La musique classique russe a-t-elle été « effacée » en France ?
« Cadences » est une petite revue gratuite, d’une trentaine de pages. En voici sa définition :
« CADENCES est le magazine sur l’actualité des concerts de musique classique, opéra, musique baroque, musique contemporaine à Paris et en Ile-de-France.
Il est aujourd’hui l’outil préféré des mélomanes parisiens avec son agenda des concerts, ses dossiers musicologiques et ses interviews d’artistes. »
Tirant à 50 000 exemplaires, on peut trouver cette revue dans les lieux concernés. Elle est très sérieuse, de haut niveau. C’est tout à fait parfait pour voir si la propagande de guerre a réussi à pénétrer la Culture ou non.
Regardons le numéro 361-362 de février mars 2023 (disponible ici en pdf), afin de voir comment la culture russe y a été effacée, ou non.
Sur la couverture est annoncé un article intitulé « Rachmaninov L’oeuvre pour piano ». Pages 4 et 5, on trouve un article au sujet de la Symphonie n°5 de Prokofiev, qualifiée de « grandiose ». Les premières lignes soulignent qu’il l’a composée en Union Soviétique, en 1944. Et on lit :
« Sans doute a-t-il été sensible aux sirènes du régime soviétique qui lui offre les conditions lui permettant de se consacrer pleinement à la composition. De fait, son activité créatrice reste intense après son retour et son inspiration ne faiblit pas.
Si son style s’est quelque peu assagi par rapport aux audaces des années 1910 et 1920, il produit plusieurs chefs-d’œuvre : le Second Concerto pour violon, le ballet Roméo et Juliette, le célèbre conte Pierre et le Loup, la musique pour le film d’Eisenstein Alexandre Nevski. »
Rien de plus objectif.
Page 6 est présenté un concert d’un pianiste russo-lituanien, Lukas Geniusas, jouant Schubert et Rachmaninov. Page 9 est annoncé un concert du grand pianiste ukrainien Vadym Kholodenko jouant Schubert et Prokofiev.
Pages 12 et 13 on a un article sur « Rachmaninov magicien du piano », soulignant l’importance de ce compositeur, alors que le très grand pianiste russe Nikolaï Luganski en proposait en début d’année une intégrale à Paris. Il y a un regain vers ce compositeur, Rachmaninov étant la pièce maîtresse de la « seconde vague » de la musique classique russe.
Page 28 est présenté la sortie d’œuvres pour piano d’Alexandre Scriabine, par Vincent Lardenet, « le plus grand des scriabiniens actuels ».
Constatons quelques autres choses : le lac des cygnes de Tchaïkovski est joué à l’opéra royal du château de Versailles, la pianiste russe Olga Pashchenko (dont le nom est ukrainien par ailleurs) joue à la Cité de la musique, Prokofiev est joué à la Philarmonie, le pianiste russe Mikhaïl Pletnev joue à la Philarmonique de Radio France, l’illustre pianiste Ievgueni Kissine (d’origine russe et devenu israélien) joue notamment du Rachmaninov au Théâtre des Champs-Élysées…
Rien n’a donc été abîmé. La propagande de guerre, le bourrage de crâne… n’ont pas fonctionné. L’effacement d’une partie de la culture mondiale au nom d’intérêts impérialistes n’a pas eu lieu.
C’est une joie. Et une preuve que la défense de la culture est toujours le véritable fondement de la civilisation. La préservation de ce qui a de la valeur transcende les préjugés et met à l’écart le nationalisme, les sordides manipulations.
Ce non-effacement de la musique russe est une contribution réelle au refus de l’auto-destruction du monde et une haute expression du besoin existentiel de la paix universelle, de l’unité du monde pour la Culture.
Quand on admire la danse des chevaliers au Bolchoï, on fait partie de l’humanité toute entière – comme avec toute œuvre culturelle de grande valeur de chaque pays du monde.