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L’Arménie étranglée avec l’assentiment français

La France se présente comme l’ami de l’Arménie, mais dans les faits c’est différent.

La France se présente comme l’amie de l’Arménie, et les Arméniens pensent que cela est vrai. Mais la France est une grande puissance…

Une école détruite à Stepanakert au Nagorny-Karabagh

L’amitié entre la « France » et « l’Arménie » remonterait au Moyen Âge. Ainsi, le dernier roi d’Arménie repose à Paris, plus précisément dans la basilique Saint-Denis, au côté des rois de France, dont il est le seul souverain à partager la nécropole.

Bien sûr, tout cela relève de pures allégations orientalistes, puisque si le Lusignan chypriote Léon VI est bien mort en exil à Paris, il ne fut roi que d’un Royaume des Arméniens de Cilicie quasiment fictif, sur lequel il ne régna même qu’au milieu des pires complots féodaux et que pour quelques mois, avant la chute finale de sa capitale, Sis, dans l’indifférence générale des Arméniens de l’époque.

Et si son cénotaphe trône aujourd’hui dans la nécropole royale française, ce n’est que par un obscur choix fait en 1817, en plein essor du romantisme, du fait du Conservateur des Monuments français de l’époque, Alexandre Lenoir.

Saint Denis (Île-de-France), nécropole royale de la basilique, Léon V. Lusignan couché, roi d’Arménie (Source Wikipedia)

Mais ce symbole est puissant, autant pour les Arméniens exilés en France, que pour comprendre l’imaginaire orientalisant qui entoure l’Arménie dans l’esprit des institutions françaises. Derrière l’idée d’Arménie, il y a celle de la Croisade, de l’Orient latin, de la profonde influence française en Orient, qui au-delà même du temps des Croisades, lie François Ier, Napoléon Bonaparte, puis encore Napoléon III, jusqu’aux mandats français en Syrie avec traité de Sykes-Picot, l’épisode du Musa Dag, etc…

Pour les Arméniens, la France, c’est la seconde patrie, le refuge, la protectrice des « Chrétiens d’Orient », la Légion et le sauvetage des rescapés du Musa Dag, la terre d’accueil des survivants du Génocide. Il y a cependant la réalité, celle de la France comme grande puissance…

Pour bien situer les choses, la stratégie actuelle de l’État français dans le Caucase est clairement de mettre tout en œuvre pour arrimer l’Azerbaïdjan aux alliés de l’OTAN. Ainsi, si la Russie reste encore le principal partenaire commercial de l’Azerbaïdjan, avec 16% de son commerce extérieur, la France n’en représente que 2%. Mais c’est une part en constante augmentation. Plus encore, si on considère les autres pays de l’Union européenne, cette part atteint presque 15%. Cela passe à 20% si on ajoute les États-Unis, voire 33% si on ajoute la Turquie.

L’Azerbaïdjan (source Wikipedia)

La France importe massivement du pétrole d’Azerbaïdjan, la part de ces importations a même augmenté de 20% en 2020. En échange, la France fournit du matériel de défense, c’est-à-dire de l’armement, officiellement pour sécuriser les sites de productions pétroliers. Tout type de marchandises confondues, les échanges commerciaux entre les deux pays représentent des centaines de millions d’euros de trafic, près de 750 millions à en croire les chiffres officiels.

Mais cela est encore sans même tenir compte des contrats de défense en tant que tels et des « licences » accordées dans ce domaines, qui se montent à plus de 200 millions rien que pour 2019, dont du matériel de tir de missiles et d’alerte. En outre, un contrat est en cours de négociation pour équiper la marine azérie de corvettes porte-hélicoptères de classe « Gowind », déjà commandés par les États du « bloc » pro-saoudien allié à la France (Égypte, Émirats Arabes Unis), pour près de 500 millions d’euros.

C’en est au point, que lorsque le président Emmanuel Macron était allé au sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie, organisé en 2018 à Yerevan par la République d’Arménie, il avait fallu envoyer l’ancien président Nicolas Sarkozy « rassurer » le dictateur azerbaïdjanais Ilham Aliev sur les intentions et les orientations de l’État français.

L’Arménie maintient une Artsakh autonome, mais l’Azerbaïdjan qui a récupéré les territoires autour entend s’en débarrasser à moyen terme (source : Wikipédia)

Il y a aussi bien entendu la question des données récoltées durant la guerre au Karabagh, qui a été un modèle du genre de la guerre anti-populaire : avec la situation d’une armée déployée dans un « théâtre » profondément hostile, mais qui parvient par un engagement militaire conventionnel à imposer sa victoire par la brutalité de son avance technologique, en évitant les agressions sur les populations civiles trop directes et médiatisées, et en se contentant d’occuper un terrain tenable car dépeuplé, mais stratégique pour étrangler la population civile hostile à plus long terme.

L’Arménie à ici complètement échoué sous ce rapport, en se laissant corrompre par la supposée protection de ses alliés, notamment la Russie, et par la conviction de la supériorité de ses troupes.

Si la guerre avait été une guerre populaire, elle aurait été un bourbier meurtrier pour l’Azerbaïdjan, mais ce scénario a été évité, stratégiquement par l’Azerbaïdjan, volontairement par l’Arménie, mal préparée à cette guerre et dont la population, et notamment la jeunesse, ne s’est pas mobilisée en masse pour défendre le Karabagh.

