Les forces occidentales doivent reculer ou c’est la guerre.
Vladimir Poutine a tenu une conférence de presse le 23 décembre 2021, un exercice assez régulier, durant autour de trois heures. Il a bien évidemment abordé la question ukrainienne, dans le prolongement de la conférence élargie annuelle du ministère de la Défense du 21 décembre, marquée par une « notre informelle » stratégique.
Il a développé en fait la même thématique, ce qui est ici d’un intérêt très important. Pour faire la guerre, il faut en effet mobiliser l’opinion publique en ce sens et on a ici une opération qui s’est mise en place très rapidement.
En dix jours, la Russie a posé le problème ukrainien de manière frontale, mais indirecte. En effet, la Russie ne parle pas tant de l’Ukraine que des États-Unis, ne s’adressant qu’aux États-Unis, et présentant très clairement l’OTAN, l’Union Européenne et l’Ukraine comme des suiveurs de la superpuissance américaine.
Ce qu’a dit Vladimir Poutine consiste ainsi en la chose suivante. Nous nous sommes adressés aux États-Unis pour des garanties et nous ne parlons qu’à eux. Nous attendons des réponses concrètes rapides – début janvier – ou bien nous sommes obligés de nous en occuper directement. Il est hors de question qu’il y ait des bases militaires occidentales en Ukraine.
Cependant, il y a un processus de discussion lancée, nous avons fait tous les efforts diplomatiques en ce sens, les choses vont avancer. Ce qui permettra de dire ensuite : les États-Unis nous rejettent en bloc (ce qui est par ailleurs vrai), nous n’avons malheureusement pas le choix, nous devons intervenir en Ukraine.
Mais même là cela est masqué par un discours de légitimation « russe ». Autrement dit, une intervention armée en mode expansionniste est justifiée de manière indirecte. L’action est toujours chez Vladimir Poutine « justifiée » par la situation existentielle de la Russie – dans absolument tous les cas. La première question de la conférence de presse portait ainsi sur le coronavirus. Et là, Vladimir Poutine explique la chose suivante :
« 146 millions [d’habitants] pour un territoire aussi vaste, ce n’est certainement pas suffisant ; économiquement aussi, nous avons une pénurie de main-d’œuvre.
Pour autant que je sache, la population en âge de travailler est maintenant juste au-dessus de 81 millions. Nous devons augmenter drastiquement ce chiffre d’ici 2024, 2030.
C’est l’un des facteurs de croissance économique, sans parler – je tiens à le souligner une fois de plus – des composantes géopolitiques et humanitaires de cette question des plus importantes.
Par conséquent, préserver les personnes sur lesquelles [l’écrivain ultra-conservateur et anti-soviétique] Soljenitsyne a écrit devient l’une de nos tâches les plus importantes et l’un des moteurs de la croissance. »
On peut prendre ici les choses de manière « géopolitique », comme expression de l’obsession nationaliste russe pour parvenir au statut de puissance majeure. Mais on doit surtout voir que le régime russe, anti-démocratique et dirigé par des oligarques, étouffe la vie populaire et aboutit à un effondrement démographique.
La guerre est toujours le moyen de la crise et ici on a un aspect essentiel de la crise russe. L’intégration d’une (large) partie de l’Ukraine au moyen d’une annexion par une offensive militaire trouve ici un sens évident.
Plus directement au sujet de l’Ukraine, Vladimir Poutine pose d’ailleurs l’argument qui sera employé pour une attaque contre l’Ukraine : on aurait appelé la Russie à l’aide en 2014… Et, de toutes façons, l’Ukraine serait une invention bolchevique. Ce dernier point a été longuement explicité dans son article « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » du 12 juillet 2021.
Voici ce qu’il dit pour parler de l’annexion de la Crimée en 2014 à la conférence de presse, avec une argumentation qui pourra être largement reprise contre l’Ukraine :
« Puis la Crimée est arrivée. Mais comment pourrions-nous refuser la demande de Sébastopol et de Crimée, les gens qui y vivaient, de les prendre sous notre protection, sous notre aile ? Ce n’était pas possible.
Nous étions simplement mis dans une situation où nous n’aurions pas pu agir différemment.
Ou bien étions-nous censés simplement regarder passivement ce qui se passait dans le sud-est, dans le Donbass, qui ne s’est jamais considéré comme faisant partie de la Russie, même lors de la formation de l’URSS en 1922-1924 ?
