Le parcours de Bernard Stiegler est exemplaire d’une faillite historique de la Gauche.
Bernard Stiegler aurait été philosophe. Là où cela pose problème, c’est qu’on sait que pour être « philosophe », il faut avoir un certain goût de l’envergure. Mai 68 a ainsi produit de nombreux philosophes de gauche et qu’on les aime ou pas, ils voyaient les choses en grand. Michel Foucault et Alain Badiou disaient le contraire après 1968, mais enfin ils proposaient quelque chose de large, de grand, de dense.
Bernard Stiegler, lui, a fait comme Jean-Claude Michéa : il a rejoint le PCF juste après 1968. Il faut se rappeler ce qu’est le PCF alors : une organisation d’envergure, avec une base populaire immense… mais qui s’oppose radicalement à mai 1968, cherche à casser la tête aux « gauchistes » et prône le soutien aux institutions, notamment avec la CGT.
C’est déjà mal parti et Bernard Stiegler, s’ennuyant, quitte le PCF en 1976 en raison du « stalinisme imposé par Georges Marchais ». Ce qui n’a aucun sens, car justement Georges Marchais supprime le concept de dictature du prolétariat et lance le processus d’accord avec le Parti socialiste, amenant le gouvernement du programme commun en 1981. Bernard Stiegler cependant ne devait pas y saisir grand-chose puisqu’il a ouvert un bistrot musical à Toulouse et que face aux découverts, il s’est mis à braquer des banques.
Il est arrêté, fait cinq ans de prison et à sa sortie passe sous la coupe du philosophe postmoderne Jacques Derrida, faisant une carrière au sein du Collège international de philosophie, pour ensuite devenir un haut cadre de la culture, comme en étant directeur de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM), responsable du développement culturel du centre Pompidou à Paris, etc., etc.
Et la Gauche dans tout cela, car Bernard Stiegler est toujours présenté comme de gauche ? Eh bien, il n’y a rien à part un discours sur la technique. Représentant les thèses du national-socialiste Heidegger, Bernard Stiegler fait de l’être humain un accident du développement de la nature qui fait face à la « technique » comme une menace l’amenant à des catastrophes possibles.
Suivant même l’approche nietzschéenne de Heidegger, Bernard Stiegler prônait un idéal européen pour remotiver l’humanité et « réinventer » le monde, afin de retrouver le « savoir-faire » et le « savoir-vivre ».
Qui connaît l’histoire des idées sait qu’on a là une vision « post-consumériste » et « post-industrialisation », pour reprendre les termes de la démarche de Bernard Stiegler, qui correspond à la revue Esprit des années 1930, avec Emmanuel Mounier et le « personnalisme », bref ce fascisme français spiritualiste anti-production anti-technique, partisan du retour à la « vérité », etc.
C’est la même idéologique que les zadistes, les décroissants et Julien Coupat ; ce n’est pas quelque chose relevant du mouvement ouvrier et de la Gauche, mais bien plutôt une philosophie pré-fasciste ou fascistoïde, voire fasciste au sens historique authentique. Le fascisme, ce n’est en effet nullement le racisme et la dictature comme le pensent sommairement les anarchistes, mais une « révolte contre la vie moderne » avec un idéalisme censé « transcender » une réalité quotidienne mièvre et fausse.
C’est quelque chose de totalement faux, tout en étant justement terriblement compliqué à formuler intellectuellement ; un dessinateur comme Marsault, qui dénonce le « monde moderne », n’y parvient par exemple pas.
Les luttes de classe sont en fait trop fortes, et aussi la lutte des places ; même des idéalistes cherchant un monde post-consommation sont freinés dans leur élan, comme justement Bernard Stiegler qui dénonce les injustices sociales parce qu’il se veut révolter… tout en étant membre du think tank de la SNCF.
Avec la crise, par contre, ces idéalistes vont se lâcher et Michel Onfray est l’exemple même de l’intellectuel de « gauche » assumant un discours « national-social » en proposant une voie qui est, clairement, celle du fascisme.
Les gens comme Bernard Stiegler n’auront ainsi, vu a posteriori, fait que contribuer à l’asséchement de la Gauche, à la négation du mouvement ouvrier. Il a fait partie de cette vaste couche d’intellectuels de « gauche » qui, à l’instar de Philippe Frémeaux de la revue Alternatives économiques, n’ont cherché qu’à pourrir la Gauche de l’intérieur.