La nation arménienne d’Azerbaïdjan est la première à s’effondrer dans la guerre pour le repartage du monde.
« Kürte dedi anneannem, kalbin dilidir.
Türkçe, müziktir. Bir sarap deresi gibi akar, yumusak, tatli, parlak.
Bizim dilimiz, dive bagirdi acinin dilidir.
Ölümü tattik hep ; dilimizde nefretin, acinin yükü var.
Le kurde, disait ma grand-mère, est la langue du cœur.
Le turc est la musique. Il coule comme un flot de vin, doux, sucré, brillant.
Notre langage est le langage de la douleur,
Nous avons toujours goûté la mort ; Il y a un fardeau de haine et de douleur dans notre langue. »
William Saroyan
On ne peut qu’être saisi d’horreur et de rage devant la barbarie régressive que le régime de Bakou mobilise pour figer les masses d’Azerbaïdjan dans la haine contre les masses arméniennes, spécifiquement celles du Karabagh.
Ces derniers jours en effet, le régime de Bakou a organisé une mobilisation « citoyenne » pour bloquer complétement la population civile du Karabagh. À l’heure actuelle, la population civile, y compris des dizaines de milliers d’enfants, de personnes âgées fragiles, se retrouve littéralement coupée du monde, sans approvisionnement énergétique, voire sans eau potable dans certains secteurs.
Le tout face à des activistes haineux et chauffés à blanc dans leur haine de la seule existence d’Arméniens dans ce qui est considéré comme une « terre turque », avec en arrière-plan une armée azerbaïdjanaise en alerte prête à une éventuelle escalade. On voit par exemple sur la photo servant ici d’illustration des personnes devant un poste de l’armée russe dans le « couloirs de Latchine reliant le Karabagh à l’Arménie, faisant de leurs mains un signe de ralliement ultra-nationaliste censé miner la tête d’un loup (un animal totémique et généalogique dans la mythologie raciste pantouranienne).
Ce faisant, le régime azerbaïdjanais réalise trois objectifs allant dans la même direction de sa propre fuite en avant nationaliste :
- Il contourne la question d’une agression militaire directe ou même d’un blocus militairement organisé, en laissant croire à qui le voudra que cette agression est une expression libre de citoyens. Quand on connaît l’état de la société civile en Azerbaïdjan, écrasée par la corruption et la répression, il est évident qu’une telle opération n’a rien ni de populaire, ni de démocratique sur la forme.
- Il oppose à l’armée russe présente sur place ou même aux puissances occidentales qui ont formellement protesté de ce blocus une apparente masse de civils, piégeant les uns dans l’impossibilité pratique d’une réaction militaire frontale et les autres dans leurs propres contradictions, puisque ni la France ni même les États-Unis ne sont en mesure de dénoncer le régime de Bakou comme un régime nationaliste ultra-chauvin, raciste à visée génocidaire, corrompu et corrupteur d’ailleurs aussi de secteurs non négligeables d’organes politiques, culturels (notamment des universités comme par exemple la faculté de Lettres de l’Université de Haute Alsace à Mulhouse), ou médiatiques en France particulièrement. Même si sur ce plan, la corruption d’organes français est moindre qu’au Royaume-Uni ou en Suisse notamment.
- Il piège les masses azerbaïdjanaises en organisant un reflet de leur supposé chauvinisme, envoyant là un message de propagande censé paralyser toute opposition interne, en montrant des masses plus ultras que le régime qui ne fait que suivre, voire même « calmer » les penchants « naturellement » nationalistes fous furieux du peuple.
Le message envoyé aux Arméniens du Karabagh est sans équivoque pour qui pouvait encore douter du sort réservé à ces derniers par le régime d’Ilham Alyev. Officiellement, il est considéré que les Arméniens pourront éventuellement rester au Karabagh, mais selon toute une série de « conditions » : notamment ne pas avoir porté d’armes dans une armée « arménienne » et ne pas avoir circulé sans autorisation vers l’Arménie. Autant dire que très concrètement, aucune famille arménienne ne pourra rester au Karabagh.
Mais si tout cela n’était pas clair, les hordes de manifestants appelant à vider le Karabagh des Arméniens y vivant offre un avant-goût de ce qui attendrait les éventuels Arméniens qui voudraient demeurer au Karabagh une fois celui-ci sous occupation du régime.
