La journée du 13 juin aura été très riche en expressions de la folie identitaire, sur un mode ethnique ou racialiste : la France est bien totalement à côté de la plaque historiquement.
La mort de Georges Floyd aux États-Unis était un prétexte en or pour le collectif « la vérité pour Adama » pour faire passer son message en surfant sur l’émotion démocratique quant à la situation outre-Atlantique. C’était une moyen de mettre en avant sa propre conception identitaire-communautaire de la société française.
La première fois, le 2 juin, cela a marché : il y a eu 20 000 personnes. Cela a provoqué un battage médiatique énorme, c’était l’actualité du moment pendant plusieurs jours. Toute la Gauche a appelé pratiquement au nouveau rassemblement, le samedi 13 juin 2020, place de la République à Paris (et dans quelques autres villes).
Mais comme c’est hors-sol : ce fut le fiasco. On a le même nombre de gens, pour la même population, celle qui ne fait pas rêver la population justement, car les vieux post-extrême-gauche et les jeunes post-modernes, cela ne parle à personne.
En fait, c’est inexact : cela parle à leurs équivalents inversés. Des militants du groupe d’extrême-Droite « Génération identitaire » ont en effet déployé une grande banderole depuis le toit d’un immeuble, juste au-dessus du rassemblement parisien (puisque le préfet a exigé qu’il n’y ait pas de départ en manifestation).
Impossible pour les « identitaires » de rater cela, puisqu’ils fonctionnent justement en polarisant et avec le même discours, mais inversé. D’où la banderole consistant en un miroir des slogans de la manifestation :
« Justice pour les victimes du racisme anti-blanc #whitelivesmatter »
Les habitants aux fenêtres ont commencé à découper la banderole et une jeune habitué des actions dangereuses acrobatiques ou étranges voire douteuses dans le décor urbain parisien (comme ici, là ou là) a grimpé sur le toit pour protester puis finalement s’interposer entre les identitaires et d’autres gens venant en découdre.
Et tout cela alors que la France connaît sa plus grande crise économique depuis 1945, et peut-être même de son histoire avec ses ramifications dans tous ses domaines. Surréaliste. Ou plutôt terriblement réel : la France aime perdre son temps et regarde quelques comédiens, peu nombreux, faire leur théâtre. Cela passe le temps.
Quant à la trame, elle puise dans les incohérences du libéralisme. Le hasard historique veut que le même jour décédait Jean Raspail. Cet auteur, de tradition catholique – conservatrice, avait écrit un roman brutal en 1973, Le camp des Saints. Il y racontait comme des hordes de réfugiés se précipitaient en France et que la « gauche » trahissait en les accueillant à bras ouverts, alors que le pays sombrait finalement sous cette invasion barbare des temps modernes.
C’est très exactement la thèse du « grand remplacement » du dandy décadent Renaud Camus ou, dans un style éminemment mieux écrit, du Rivage des Syrtes du dandy élitiste Julien Gracq.
Si elle a un succès désormais, c’est que le racisme ne peut plus marcher dans notre société, c’est une valeur périmée. Qu’il y ait des racistes, c’est un fait, mais le phénomène s’éteint, s’effaçant devant la mondialisation et le métissage. C’est tellement du passé que la « nouvelle droite » française des années 1980 a développé l’ethno-différentialisme, dont les identitaires sont le prolongement. Ils n’ont toutefois guère de succès réel, car ils en reviennent inlassablement à un racisme primaire qui est totalement déconnecté de la réalité française, à part dans certains secteurs arriérés.
Si l’on regarde bien d’ailleurs, le collectif « la vérité pour Adama » et les Indigènes de la République en sont le simple miroir et eux-mêmes ne touchent que des secteurs arriérés. On dit que l’antisémitisme est le socialisme des imbéciles, mais il en va de même pour toute cette démarche identitaire-communautariste.
On se veut « rassuré » parmi les siens. On a d’ailleurs un groupe de quelques personnes qui a mené une opération le même jour au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris, arrachant de son socle un poteau funéraire Bari, une tribu entre le Tchad et le Soudan l’ayant réalisé au 19e siècle. Avec, évidemment, l’idée de le ramener « chez lui », un chez lui ethno-différentialiste fantasmé digne du film hollywoodien de 2018 Black Panther, où les « Noirs » sont définis comme tribaux voire claniques, patriarcaux, ayant le rythme dans la peau, physiquement puissants, aimant les tags, etc. etc.
Protesters in #Paris‘ Musée du Quai #Branly were demanding the museum to give back its artefacts to their countries of origin today. Des manifestants demandaient au Musée du Quai Branly de rendre ses artefacts à leurs pays d’origine aujourd’hui. pic.twitter.com/oXbEQqofED
— Elisa Miebach (@elisamiebach) June 12, 2020
Certains demanderont alors, avec justesse : pourquoi ces gens existent-ils, pourquoi ont-ils un écho ? Il suffit pour cela de regarder le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac lui-même. Ce musée est un scandale intellectuel, sa base intellectuelle est précisément ethno-différentialiste, avec une lecture digne du national-socialisme : chaque ethnie a son âme unique, sa vision du monde particulière, sa différence irréductible, etc. Il n’y manque que les photographies « ethniques » de Leni Riefenstahl, la cinéaste des grands films nazis, sur les communautés africaines Noubas.
Et si ce musée est comme cela, c’est parce qu’il a adopté le point de vue relativiste ethno-culturel diffusé par la France dans la droite ligne de Claude Levi-Strauss. C’est d’ailleurs au nom de « l’universalisme républicain » que Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, a publié le même jour une tribune dans Le Monde, pour réclamer… la mise en place de statistiques ethniques.
Seulement, en période de crise, ce qui était avant présenté comme une « ouverture à l’autre » se transforme chez certains en outil de sécession.
On s’en souviendra donc, du 13 juin 2020, avec ces identitaires contre les identitaires, et des Français ne tombant pas dans le panneau. Ils préfèrent les anti-racistes qui se trompent que des racistes ne se trompant pas. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils vont accorder de la valeur aux propos totalement hors-sol d’Assa Traoré lors du rassemblement, comme quoi la question du racisme était « enfin » prise en compte en France.
C’est l’avantage d’avoir une solide base démocratique : accorder de l’attention aux questions importantes, les Français savent encore le faire. Sombrer dans une vision du monde paranoïaque, ils ont mieux à faire.
Après, du point de vue de la Gauche, tout cela est un contre-feu terrible servant le capitalisme alors qu’on affronte une crise d’envergure énorme. On perd du temps, on perd de l’attention, on va le payer cher.