L’Arménie paie ici le prix de ses illusions et d’années de corruption orchestrées par des militaires vendus à la Russie en particulier, qui ont transformé Yerevan en casino, détruit les services publics et abandonnés les campagnes à la misère, tout en se présentant comme le bouclier du peuple à grand renfort de propagande militariste, qui a irrigué la culture populaire.

La région de la gorge du Hunot au Karabagh

Massivement, la population n’a pas adhéré à ce nationalisme outrancier et corrompu. Par la migration ou par les magouilles, elle a cherché à survivre et à résister, avant le grand soulèvement de 2018 qui a emporté le régime. C’est aussi ce soulèvement, incarné par la personne de Nikol Pashinyan, l’actuel dirigeant de l’Arménie, que la Russie a fait payé en laissant se faire presque jusqu’au bout, sinon avec son accord et son soutien, l’agression azérie.

Mais aujourd’hui, les militaires arméniens tentent de se remettre en selle, en accusant le régime de Pashinyan d’être ni plus ni moins « turc ». On voit sur les réseaux sociaux et même dans les médias du pays se multiplier les soi-disant nouvelles montrant ici un manifestant pro-Pashinyan « avec un accent turc », ou là une soi-disant intrusion de militaires des forces spéciales turques dans tel village isolé. Le tout alors que la Turquie d’Erdogan souffle sur les braises en soutenant Pashinyan…

Toutes ses manœuvres ne peuvent pas passer à côté de l’État major français, bien renseigné sur le Caucase du sud et l’Arménie. Ce qui se joue ici, c’est tout simplement une épuration ethnique concertée au Karabagh, que la France impérialiste laisse faire de facto, au nom de ses intérêts.

L’Arménie

Le régime français défend-t-il donc l’Arménie, donc en l’espèce l’État arménien et les populations arméniennes du Caucase ? Certainement pas. Même après la guerre de cet automne, la France prétend maintenir une position « équilibrée » selon les termes de sa diplomatie. C’est-à-dire que le business avec Bakou continue de se développer, y compris au plan militaire.

En février 2021, on a ainsi vu une délégation de parlementaires français venir parler affaires avec le régime d’Aliev, et prendre la pose sur le mémorial des « martyrs azéris » de la guerre contre l’Arménie, puis déposer une couronne aux pieds de la statue du père d’Ilham Aliev, Heydar Aliev, qui a dirigé l’Azerbaïdjan de 1993 à 2003, son fils lui ayant succédé.

Pendant, ce temps, le fond d’aide gouvernemental français qui « structure » l’aide apporté à l’Arménie a simplement accordé une aide matérielle consistant en de l’équipement médical et l’envoi de quelques personnels. L’Élysée, qui a pris en charge directement cette aide, ne communique même pas sur le montant total alloué, d’ailleurs constitué de l’aide déjà prévue, avec une courte rallonge, notamment alimenté par des dons de municipalités.

Ainsi, la ville de Paris a alloué en tout 80 000 euros, la ville de Lyon 30 000 et celle de Strasbourg 15 000, pour ne prendre que des exemples de grandes villes où les Arméniens sont nombreux. Ces sommes sont de fait dérisoires, même de simples associations sont parvenues à rassembler plus d’argent que certaines de ces villes et de toute façon, cela ne pèse rien en balance des intérêts commerciaux avec l’Azerbaïdjan et ses pétrodollars.

Rappelons que dans le même temps, Ilham Aliev annonçait depuis la ville conquise sur les Arméniens de Chouchi/Shusha une pluie d’investissement sur les territoires annexés en signe de leur nouvelle appartenance nationale : il est ainsi prévu un aéroport international, une nouvelle autoroute, des infrastructures touristiques, des musées…

Chouchi/Shusha en 1865

Il faut que les Arméniens de France regardent en face cela. La France approuve sans le dire trop ouvertement la fuite dans l’ordre des populations arméniennes du Karabagh. C’est bien ainsi que ce « réglera » le problème venant perturber les intérêts économiques. Il sera temps ensuite de partager ce que l’on peut de l’influence dans le Caucase entre les uns et les autres, et c’est ce « grand jeu » là qui compte pour les grandes puissances.

Mais le plus lamentable, c’est que cela convient aussi aux Arméniens. Et en particulier aux Arméniens de France. On les voit applaudir devant l’aide somme toute dérisoire accordée par la France, comme ils ont applaudi à ce vote parlementaire ridicule de la « reconnaissance de la République d’Artsakh » qui ne coûte rien. On les voit imaginer que la France aurait encore les moyens d’assurer un rôle en faveur des Arméniens, si seulement les Français pouvaient se « réveiller », si seulement les Arméniens pouvaient « s’unir » dans un lobby parlant d’une seule voie.

C’est là ne pas assumer la réalité caucasienne.

Carte des peuples du Caucase (source : Wikipédia)

Seule la perspective d’une grande fédération des peuples caucasiens peut faire exploser le nationalisme pantouranien et le régime corrompu d’Aliev. L’avenir des Arméniens, c’est la Fédération TransCaucasienne, démocratique et populaire, seule à même de faire se lever de l’Ararat à la Caspienne, de l’Araxe à l’Elbrouz, l’aube d’une nouvelle ère pour tous les peuples d’Orient.

Tout le reste est une fiction romantique paralysant face au jeu des grandes puissances utilisant le principe de diviser pour régner. Tout comme dans les Balkans, la haine interethnique est un outil pour le repartage du monde par les grandes puissances. Tout comme dans les Balkans, seule une Fédération populaire démocratique est la solution.