L’Allemagne a réussi à revenir au centre du jeu dans le conflit Russie-Ukraine.
« Trahison » : voici comment le journal Kyiv Post – un média fondé aux États-Unis traitant de tout ce qui concerne l’Ukraine avec une ligne pro-occidentale agressive – résume la visite de la chancelière allemande Angela Merkel aux États-Unis. En effet, le président américain Joe Biden a fini, contrairement à certaines attentes, par céder et à accepter l’existence du Nord Stream 2, un gazoduc germano-russe passant par la mer Baltique, doublant le Nord Stream 1 déjà existant.
Or, la principale conséquence est que les gazoducs venant de Russie passaient jusqu’ici principalement par l’Ukraine, et perdent leur importance. L’un des éléments importants donnant de la valeur à l’intégrité territoriale ukrainienne aux yeux des pays européens disparaît.
Les 1200 km du gazoduc Nord Stream 2 étaient en passe d’être terminés, mais les États-Unis avaient bien insisté pour dire que ce n’était pas une raison et qu’il était encore temps de l’arrêter. L’objectif américain était d’isoler la Russie ; stopper Nord Stream 2 quasiment terminé, c’était établir une détermination sans faille contre la Russie, réaliser un vrai bloc européen.
L’opération a échoué. En Allemagne la bataille interne, très remuante, a tourné à la victoire des tenants de l’affirmation hégémonique, contre une soumission – intégration aux États-Unis. Le choix a été fait d’exiger la mise en place de Nord Stream 2. Comme le constate l’éditorial du Monde du 23 juillet 2021, c’est toute la diplomatie européenne dans son opposition à la Russie qui tombe à l’eau.
Le désarroi ukrainien est, de fait, très grand. Il y a peu le pays était sur des charbons ardents, gonflé à bloc, prêt à en découdre avec la Russie en s’estimant soutenu par toute l’Union européenne et les États-Unis. Fin juillet, le pays se retrouve clairement comme un pion qui a été plus ou moins abandonné.
Officiellement, bien sûr, ce n’est pas le cas. Victoria Nuland, la numéro trois du département d’État américain, a résumé comme suit l’accord germano-américain du 21 juillet 2021 :
« Si la Russie devait tenter d’utiliser l’énergie comme une arme ou commettre d’autres actes agressifs à l’égard de l’Ukraine, l’Allemagne s’engage, dans cet accord avec nous, à prendre des mesures au niveau national, et à faire pression pour des mesures efficaces au niveau européen, y compris des sanctions pour limiter les capacités d’exportation russes vers l’Europe dans le secteur énergétique. »
Si les choses se passent rapidement sur le terrain, un tel engagement ne signifie pourtant pas grand chose, l’Ukraine le sait bien.
De toutes façons, l’Allemagne, la principale puissance européenne, décidera comme elle l’entend. C’est d’autant plus vrai que toute l’Europe de l’Est et du Sud dépend du gaz russe. L’Allemagne et son satellite autrichien ont donc vite fait de prendre partie.
Et si l’accord russo-ukrainien sur le transit du gaz finit en 2024 et si l’accord germano-américain prévoit que l’Allemagne soutienne la reconduite du contrat pour dix ans, cela veut simplement dire que l’Allemagne compte passer à l’offensive pour littéralement faire passer sous sa coupe toute cette région du monde, en partenariat avec la Russie.
On peut ainsi constater ici que la vaste offensive de l’OTAN contre la Russie, si puissante il y a quelques jours, quelques semaines, vient de se voir mettre en échec par les contradictions germano-américaines. On a ici un moment clef avec une affirmation profondément agressive de l’Allemagne comme grande puissance avec des visées hégémoniques.
La Russie a accompagné ce processus de manière prononcée.
Le 16 juillet 2021, à Tachkent en Ouzbékistan, les ministres des affaires étrangères chinois et russe, Wang Yi et Sergueï Lavrov, se sont rencontrés, soulignant l’entente sino-russe et son opposition à une « stratégie indo-pacifique » emplie d’une « mentalité de Guerre froide ». Sergueï Lavrov a mis en valeur que :
« Les relations sino-russes sont à leur meilleur niveau dans l’histoire et elles ne constituent pas une alliance militaro-politique similaire à celles forgées pendant la période de la Guerre froide, mais un nouveau type de relations bilatérales. »
Le 19 juillet s’est tenue une réunion sur le développement stratégique russe et le premier vice-Premier ministre russe Andreï Belousov a affirmé que le transit maritime par l’Arctique passerait de 1,3 million de tonnes en 2020 à 30 millions de tonnes en 2030.
Le même jour a eu lieu le test d’un nouveau missile hypersonique, Tsirkon, lancé depuis la frégate Admiral Gorshkov contre une cible de surface à 350 km. Tsirkon a atteint Mach 7. Ce missile de croisière, dont la vitesse maximale est Mach 8 (10.780 km/h), peut parcourir 600 kilomètres à une moyenne de 6 000 km/h ; il doit équiper tous les sous-marins et tous les navires de surface de l’armée russe.
L’armée russe a également mis en place l’étude systématique par son personnel de l’article sur l’Ukraine du président russe Vladimir Poutine. Rappelons que l’existence de l’Ukraine comme nation indépendante y est niée.
Et lors du Salon international aérospatial MAKS 2021, s’ouvrant le 20 juillet 2021, l’armée russe a présenté le Soukhoï Su-75, surnommé Checkmate. Ce chasseur de haute qualité, sorte d’équivalent low cost du Rafale français, doit être produit à partir de 2025 pour être exporté. C’est un élément essentiel dans une politique hégémonique que d’être capable de fournir du matériel de guerre à ses satellites.
La Russie a donc réussi à échapper à une offensive de l’OTAN et à renverser la partie par l’intermédiaire de l’Allemagne. Désormais, elle redevient la menace principale dans la région, avec clairement un risque pour l’unité territoriale ukrainienne.
Et la tension principale se déplace. Il est évident que les États-Unis entendent éviter deux fronts. Une seconde réunion au sommet américano-russe a d’ailleurs été mis en place en urgence et doit se tenir dans quelques jours ; comme celle du 16 juin 2021, elle se tiendra à Genève.
Il faut donc désormais porter une attention significative à la mer de Chine, puisque l’affrontement sino-américain direct redevient, comme sous Donald Trump, l’aspect principal. Et déjà le 20 juillet le Royaume-Uni a annoncé le déploiement permanent de deux navires de guerre en mer de Chine…