la vie sur Terre, mais de la préserver. », cela relève de la bonne phrase pour faire genre, et certainement pas d’une vision du monde biocentrée.
Il est en fait question partout ailleurs de l’humanité en péril, de part la dégradation de son environnement. Il est surtout expliqué que « notre destin est humain et terrestre », car nous n’avons pas d’autre planète, comme si le fait que l’humanité ne puisse pas aller ailleurs changeait quelque chose au problème de la Terre.
La phrase suivante en dit long sur la conception des gens ayant écrit ce programme :
« Le propre de notre espèce n’est pas la domination mais la coopération, c’est ainsi que nous survivons depuis toujours. »
Cela paraît bien, mais c’est anthropocentriste. L’humanité n’est en rien particulière, elle ne devrait même pas être le sujet ici. Elle n’est que le produit partiel d’un ensemble qui consiste en la vie sur Terre, qui est par définition le produit de développements symbiotiques.
S’il est dit que les animaux « sont exploités et maltraités pour une économie de surconsommation », ce n’est fait qu’au passage, dans une autre belle phrase. Jamais il n’est question des animaux ailleurs, à aucun moment le programme de la liste Europe écologie s’intéresse réellement, concrètement, aux animaux.
Ce qu’il faut retenir de ce plan d’action, c’est que :
« La question cardinale est celle de la dégradation du climat, puisqu’elle menace notre survie elle-même. »
6/ Parce qu’il y a une croyance idéaliste en le fait que les institutions européennes puissent devenir « écolo »
Ce qu’il faudrait, c’est une « justice environnementale » avec « un parquet européen autonome capable de lutter contre les écocrimes et les écocides, et la reconnaissance de droits à la nature : montagnes, fleuves, mers, océans, littoraux, plaines et forêts… »
Cela s’accompagnerait d’une « Chambre du vivant et du temps long » pour protéger les « communs environnementaux ».
Les choses sont considérées sous le prisme des institutions européennes, avec de nouvelles institutions qui seraient créées sur le modèle de ce qui existe déjà, pour faire de l’Union européenne une sorte de super-laboratoire de l’écologie.
On se demandera par quel miracle l’Union européenne pourrait devenir ce qu’elle n’est pas, mais il faudrait en tous cas considérer qu’elle est forcément le moyen de changer les choses :
« Certains, surfant sur la colère et le découragement, proposent de tourner le dos à l’Europe. C’est une faute. Comment gagner la bataille engagée en désertant le champ de bataille ? Seul.e.s derrière nos frontières, nous serions plus fort.e.s ?
C’est une illusion et une illusion dangereuse. Nous mesurons le désamour qui touche les institutions européennes. Et nous sommes en colère contre l’état actuel et le fonctionnement de l’Union européenne. Mais l’idée d’Europe, nous la faisons toujours nôtre.
Nous continuons à la défendre non pas parce qu’elle est parfaite telle qu’elle est mais par ce que nous ne confondons pas l’Europe avec ses dirigeants actuels. Nous ne céderons pas un pouce de terrain aux partisans du repli. Parce que, pour surmonter les épreuves que nous traversons, notre avenir est forcément Européen.
De la Suède à la Grèce, de l’Irlande à Chypre, nous défendons une autre Europe. »
On se demandera aussi, sans trouver de réponses, pourquoi il ne faudrait pas regarder tout autant du côté du Mali et de l’Algérie, de la Suisse et de la Turquie, du Canada et de l’Argentine, de la Mongolie et de la Corée du Sud, de l’Afghanistan et des Philippines, etc. ?
7/ Parce que Yannick Jadot est une sorte de « Macron vert »
Yannick Jadot est « un très bon copain » de Daniel Cohn-Bendit, ancien Vert qui soutien Emmanuel Macron. Il a aussi à peu près le même parcours qu’un Pascal Canfin, du WWF et dit peu ou prou la même chose qu’un François de Rugy, qui tous deux soutiennent Emmanuel Macron.
La perspective de ces gens est là même, consistant en un centrisme plus ou moins libéral économiquement, toujours libéral sur le plan des mœurs, pour déborder la Gauche par la droite.
Yannick Jadot parle ainsi beaucoup d’Emmanuel Macron, dont la liste est en fait la principale préoccupation :
« Emmanuel Macron fait des grands discours teintés de vert mais la politique qu’il conduit ne suit pas. »
La grande actualité politique serait le départ du gouvernement de Nicolas Hulot et il s’agirait de comprendre que « la cohérence et l’efficacité, c’est le groupe écologiste ».
Comme avec Emmanuel Macron qui parlait « Révolution » pour ne surtout rien changer, on a avec Yannick Jadot un discours institutionnel centriste, mais avec un slogan vindicatif :
« Le système, la politique, nos vies : tout doit changer. »
8/ Parce qu’il est parlé du « pouvoir de l’argent »
« L’histoire est en marche. Nous sommes convaincu.e.s qu’elle n’appartient pas à des élites dépassées, ridiculement conservatrices et dangereusement obsédées par le pouvoir de l’argent. »
De tels propos sur « l’argent » sont insupportables pour qui est à Gauche.
On ne sait que trop bien où mène ce populisme, cette sémantique anticapitaliste romantique digne de la France insoumise et du Rassemblement national, qui eux aussi parlent de « remettre la finance à sa place ».
L’extrême-droite la plus radicale, la plus antisémite, ne renierait pas de tels propos sur la « loi de l’argent » qui régnerait en « maîtresse de toute chose » actuellement en Europe.
C’est inacceptable.
9/ Parce que le capitalisme est critiqué sans être critiqué
Il y a dans ce programme de la liste Europe écologie un grand flou quant à la conception économique, qui révèle soit d’un manque de cohérence, soit d’un grand opportunisme, ou probablement les deux.
Il est par exemple expliqué :
« Un capitalisme barbare détruit la nature et humilie des millions d’êtres humains. »
On lit également des choses comme :
« Dans le secteur privé, la concentration du pouvoir économique et financier entre les mains de quelques-uns a engendré une perversion du système économique, le renchérissement des produits, l’usage de produits toxiques, des fraudes accrues et a renforcé le poids des lobbies. Nous proposons un plan anti-trusts contre les pollueurs. »
Il n’est cependant jamais expliqué par quoi on remplacerait le capitalisme, ni même s’il faudrait en fait remplacer le capitalisme. Les solutions consistent en tous cas en les recettes politiques habituelles, maintes fois répétées sous telles ou telles formes, avec toujours comme perspective le marché, et jamais le Socialisme :
« relever le budget de l’Union européenne à 5% de son PIB », « un grand plan d’investissement de 100 milliards d’euros », « réformer la BCE » (la Banque centrale européenne), contre le « diktat de la non-inflation », « racheter, restructurer et effacer les dettes publiques », « convergence macro-économique », etc.
10/ Parce que la classe ouvrière et les classes populaires n’existent pas dans le programme
Comme la liste Europe écologie de Yannick Jadot ne veut pas être de gauche, alors elle ne l’est pas. Il n’est jamais parlé des classes populaires, du monde du travail, sans parler évidemment de la classe ouvrière, qui n’existe pas dans la conception libérale des choses de ces gens.
Exit bien évidemment la lutte des classes, puisque le problème viendrait de mauvais choix faits par de mauvaises personnes. C’est tout à fait contraire à la conception historique de la Gauche, qui considère non pas les individus mais le système économique lui-même, ainsi que les orientations politico-culturelles de ses classes dirigeantes.
C’est que Yannick Jadot a en fait tout du style et des valeurs des classes dirigeantes, ou pour le dire plus clairement, de la bourgeoisie.