Mais Lénine et ses camarades y ont coincé le Donbass par la force. Au début, ils ont décidé d’en faire une partie de la Russie et ont ensuite déclaré que la décision devait être révisée. Ils l’ont révisé et ont créé un pays qui n’avait jamais existé auparavant. »
Et dans la foulée, Vladimir Poutine ajoute, de manière malheureusement juste : l’Ukraine ne reconnaît pas l’existence d’une minorité russe et rejette la langue russe. Cela lui permet une argumentation au sujet des Russes menacés là où ils vivent pourtant historiquement. On l’aura compris, Vladimir Poutine justifie par avance une intervention armée en disant qu’il existe une menace sur les Russes. D’où d’ailleurs les passeports distribués par centaines de milliers dans les « républiques populaires » séparatistes.
D’où l’accusation contre l’Ukraine de vouloir mener une intervention armée sur une base nationaliste, ce qui est malheureusement vrai aussi.
« On pourrait avoir l’impression qu’une troisième opération militaire [ukrainienne contre le Donbass séparatiste] est peut-être en préparation.
De plus, ils nous préviennent d’avance : « N’intervenez pas, ne protégez pas ces personnes. Si vous interférez pour protéger ces personnes, certaines sanctions suivront. » Il se pourrait bien qu’ils s’y préparent.
C’est la première option à laquelle nous devons répondre et agir, tout en gardant cela à l’esprit.
La deuxième option est, en général, de créer, comme je le disais dans mon article [« Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » du 12 juillet 2021], une sorte d’anti-Russie sur ce territoire en y stockant constamment les dernières armes et en faisant un lavage de cerveau à la population locale.
Imaginez simplement comment la Russie doit vivre et continuer, d’un point de vue historique. Doit-on vivre, en gardant constamment un œil sur ce qui se passe là-bas, et quels nouveaux systèmes d’armes ont été livrés ?
Sous le couvert de ces nouveaux systèmes d’armes, des radicaux pourraient bien décider de régler la question du Donbass, ainsi que la question de la Crimée, par des moyens militaires.
Pourquoi ont-ils soutenu la plate-forme de Crimée ? En marge, ils n’arrêtent pas de dire : « Très bien, oublions la Crimée. » Mais non! Ils veulent même aller jusque là-bas.
Après tout, nous devons être attentifs à notre propre sécurité, pas seulement pour aujourd’hui et pas seulement pour la semaine prochaine, mais à court terme. Comment la Russie vivra-t-elle avec tout cela ? Doit-on toujours rester sur ses gardes, surveiller ce qui s’y passe et quand une frappe peut arriver ?
C’est on ne peut plus clair et c’est malheureusement très intéressant de voir comment un vrai problème est posé de manière déformée dans une réponse nationaliste. Et lorsqu’on lui demande s’il y aura une guerre avec l’Ukraine, Vladimir Poutine ne répond pas directement, disant simplement que le régime refuse tout compromis, que ce qui compte c’est la discussion sur la sécurité de la Russie menée avec les États-Unis.
C’est une véritable opération, à grande échelle, d’orientation belliciste forcée dans l’opinion publique au travers de véritables questions (la conquête de l’Est par les occidentaux, l’OTAN comme menace militaire) et d’obsessions nationalistes (avec la particularité propre à chaque pays, donc ici la Russie comme « mère Russie »).
On a là une leçon très importante. Trop souvent, en regardant 1914, on pense que les événements se sont précipités et que la guerre a été provoquée d’un coup. En réalité, il y a eu toute une mise en place belliciste et nationaliste, qui n’a eu de cesse d’être à l’époque dénoncée par la seconde Internationale, notamment avec le congrès de Bâle de 1912. Il est vrai qu’à force de parler de la guerre à venir, la seconde Internationale a fini par croire qu’elle n’arriverait plus vraiment. Néanmoins, il faut ici bien retenir que ce qui compte, c’est qu’il y a toujours une nécessité particulière de façonner l’opinion publique vers la guerre.
Là, l’Ukraine a un régime ultra-nationaliste, fanatiquement anti-Gauche et anti-russe, avec à sa tête des pro-américains soutenus directement par des nazis. Et désormais la Russie a réorganisé son idéologie très rapidement, de manière ultra-offensive, pour légitimer son « sauvetage » de ceux qui relèvent de la « mère Russie ». Avec l’arrière-plan militaire en place – les troupes continuent d’affluer de part et d’autre aux frontières – on a la base pour une guerre « moderne ».