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Ukraine : Lutte Ouvrière ne critique pas la Russie

Seuls les Etats-Unis seraient fautifs.

Seuls les Etats-Unis seraient fautifs.

Il n’est nullement étonnant que la « gauche » du PCF prenne partie pour la Russie dans le conflit ukrainien, c’est un positionnement qui se situe dans le prolongement d’un point de vue faisant de la Chine (souvent considéré comme « socialiste ») et de la Russie des Etats nationaux formant un contre-poids à l’impérialisme (résumé aux Etats-Unis). Mais alors voir Lutte Ouvrière dire exactement la même chose est plus que surprenant.

Il est vrai que Lutte Ouvrière se contorsionne depuis 1991 quant à la nature de la Russie, expliquant que tant qu’il y a des acquis de l’époque socialiste, cela reste une sorte d’Etat ouvrier dégénéré. Cependant, pour en arriver à nier que la Russie place 150 000 soldats armés jusqu’aux dents aux frontières d’une Ukraine considérée comme un appendice russe à récupérer…

Car l’article Crise ukrainienne : l’impérialisme américain à la manoeuvre du 16 février 2022 ne dit pas autre chose. Il est expliqué que les Etats-Unis ont annoncé une invasion russe pour le 16, qu’elle n’a pas eu lieu, que même il y a « la nouvelle du début de repli des troupes russes », que par conséquent tout cela a été un coup monté par les Américains. La Russie se contenterait de montrer sa force :

« Ainsi la Russie est présentée comme s’apprêtant à déclencher une guerre pour mettre la main sur l’Ukraine. Les manœuvres militaires organisées par l’armée russe ne signifiaient pourtant pas que Poutine avait décidé une invasion. Le dirigeant du Kremlin est engagé dans un bras de fer avec l’impérialisme américain, où chacun montre ses muscles. En juillet 2021, c’est l’OTAN qui a organisé des manœuvres militaires en mer Noire, impliquant des forces d’une trentaine de pays, dont l’Ukraine. »

Ce qu’on lit ici est ridicule de bout en bout et témoigne d’une profonde méconnaissance de la situation, et même d’une absence d’efforts devant ce qui forme un événement absolument catastrophique pour la paix en Europe. La Russie ne fait pas simplement des « manoeuvres », elle a amassé une majorité significative de son armée à la frontière avec l’Ukraine, avec absolument tout ce qu’il faut pour une invasion. Même si Lutte Ouvrière ne suit pas le conflit ukrainien depuis avril 2021 (comme le fait agauche.org), un peu d’études de la question permet facilement de voir que la Russie menace l’Ukraine et ne s’en cache pas puisqu’elle nie son existence (ce serait une « invention bolchevique » comme l’explique Vladimir Poutine).

Il est donc absolument faux de réduire la question de la guerre à une simple magouille électoraliste et machiavélique du président Joe Biden, tout en disant d’ailleurs que la guerre n’aura de toutes façons pas lieu. C’est là complètement rater la nature de la période actuelle, qui est celle de la bataille pour le repartage du monde.

« Depuis près de trois mois, l’administration de Washington se livre à une vaste manipulation de l’information, comme à chaque fois qu’il lui faut justifier une intervention quelque part dans le monde.

Avec cette opération, Biden veut certainement se donner une nouvelle stature vis-à-vis de son opinion publique alors que, depuis l’évacuation en catastrophe de l’Afghanistan, ses concurrents républicains, à commencer par ­Trump, ne cessent de le présenter comme un président faible. Alors que sa cote de popularité est au plus bas, qu’aucune des réformes sociales promises n’a vu le jour et que l’inflation a atteint des niveaux inégalés depuis 1982, le président démocrate peut aussi vouloir utiliser cette crise politique extérieure pour faire diversion et susciter un réflexe d’union nationale derrière lui.

L’attitude de Biden va cependant au-delà de ces calculs à court terme. L’impérialisme américain a besoin que sa population soit prête à aller faire la guerre partout où les intérêts de ses capitalistes l’exigeront, comme il n’y a pas si longtemps en Irak et en Afghanistan.

Pour cela, il faut la mettre en condition, la convaincre qu’il y a face à elle des régimes menaçant la liberté et la démocratie qui sont le dernier des soucis des dirigeants américains d’un bout à l’autre du monde, de l’Arabie saoudite à la Birmanie… Cette mise en condition s’étend aux populations d’autres pays occidentaux, comme la France dont les dirigeants, fût-ce avec quelques contorsions, s’alignent sur la diplomatie américaine.

Même si la guerre n’est pas pour ces jours-ci, les dirigeants occidentaux tiennent dès à présent à préparer leurs populations à la faire contre les méchants, russes ou chinois, tant ils sont conscients que la crise capitaliste les y poussera. Une guerre qui n’est en aucun cas dans l’intérêt des travailleurs.

Lutte Ouvrière se prend ici les pieds dans le tapis : elle n’a pas pris au sérieux le conflit ukrainien, considéré comme régional, relevant d’une lutte locale pour le contrôle du pays, sans envergure. Le conflit ukrainien est au contraire la boîte de Pandore des conflits modernes du capitalisme en crise, de la forme de la guerre dans les conditions du 21e siècle ; la conflagration est par nature (du capitalisme en crise) absolument inévitable et a d’ailleurs déjà commencé.

Au-delà de cette question essentielle et actuelle de la nature de la guerre moderne, qui n’a rien à voir avec celle des années 1960 ou 1990, il y a aussi la question nationale qui joue sur le plan de la théorie, de l’idéologie. Le trotskisme rejette les problématiques nationales et Lutte Ouvrière tout particulièrement. La question de l’indépendance nationale ukrainienne ne peut donc pas apparaître ici, alors que c’est l’existence même de la nation ukrainienne qui est en jeu. Impossible par conséquent pour Lutte Ouvrière de saisir le cadre du conflit, en plus de ses modalités.

Une réponse sur « Ukraine : Lutte Ouvrière ne critique pas la Russie »

[…] notera ici pour comprendre notamment la polémique sur le plan des idées que pour Lutte Ouvrière il existe seulement un impérialisme occidental, la Russie étant… on ne …, et que du côté du NPA, comme de l’ancienne Ligue Communiste Révolutionnaire, la tradition […]

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