Que valent dans ce cas les protestations françaises et américaines ? Rien. Ou si peu, quand on voit que la position officielle de ces États est de toute manière très ouvertement de laisser Bakou réoccuper le Karabagh, en exigeant simplement une façon le moins tragique possible de le faire. Et au fond, c’est exactement ce que fait Bakou. La population arménienne est en voie d’effondrement au Karabagh depuis 2020, ainsi que nous l’avions annoncé dès le début, et cela avec la complicité objective totale de pays comme la France.
Lire aussi : https://agauche.org/2020/11/14/la-cisjordanisation-du-karabagh-armenien/
Les Arméniens se retrouvent de nouveau seuls et face à leurs propres erreurs historiques dramatiques. Qui à part les gens écrivant sur agauche.org ont défendu en France la communauté culturelle des nations arméniennes et turques, ainsi que le proclame la poésie de William Saroyan, de Nâzim Hikmet ou la pensée d’Ibrahim Kaypakkaya, ainsi que l’illustrent la cuisine, la musique, la littérature de Nariman Narimanov et les milles et uns exemples unissant au-delà de tous les chauvinismes ces deux nations, et de celles-ci avec les autres nations d’Anatolie et du Caucase ? Qui à part les gens écrivant sur agauche.org a mis en avant l’héritage national des Arméniens d’Azerbaïdjan, qui aurait dû être défendu bec et ongle par les Arméniens et les Turcs de France ? Qui à part les gens écrivant sur agauche.org ont défendu la référence de la TransCaucasie soviétique des années 1920-1940 ?
Il y a presque un siècle, en décembre 1920, l’armée rouge venait au secours de la nation arménienne, alors déjà lamentablement dirigée par ses propres forces bourgeoises chauvines et en voie d’écrasement par le pantouranisme. C’est un État arménien réduit à une faible poche autour de Yerevan que l’Armée Rouge est venue libérer après avoir écrasé le pantouranisme en Azerbaïdjan. Le grand État soviétique a ensuite assuré à l’Arménie une République solide, et aux Arméniens d’Azerbaïdjan une reconnaissance nationale garantie. Voilà la base historique sur laquelle existent l’Arménie et l’Azerbaïdjan actuels.
Traduction :
Le peuple ne vivait que d’espoirs, il gardait et élevait sa culture, et ses trésors recueillis sous les cendres des incendies. Des poèmes épiques se transmettaient de bouche en bouche, une poésie lyrique puissante et tragique se développait, l’architecture – sévère et grande – gardait son style, unique au monde.
Le peuple arménien a été amèrement déçu lorsque l’espoir de libération qui avait éclaté après la révolution de février a été anéanti par la misérable trahison des dachnaks et des mencheviks.
Et enfin, l’étoile à cinq branches de la liberté s’est levée sur l’Arménie ! Le peuple a pris le pouvoir entre ses mains !
Mais en 2022, aucune armée Rouge ne viendra cette fois à temps pour sauver les Arméniens du Karabagh. Plus personne ne peut maintenant grand chose face au tragique destin qui attend les populations arméniennes du Karabagh. Voilà la sombre réalité factuelle. Néanmoins, les révolutionnaires ne laisseront pas impunis tous ces fauteurs de guerre et tous les assassins de la parole qui découpent par leurs discours chauvins les masses en miettes afin de mieux les vendre aux puissances impérialistes, toujours prêts à mettre un drapeau dans les mains du premier abruti chauvin qui lève la main, ou de les perdre dans le funeste gouffre abominable de la guerre.
La tragédie arménienne sera vengée par la Révolution et la Fraternité internationale le jour venu. Nos articles seront nos premières archives quand le glaive du Droit démocratique se lèvera sur la nuque de tous les nationalistes criminels, c’est une des raisons pour lesquels nous les documentons minutieusement.
La Crise dans laquelle bascule le monde de l’époque du capitaliste décadent emporte aujourd’hui sous nos yeux les Arméniens du Karabagh, comme elle emporte la nation ukrainienne, et comme demain elle pourra emporter la nation kurde de Syrie ou d’Irak.
Cela doit être un signal à tous ceux qui entendent se dresser contre le fatal destin mortel du capitalisme et défendre la Culture, la Civilisation, l’Humanité pacifique en harmonie avec sa biosphère : il faut rompre, s’organiser, développer l’alternative à tous les niveaux de sa vie. Et se préparer à la grande lutte héroïque qui vient, dont nous seront les comptables devant l’Histoire et dont nous sommes responsables devant le futur.