Le gigantesque feu d’artifice illégal qui a été tiré à Lyon mardi 8 décembre 2020 illustre parfaitement l’hégémonie réactionnaire dans cette ville. C’est une action coup de force réalisée au nom de « la Vierge Marie » qui est typique de la Droite ultra dans sa version activiste catholique, disposant ici de grands moyens et d’un réseau vaste et très soudé pour organiser cela au nez et à la barbe des autorités.
Pendant des jours, l’information a circulé sur des groupes fermés WhatsApp, en toute clandestinité.
« Chers amis, le Gouvernement ne volera le 8 décembre ni à la Vierge, ni aux Lyonnais ! Infos pratiques au dernier moment… restez à l’écoute ! Invitez vos amis lyonnais en partageant ce lien.»
Le 8 décembre aurait du avoir lieu l’habituelle « Fête des lumières », mais elle a logiquement été suspendue en raison du contexte sanitaire. Les activistes de la Droite ultra ont donc sauté sur l’occasion pour s’opposer à l’État et à la municipalité, en marquant leur hégémonie sur la ville, car cette fête est justement la leur.
L’État n’a rien vu venir, ou en tout cas n’a pas été en mesure de l’empêcher. Les activistes ont déployé partout dans le centre de la ville des dizaines et des dizaines de feux d’artifices, en pleine rue, sur des places, à différents endroits stratégiques. Ils ont tous été tiré au même moment à 21h, pour un résultat forcément spectaculaire.
Les « Bad gones », les supporters ultras du club de football de la ville, ont partagé la vidéo de l’action mine de rien, pour la revendiquer sans la revendiquer, alors que la vidéo est publiée par une page « Lyon Fans » à l’esthétique tout à fait similaire à la leur.
Le message des « Bad gones » est alors grandiloquent, jouant à fond la fibre du romantisme catholique transcendant la réalité :
« Nous vous partageons la dernière vidéo qui a été publiée, on ne s’en lasse toujours pas…
Montez le son et asseyez vous confortablement devant un grand écran !
….
Depuis hier dans les rues de Lyon, la question est sur toutes les lèvres…
Qui a fait ça ???
Qui est responsable de ce feu d’artifice aux quatres coins de notre belle cité ???
Des supporters de L’OL ?
Des amoureux de la capitale des Gaules ?
Des artificiers amateurs ?
L’opération du saint-esprit ?
Peut-être un peu de tout ça…. Mais qui sait…
Ce qui est sur c’est que les Lyonnais et la Vierge Marie se souviendront longtemps de ce 8 décembre 2020.
La clameur qui est montée des rues à la fin du spectacle en témoigne !
Dans la pure tradition populaire de cette fête centenaire, sans touristes sans sponsors et sans artifices commerciaux, des gones (et peut être aussi des fenottes [= de femmes supportrices]) ont rendu hommage à la protectrice de la ville et ont paré cette dernière de ses plus beaux atours !!
Qui que ce soit, qu’ils en soient ici loués !!!
Vive Lyon, vive le 8 décembre et Merci Marie !!! »
La vidéo (visible ici) est montée de manière très professionnelle, avec des prises de vue de haute qualité, montrant que tout à été préparé minutieusement, avec de grands moyens. Le tout se terminant de manière épique par un ridicule « Merci Marie ».
On a là tout un romantisme typiquement identitaire, jouant sur la pseudo-tradition de la « fête des Lumière » existant depuis 1852. Chaque 8 décembre en effet, il est censé falloir « illuminer la ville » et monter sur la colline de Fourvière pour… rendre hommage à la « Vierge Marie » et à sa « protection » contre les épidémies.
« 1852 », c’est-à-dire le XIXe siècle, c’est-à-dire plus de 50 ans après la Révolution française et l’avènement de la bourgeoisie, en pleine révolution industrielle, après le siècle des Lumières. Il ne s’agit donc là évidemment pas d’une tradition populaire, mais bien d’une construction idéologique réactionnaire montée de toute pièce par l’Église catholique, pour préserver sa domination culturelle contre la modernité portée par la bourgeoisie et la classe ouvrière émergente.
L’Église catholique a d’ailleurs fait ériger une basilique quelques années plus tard au sommet de cette colline de Fourvière, alors qu’en 1854 était choisi justement le 8 décembre pour fêter « l’Immaculée Conception ».
Il s’agit là d’une conception particulièrement délirante, mais hautement symbolique, voulant que « Marie » aurait enfanté Jésus, mais sans avoir été « souillée » du péché originel, c’est à dire de l’acte sexuel. C’est une façon de rejeter la nature, la réalité concrète et immédiate, au profit d’un mysticisme transcendant.
C’est donc un symbole très important pour la Droite ultra, qui a besoin justement de ce genre de romantisme mobilisateur. Il a donc été mis le paquet sur cette date, en profitant du confinement pour trouver un prétexte afin de s’opposer à l’État et apparaître comme rebelle, anti-système, etc., dans la plus pure tradition de l’extrême-Droite française.
Cela a forcément coûté très cher et a nécessité une logistique complexe. On comprend immédiatement à l’esthétique de la vidéo et aux images qu’il y a à l’origine de ce coup d’éclat des ultras, qui ne peuvent s’empêcher de se montrer avec un vêtement de marque « North Face » et des fumigènes. Mais forcément, pour un tel ouvrage, ils n’ont pas agi seuls et disposent d’une assise particulièrement forte dans le centre de la ville.
La Droite a d’ailleurs immédiatement soutenu l’opération, alors que celle-ci relève d’un délit très grave en raison de sa dangerosité. Pierre-Damien Gerbeaux, conseiller municipal LR de Caluire-et-Cuire, commune jouxtant Lyon, a trouvé l’idée « lumineuse », en prétendant à une « ingéniosité populaire » et moquant « le maire écologiste qui, vexé, après avoir fait la chasse au Tour de France, fait la chasse aux pétards ».
Béatrice de Montille, conseillère municipale LR à Lyon a pour sa part totalement assumé :
« dans le contexte de crise sanitaire et de confinement, cette opération a fait du bien ».
Un tel événement rappelle un problème de fond avec les trois grandes villes françaises. Marseille est inexistante politiquement de par son arriération dans le triptyque football – mafia – misère. Paris est présente avec le triptyque bobo – soirées branchées – consommation stylée. Lyon est quant à elle présente avec le triptyque bourgeois traditionnel – identitaire – catholicisme.
Dans un tel panorama, avec la crise en cours, Lyon risque donc de donner le ton d’un nouvel activisme, conforme aux besoins de la « Droite populaire » en cours de formation. Celle-ci étant appuyée intellectuellement par Marion Maréchal et son école « Science po » de droite, implantée à Lyon justement. C’est une vraie menace, que la Gauche de cette ville est incapable de freiner malheureusement.