La place des femmes dans l’armée est l’indicateur de la nature d’une guerre.
Depuis plusieurs années, les armées occidentales tentent de féminiser leurs effectifs.
Il a fallu attendre par exemple 1982 pour que l’école de formation des dirigeants militaires de l’armée française soit ouverte aux femmes. Et ce n’est qu’en 2016 que fut nommée pour la première fois au poste de vice-amiral une femme.
Mais cela se base sur l’approche typiquement bourgeoise des quotas et de la parité, renvoyant les femmes à des faire-valoir pour dresser une belle vitrine auprès des populations. Avoir une armée féminiser, c’est se donner une légitimité démocratique pour ses guerres…
En réalité, ces efforts ne peuvent surmonter le fait qu’on ne peut parvenir à l’implication active des femmes dans l’armée sur la base d’une société civile marquée tout à la fois par des restes culturels de patriarcat et surtout et principalement, par une société de consommation qui fait des femmes des cibles de la sexualisation marchande.
Dans le monde, il n’y a pas une seule armée qui réussit à impliquer les femmes à la hauteur de ce qu’elles représentent, soit la moitié des populations. En haut du classement, il y a Israël avec 33 % de femmes dans ses effectifs, puis la Hongrie avec 20 %, les États-Unis avec 18 %, la France avec à peine 16 %… Plus loin encore, il y a la Pologne avec seulement 3 %.
Mais même ces chiffres ne veulent rien dire. Car l’armée c’est une micro-société, avec son administration, ses cuisines, son service des santés, etc. Si l’on regarde plus près l’armée française, sa féminisation concerne avant tout son administration et son service de santé.
En Ukraine, les femmes étaient même jusqu’à 2018 carrément interdites de devenir conductrice de chars ou tireur, les réduisant à n’être que des cuisinières, des comptables, ménagères, etc. Malgré une réforme leur ouvrant ces postes militaires, la prégnance de l’état d’esprit traditionaliste est si fort dans la société ukrainienne, avec notamment leur sexualisation agressive, que les femmes restent bien à l’écart. A tel point qu’il n’était même pas prévu de sous-vêtements et de chaussures pour femmes !
Dans l’armée française, l’histoire du commandement est si fortement liée à l’aristocratie et à la grande bourgeoise qu’il est bien illusoire de s’imaginer que les femmes puissent devenir des protagonistes à part entière. On peut regarder quelques témoignages du Tumblr « Paye ton treillis » pour s’en rendre compte !
Il y a un fait historique implacable : lorsque la lutte est juste, les femmes s’y impliquent de manière active et tout naturellement. Ce sont les femmes de Paris qui ont réquisitionné les canons de la butte de Montmartre en mars 1871, formant le premier acte du soulèvement populaire de la Commune.
Plus avant encore, les femmes ont toujours été aux avant-postes des insurrections paysannes, tout comme lors de la Révolution françaises elles formèrent de nombreux clubs et détachements armés. Une tradition qui se prolongea ensuite, les femmes étant aux premières lignes des manifestations ouvrières menacées par la répression de l’armée tirant à balles réelles.
Par conséquent, après Charles Fourrier, Friedrich Engels sanctuarisa la position du féminisme du mouvement ouvrier :
« dans une société donnée, le degré d’émancipation de la femme est la mesure naturelle de l’émancipation générale ».
Dès 1925, l’URSS ouvrait l’enseignement militaire aux femmes, aboutissant à ce que près d’un million de femmes s’engagent lors de la grande guerre patriotique, y compris des postes déterminants comme l’aviation et le tir d’élite – contre à peine 14 000 en 1945 dans l’armée française. Pendant la guerre d’Espagne, nombreuses furent les femmes impliquées dans les combats du côté des milices socialistes et anarchistes.
C’est pourquoi la grande féministe socialiste Clara Zetkine remarquait que la révolution allemande de 1848/1849 était à la traine du processus historique du fait que les femmes les plus avancées n’avait lutté qu’avec leurs plumes et non pas avec des armes :
En outre, l’amazone allemande de 1848/1849 était plus en costume qu’en action. Dans la littérature social-démocrate d’aujourd’hui, on note avec satisfaction que les femmes révolutionnaires de 1848 ont probablement fait peu d’usage des poignards et des pistolets qu’elles portaient à la ceinture.
La reconnaissance devient une critique involontaire de gestes vides et théâtraux, qui n’auraient pas été nécessaires pour exprimer une ferme détermination à se battre. Amalie von Struwe a tenu bon, fièrement, alors qu’elle était enlevée par un soldatesque ivre et fou furieux. On attribue à Emma Herwegh un plus grand sang-froid et une plus grande bravoure dans les situations dangereuses que son mari.
Il ne faut pas confondre pacifisme et pacifique : engagées dans un processus de libération, les femmes sont d’ardentes combattantes. À la suite de quoi on peut dire qu’une guerre juste se mesure à l’aune de l’implication des femmes dans le fait militaire.
Cela ne veut pas dire être engagée dans des rôles subalternes tels que les services administratifs, sanitaires, etc., ni même seulement combattre au front bien que cela soit important. A ce titre, dans l’armée française, les femmes ne sont pratiquement jamais des soldats de première ligne, ce qui en dit long…
Plus fondamentalement, une guerre juste se mesure dans le degré d’implication des femmes dans la direction politique, dans la chaine de commandement, avec pour priorité la féminisation totale du corps dirigeant intermédiaire de part son rôle charnière dans l’application des décisions.
Car en réalité, l’art militaire ne réside pas seulement dans la force physique, ni même dans le maniement des armes, ce qui sont des éléments tout à fait secondaires – à moins de relever d’un état d’esprit foncièrement machiste et anti-collectiviste.
L’art militaire, c’est l’art de la conduite des opérations dans ses aspects tactiques en lien avec une stratégie d’ensemble, en tenant évidemment compte des armes et des armées à disposition mais surtout et essentiellement d’une vue d’ensemble du processus d’affrontement. Cela exige de raisonner non pas en additionnant des capacités militaires individuelles, mais en développant un point de vue total et collectif, voir collectiviste, c’est-à-dire organique.
Du fait de leur position naturelle, les femmes portent en elles un sens aigu de l’organisation collective et de la planification des choses, ce qui doit faire d’elles le protagoniste majeur pour la conduite d’opérations réussies.
Elles sont moins susceptibles de basculer dans l’héroïsme viril typique des armées bourgeoises portées par des dirigeants masculins. D’ailleurs les engagés militaires ont tout à gagner d’une direction féminine, car ils sont certains de ne pas être sacrifiés pour rien.
Lorsque l’on est issu de la tradition du mouvement ouvrier, on a donc un critère essentiel pour mesurer très concrètement si une guerre est juste ou pas. Et il ne fait nulle doute que la guerre qui se prépare sous nos yeux n’en est pas une : les femmes ne seront de grandes dirigeantes que lorsqu’elles prendront la tête de la guerre pour la paix et pour l’émancipation de l’oppression.