Les Français n’ont toujours pas compris l’ampleur de la crise en cours, sa dimension historique. Ils pensent que c’est quelque chose de passager, un coup de tabac qui n’aura guère de conséquence : la vie reprendra son cours. C’est la même stupide naïveté qu’au moment de la lutte contre la réforme des retraites. Le monde s’effondre comme un château de cartes, mais le Français se dit : « Je pense, donc je suis ».
Les Français ont pris la route directe vers le désespoir. Quiconque s’intéresse à la culture et au monde des idées sait que depuis une décennie, les Français ont totalement abdiqué. Ils laissent les choses passer et ne se préoccupent plus de rien. Il suffit de regarder les rangs des partis politiques, quels qu’ils soient : ils sont vides.
Il y a des adhésions à des mouvements. Mais une pensée organisée, des références construites, une vraie démarche intellectuelle… tout cela n’existe plus. Quand on voit qu’à Droite, qui dispose d’une immense tradition de réflexion, c’est Eric Zemmour qui est une référence, et qu’à Gauche, on est passé à Raphaël Glucksmann, on a tout compris.
Il n’y a donc guère de pensée élaborée, construite, donc décisive, pour saisir l’ampleur de la crise sanitaire en cours, pour préparer psychologiquement à ce qu’elle va apporter, ce qu’elle apporte déjà : la désorganisation et la mort.
Prisonniers de leur croyance complète en un capitalisme tout puissant, les Français se sont réfugiés dans le déni, dans le refus de toute complexité. L’emprunt et l’accès à la propriété, voilà autour de quoi tourne selon eux le monde ! Que tout soit bouleversé, comme maintenant, est inconcevable.
Le désespoir va donc surgir. Et, avec lui, les nietzschéens, qui diront que la vie, c’est forcément régulièrement la désorganisation et la mort, et que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Cette crise sanitaire transporte la barbarie avec elle, et ce depuis le départ avec ses massacreurs de la vie sauvage, jusqu’à l’arrivée avec un impact dévastateur.
On rentre dans une époque totalement différente. Jeudi 19 mars, le Premier ministre Édouard Philippe a d’ailleurs tenu ces propos qu’il savait historique :
« Nous sommes entrés dans une crise sanitaire jamais vue, jamais connue en France depuis un siècle et cette crise sanitaire va imposer un coup d’arrêt puissant, massif, brutal, à notre économie. »
Le capitalisme n’est en effet pas un train qui peut s’arrêter à une station et repartir. C’est un train qui ne s’arrête jamais. Et là, il s’arrête. Les conséquences se produisent donc immanquablement à tous les niveaux, économique comme social, culturel comme politique. Chômage, faillite, effondrement de réseaux dans la société, changement des habitudes, modification des mentalités, bouleversement des visions des choses… On n’en a pas fini de chercher à discerner les aspects.
Mais les Français seront-ils à la hauteur des défis intellectuels, moraux qui seront posés ? La peste de Camus parle d’une catastrophe et des réactions individuelles, morales ou non, selon les gens. Mais c’est là du virtuel. Même l’Occupation allemande a été, dans une grande mesure, quelque chose de virtuel pour les Français.
Là, c’est le sol qui se dérobe sous leurs pieds. C’est totalement différent. Le pseudo rationalisme béat à la française, cette ignoble combinaison de cartésianisme et de positivisme, ne peut plus tenir la route.
Il y a une ampleur inédite, quelque chose de très profond d’ébranlé. Le pire, ce serait que les Français n’en aient pas conscience, malgré les drames. Si c’est le cas, la société française se consumera d’elle-même.