La situation est catastrophique.
Depuis maintenant plus d’une semaine les forces armées de l’Azerbaïdjan assaillent les frontières de la République d’Arménie. Les opérations ont jusque là fait officiellement plus de 280 morts de chaque côté parmi les militaires, et l’Azerbaïdjan occuperait plusieurs dizaine de km2 du territoire arménien.
Depuis novembre 2020, et de fait déjà auparavant, il est attentivement suivi la situation se développant en Arménie et plus largement dans le Caucase. Les personnes lisant agauche.org peuvent aisément consulter les archives documentant et analysant de manière approfondie tout ce contexte, ses implications et ses développements.
Il était annoncé depuis l’effondrement du Karabagh arménien que les régimes nationalistes, profondément bellicistes, de Bakou et d’Ankara ne contenteraient pas de l’écrasement du Karabagh arménien. Ceci d’autant que celui-ci reste encore incomplet dans une certaine mesure, puisqu’il se maintient, péniblement, sous occupation russe.
Les développements de la guerre en Ukraine devaient immanquablement avoir des répercussions
sur le Caucase, et pour l’Arménie, cela signifiait de notre point de vue, que c’était son existence
même en tant qu’État qui était en jeu.
Conformément à nos analyses donc, les régimes de Bakou et d’Ankara s’élancent dans la bataille pour le repartage du monde, sur la base de leur idéologie guerrière et expansionniste du « pantourisme ». Plus spécifiquement même, sur l’idée considérant que l’Azerbaïdjan et la Turquie forment « deux États, mais une nation ».
Voici les éléments d’analyse qu’il faut prendre en compte ici :
– La Turquie et l’Azerbaïdjan forment une alliance sur la base idéologique du pantouranisme (c’est-à-dire de l’idée d’unifier un supposé ensemble de pays « turcs ») allant au fascisme sur le plan interne, et justifiant sur le plan externe un écrasement large, sinon total de l’État arménien.
Il faut donc voir au-delà de la question de la réoccupation et de l’épuration ethnique du Karabagh arménien. La charge nationaliste attendue de cette conquête est l’aspect principal sur le plan idéologique du régime de Bakou. Pour la Turquie d’Erdogan, c’est une question parmi d’autres de son idéologie néo-ottomane, sur laquelle il est assuré quasiment d’une victoire.
– L’objectif territorial vise en priorité la conquête du sud du territoire arménien, appelé le Syunik
en arménien (en Zangezur en turc), mince bande territoriale peu peuplée permettant de relier l’Azerbaïdjan à la Turquie de manière directe. A minima, il s’agit d’obtenir un « corridor » ouvert entre les deux pays, c’est-à-dire le contrôle direct de la route Latchine-Nakhtichevan qui traverse cette région.
Cela suppose bien sûr la réoccupation complète de ce qui reste du Karabagh arménien, sous protection russe. À ce stade, les troupes d’Azerbaïdjan occupent toute la ligne de crête séparant le Karabagh arménien reconquis de l’Arménie, notamment suite à la prise du mont Ichkanasar (Işıklı en turc) qui domine de ses 3550 mètres toute la partie centrale de la route que visent les Azerbaïdjanais.
À cet objectif militaire principal s’ajoute une revendication supplémentaire sur le lac Sevan, qui fait partie sur le plan hydrologique du bassin de la Koura, et qui historiquement est tourné vers la ville de Gandjak, aujourd’hui en Azerbaïdjan. La carte ci-dessous permet de voir l’étendue des revendications territoriales maximum du régime, qui imaginent donc réduire l’Arménie à la zone de sa capitale, Yerevan, et aux secteurs où sont déployées les forces russes (frontière avec la Turquie et base de Gyumri).
Mais de toute façon en réalité, les revendications azerbaïdjanaises, et turques, sur l’Arménie concernent potentiellement l’ensemble du territoire, dont selon cette perspective, l’effacement doit être à terme total, afin de souder l’Azerbaïdjan et la Turquie de manière complète, ce qui serait autant pour Ilham Alyev, le président de l’Azerbaïdjan, que pour Recep Tayyip Erdogan, dirigeant de la Turquie, un triomphe « historique » validant le militarisme et toute la rhétorique néo-ottomane folle furieuse d’Erdogan.
L’action de Bakou est soutenue par la Turquie d’Erdogan, et plus discrètement par l’OTAN à travers l’appui des services de renseignement britannique.
La Turquie a déployé ses drones d’attaque Bayraktar TB2, dont l’un s’est écrasé en Iran, officiellement de manière accidentelle. L’ouverture d’un éventuel nouveau conflit de haute intensité dans le sud-Caucase est clairement une manière d’affaiblir la Russie, et l’Azerbaïdjan tout comme la Turquie entendent saisir cette opportunité pour leur propre agenda expansionniste, alimentant la marche précipitant le monde dans la guerre.
– Une telle offensive ouvre potentiellement les possibilités de repartage du Caucase, menaçant
les positions russes et iraniennes, et donnant un éventuel espace d’intervention à la France dans le cadre de sa confrontation croissante avec la Turquie, en laissant l’Arménie se faire écraser afin de satelliser ce qui reste, reprenant de fait à son compte la stratégie russe. La Droite française, par ses figures politiques ou ses médias, y pousse avec insistance, sans que cela ne prenne encore forme d’engagement concrète.
– L’Arménie et son peuple sont désormais complètement aux abois, réalisant de manière vertigineuse à quel point leur rhétorique nationaliste fondée sur une vision romantisée à outrance d’une « Grande Arménie » illusoire, qui a nourri la vie politique du pays, masquant le militarisme et la corruption du régime a été une catastrophe.
C’est ce que tente désespérément d’enrayer le gouvernement de Nikol Pachinian, mis en place suite à une vaste révolte populaire contre le régime et cherchant aujourd’hui, mais en vain, à ouvrir un dialogue avec l’Azerbaïdjan ou la Turquie, sous l’égide de la Russie. Cela avec le seul horizon déprimant de trouver une pauvre voie d’existence comme État satellisé entre deux blocs expansionnistes, poussés de toute façon à un moment ou un autre à la confrontation.
À ce contexte lamentable s’ajoute encore les agissement des puissances occidentales, jouant toutes les cordes permettant d’affaiblir les uns et les autres pour prendre pied dans le secteur, ou du moins pour y bloquer tous leurs rivaux.
Les forces de Gauche authentiquement démocratiques et populaires doivent donc mobiliser Arméniens et Turcs de notre pays contre cet abominable machine à broyer les peuples, à dresser des murs et à faire couler le sang.
Il faut dénoncer sans aucune concession les idéologies bellicistes maquillant l’expansionnisme d’États piégés dans les contradictions du mode de production capitaliste. La Turquie comme l’Azerbaïdjan sont entraînés vers l’abyme par leurs régimes chauvins, cultivant un pseudo-romantisme identitaire et territorial flattant les pires préjugés nationaux des uns et des autres. Voilà pourquoi il faut opposer à la guerre impérialiste du capitalisme en Crise un projet, une perspective.
Cette perspective ne peut être que celle de la Gauche historique, reposant sur les valeurs les plus avancées du mouvement ouvrier. Seule la classe ouvrière échappe à la décadence, et dialectiquement ce n’est que consciente qu’elle peut transformer l’Histoire comme l’exige notre époque.