Affaiblie par la défaite de François Fillon, la concurrence libérale d’Emmanuel Macron et la concurrence néo-gaulliste du Rassemblement national, la vieille Droite et son parti, Les Républicains, espère profiter des élections européennes pour se refaire une santé électorale.
Seulement, le créneau est très mince car, comme le résume un cadre (anonyme) du parti, « Nous sommes sur une ligne libérale-conservatrice. Mais Macron est plus libéral que nous et Le Pen est plus conservatrice que nous ! ».
Le but affiché est de reconquérir « Les 20% qui ont voté Fillon, [c’est] la droite convaincue », ce qui s’annonce compliqué puisque les sondages semblent indiquer que seule une moitié de ces ex-électeurs fillonistes sont certains de voter pour la liste LR.
La composition de la liste s’en ressent. François-Xavier Bellamy, professeur de philosophie versaillais, opposé « à titre personnel » à l’IVG, ainsi qu’au mariage homosexuel, très proche de Sens commun, passé par le « souverainisme » sans toutefois prôner la sortie de l’Union européenne, a toutes les qualités requises pour séduire le cœur de l’électorat de droite.
On trouve également d’anciennes figures sarkozystes (l’ancien président bénéficiant toujours d’une cote de popularité élevée), comme Brice Hortefeux, Nadine Morano, Didier Guillaume ou l’ancien préfet Frédéric Péchenard. Cette liste a également été rejointe par Les Centristes, nouveau nom du Nouveau Centre d’Hervé Morin (ex-ministre de Sarkozy), constitué par les membres de l’UDF qui avaient rallié la droite sarkozyste en 2007.
Pour ce qui est du projet européen, Les Républicains tiennent à se démarquer tant de l’européisme très marqué de la République en marche, que du nationalisme agressif et potentiellement chaotique du Rassemblement national. C’est que LR a besoin d’ordre et juge les trop grands changements dangereux.
Si l’on prend les questions militaires, LR critique l’OTAN, qui n’est pas « l’outil de la défense européenne », tout en la considérant comme un « outil de coopération avec nos alliés américains », et tout en prônant un renforcement de la « défense européenne », sans toutefois défendre le projet d’armée européenne.
On voit bien là qu’il s’agit de ménager les autres grandes puissances, pour éviter l’affrontement direct, tout en profitant du cadre de l’Union européenne pour affirmer les intérêts du capitalisme français. LR affirme d’ailleurs ouvertement que son « ambition », est d’« agir au cœur des institutions européennes pour être utiles, combatifs et efficaces au service des intérêts des Français ».
LR compte sur l’Union européenne pour protéger « nos entreprises » et « nos intérêts face aux géants de la mondialisation », promouvoir les entreprises françaises, l’agriculture française au sein de l’Union européenne. Cet aspect opportuniste au possible se sent également dans l’affirmation selon laquelle LR serait la formation politique la mieux placée pour porter la voix de la France, car elle est membre du Parti populaire européen, principal parti, et aurait donc ainsi plus d’interlocuteurs que les autres.
Évidemment, cet opportunisme purement bourgeois et purement français n’est pas affirmé directement, et LR compte s’afficher comme défenseur de l’Europe, comme civilisation, dans une démarche très réactionnaire.
Comme chez les « identitaires », ou quelqu’un comme Renaud Camus, on retrouve la défense des racines chrétiennes et gréco-latines de l’Europe (ce qui n’est pas faux, bien que ces racines soient idéalisées et souvent vidées de leur contenu) dans l’idée qu’il faudrait conserver ces racines dans leur « pureté » éternelle (ce qui est profondément réactionnaire). De la même manière, les timides mots sur l’écologie s’inscrivent non pas dans la défense de la Nature, mais de l’environnement « historique » du continent européen.
Enfin, la liste LR aborde, comme il se doit à Droite, le thème de l’immigration. L’amalgame est fait de manière très claire entre « immigration de masse », élargissement de l’UE ou de l’espace Schengen, et terrorisme islamiste. C’est, d’une manière feutrée, modérée, la même idée que le « grand remplacement » de Renaud Camus : tous ces immigrés, arrivant en masse, seraient une menace pour notre civilisation éternelle, et il s’agirait désormais d’une guerre de civilisation.
LR ne va pas, bien évidemment, jusqu’à prôner la « remigration ». Ici, il s’agit du discours habituel de la Droite sur la limitation de l’immigration légale et la lutte contre l’immigration illégale.
Habituel car, comme c’est toujours le cas, on évoque des solutions légales et techniques pour lutter contre l’arrivée des immigrés, mais sans jamais les considérer comme des êtres humains ayant leur dignité, et surtout sans jamais évoquer les causes de l’immigration que sont les ravages causés dans les pays de départ par les guerres et dictatures provoquées et soutenues par les puissances capitalistes, ou la destruction de l’environnement par ces mêmes puissances.
Face au discours uniquement compassionnel de la « gauche » post-moderne, des libéraux et de l’Église catholique, la droite propose un discours purement gestionnaire des « flux » massifs de migrants. Pour les premiers, les immigrés sont vus comme des individus devant « circuler librement », et représentant une « chance pour nous », en oubliant que l’immigration est un drame majeur pour ceux qui s’y lancent, puisqu’ils quittent leur pays poussés par la nécessité, et en faisant semblant d’ignorer que ce discours cache la volonté d’un main d’œuvre pour les capitalistes des pays d’arrivée.
Pour les seconds, Droite et extrême-droite, les immigrés représentent une masse à peine humaine, qui menacerait notre « civilisation », nos « nations », nos « identités ». Libéralisme compassionnel chez les uns, nationalisme et irrationalisme chez les autres.
Pour résumer, LR entend défendre les pions du capitalisme français au sein de l’Europe et mobiliser l’électorat conservateur autour de valeurs réactionnaires, pour maintenir l’ordre actuel, évitant les bouleversements qu’engendreraient un projet européen trop affirmé, ou une rupture trop franche avec celui-ci.
De la même manière, il ne s’agit pas d’affronter directement les puissances étasunienne et chinoise, mais d’utiliser l’Union européenne pour renforcer les positions du capitalisme français. Le parti Les Républicains s’affirme comme un parti vraiment conservateur, tâchant de se maintenir face à ses deux concurrents bien plus forts : LREM et le RN.
Son slogan pourrait être : « La prudence conservatrice ».