L’Histoire avance dans la dépolitisation générale.
Entre le mois d’octobre et le début de l’année 2023 vient de se jouer une séquence politique majeure, qui marque un tournant dans l’implication française pour l’OTAN dans la guerre en Ukraine.
Le 31 octobre 2022, le journal Le Monde publiait une tribune de dirigeants libéraux-atlantistes appelant la France à prendre les devants en assumant en premier de livrer des armes offensives en faveur du régime ukrainien.
Pour les auteurs de cette tribune, représentants de toute une couche d’experts animée par la défense de la superpuissance américaine et dont le point d’ancrage sont les pays baltes violemment anti-russe, la France se devait de prendre l’initiative pour se repositionner correctement dans l’OTAN.
C’est chose faite puisque le 4 janvier 2023, juste après la visite du ministre de la défense Sébastien Lecornu à Kiev, Emmanuel Macron annonçait l’envoi d’une quarantaine de chars AMX10-RC. Cela signifie que la France suit toujours plus les consignes des pays d’Europe de l’est, en fait de l’OTAN, et devient un moteur du bellicisme anti-russe en Europe.
Il n’y a qu’à voir comment l’annonce d’envoi de chars français a été suivi de tout une discussion politique en Europe, de la Pologne à l’Allemagne en passant par Londres et sa décision d’envoyer des chars Challenger II.
Depuis cette annonce qui sonne comme un véritable tournant du fait que ce type d’armes permet de mener des contre-offensives et donc prolonge ouvertement la guerre, il est stupéfiant de noter qu’il n’y a aucune réaction politique, ni à Gauche, ni à Droite.
À gauche, des gens comme Boris Vallaud du PS préféraient rencontrer à la mi-novembre l’Union des ukrainiens de France, dont le président promeut l’interdiction du ballet Casse-Noisette de Tchaïkovski.
Ce qui n’est pas un simple positionnement « tactique » : pour le nationalisme ukrainien, la Russie n’existe pas, c’est une malédiction moscovite.
Lors des manifestations parisiennes de cette même association, parsemée de drapeaux bandéristes et de personnes faisant le salut du parti d’extrême-Droite Svoboda, on retrouve parfois Yannick Jadot, dont le parti EELV est d’un bellicisme fou, mais aussi des drapeaux du NPA. C’est dire…
Mais on ne trouve rien non plus ni du côté de Révolution Permanente, ni du côté de l’ultragauche. À Lutte Ouvrière, on se contente d’un dernier communiqué sur une simple motion, histoire de dire quelque chose, votée le 7 décembre dernier. Depuis, plus rien.
En fait, du côté de l’extrême-gauche, on ne trouve que les maoïstes du PCF(mlm) pour prendre les choses au sérieux et de promouvoir l’engagement anti-OTAN et anti-guerre, comme l’illustre d’ailleurs l’un des articles du numéro 22 de la revue Crise qui anticipait correctement l’impact politique joué par la tribune des libéraux-atlantistes mentionnée plus haut.
Quant à l’extrême-Droite, si prompt à se faire la championne du nationalisme et du souverainisme, chaque jour de plus dans la guerre en Ukraine contribue à la ringardiser.
Il suffit de voir que lors de sa niche parlementaire du 12 janvier, moment où l’on peut mettre au débat n’importe quel sujet, le groupe RN a préféré parler d’exonération des cotisations sociales, de la suppression des zones à faible émission, de la légitime défense des policiers ou encore de l’uniforme à l’école plutôt que des décisions pro-OTAN du cabinet présidentiel.
Le constat est sans appel : l’Histoire se fait en France dans le désert total ou plutôt dans l’acceptation générale de décisions militaristes faites sans aucun processus démocratique, au moins parlementaire.
C’est là le signe d’une profonde dépolitisation dans une démocratie où les principales forces d’opposition ne sont même pas en mesure d’axer leurs interventions sur la véritable actualité qui apparaît donc sous le signe d’un consensus général dont il n’est même pas question de débattre.
Pourtant, depuis la réélection d’Emmanuel Macron, alors même que la guerre en Ukraine n’a jamais été au centre des débats de la présidentielle et des législatives, toutes les décisions concernant le financement ou l’envoi d’armes ne sont jamais passées par l’assemblée nationale.
Le seul moment, formant un nœud de la séquence politique dont il est question ici, a été l’ovation générale au régime ukrainien lors de la rentrée parlementaire début octobre.
Moment qui n’était même pas suivi d’un vote législatif mais seulement d’un débat symbolique en présence de l’ambassadeur du régime de Kiev. Autrement dit, cela n’était là que pour renforcer la légitimité de toutes les décisions militaires prises dans l’ombre du cabinet présidentiel.
La Gauche est même incapable de mobiliser sur une chose si simple que la guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’augmentation du coût de la vie en France, préférant faire de l’inflation une chose tombée d’on ne sait trop où. Mais il est vrai que pour cela, il faudrait avoir des bases historiques à gauche, de celles qui relient la crise économique à la guerre, et la guerre aux restructurations capitalistes.
Et c’est là que l’on comprend que la protestation contre la réforme des retraites est l’expression du vieux monde. C’est même une actualité qui vient du monde d’avant, d’avant 2020.
Et forcément, plutôt que de s’actualiser, la Gauche française reste dans ses habitudes routinières et elle y met même le paquet. Le constat fait ici dès le mois de mars 2022 d’un militantisme incapable de saisir les changements dans le monde s’avère toujours plus juste.
Et comme l’Histoire travaille dorénavant contre ces vieilles forces militantes, celles-ci redoublent d’effort pour imposer coûte que coûte la réforme des retraites comme la grande actualité. Cela serait même le vecteur d’une politisation à entendre certains, quel délire !
Mais tout le monde y croit, du Figaro jusqu’au Rassemblement national en passant par la NUPES, dans un grand mensonge collectif qui voudrait que l’actualité serait de savoir comment la stabilité sociale va être négociée et conservée dans ce pays.
D’ailleurs, s’il y a vraiment une mobilisation contre les retraites, ce serait la preuve que la société française s’est repliée sur elle-même, pensant que l’on peut encore et toujours raisonner comme ces quarante dernières années. Ce serait une expression de la stabilité capitaliste, nullement de sa remise en cause pourtant bien à l’ordre du jour.
La seule actualité de l’époque, c’est la tendance à la guerre. Il n’y rien en dehors, rien à côté : qui ne met pas les pieds dans le plat reste en dehors de l’Histoire.